FAIRE DES GORGES CHAUDES
Posté par francesca7 le 9 décembre 2014
Expression venant de la fauconnerie – on le sait, elle consistait à faire capturer le gibier par des oiseaux de proie particulièrement dressés à cet exercice. C’était un loisir princier, pour ne pas dire royal, tant l’entretien des faucons réclame un personnel abondant et hautement qualifié ; les fauconniers et leurs aides.
La fauconnerie a eu ses heures de gloire jusqu’au XVIIIè siècle. Chasse d’hiver, débutant après la Sainte Croix, elle a connu son apogée dans les cours fastueuses du XVIè.
J’emprunte à nouveau à Paul Vialar la description de ces réjouissances d’antan : « Dames et seigneurs mêlés, galants faisant l’hommage de leur prise à leur maîtresse après avoir suivi l’oiseau lâché au bon moment, l’avoir soutenu de la voix, lui avoir arraché la proie des serres, l’avoir repris en le faisant revenir au leurre et le rapportant alors plein d ‘orgueil, enchaperonné, pour le remettre sur le poing de leur belle. Tout le monde chassait et prenait ardent plaisir à la chasse. Les dames portaient sur leur poing petit, ganté de cuir et de velours, un épervier ou un émerillon et derrière Catherine de Médicis la petite bande, faisait merveille.
« C’était aussi une marque fortune et de naissance et chaque gentilhomme voulait être suivi de fauconniers à cheval portant ses oiseaux, parvenant même parfois à obtenir permission de garder leur préféré sur leur poing à la messe. Un homme suivi d’un chien ou d’un oiseau montrait ainsi qu’il n’était pas du commun et qu’il lui était de cette manière permis à tout instant de sa promenade ou de son voyage, de se livrer à son sport favori »
Bien entendu, dans cette catégorie-là aussi il faut encourager l’animal ; Rien de plus efficace que de lui faire goûter quelques morceaux de sa proie immédiatement après la capture – ou encore le détourner de cette proie en la remplaçant par un « leurre » un pigeon par exemple, que le faucon déchire à sa guise. (Ce qui a peut-être renforce le sens d’être un pigeon), une dupe, usuel déjà au XVIè siècle avec le verbe pigeonner).
Donc, « Gorge, en terme de fauconnerie, est le sachet supérieur de l’oiseau, qu’ailleurs on nomme poche ; et lorsque l’oiseau s’est repus, on dit qu’il s’est gorgé. On appelle gorge chaude la viande chaude qu’on donne aux oiseaux du gibier qu’ils ont pris », explique Furetière. C’est en somme l’équivalent de la curée pour les chiens. La Fontaine rapproche d’ailleurs les deux mots dans La Grenouille et le Rat.
[la Grenouille]
S’efforce de tirer son hôte au fond de l’eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée ;
Prétend qu’elle en fera gorge chaud et curée ;
C’était, à son avis, un excellent morceau.
Cependant, il existait dans l’ancienne langue un mot « gorge », ou « gorgie », qui signifiait « insulte, raillerie piquante » (ne li fist ire ni gorge). Il en a résulté une superposition de sens, et l’expression vorace s’est trouvée vouée à la moquerie. « On dit aussi par une double figure, quand quelqu’un a fait une sottise, ou imprudence, qu’on en a fait une gorge chaude dans les compagnies ; c’est-à-dire, qu’on s’en est raillé ». (Furetière). Saint Simon emploie déjà ce sens figuré : « Le duc de Saint Aignant trouve l’aventure si plaisante qu’il en fit une gorge chaude au lever du roi ».
Quelle que soit la transposition, les motifs de nos hilarités ne sont pas innocents ; faire des gorges chaudes de son prochain revient souvent à le déchirer à belles dents !
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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