LES EPINGLES et TIRER SON EPINGLE DU JEU
Posté par francesca7 le 3 décembre 2014
Une histoire moralisante remportait naguère un franc succès sur les bancs des écoles : celle des débuts édifiants du célèbre banquier Laffitte, pauvre jeune homme engagé dans son premier emploi après avoir essuyé un refus poli, parce qu’il avait pris la peine en sortant, tête haute, de ramasser dans la cour une épingle et de l’accrocher au revers de son veston. L’employeur qui le suivait machinalement du regard avait été séduit par ce geste d’épargne d’excellent augure et l’avait rappelé sur le champ : « Jeune homme, je vous engage » !
Evidemment les temps ont bien changé. On se demande ce que la jeunesse actuelle pourrait bien ramasser par terre pour éviter le chômage et tirer aussi brillamment son épingle du jeu.
Tirer son épingle du jeu
Jeu de mots mis à part c’est du côté des petites filles qu’il faut chercher l’origine de cette expression. Vers le XVè siècle les fillettes jouaient à placer des épingles dans un rond au pied d’un mur et à les faire sortir à l’aide d’une balle qui devait d’abord frapper le mur avant de ricocher dans le cercle. Une joueuse habile parvenait au moins à récupérer sa mise, c’est à dire à retirer son épingle du jeu. Le sens figuré en découle très tôt, comme en témoigne d’Aubigné au XVIè : « Mais, ne pouvant rien contre vents et marée, il tira son épingle du jeu ».
Cela dit, les épingles ont eu autrefois dans la vie des femmes une importance dont on ne se doute guère. C’était apparemment un objet d’un certain luxe, dont la fabrication était strictement réglementée. Au XIIIè siècle, le Livre des métiers précise : « Que nul maître ni maîtresse ne puisse acheter fil cher pour faire espingles, si ce n’est à ceux du dit métier (les épingliers), sous peine de l’amende ». On offrait des épingles aux dames et les testaments du XIVè et du XVè siècle disposaient parfois de legs particuliers destinés à leur achat, en particulier pour les « longues espingles à la façon d’Angleterre ». Du reste, le pécule que les maris accordaient à leur épouse pour leurs menues emplettes personnelles ou bien le sommes qu’elles pouvaient amasser d’elles-mêmes par un truchement quelconque s’appelaient tout bonnement les « épingles ». « Madame d’Etampes prend de pension, pour ses épingles, cinq cents livres ».
Il s’agit là, semble-t-il d’un trait de civilisation occidentale car l’anglais connaît aussi l’expression pin-money qui désigne l’argent de poche des femmes et des jeunes filles. Témoin ce dialogue d’une comédie classique de Vanbrugh où une jeune fiancée se réjouit ingénument de la munificence de son futur époux : « Dis-moi, nourrice, s’il me donne deux cents livres par an pour m’acheter des épingles, qu’est-ce que tu crois qu’il me donnera pour acheter des beaux jupons » ? – Ah ma chérie, il te trompe vilainement ! Ce que ces Londoniens appelle l’argent des épingles c’est pour acheter à leurs femmes tout ce que peut offrit le vaste monde, et jusqu’aux lacets de leurs chaussures ».
La pratique des « épingles » a duré longtemps, et s’il faut en croire Littré, jusqu’à l’époque de nos arrière-grand-mères, où le mot désignai tune sorte de pourboire particulier à l’intention des femmes : « C’est pour les épingles des filles, se dit de ce que l’on ajoute en payant une marchandise ou un ouvrage au prix convenu… Ce sont les épingles de madame ».
Monter en épingle
On comprend dès lors que l’on puisse être tiré à quatre épingles – ajusté sans aucun faux pli. Et aussi naturellement qu’il vaille parfois la peine de monter une chose en épingle, afin de la mettre en valeur. Tout est dans la tête, si j’ose dire, et dépend de la grosseur et du prix de celle-ci. On peut monter une émeraude en épingle par exemple, et faire d’une simple épingle de cravate ou d’une épingle à chapeau un véritable bijou.
Que l’on en juge par cette description somptueuse, extraite d’un traité des émaux du XVIè siècle : « Un saphir enchâssé à jour, sur un espingle d’or, garni de douze petites perles ». Pas du tout le genre que vous iriez chercher dans une meule foin » !
issu du livre : « La puce à l’Oreille » aux éditions Stock 1978
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