La vertu du dialogue
Posté par francesca7 le 8 novembre 2014
Pour découvrir ce que réellement sont les hommes, il convient de partir de l’opinion qu’ils ont d’eux mêmes. Le moraliste doit donc les interroger sur ce qu’ils croient être, les conduire à découvrir ce qu’ils sont, et dénoncer leur fausse sécurité. L’investigation s’instaure par le dialogue. Socrate allait des uns aux autres et interrogeait non sur les idées mais sur le vécu quotidien. A un militaire il demandait « Qu’est-ce que le courage ». A un prêtre « Qu’est-ce que la charité » ? Par cette épreuve, il faisait reconnaître a chacun son ignorance et faisait passer de l’autosatisfaction à I’inquiétude. En allant par les rues, il n’avait pas d’autre but que de persuader qu’il ne faut pas donner de ‘importance au corps et aux richesses, qu’il faut s’occuper du perfectionnement et de la vertu. II comparait la pratique philosophique à la maïeutique (art de faire accoucher). Sa mère était sage-femme. II faisait accoucher les esprits. Personne n’y échappait… Dans ces relations, se manifestait son ironie, sa raillerie familière : de l’individu courageux on remonte au concept de courage, et sachant ce qu’est le « vrai » courage, on peut apprécier comment il se manifeste chez I’individu interrogé..
Ce qui vient d’être accompli sur l’un est valable pour l’autre. Derrière la diversité des cas, il y a une identité de nature qui dépasse les particularités de chacun. En dégageant l’élément commun, l’on remonte à la proposition générale que I’on peut appliquer à d’autres.
Socrate interroge Euthydème et obtient de lui l’aveu qu’il aspire à commander et que, pour exercer le commandement, la justice est indispensable. « Qu’est-ce donc que la justice ? » « L’homme injuste, répond Euthydème, est celui qui ment, qui trompe ». Mais, observe Socrate, lorsque l’on a affaire à des ennemis, il y a des cas dans lesquels il est permis de mentir, de tromper. Les mensonges ne sont injustes que lorsqu’ils atteignent des amis et, là encore, il y a des cas où, même envers des amis, ils sont permis : Un général peut donner du courage à son armée par un mensonge ? Un père peut user de supercherie pour faire prendre un remède à son enfant ?
Disons donc : l’homme injuste est celui qui ment à ses amis. Ainsi le procédé inductif de Socrate consistait à dégager un caractère commun et général d’un certain nombre de cas particuliers.
On ne pardonna pas à Socrate son action réformatrice. On l’accusa d’introduire la critique dans l’esprit de ses contemporains, de mépriser la religion d’Etat, de faire appel à un autre dieu : « la raison »… et de corrompre la jeunesse. Son attitude et son plaidoyer au long procès firent figure de provocation. II déclara entendre une voix intérieure. Le « démon » de Socrate a suscité dès l’Antiquité une littérature. Georges Bastide a consacré plusieurs pages à la satisfaction qu’il éprouvait à obéir a cette voix. Socrate s’immola afin de dénoncer plus efficacement, par sa mort, 1′injustice de la cité. II accepta, très lucide, la condamnation du Tribunal démocratique d’Athènes et but le poison : la ciguë (en 399). Avant de boire il fit l’éloge de la mort qui délivre l’âme.
Platon, disciple de Socrate, donna à ce suicide forcé une dimension légendaire. II déclara « on a tué l’homme le plus juste et le plus sage de notre temps ». Disciple fidèle, il inscrivit dans « Phèdre » : « il est risible de s’occuper d’autre chose quand on s’ignore soi-même ». « II ne mène pas la vie d’homme qui ne s’interroge pas sur lui-même » (Apol. 1,28). D’après Cicéron « Socrate le premier a fait descendre la philosophie du ciel sur terre, I’introduisit non seulement dans les villes, mais jusque dans les maisons, et l’amena à régler la vie, les mœurs, les biens et les maux ».
Philosopher à Athènes n’était pas de tout repos. Protagoras, qui avait écrit: « Pour ce qui est des dieux, je n’ai aucune possibilité de savoir s’ils existent, ni s’ils n’existent pas », fut condamné comme Socrate, mais il évita de boire la ciguë en s’enfuyant de Grèce. Xénophon fut condamné à l’exil. Platon fut menacé de mort et vendu au marché aux esclaves. Racheté par ses admirateurs, il revint à Athènes, fonda l’Académie et fit de la politique.
Il est admis que ces penseurs furent poursuivis non pour leurs idées philosophiques, mais pour des raisons politiques. Jacqueline de Romilly souligne pourtant qu’aucun d’eux ne contestait le principe d’obéissance aux lois de la cité.
EXTRAIT de « Connais-toi toi-même » Actualité de l’injonction de Socrate travaux philosophiques de Guy Lazorthes
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.