Pourquoi un Coq sur les Clochers
Posté par francesca7 le 6 novembre 2014
par le chanoine R. Gaudin
Pourquoi met-on, depuis longtemps, un coq sur le clocher des églises?
Ecartons résolument la légende selon laquelle saint Pierre, pour empêcher les coqs de lui rappeler sa faute par leurs chants, aurait empalé l’un d’eux et, ainsi, rendu les autres, muets d’épouvante. Saint Pierre avait d’autres soucis que de faire taire les coqs et pratiquait trop l’humilité pour ne pas leur être, au contraire, reconnaissant de lui remémorer sa faiblesse. Le coq des clochers n’est pas une perpétuation du légendaire coq empalé de saint Pierre.
Pourquoi met-on, depuis longtemps, un coq sur le clocher des églises?
Voyons ce que l’antiquité païenne et les premiers temps du Christianisme pensaient du coq. Un rappel de ce genre peut nous mettre sur la voie d’une réponse plausible.
A – Le Symbolisme du Coq dans les Civilisations Anciennes.
Partout et toujours, le coq a eu pour qualités proverbiales la fierté, le courage et la vigilance. Aussi bien, dès avant le VIe siècle antérieur à notre ère, le trouvons-nous dans les arts des civilisations les plus évoluées sur les monnaies grecques, sur les monuments protohistoriques de la Gaule, sur la céramique cyrénéenne, sur des objets précieux de Babylonie, de l’Inde, de l’Extrême-Orient. Chez les Grecs et les Latins, le coq blanc fut consacré à Zeus-Jupiter. Voilà pourquoi Pythagore défendait à ses disciples de les tuer et de s’en nourrir. Le même coq blanc fut aussi l’oiseau d’Hélios Apollon. Il n’était pas rare de voir un coq aux pieds ou dans la main du dieu sur les bas-reliefs ou autres sculptures. Il y eut un rapprochement naturel de la divinité de la lumière et de l’oiseau qui, avant tous les autres, appelle l’aurore de ses cris impérieux et qui est ainsi une sorte de « prophète de la lumière ».
Le chant du coq, explosion matinale de la vie qui commence, fit adopter le coq comme emblème de la vigilance. Une fable grecque veut que le soldat Alectryon, qui avait manqué d’attention dans la surveillance qu’Arès et Aphrodite lui avaient confiée, fut métamorphosé en coq, pour qu’il apprenne ainsi la vigilance.
C’est encore parce que le coq sonne le réveil à tout ce qui l’entoure, qu’il fut associé au culte d’Hermès-Mercure, le dieu du commerce. Le musée Guimet conserve un curieux autel, découvert à Fleurieu (Ain). C’est un autel à Mercure. Sur l’une de ses faces, on voit un coq.
Chacun sait que le coq était aussi l’oiseau d’Esculape et de son temple d’Epidaure. Dans les représentations du dieu de la médecine, l’oiseau de lumière et de vie est assez souvent opposé au serpent silencieux, sournois et porteur d’un mortel venin. Le serpent rappelle la maladie et la mort et le coq la guérison qui conserve la vie. Sur l’actuel blason de la Faculté de Médecine de Lyon figurent coq et serpent.
Les Chaldéens, frappés de son activité matinale, crurent que le coq recevait, chaque jour, un influx divin, qui le poussait à chanter avant tout autre. Une monnaie grecque du VIe siècle avant J-C. porte un coq surmonté d’un signe astral, d’où partent des rayons.
Les Grecs firent du coq l’emblème du courage militaire. Thémistocle sur le point de livrer bataille aux Perses, harangua ses hommes en leur recommandant l’exemple des coqs. En souvenir de ce fait, Athènes créa une fête annuelle, qui comportait principalement des combats de coqs. Les Gaulois eurent la même idée que les Grecs. On a des monnaies portant un coq. Des bijoux en forme de coqs furent trouvés dans les sépultures. Quelques bas-reliefs révèlent des enseignes militaires surmontées de coqs. Notons en passant que le coq ne fut pas l’ordinaire enseigne des Gaulois, comme on l’a souvent dit. Le sanglier est plus fréquemment employé que le coq.
Tant de qualités chez le coq contribuèrent à en faire partout, chez les Anciens, une sorte de messager des dieux. Aussi bien eut-il le douloureux privilège — surtout le coq blanc — de servir, par ses entrailles ouvertes, à la révélation des volontés des dieux et à l’annonce des bonheurs ou malheurs futurs. C’est ce qu’exprime Rabelais quand il parle dans « Pantagruel » du « coq vaticinateur ». Le nom d’alectryomancie désigne cette pratique sanglante.
Toujours à cause de ses qualités proverbiales, les Anciens croyaient que les entrailles du coq renfermaient une pierre mirifique: la « pierre alectorienne », talisman supposé de l’audace, de la vigueur, de la décision. N’a-t-on pas raconté que Milan de Crotone, qui tuait un taureau de son poing prodigieux, devait à la pierre alectorienne sa force surhumaine. Il est curieux de trouver un archevêque de Rennes: Marbode, mort en 1123, qui rappelle cette légendaire tradition et ajoute que le même talisman donne l’éloquence aux orateurs et la fidélité aux époux.
On a cru très longtemps que le gésier d’un coq castré contenait parfois une autre pierre merveilleuse, capable de procurer à qui la portait, la sagesse et le bon sens. Le Moyen Age appelait ce talisman la « pierre de chapon » ou « chaponnette ». Un inventaire — celui du duc de Berry, oncle de Charles VI dressé en 1416, fait état « d’une pierre de chappon, tachée de blanc et de rouge, assize en un annel d’or: prisée quatre livres tournois ».
B – Le Coq dans les plus Anciennes Symboliques du Christianisme.
Le caractère d’ « oiseau de la lumière » a été gardé au coq pendant tout le premier millénaire chrétien. A l’exemple des Egyptiens, qui avaient des lampes de terre ou de bronze en forme de coqs, les potiers chrétiens de Grèce et de Rome réunirent, eux aussi, le coq à l’idée de la lumière et donnèrent, entre autres sujets symboliques, à leurs lampes la représentation du coq. Sur l’une, le coq est accompagné d’une croix; sur une autre, il semble diriger une barque vers le port; sur une troisième, il porte une palme de triomphateur, telle la lampe trouvée à Ardin (Deux-Sèvres). A n’en pas douter, le coq est là l’emblème du Christ, chef de l’Eglise, guide et défenseur des fidèles. Sur une barque, il est le Christ dirigeant l’Eglise. Surmonté d’une palme, il est le Christ ressuscité, vainqueur de la mort.
Depuis longtemps un beau témoignage a été rendu au coq. L’auteur du « Livre de Job » se demande si le Créateur ne lui a pas donné plus que de l’instinct: « Qui a mis la sagesse au cœur de l’homme?
Qui a donné l’intelligence au coq? » (XXXVIII – 36).
Le « Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne » cite une ampoule en terre cuite des premiers siècles du Christianisme, sur laquelle on peut voir la Vierge Marie présentant son Fils nouveau-né à quelque personnage placé devant elle; au-dessus un coq bat des ailes et chante; à leurs pieds est un autre coq.
Le symbole est net: l’avènement de Jésus est pour le monde, au moral, ce qu’est l’apparition matinale du soleil, matériellement, pour la terre, apparition que chantent les coqs. La symbolique chrétienne ne s’est pas contentée de voir dans le coq l’emblème du Christ ou de l’associer à l’avènement du Messie. Elle l’a également uni à la Résurrection. N’est-ce pas à l’aube pascale que le miracle s’est accompli, c’est-à-dire au moment où retentit le chant du coq? Les lampes chrétiennes, décorées d’un coq porteur de palme, lui donnent l’insigne honneur de rappeler le Christ ressuscité.
Le chant du coq devient la voix du Christ. Le sens poétique de Prudence a fait ce rapprochement.
Dans son « Cathemerinon » (chants pour toute la journée), publié au début du IVC siècle, le poète chrétien consacre sa première hymne à « l’oiseau annonciateur du jour » (« Ales diei nuntius ») dont la voix sonore « appelle les âmes à la vie » chrétienne (« … ad vitam vocat »). Racine nous en a traduit les strophes:
« L’oiseau vigilant nous réveille; Et ses chants redoublés semblent chasser la nuit; jésus se fait entendre à l’âme qui sommeille Et l’appelle à la vie où son jour nous conduit… »
Saint Ambroise, évêque de Milan, lui aussi consacre au coq sa première hymne: « Le coq réveille les dormeurs Et presse les mal-éveillés… «
Et l’on pourrait citer Denis d’Alexandrie, saint Basile…
Le coq garde l’actualité dans la symbolique liturgique puisque, encore maintenant, l’Eglise fait réciter au bréviaire l’hymne de saint Ambroise dans les « Laudes » du dimanche et celles de Prudence, dans les « Laudes » du mardi.
Quant à donner le coq en modèle aux prédicateurs, c’était chose facile. Saint Hilaire de Poitiers l’a fait dans une hymne:
« Le coq qui chante et qui bat des ailes
Ressent l’approche du jour.
Nous aussi, avant la lumière,
Annonçons au monde le Christ… »
Saint Grégoire-le-Grand n’y a pas manqué:
« Le prédicateur a le devoir de s’animer… comme le coq qui bat des ailes avant de pousser son chant… » (Morales: XXX).
Le coq a même été associé à la fin du monde, en faisant de lui l’image du Juge suprême. La nuit rappelle la mort, mais le jour évoque la résurrection. Le chant du coq fait à l’aube ce que fera l’appel de l’ange de la résurrection, au jour où s’accomplira la définitive destinée des hommes. Mais le coq dressé au milieu d’une nature encore endormie entraîne à lui faire représenter le Christ lui-même.
Prudence, dans une hymne, écrit en effet le coq « est la figure de notre Juge ». Nous avons là l’explication de ces coqs gravés sur les plus anciennes sépultures chrétiennes; par eux s’expriment l’espérance et la foi dans la résurrection future. Nous donnons la même signification au petit coq en os, trouvé dans une sépulture mérovingienne de Blaye.
La place du coq sous la tradition chrétienne ne se limite pas à des considérations mystiques. Elle s’étend aussi à la liturgie pratique. Dans la vie romaine, les « heures » — comme chacun sait — étaient des périodes de temps d’une certaine longueur et non pas de soixante minutes seulement. La première division légale de la journée ou « première heure » était au chant du coq. On l’appelait, à cause de cela, le « Gallicinium ». Elle allait d’environ une heure (style moderne) à trois ou quatre heures en été, à quatre ou six en hiver. L’Eglise, soucieuse de faire donner par ses fidèles les prémices du jour à Dieu, fit du « Gallicinium » l’heure de la prière par excellence. Les « canons d’Hippolyte », écrits à la fin du IIe ou au début du IIIe siècle, indiquent expressément qu’une assemblée de prières aura lieu au « Gallicinium ». La « Peregrinatia Etherioe », de la fin du IIIe siècle, nous apprend qu’à Jérusalem le coq donne le signal de l’assemblée du dimanche. Des « Constitutions apostoliques » des IV et Ve siècles déclarent que, après la longue veillée pascale, les Baptêmes étaient conférés au chant du coq et qu’aussitôt après le « Gallicinium » il était permis de rompre le jeûne.
En Orient, le « Gallicinium » faisait partie de l’horaire monastique quotidien. Au Ve siècle, notamment chez les moines égyptiens, nous dit Dom Leclercq, certains monastères consacraient particulièrement deux temps à la prière en commun le « Gallicinium », au matin, et le « Lucernarium », le soir autrement dit: l’heure du coq et l’heure de la lampe.
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Le plus ancien coq de clocher connu est celui de la cathédrale de Brescia. Il remontait au IXe siècle. Il était en cuivre doré. Le poète anglais Wolstan, au Xe siècle, parle du coq de la cathédrale de Winchester. La vieille chronique de Coutances nous apprend que le coq de la cathédrale fut frappé par la foudre en 1091.
Mais pourquoi des coqs sur les clochers?
Nous ne pouvons répondre que par des conjectures. Cependant tout ce que nous avons dit de l’emblématique du coq chez les anciens et dans les premiers temps du christianisme, nous permet de croire que la tradition concernant le coq a continué de s’affirmer, mais sous une forme différente, par son installation au faîte des édifices saints.
Lorsque nous avons sous les yeux de vieilles estampes, représentant les instruments de la Passion, accompagnant toujours la lance, l’éponge, les clous, le marteau, la couronne d’épines, la lanterne, nous voyons un coq perché sur une colonne. Il n’est pas tellement rare, non plus, de découvrir, sur des monuments chrétiens, un coq toujours perché sur une colonne. Il s’agit ou bien du coq qui a chanté au moment du reniement de Pierre, début de la Passion du Christ, ou bien de l’emblème, parmi les instruments de douleur, de la Résurrection proche. L’idée du coq sur le clocher a pu venir de cette figuration du coq de la colonne. La transition ne paraît pas impossible.
Ce qui semble plus évident, après tous les symboles du coq dans l’emblématique chrétienne et les allusions poétiques ou mystiques des premiers chantres et orateurs du christianisme. C’est que le coq, haut placé, rappelle le Christ protecteur vigilant et défenseur de ses enfants, engagés dans la lutte contre le mal dont ils doivent sortir vainqueurs. Le coq-girouette toujours face au vent, est le Christ face aux péchés et aux dangers du monde et, par similitude, le chrétien face aux mêmes dangers et aux mêmes péchés.
Une explication subsidiaire vaut d’être donnée. On a remarqué que souvent l’intérieur du coq des clochers contenait des reliques. Ainsi, le coq de Notre-Dame de Paris, descendu, il y a quelques années, pour une remise en état, renfermait des ossements. Cette constatation est à rapprocher des talismans légendaires attribués aux coqs blancs. On a imaginé que les ossements trouvés devaient appartenir à des saints locaux, protecteurs de la cité. Peut-être peut-on penser qu’autrefois, lorsqu’on mettait une sainte émulation à se voler d’église à église les reliques vénérées, le reliquaire le mieux protégé était au sommet quasi-inaccessible du clocher.
Mémoires de la Société Archéologique et Historique de la Charente – année 1956
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