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Vertus de nos superstitions

Posté par francesca7 le 27 octobre 2014

 

 

 
 
images (2)Quand on quittait la gare de Sanary, sur le chemin de fer de Nice à Marseille, à neuf kilomètres environ de Toulon, et qu’on se dirigeait vers le village d’Ollioules, on rencontrait à la fin du XIXe siècle, à une centaine de mètres de la voie, sur le bord d’un petit sentier rural, un chêne, qui était d’ailleurs d’une assez belle venue, mais dont le tronc présentait une disposition assez bizarre

Un témoignage de l’époque relate qu’à un endroit donné de sa hauteur, il est partagé en deux, par une fente de plus d’un mètre de longueur, de 3 à 8 centimètres d’ouverture, comme s’il était constitué par deux branches qui, après s’être séparées, se seraient réunies de nouveau. Cette disposition n’est pas un jeu de la nature, mais bien l’œuvre de l’intervention humaine ; en y regardant de près, on voit que, primitivement, le tronc de cet arbre a été fendu en deux, et que l’hiatus est le résultat de la cicatrisation accidentelle d’une partie de la fente.

 

Il n’est pas rare de rencontrer dans les champs, en Provence, des arbres qui présentent cette disposition. C’est le plus souvent des chênes, mais cependant on constate que des frênes, des noyers, des ormes, des peupliers, des pins même, ont été ainsi fendus intentionnellement, puis ont été entourés d’un lien, pour que les parties séparées se réunissent.

Quand on cherche à savoir pourquoi certains arbres ont été ainsi traités, on ne tarde pas à apprendre que c’est parce qu’ils ont servi à la pratique d’une vieille superstition des paysans provençaux, qui croient fermement qu’en faisant passer, à un moment donné, un enfant à travers un tronc d’arbre fendu, on peut le guérir de telle ou telle maladie.

C’est surtout contre les hernies des petits enfants que ce passage à travers le tronc d’un arbre est considéré comme efficace ; et voici comment la crédulité publique conseille de procéder : il faut prendre un jeune arbre d’apparence bien vigoureuse, le fendre dans sa longueur, sans l’arracher ni pousser la fente jusqu’aux racines ; puis, écartant les deux parties de l’arbre, faire passer entre elles, à trois ou sept reprises différentes, dans une même séance, le petit hernieux. Une fois cela fait, les deux portions de la tige sont rapprochées très exactement et maintenues en contact à l’aide d’un lien très fortement serré. Si ces parties se recollent bien, et que l’année d’après l’arbre a repris la solidité de sa tige, l’enfant est guéri ; si, au contraire, la fente ne s’est pas soudée, on peut prédire que l’enfant restera hernieux toute sa vie.

Les hernies ne sont pas seules susceptibles de guérir sous l’influence de cette pratique bizarre ; nombre d’autres maladies sont traitées de la même manière en Provence ; et la crédulité populaire n’est pas encore disposée à penser que le moyen manque d’efficacité. J’ai trouvé dans mes investigations touchant les Provençaux, d’autres pratiques thérapeutiques qui me paraissent être des variantes de celles dont je viens de parler et se rattacher à la même idée. C’est ainsi, par exemple, que dans un grand nombre de villages, à Signes, à La Cadière, etc., le jour de la fête patronale, pendant qu’on porte processionnellement le saint de la localité à travers les rues, les mères font passer leurs enfants au-dessous de la châsse, pour les fortifier ou les guérir des maladies futures qui pourraient les atteindre.

Dans d’autres cas, on place un enfant débile sous la châsse d’un saint, pendant que le prêtre chrétien dit la messe ; absolument comme on faisait dans la cérémonie du taurobole, chez les anciens Romains, pendant que le prêtre païen faisait un sacrifice. Enfin, dans quelques-uns, comme, par exemple, au village de La Garde, près de Toulon, le jour de la fête de saint Maur, les valétudinaires, les mères de famille qui veulent fortifier leur enfant, et même les jeunes femmes qui veulent être fécondes, se placent aussi près que possible de la niche du saint pendant la messe.

Le nom du saint chrétien invoqué est quelquefois si spécial, qu’on voit d’une manière transparente l’adaptation d’une idée thérapeutique à la cérémonie religieuse. Féraud affirme ainsi, dans son Histoire des Basses-Alpes, que dans l’église de Ganagobie, dans les Basses-Alpes, il y a une tribune où se trouve un autel de saint Transi. Les mères, dont les enfants étaient valétudinaires, déposaient le pauvret sur cet autel, pendant l’invocation ; elles suspendaient un de ses vêtements, en guise d’ex-voto, sur le mur voisin, lorsque la guérison avait été obtenue.

Il est une autre manière d’agir qui est encore plus singulière, et qui cette fois ne touche en rien, en apparence, aux choses de la religion. Je veux parler du remède populaire de quelques Provençaux pour guérir le Coburni (la coqueluche) d’une manière certaine et infaillible, si on en croit les bonnes femmes. Pour obtenir cette guérison de la coqueluche, il faut faire passer l’enfant sept fois de suite sous le ventre d’un âne, en allant de droite à gauche, et sans jamais aller de gauche à droite ; car si on oubliait cette précaution, les passages en sens inverse se neutralisant, on n’obtiendrait pas le résultat désiré.

Dans certains villages, il y a des ânes plus ou moins renommés pour leur vertu curative. Il y a quelques années, il y en avait un au Luc qui jouissait d’une telle réputation, que, non seulement il servait à tous les enfants de la localité, mais encore les enfants de Draguignan et même de Cannes, étaient, maintes fois, amenés au Luc, c’est-à-dire faisaient un voyage de plus de soixante kilomètres, pour bénéficier du traitement.

téléchargement (2)Enfin, je ne dois pas oublier de rapporter ici une variante de la donnée que nous étudions et qui ne manque pas d’originalité. Dans beaucoup de villages de Provence, le jour de Saint-Eloi, après avoir fait bénir les bêtes, il y a une procession dans laquelle la statue du saint est portée sur l’épaule de quatre vigoureux gaillards. Pendant que cette procession est en marche, on voit nombre de paysans et de paysannes armés d’un bâton au bout duquel ils ont attaché un petit bouchon de paille, s’approcher de la statue, se glisser entre les quatre porteurs et, passant leur bâton par dessous le brancard, vont frotter la face du saint avec ce bouchon de paille, habituellement des brins d’avoine sauvage.

Cette paille a dès lors la propriété de guérir les animaux malades ; aussi est-elle conservée avec soin dans la maison comme un remède miraculeux. Dans le village de Signes, de La Cadière, etc., près de Toulon, c’est à la procession de l’Ascension, dite procession des vertus, que cette pratique se fait.

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Au jeu de la Tarasque

Posté par francesca7 le 27 octobre 2014

 

la-tarasque-300x212Relatant les jeux de la Tarasque se déroulant en 1846, un chroniqueur du temps nous explique qu’alors, au milieu de cette population en rumeur, à entendre ces cris de fête, à voir ces costumes d’un autre temps, l’on pourrait se croire en plein Moyen Age. Et d’ajouter : « Vous auriez beau ressusciter à Paris le dragon de saint Marcel, à Vendôme le dragon de saint Bienheuré, à Rouen la gargouille, à Reims la kraulla, à Poitiers la grande Gueule ou la bonne sainte Vermine, à Troyes la Chair salée, à Metz la Grouille, etc., vous n’exciteriez pas le délire et l’enthousiasme qui exaltent ces imaginations méridionales, quand on leur crie que la tarasque va courir !

Il semblerait que c’est hier qu’ils ont été délivrés, par un miracle, du monstre antédiluvien qui ravageait le littoral des Bouches-du-Rhône, rapporte encore ce témoin des réjouissances de l’année 1846 liées à l’ancestrale légende de la Tarasques ; que c’est hier que sainte Marthe est venue exprès de la Palestine pour éteindre ses fureurs avec quelques gouttes d’eau bénite ; et que, dans la procession qui aura lieu plus tard pour célébrer les vertus de leur céleste libératrice, les Tarasconais seront persuadés qu’ils la voient elle-même conduire en laisse, avec un ruban, cette espèce de crocodile ou de saurien, dont l’appétit ne pouvait se satisfaire qu’avec de petits enfants, voire même avec des adultes.

Le monstre a existé, poursuit notre chroniqueur ; vous avez au moins une de ses vertèbres dans les fossiles de Cuvier. Sans croire pieusement à tous les détails de la légende de sainte Marthe, je crois au monstre avec tous les géologues modernes ; et je ne consens nullement à partager l’opinion de ces savants archéologues qui voient dans les jeux de la tarasque une allégorie mystique, où le paganisme est représenté par un dragon, et le christianisme par une vierge armée de l’aspersoir.

Le roi René arrangea en roi littérateur ces divertissements populaires ; il y ajouta quelques scènes, et les remit en faveur, comme fit Shakespeare pour les vieilles pièces du théâtre anglais ; mais il respecta la tradition, et n’inventa rien ; il n’inventa surtout pas la tarasque, serpent de l’espèce de celui que le chevalier Gozon détruisit à Rhodes, qui avait réellement habité les environs de Tarascon, et qui, d’après une autre légende manuscrite, fut tué par un chasseur artésien ; exploit qui valut à la famille d’Arlatan le privilège de prélever un droit sur la récolte annuelle du kermès.

Quelle que soit l’origine de ces jeux, nous apprend encore l’auteur de ce récit paru dans l’Illustration à la demande du rédacteur de la revue, ils ont été exécutés cette année à Tarascon avec une pompe extraordinaire. On eût dit que les Tarasconais, en voyant les rails de deux chemins de fer se croiser sur leur ville, pressentaient que c’en était fait des vieilles traditions, des vieux usages, des vieilles fêtes, et qu’avec la civilisation nouvelle il n’y aurait bientôt plus place pour la tarasque elle-même sur la place publique ; ils semblaient lui adresser un solennel adieu ; et quelque jour, nous le pensons nous-même, le spectacle que nous voudrions esquisser ne conservera d’autres vestiges que les lithographies de l’Illustration. Mais déjà on entend les fifres et les tambourins ; allons voir défiler la bravade : c’est le prologue de la pièce, la revue préliminaire des personnages principaux.

Où nous placer ? Il n’est que neuf heures du matin, et la foule encombre toutes les rues : les fenêtres sont garnies de dames, les toits ont leurs spectateurs, et tous les gradins des échafauds attestent, par la diversité des costumes, que plus de trente mille curieux sont arrivés de vingt lieues à la ronde : la belle juive d’Avignon n’a pas eu peur d’être insultée, comme la Rébecca de Walter Scott au tournoi d’Ashby-la-Zouche ; la protestante des Cévennes a oublié ses rigueurs puritaines ; elle a les yeux aussi animés que l’Arlésienne, qui est doublement fière de se sentir la plus belle de toutes par ses charmes naturels et l’élégance de sa toilette.

Ce serait une douce occupation d’étudier ces spectatrices si fraîches et si bien parées… ; Mais voici le cortège. En tête marchent les héros du jour, les tarascaïres ou chevaliers de la tarasque, sur deux rangs ; ils sont trente environ, précédés de leur chef qui porte le bâton du commandement, et suivis de leur drapeau, sur lequel est représentée la tarasque. Leur costume brille par la dentelle et la soie ; à leur écharpe en sautoir pend l’image de la tarasque, décoration dont ils sont plus glorieux qu’un grand d’Espagne de l’image de la Toison d’or ; leur cocarde est rouge et bleue, ce sont les couleurs de la tarasque.

A la grande satisfaction des fabricants de Nîmes et de Saint-Étienne, il s’est débité depuis la veille je ne sais combien de mètres de rubans de cette nuance : chaque tarascaïre en décore le nerf de bœuf et la longue fusée qui arment ses mains ; il en distribue a ses amis et à ses hôtes, aussi prodigue de ces faveurs bicolores que les héritiers constitutionnels de l’empereur du ruban de sa Légion d’honneur.

Après les chevaliers de la tarasque vient un corps de musique, c’est-à-dire, de tambourins et de fifres appartenant à la corporation des vignerons, que vous voyez avec les ustensiles de leur travail, des ceps de vignes, des gourdes, des barillets, etc. Les derniers de ces enfants de Noé traînent une corde qui servira à la cérémonie. Ils sont suivis de quatre hommes, dont deux portent un baril connu sous le nom de bouto embriagou (le tonneau d’ivresse) ; les deux autres ont sur l’épaule de longues barres.

La coiffure des deux premiers est burlesquement composée avec le fond de leurs sacs, que les deux autres ont plié autour du buste. Après eux se déploie encore une bannière, et puis vous reconnaissez les jardiniers, qui se sont munis de toute espèce de plantes potagères, de choux monstres, d’artichauts ; quelques-uns ont préféré des faisceaux de fleurs ; celui-ci porte un arrosoir, celui-là une pompe, et les trois derniers ont tressé une longue guirlande en rameaux de buis. Qui prend rang après les horticulteurs ? La houlette indique que ce sont les bergers, dont l’un porte un barillet rempli de cette espèce d’huile qu’on extrait du genévrier, et appelée ici oli de cadi.

Aux bergers succèdent les ménagers ou agriculteurs, y compris les charretiers et les garçons de ferme. Un second groupe de tambours et de fifres complète le cortège, qui, avant de défiler, est allé entendre la messe à Sainte-Marthe. Un repas de corps attend les diverses corporations ; mais quand une heure sonnera, elles seront toutes à leur poste.

A une heure après-midi, a lieu la première course de la tarasque. Lagadeou, lagadeou ! la tarascou, la tarascou ! Lagadeou, lagadidadeou, la tarascou, lou casteou ! (le château) Lagadeou ! est le cri traditionnel qui annonce l’approche du monstre : lagadeou ! mot sacramentel qui ferait tressaillir un Tarasconais, n’importe dans quel lieu du monde vous le prononceriez ; lagadeou ! mot talismatique dont se servira l’ange du jugement dernier, pour ressusciter toutes les générations qui dorment dans le cimetière de Tarascon. Le château (lou casteou !) est encore un cri local, le château de Tarascon étant l’unique monument de la ville, un modèle d’architecture militaire qui, par sa date et son style, appartient au règne du bon roi René.

Une explosion d’artifices annonce bientôt la tarasque elle-même sur la place de la Mairie, où la foule frémissante l’appelle par ses cris. A son aspect, les acclamations redoublent. Les mères montrent à leurs enfants cet animal extraordinaire, masse informe, abritée sous une carapace d’où sort une tête de dragon, jetant par les naseaux des gerbes de feu.

Quelques tarascaïres, cachés dans les entrailles de la tarasque, ont soin d’entretenir ce souffle infernal avec leurs fusées ; d’autres, poussant le monstre, lui prêtent une agilité extraordinaire ; mais il faut se garder surtout de sa queue, longue poutre qui se meut en tout sens, et qui a plus d’une fois cassé bras et jambes ; car ce jeu est sérieux pour ceux sur qui la tarasque se retourne tout à coup à l’improviste ; et c’est alors que la tarasque a bien fait (a ben fa), comme on dit du taureau qui blesse ou tue un toréador ; c’est alors qu’on crie plus haut : Lagadeou ! la tarascou !…

Heureusement, cette année, le nombre des boiteux et des manchots de Tarascon ne s’est pas augmenté. La tarasque a décrit toutes ses évolutions avec toute sa fureur traditionnelle ; mais les fuyards ont couru plus vite qu’elle ; ceux qui l’ont poursuivie se sont toujours écartés à propos, ou ils en ont été quittes pour, quelques contusions.

La bouto-embriagou n’a pas non plus envoyé beaucoup d’estropiés à l’hôpital. Pendant que la tarasque se repose de sa première sortie, les hommes aux sacs et aux barres, qui sont des portefaix, courent avec leur tonnelet suspendu à la corde ; ils renversent tous ceux qui se laissent toucher par leurs barres et par la bouto-embriagou, dont l’oscillation continuelle rend cette course assez originale.

Un épisode invite tout à coup au recueillement au milieu du tumulte. Notre-Dame des Pâtres vient en personne assister à la fête, escortée de ceux que nous avons vus défiler avec leurs houlettes. Notre-Dame se présente sur l’animal qui eut l’honneur de servir de monture à la sainte famille lorsqu’elle se réfugia en Egypte. Notre-Dame elle-même a pris la forme d’une petite fille toute rayonnante, d’une innocente beauté, d’une petite fille jolie comme on raconte que l’était Marie enfant, dans l’évangile apocryphe de la Vierge.

Deux gracieuses figures du même âge, que la coquetterie maternelle a couvertes de bijoux, sont assises avec elle sur le trône en baldaquin qu’on a artistement fixé sur l’ânesse. Admirez-les sans profane indiscrétion ; car, dans le cortège des bergers, il en est un de qui il faut vous défier, celui qui porte la provision d’huile visqueuse avec laquelle on goudronne la laine des moutons hargneux. Pendant que vous êtes là à vous ébahir, le nez au vent, il trempe une baguette dans son huile et vous la passe sur la lèvre supérieure, de manière à y laisser une sale et puante moustache. Les rieurs ne seront pas de votre côté, si vous êtes la victime de cette grossière malice.

Tenez-vous aussi à une distance prudente des ouvriers qui viennent piocher la terre et y planter leurs ceps. Il en est deux qui traînent chacun un bout de la corde dont ils se sont servis pour délimiter le champ du travail. Au moment où la foule se serre autour de ces vignerons, la corde se déploie, et ses replis tendus s’ouvrent pour fouetter les jambes des badauds, qui se renversent les uns sur les autres.

La musique annonce une autre scène : c’est l’enfant Jésus qui a voulu, lui aussi, comme sa mère, venir voir les jeux de la tarasque. En l’absence de l’ânesse, il a accepté l’offre du robuste personnage à qui sa complaisance pour l’enfant divin a valu le nom grec de Christophe (Christo-Phore) et le titre de patron des portefaix. Saint Christophe, avec sa robe de soie fanée, semble avoir été autrefois un grand seigneur ruiné ; le petit Jésus, intronisé sur ses larges épaules, a tout le luxe d’un enfant de sang royal, le diadème sur le front, et en main la croix qui a sauvé le monde.

L’enfant se sert de sa croix pour bénir les fidèles ; mais saint Christophe, dont la statue herculéenne est placée ordinairement au vestibule des églises, se conduit en vrai saint d’antichambre : il s’est armé d’un balai terminé par une touffe d’orties, et, sous prétexte de nettoyer la voie publique pour son divin fardeau , il s’adresse aux jambes dés curieux. Les cris de la mauvaise humeur des patients, comme les joyeux éclats de rire, se perdent, dans la musique des tambourins et des fifres qui précèdent l’enfant au céleste sourirent le géant goguenard.

Les jardiniers ont aussi leur intermède : ils ont orné une charrette d’un dôme de feuillage et de fleurs, sous lequel ils s’abritent ; vraie décoration à l’italienne, digne de la ville où l’on admire à bon droit la tonnelle de M. Audibert, le Vilmorin et le Loudon de la Provence. A ce char triomphal sont attelées des mules, animal employé ici à tous les travaux agricoles. Tout à coup elles partent au galop. Malheur à ceux qui se trouvent sur leur passage ! ce n’est pas seulement qu’ils risquent d’être écrasés, mais les jardiniers, qui ont avec eux leurs arrosoirs et leurs pompes, font tomber au loin une pluie d’orage.

A l’averse déterre succède la trombe marine, lorsqu’un autre char en forme de bateau, connu sous le nom de l’Esturgeon, signale la présence des mariniers du Rhône dans la fête. Les pompes des bateaux lancent leur déluge plus haut que les pompes des jardiniers. Si vous n’avez été qu’arrosé une première fois, vous êtes noyé une seconde.

Les malices des ménagers sont plus innocentes, et dignes de l’âge d’or. Il en est bien parmi eux qui, feignant de prendre votre soif en pitié, vous invitent à donner l’accolade à leur calebasse, et, l’approchant eux-mêmes de vos lèvres, vous inondent au lieu de vous désaltérer ; mais la plupart se contentent de figurer sur leurs mules dans la promenade de saint Sébastien, distribuant çà et là des petits pains. A leur tête marche un timbalier, qui bat la mesure à la musique. Cette cavalcade fait sourire les spectateurs venus de Montpellier, qui disent tout bas qu’ils préfèrent à la tarasque lou Chivalé, comme on l’appelle, dans le département de l’Hérault, le cheval de la danse mauresque que j’ai vu exécuter autrefois sur la place de la Canourgue.

tarasque_1Peut-être les Tarasconais abandonneraient-ils à votre critique quelques détails de leurs fêtes ; mais gardez-vous bien de médire de la tarasque qui a fourni ses trois courses entre les scènes d’intermèdes ! Vous seriez traité de sacrilège et expulsé de la ville, si vous n’y étiez pendu ; car la tarasque est à la fois, pour Tarascon, ce qu’était le Palladium pour la ville de Priam, le Veau d’or pour Israël idolâtre, le dieu Bel pour les Babyloniens.

Attaquer la tarasque, c’est attaquer le Tarasconais dans ses affections, son honneur, sa religion même. Lorsque, sous la Restauration, le comte d’Artois (Charles X) passa à Tarascon, le royalisme local se manifesta en offrant au prince une petite tarasque en or !

source (D’après « L’Illustration », paru en 1846)

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