Vieille locution que l’on trouve chez Montaigne aussi bien que dans Corneille :
Et le jeu, comme on dit, n’en vaut pas la chandelle. A croire que les hommes n’ont jamais utilisé leurs soirées d’hiver autrement qu’avec des dés, des cartes, et des mises déçus sonnants. L’expression signifie littéralement que les gains du jeu ne suffiraient pas à payer la chandelle qui éclairait les joueurs, lesquels d’ailleurs, dans les maisons modestes, laissaient en partant quelques deniers de cotisation pour rembourser cet éclairage.
Il est compréhensible que nos ancêtre aient accordé une attention continue à cette flammèche, et qu’ils aient refusé, comble du gaspillage, de la brûler par les deux buts. Ce bâton de suif, ou de cire dans les cas les plus luxueux, qu’il faut allumer, souffler, mucher, a été la source de maintes comparaison, à commencer par la vie elle-même qui s’éteint parfois tout pareil. ‘Notons que vers 1300, une chandelle de grand luxe, faite de cire d’abeille très fine, s’est appelle « Bougie », du nom de la ville mauresque où l’on fabriquait les plus belles)
Toujours est-il que ce lumignon a constamment servi de référence aux épargnes futiles :
Moult et fol qui tel chose épargne
C’est la chandelle en la lanterne
dit le Romain de la Rose ; et un auteur du XVè siècle donne cet exemple d’économie domestique :
Mais quand ce vint au fait de la dépense
Il restreignit œufs, chandelle et moutarde.
(E.Deschamps.)
C’est dire que les économies de bouts de chandelles ne datent pas d’hier. Il a même existé, paraît-il, une ordonnance royale mesquine qui obligeait le chancelier du royaume à restituer au trésorier les tronçons des chandelles dont il s’était servi.
Dans le même ordre d’idée on cite une anecdote sur Voltaire, que son tempérament fantasque poussait à de curieuses extravagances. Il était l’hôte, comblé d’honneurs et de présents (en plus d’une solide pension) du roi de Prusse Frédéric, et chaque soir après les causeries intimes ou les réceptions, il montait dans sa chambre en emportant du salon deux chandeliers à plusieurs branches sous prétexte de guider se spas dans les corridors du palais, déclinant fermement l’offre des domestiques qui voulaient l’éclairer. Arrivé dans ses appartement il soufflait en hâte toutes ces bougies et il les revendait le lendemain pour quelques sous à un marchand de la ville. Ce manège dura plusieurs mois avant d’être découvert<. Etonnant Voltaire, qui écrivait par ailleurs ; »Amusez-vous de la vie, il faut jouer avec elle ; et quoique le jeu n’en vaille pas la chandelle il n’y a pas d’autre parti à prendre ».
Pour illustrer complètement ce sujet lumineux il convient de rappeler que l’on peu voir trente-six chandelles en plein jour, davantage autrefois si l’on en croire Scarron : « L’hôtesse reçut un coup de poing dans son petit œil qui lui fit voir cent mille chandelles et la mit hors de combat ».
Citons également pour mémoire cette pratique du temps où les lampes de chevet n’existaient pas et où les soubrettes et les valets de pied (ça pourrait faire un jeu de mots) étaient conviés par leurs maîtres ou par leur maîtresse à tenir la chandelle pendant leurs ébats amoureux.
EXTRAIT de LA PUCE A L’OREILLE de Claude Duneton – Editions Stock 1973 – Anthologie des expressions populaires avec leur origine.
AUTRE INTERPRETATION
Bien des choses ne méritent pas la peine que l’on se donne pour les acquérir
Ce proverbe fait allusion à cet usage de mettre dans les jeux de société une partie du gain sous le chandelier pour payer l’éclairage qui consistait autrefois en chandelles.
Cela se pratiquait encore au XIXe siècle dans certaines maisons bourgeoises où l’on n’était pas assez riche pour supporter la dépense du luminaire et des autres accessoires qu’entraîne toute réception.
Lorsque ce qui se trouvait sous le chandelier était inférieur aux avances pécuniaires, on pouvait dire à une époque où l’on ne connaissait pas encore la bougie que le jeu n’en valait pas la chandelle.
Au figuré, cette phrase a été employée antérieurement au XVIIe siècle et l’est encore pour signifier que la chose dont on parle ne mérite pas les soins qu’on prend, ni les dépenses qu’elle occasionne. Il y a un autre dicton populaire exprimant encore plus fortement la même pensée.
Ainsi, l’on dit des gens qui passent leur vie à des entreprises sans intérêt et sans résultat possible qu’ils dépensent une chandelle d’un sou pour gagner deux centimes, petite somme qui ne compense pas toujours les frais.