EXPRESSION : La fin des haricots
Posté par francesca7 le 22 septembre 2014
Quand rien ne vas plus c’est la fin des haricots ; L’expression paraît relativement récent – peut-être fin XIXè. Maurice Rat en fournit l’explication que voici :
« La fin de tout – les haricots étant une nourriture substantielle et fondamentale dans beaucoup de pensionnats, internats, collèges, séminaires, quand leur provision touchait à sa fin, o ne savait plus quoi donner à manger aux internes ». Il aurait pu ajouter les casernes et les prisons.
Cependant, je ne vois pas bien dans quelles circonstance les provisions de ces divers établissement pouvaient toucher à leur fin, ni surtout pourquoi l’épuisement du stock de fayots aurait causé un chagrin quelconque à leurs pensionnaires.
A l’origine, le haricot n’était pas un légume mais un ragoût : le haricot de mouton – « fait avec du mouton coupé en morceaux, des pommes de terre et des navets ». En effet haricot vient du vieux verbe « harigoter » qui signifiait tailler ne pièces, « mettre en lambeaux ». Au cas où vous coudriez essayer une recette super-grand-mère, voici celle du XIVè siècle, donnée en 1393 par un brave homme à l’intention de sa jeune femme afin que celle-ci ne soit pas trop démunie lorsqu’il aurait quitté ce bas monde :
« Hericot de mouton (sic) : despeciez le par petite pieces puis le mettez pouboulir une onde (un instant), puis le friziez en sain de l’art, et frisiez avec des oignons menus minciés et cuis, et deffaitez du bouillon de voeuf, et mettez avec macis (écorce de muscade), perscil, ysope, et sauge, et faites boulis ensemble« (Ménagier).
Lorsque le légume, cette espèce de fève exotique venue du Mexique, fit son apparition en France vers le début du XVIIè siècle, on l’appelle d’abord « fève de haricot » probablement parce qu’on s’était aperçu que cette nouvelle « fève blanche » était excellente avec le haricot de mouton. On abrégea peu à peu et la fève devint haricot tout court.
Ce qui trouble certains étymologiste c’est que le haricot acquérait ainsi un nom qui n’est pas sans rapport sonore avec son appellation aztèque d’origine : ayacotti, mais ce baptême au ragoût ne se fit qu’en français. En occitan par exemple, le nouveau légume se nomma favôl, nom dérivé de celui de la fève ; en certaines régions il prit même le nom du pois – peso – lequel se trouva forcé de devenir alors « petit pois » – petiôt peso. Toutes choses qui ne se seraient pas produites si le mot aztèque lui avait collé à la gousse.
Cependant le vieux mot « harigoter » haricoter, « dépecer », semble avoir survécu indépendamment de la cuisine et du potager ; C’est ainsi que Balzac l’emploie en 1844 dans Les Paysans, lesquels « allaient haricotant les restes de Grand I-Vert (un cabaret), ceux des châteaux », etc. Haricoter, dit Littré, c’est « spéculer mesquinement au jeu ou dans les affaires, faire des affaires minimes ». Peut-être aussi parce que lorsqu’on ne joue pas « sérieusement » aux cartes on compte les gains avec des haricots.
En tout cas il me semble plus logique de penser que la « fin des haricots » s’est créée de ce côté-là – affaires ou parties de cartes – plutôt que dans les collèges ou autres casernes, où loin d’être synonyme de catastrophe elle aurait provoqué un cri de soulagement. En outre, si elle était née en de tels lieux elle avait toutes les chances de venir « la fin des fayots » – » terme d’argot militaire et scolaire », le mot de la famille de flageolet, date du début du XVIIIè siècle.
En effet on dit la fin des haricots lorsqu’on envisage une dernière avanie qui viendrait s’ajouter à des difficultés déjà existantes. En période de crise économique s’il survenait une catastrophe quelconque ce serait la fin des haricots ; c’est-à-dire la fin du bricolage avec lequel, tant bien que mal, on fait aller cahin-caha… On ne pourrait même plus haricoter quoi que ce soit.
C’est là une filiation d’idées qui me paraît raisonnable, mais elle n’est pas prouvée !
EXTRAIT de LA PUCE A L’OREILLE de Claude Duneton – Editions Stock 1973 – Anthologie des expressions populaires avec leur origine.
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