A la chasse aux plantes autour de Paris
Posté par francesca7 le 12 septembre 2014
(D’après un récit paru en 1902)
On a déjà écrit bien des livres sur les chasseurs de plantes des forêts tropicales qui, au péril de leur vie, vont chercher les orchidées rares et les liliacées décoratives, dont les horticulteurs font ensuite « leurs choux gras ». On en pourrait écrire presque autant sur les pauvres diables qui doivent chercher leurs moyens d’existence dans la maigre flore parisienne. Non pas en décrivant les dangers courus qui, ici, sont pour ainsi dire nuls, mais en racontant leur mode de vie ; tous, malgré la médiocrité de leur condition, sont des indépendants, assoiffés de liberté et d’air pur. On les croit des paresseux ; il n’en est rien et, en utilisant l’activité qu’ils déploient dans un métier salarié par un patron, ils vivraient grassement. Heureusement pour eux, toutes les plantes ne poussent pas en même temps ; cela leur permet de varier leurs plaisirs et de gagner de quoi vivre à peu près toute l’année. Un métier où il n’y a pas de chômage, voilà, n’est-il pas vrai, qui n’est pas ordinaire ?
Il n’y a guère qu’une plante que l’on rencontre en toutes saisons, c’est le mouron des oiseaux qui constitue le fonds le plus solide des petits commerçants dont nous parlons. On en trouve partout, dans les endroits les plus incultes, le long des murs, sur le bord des chemins qu’il égaie par ses touffes gazonnantes émaillées de fleurs blanches. Mais la corporation des marchands de mouron est si nombreuse, – on dit qu’elle se chiffre par deux mille membres – que les « placers » des environs immédiats de Paris ne tardent pas à être mis à sac. Il faut alors en chercher plus loin, souvent jusqu’à plus de vingt kilomètres.
Les uns se contentent d’emporter avec eux des bâches où ils mettent la récolte au fur et à mesure ; ils rapportent les ballots sur leur dos et je vous prie de croire que ce n’est pas là une sinécure !
J’en ai vu, de ces camelots, qui en rapportaient, – l’homme et la femme réunis, – jusqu’à quatre-vingts kilos ; il est vrai que, pour rentrer dans la capitale, ils prenaient le train, comme des sybarites, mangeant ainsi, – c’est le cas de le dire, – leur récolte en herbe. Les autres emmènent avec eux une brouette ou même une voiture à bras ; ceux-là sont les « gros commerçants » qui n’en sont pas plus fiers pour çà, car, obligés de revenir pedibus cum jambis, ils se voient parfois contraints de loger à la belle étoile.
Tous, d’ailleurs, ne peuvent faire une récolte très abondante, car le mouron n’est vendable que trois, quatre ou cinq jours au plus après la cueillette ; bien que se fanant relativement moins que les autres plantes, il finit, surtout pendant les chaleurs, par prendre un aspect lamentable ; le client n’en veut plus, craignant de faire injure à ses chers petits fifis en leur offrant une marchandise avariée. Ceux qui récoltent le mouron – c’est encore une caractéristique du chasseur de plantes – le vendent eux-mêmes au public. Ils le mettent sur des hottes ou dans des paniers et parcourent les rues en criant la chanson classique : « Voilà du mouron pour les p’tits oiseaux » ! Ou encore ce cri où se révèle l’âme sentimentale des Parisiens : « Régalez vos petits oiseaux » !
Le mouron est particulièrement abondant en été ; les marchands ont alors toutes les peines du monde à écouler leur marchandise à raison de un sou la botte. Au total ils préfèrent l’hiver où ils vendent deux sous la botte la plus insignifiante ; il est vrai que la récolte dans les champs est beaucoup plus maigre et pénible. Mais, au moins, on a la satisfaction de ne pas gâcher le métier par un bon marché excessif. Chaque marchand a son quartier déterminé, qu’il conserve pour ainsi dire toute sa vie, d’abord parce que s’il allait ailleurs, il serait fort mal reçu par ses confrères ; ensuite, parce qu’il a ses clients déterminés, qui lui font des commandes « fermes ».
On connaît son cri joyeux ; on accourt sur le pas de la porte et, tout en vendant sa botte, il a un mot aimable pour chacun. Et je ne serais pas étonné si l’on me disait que les serins et chardonnerets tressaillent d’allégresse quand ils entendent : « Du mouron pour les p’tits oiseaux ! Un sou la botte ! »
Le printemps est l’époque où le chasseur de plantes a le plus à faire. Le Parisien adore les fleurs ; privé de cette joie pendant tout l’hiver, il en réclame dès que les frimas sont passés et que se font sentir les premières effluves, – oh combien troublantes ! – du renouveau de la nature. Ces fleurs, il ne faut guère les demander aux jardins dont la floraison n’arrive que tardivement, et sans nos camelots il risquerait fort de voir ses vases de fleurs vides.
Dès février quelques-uns se rendent à Trianon ou dans les bois avoisinants, pour récolter le gracieux perce-neige qui a d’autant plus de valeur qu’il est plus rare ; sa corolle blanche est du plus charmant effet et n’a que l’inconvénient de se faner assez vite.
Le perce-neige n’est qu’un maigre lever de rideau auquel d’ailleurs ne prennent part qu’un très petit nombre de comparses. Le premier plat de résistance apparaît en mars avec le narcisse jaune que l’on va récolter dans les forêts de Sénart et de Bondy, où il pullule sur d’énormes étendues de terrain. Rien n’est moins gracieux que cette fleur, « mastoc » en diable, dépourvue de légèreté et d’élégance. En plein été, on n’en voudrait pas pour rien ; mais au printemps, on l’accepte avec reconnaissance tant on a été sevré de fleurs pendant la mauvaise saison.
Les camelots le savent bien et en font une ample moisson ; je dois cependant avouer à leur courte honte qu’ils en font des bouquets ignobles, les fleurs collées les unes contre les autres. – telle des sardines dans une boîte, – avec, au milieu et autour, les feuilles mêmes des narcisses qui ressemblent tout à fait à celles, archi-prosaïques, des poireaux. Un bel après-midi de dimanche est, cependant, pour eux un véritable coup de fortune, car ils, vendent sur place les bouquets aux nuées de cyclistes qui reviennent de Fontainebleau par la grand’route. Certains en achètent quatre bonquets, pour placer un au milieu du guidon, deux aux poignées, et, – les farceurs, – un à la selle.
A quatre ou cinq sous le bouquet, vous voyez que cela chiffre vite. Et puis, le soir, on se hâte de faire une nouvelle récolte pour vendre le lendemain dans Paris. Mais sitôt la floraison, d’ailleurs très courte, des narcisses achevée, la forêt de Sénart ne donne pour ainsi dire plus rien. Les chasseurs de plantes transportent leurs pénates dans les bois de Meudon ou de Chaville qui, pour quelques, semaines, vont devenir une mine… de bronze. C’est d’abord l’anémone sylvie, qui est bien l’une des plus aimables fleurs que je connaisse. Est-ce parce que je l’associe dans mon esprit à l’arrivée du printemps, aux bonnes promenades que l’on fait à cette époque dans les bois ; est-ce parce qu’elle me rappelle quelque souvenir agréable ? Je ne sais ; mais ce qui est bien sûr, c’est que nombre de Parisiens partagent mon goût, car au printemps, les bois de Meudon sont envahis par une nuée d’amateurs d’anémones.
La vente de cette fleur dans Paris même ne va pas toujours très bien, car elle se fane presque aussitôt cueillie et le bouquet prend alors l’aspect d’une botte de foin. Ceux qui savent combien vite elle « revient » dans l’eau l’achètent pour en garnir leur home. Les trois feuilles vertes qui se trouvent sous leurs fleurs se marient agréablement avec le blanc délicat des corolles et en font de charmants bouquets restant frais pendant plus d’une semaine, surtout lorsqu’on a récolté des boutons de cette « Reine des bois ».
Hélas, la floraison de la douce sylvie ne dure guère et ce serait pour les chasseurs de plantes l’abomination de la désolation si elle n’était suivie de très près par la jacinthe des bois encore plus abondante qu’elle dans les bois de Meudon. Ses tiges un peu penchées, couvertes de fleurs violettes, ne sont pas sans charme, bien que n’atteignant pas la maîtrise des jacinthes cultivées, d’autant qu’il leur manque l’odeur qui fait la grande qualité de ces dernières. Quelques personnes seulement… en se suggestionnant à outrance arrivent à lui trouver un léger parfum, mais si faible, si menu.
Mais les amateurs de parfums ne tardent pas à prendre une revanche éclatante avec le muguet qui apparaît vers la fin avril. Encore plus que pour les espèces précédentes il faut, pour savoir où le cueillir, être ferré sur la répartition géographique des plantes, dans les environs de Paris. On peut parcourir d’énormes espaces dans les bois sans en rencontrer un seul pied ; puis, tout d’un coup, on tombe sur une tache où ils abondent d’une manière invraisemblable. Chaque chasseur connaît ainsi quelque « bon coin » et se garde le plus possible de le faire connaître.
C’est que la lutte pour le muguet est aussi âpre que la lutte pour la pièce de cent sous. Le camelot sait bien qu’il a l’écoulement sûr et rapide de sa marchandise ; il en est si certain qu’il cueille même le muguet à l’état de bouton, alors qu’il est pour ainsi dire informe et n’a guère d’odeur. Mais on a l’espoir qu’il fleurira dans l’eau, ce qui arrive en effet souvent, mais pas toujours. Quand il est bien épanoui, le muguet est une des plus admirables fleurs que nous donnent les bois et même les jardins, et à l’élégance de la fleur, à la délicatesse de l’inflorescence, elle joint un délicieux parfum, d’une finesse exquise, d’une persistance rare. Sa récolte est si rémunératrice qu’elle provoque l’apparition, au voisinage des gares et des stations, de bateaux de chasseurs de plantes accidentels, que les « professionnels » regardent d’un mauvais oeil. Et cependant, cette récolte est fort pénible : regardez la minceur d’une hampe de muguet, et supputez la quantité de brins qu’il faut pour faire le moindre bouquet de deux sous !
Les plantes dont avons parlé dans la première partie sont celles qui, au printemps et en été, donnent lieu à un « gros » commerce. A côté d’elles viennent s’en placer d’autres, d’importance moindre, de vente plus aléatoire et que le chasseur rencontre souvent accidentellement dans ses pérégrinations.
Parmi elles il faut citer la primevère officinale et la primevère élevée, vendues toutes deux sous le nom de coucou, et dont les fleurs sont d’autant plus goûtées qu’elles viennent au printemps et que l’on vend fort bon marché ; la pervenche, que certains camelots vont chercher jusqu’aux environs de Dourdan, soit à cinquante kilomètres de Paris ; les violettes, auxquelles malheureusement celles du Midi font un tort considérable, bien que ne les égalant pas, – loin de là – au point de vue du parfum ; les renoncules ou boutons d’or, qui « vont » toute l’année et se vendent facilement à cause de leur longue durée ; le caltha des marais, grandes fleurs jaunes dorées, d’un effet admirable, qui ne pousse qu’aux bords des rivières et que l’on récolte assez abondamment sur les rives de l’Yvette, à Chevreuse notamment ; l’ail des bois qui fait de jolis bouquets blancs, mais qu’il faut bien se garder de sentir ; les genêts, couverts de fleurs jaunes, abondants partout ; l’aubépine, que l’on verrait certainement plus souvent dans les rues de Paris si ses aiguillons n’en rendaient le transport un peu pénible ; les marguerites, bleuets, coquelicots, qui foisonnent dans les champs de blé ou d’avoine, mais pour la récolte desquels le chasseur risque le fâcheux procès-verbal ; les roseaux et les massettes, curieuses plantes communes dans certains étangs ; enfin les bruyères, qui terminent la série au mois d’août et de septembre et que l’on va « chasser » dans le bois de Meudon et la forêt de Fontainebleau, où le stock est inépuisable.
Toutes ces plantes se rapportent coupées pour en faire des bouquets. Quelques camelots s’adonnent aux végétaux enracinés et destinés par suite à être « empotés ». Parmi eux il faut surtout noter les pâquerettes, d’une robustesse remarquable, et qui n’ont pas leurs pareilles pour orner la fenêtre de Jenny l’ouvrière ; diverses fougères, notamment des polypodes, qui « reprennent » très difficilement ; quelques carex ; du lierre, et quelques autres de moindre importance.
D’autres s’adonnent à la récolte des plantes médicinales et doivent, par suite, avoir quelque notions de botanique. Je ne serais pas étonné si certains d’entre eux étaient d’anciens potards ayant trop fait la fête ou des droguistes dont les affaires sont dans le marasme. Près des Halles, rue de la Poterie, se tient sur le trottoir, le mercredi et le samedi, un petit marché d’herbes médicinales où viennent se fournir les herboristes et certains pharmaciens. Les vendeurs se divisent en deux groupes : les cultivateurs qui viennent y vendre la mélisse, la menthe, l’armoise, l’absinthe, la lavande, qu’ils ont fait pousser eux-mêmes, et les camelots qui débottent les plantes cueillies dans les bois.
Celles-ci varient naturellement avec les saisons ; parmi les plus connues, citons la feuille de ronce, si employée dans les maux de gorge ; les feuilles de noyer, « chipées » de-ci de-là ; le chiendent, bien négligé aujourd’hui ; la douce-amère, la petite centaurée, lesfleurs de sureau, le laurier blanc, le coquelicot, la violette, le bouillon blanc ; en un mot toute la série des « simples », dont l’usage, malheureusement pour la corporation qui fait l’objet de cet article, diminue sans cesse.
L’automne et l’hiver n’arrêtent pas les pérégrinations et le commerce des chasseurs de plantes. Au contraire, il leur faut encore plus travailler, non pour récolter des fleurs, – il n’y en a plus – mais des fruits et des plantes vertes que, dans la semaine, ils livrent à leurs clients habituels, et que, le dimanche, ils vont vendre, au marché aux oiseaux. C’est qu’en effet cette flore automnale est très goûtée des diverses catégorie de volatiles. A côté de l’éternel mouron, ils vendent aussi du seneçon, des baies d’épine-vinette, du plantain, des baies de sureau ou de vigne vierge, des graines de chardon ; en somme, tous les fruits sauvages au péricarpe succulent et les graines agréables à grignoter. Tout cela, en raison de la rareté, se vend fort cher ; mais que ne feraient pas les vieilles filles sentimentales pour leurs chers petits musiciens ?
A l’automne, on récolte aussi diverses plantes décoratives, pour leur feuillage ou leurs fruits. Les plus connues sont les houx, aux feuilles luisantes, épineuses, aux fruits rouges, et le gui, la plante de la Noël, le mitstletoé des Anglais, à l’allure un peu mystique. La récolte du gui est des plus pénibles, car il faut aller cueillir cette plante parasite sur les pommiers et les peupliers et souvent scier les branches pour s’en emparer. Les camelots rapportent les touffes attachées aux deux extrémités d’une longue gaule qu’ils tiennent sur leur épaule souvent meurtrie.
Ne croyez pas que j’aie terminé la liste des catégories de chasseurs de plantes. Il y en beaucoup d’autres ; mais il serait fastidieux d’y insister. Laissez-moi cependant vous présenter : celui qui récolte les pieds de pissenlits sauvages que certains gourmets adorent en salade ; celui qui cueille les feuilles de plantain et d’érable pour garnir les compotiers de fruits ; cet autre dont la spécialité est de chercher les branches bizarres pour en faire des corbeilles originales ; celui-ci qui s’adonne à la récolte des frêles graminées, Airas, Brizes, Stipes, Bromes, etc., pour en faire des bouquets perpétuels ; celui-là qui travaille – qui l’eût dit ? – pour les passementiers en récoltant des fruits d’aulnes, des glands, etc. dont on fait des garnitures après les avoir dorés ou plutôt bronzés artificiellement ; enfin, ce dernier qui récolte les « coeurs » des coquelicots, bleuets et marguerites, – les trois couleurs du drapeau national – pour les faire entrer dans la confection des fleurs dites artificielles.
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