Expression : LES GRANDES BOUFFES
Posté par francesca7 le 7 septembre 2014
Qu’on le veuille ou non, le verbe « bouffer » est devenu dans le langage familier quotidien le synonyme usuel de « manger ». Il est en train de perdre totalement dans les jeunes générations le côté légèrement agressif qu’il avait conservé chez ceux qui l’employaient il y a quelques années avec une pointe de provocation. Il est devenu aussi naturel que les pantalons pour tout le monde et les cheveux longs.
En 1973, le film de Marco Ferreri La Grande Bouffe (dialogues de Francis Blanche) a sans doute aidé à cette banalisation du mot chez les adultes, alors que « manger » tend à devenir un terme plus général et en quelque sorte plus abstrait.
Bouffer supplante peu à peu dans l’usage courant des verbes tels que déjeuner, dîner, souper, peut-être parce que les repas en question, outre qu’ils se réfèrent à une organisation familiale souvent mal supportée par les jeunes ne se distinguent plus pour beaucoup de gens par un caractère bien défini, et n’ont plus un horaire très strict. On bouffe à n’importe quelle heure, c’est ça la liberté…. On se fait même des petites bouffes, gentiment, entre soir, pour le plaisir.
Le mot a d’abord voulu dire, dès le XIIè siècle, « souffler en gonflant les joue ». De là son développent d’une part en « gonfler » – un tissu bouffant (suivi en cela par sa variante bouffir ; un visage bouffi) – d’autre part en expression de la colère ou de la mauvaise humeur : « Li roi l’entent, boufe et soupire » (XIIIè). Sens que son homologue occitan bufar, « souffer », a toujours conservé : Que bufes ? Parce qu’un homme contrarié souffle bruyamment, comme aussi un taureau prêt à charger.
« Le sens de « manger gloutonnement » est attesté indirectement dès le XVIè siècle par bouffeur et plus tôt par bouffard » (Bloch et Wartburg), ce qui rend inexacte la remarque de Littré : « Le langage populaire confond bouffer et bâfrer ». Il ne confond rien, mais il est possible qu’il y ait eu à l’origine une attraction entre les deux mots, la forme ancienne de bâfrer étant « baufrer ». » Et après, grand chère à force vinaigre. Au diable l’ung, qui se faignoit ! C’estoit triomphe de les veoir bauffrer » (Rabelais). Cela dit la constatation de Littré doit avoir du vrai pour le passage de « souffler » à « manger gloutonnement » ; « il bouffe bien ; sans doute à cause de la rondeur des joues, quand la bouche est pleine. Mais ce n’en est pas moins une locution rejetée par le bon usage », ajoutait-il prudemment ;
Les usages changent. Bouffer, manger ? Peu importe. Manger vient lui-même d’une plaisanterie en latin, manducare qui voulait dire « jouer des mandibules ». L’essentiel, n’est-ce pas, est d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent.
EXTRAIT de LA PUCE A L’OREILLE de Claude Duneton – Editions Stock 1973 – Anthologie des expressions populaires avec leur origine.
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