Expression : Ahuri de Chaillot !
Posté par francesca7 le 7 septembre 2014
Homme niais, ahuri
La source de cette expression reste très souvent introuvable, mais on peut cependant remonter le ru un peu plus loin.
Première moitié du XVIIe, plus exactement en 1637, paraît une comédie de mœurs, écrite par un auteur resté inconnu, tant il se voulait Discret ( L.C), pièce jouée par un acteur célèbre du théâtre du Marais, Alizon, qui donne son nom à l’œuvre.
On y voit une vieille galante, Alizon Fleury, tourner en bourrique plusieurs amoureux, dont un certain Monsieur Karolu, bourgeois nanti de Paris qu’elle prétend épouser.
Un beau jour, le couple, accompagné d’un ami et des filles de la veuve blette, décide d’une équipée champêtre, par voie fluviale. On ira à Chaillot en suivant le fil de l’eau, en bateau. Pas question de prendre le bateau à un sol et de côtoyer tout un chacun, un bateau privé, sinon rien.
Se présente un batelier, un de Chaillot, le type même du benêt dont la joyeuse compagnie ne perdra pas une occasion de se moquer, jusqu’à le faire sortir du bateau, sous prétexte de lui offrir quelques gondoles à boire, pour lui fausser ensuite compagnie sans l’avoir payé !
Et voilà donc le batelier, comme dans le dicton «aheury de Chalièot, tout estourdi sortant du bateau » .
Alors, illustration du proverbe, montrant qu’en 1635 (la pièce aurait été jouée avant que d’être publiée) il était déjà bien connu, ou origine possible du dicton à chercher dans cette pièce populaire ?
Par ailleurs, l’auteur s’amuse effectivement à glisser plusieurs dictons et proverbes tout au long du texte. Acte trois, scène IV, le batelier, sorti du bateau, attend stupéfait sa clientèle qui ne reviendra pas:
« Je serais bien payé de ma peine aujourd’huy;
Jamais je ne mettrais ma fiance en autruy.
Tousjours argent contant avant que je demare
Le monde maintenant me semble bien avare :
Pour avoir beu deux coups, mangeant des reliquas,
Un louis de trente sols payera mon repas.
C’est vendre un peu trop cher une telle denrée.
La campagne n’est plus du soleil éclairée :
Il s’en va toute nuict. Ha ! je suis attrapé !
Ils ont heureusement de mes mains échappé.
Que l’on void de méchians dans le temps où nous
[sommes !
Il faut que mon batteau je ramène aux Bons-Hommes.
Peut-estre, en m’en allant, trouveray-je quelqu’un.
A Paris ! à Paris ! allons, un sol chacun.»
Ahuri de Chaillot. Abruti, écervelé, imbécile, homme un peu fou :
» On acheva le cassis, Gervaise souhaita le bonsoir à la compagnie. Lorsqu’elle ne parlait plus, elle prenait tout de suite la tête d’un ahuri de Chaillot, les yeux grands ouverts. Sans doute elle voyait son homme en train de valser ». É. Zola, L’Assommoir,1877, p. 785.
Une des nombreuses parodies de Taronnet (…) porte pour titre : Les Ahuris de Chaillot ou Gros-Jean Belesprit. L. Rigaud, Dict. du jargon parisien, L’Argot ancien et moderne, 1878, p. 76.
Chaillot, qui fut un des plus anciens villages des environs de Paris, devint du jour au lendemain, par édit royal rendu en 1659, faubourg de la ville, et reçut en même temps le nom de faubourg de la Conférence, Les habitants de Chaillot se réveillèrent ainsi Parisiens, sans trop savoir pourquoi, et furent plutôt étonnés du brusque changement de nom de leur localité ; ils en lurent même ahuris et les Parisiens lancèrent à ce moment l’expression qui est restée.
De bons auteurs, tout en conservant cette explication, placent le fait en 1786, moment où Chaillot fut compris dans Paris par la construction du mur d’octroi. Mais la locution semble plus vieille, et d’ailleurs en 1786 on appelait encore Chaillot : le faubourg de la Conférence.
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