L’EXPRESSION SABLER LE CHAMPAGNE
Posté par francesca7 le 7 septembre 2014
Ce vieux Crésus, en sablant le champagne
Gémit des maux qui souffre la campagne
dit Voltaire, ironiquement. A propos, pourquoi ce curieux « sablage » ? On n’a nullement l’impression en portant sa coupe aux lèvres de se livrer à une opération technique particulière…
On emploie cette expression depuis le début du XVIIIè siècle. Elle signifie simplement avaler d’un trait le contenu de son verre, autrement dit faire « cul-sec ». L’explication traditionnelle veut que l’on compara ainsi le vin pétillant à un métal en fusion que l’on coule en une fois dans un moule de sable, opération qui s’appelle proprement sabler.
J’aime assez toutefois cette tradition des buveurs du XVIIIè que rapporte Littré, selon laquelle on saupoudrait préalablement de sucre fin la flûte à champagne après l’avoir embuée d’un souffle. Cela faisait, paraît-il mousser le vin davantage. Il fallait l’avaler d’un seul trait. Il est à noter que les deux explications ne s’excluent nullement et que l’on peut aisément vérifier l’exactitude de la seconde…
Beaucoup moins courant est l’expression sabrer le champagne, parce qu’elle se réfère à une pratique apparemment peu connue, quoique joliment spectaculaire. En effet, au lieu d’installer un suspense douteux avec le fameux bouchon en forme de cèpe qui n’en finit pas de se décoller, il existe une méthode originale de débouchage pour gens pressés. ll suffit de décrocher tranquillement un sabre de cavalerie, d’en poser la lame bien à plat sur le fil de la bouteille et de la faire glisser d’un vigoureux coup de poignet. L’extrémité du goulot casse net, emportant collerette, fil de fer et bouchon… Il ne reste plus qu’à sabler vivement.
J’ignore d’où vient exactement ce geste de cosaque. Je croirais volontiers qu’il est né spontanément dans les caves crayeuses de Champagne au cours des célèbres pillages qui ont accompagné les diverses invasions de cette partie de la France. 1815 ? 1870 ? 1914 ?… On a le choix.
En tout cas le champagne doit être frais. Et si par hasard vous n’aviez pas un sabre sous la main lors de votre prochaine célébration, sachez qu’un fort couteau de cuisine fera parfaitement l’affaire.
EXTRAIT de LA PUCE A L’OREILLE de Claude Duneton – Editions Stock 1973 – Anthologie des expressions populaires avec leur origine.
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