Posté par francesca7 le 3 septembre 2014
A l’âge de 51 ans, où beaucoup de personnes meurent au XVII è siècle, Pierre Paul Riquet entreprend sa « grande œuvre », la construction du canal des Deux Mers reliant l’Atlantique à la Méditerranée.
Deuxième grand chantier sous Louis XIV, classé au patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco en 1996, le plaçant au même niveau que la Grande Muraille de Chine, le Mont Saint Michel ou Versailles, cette construction fut menée à bien, grâce à la volonté et le talent de Riquet. Qui était cet homme trop méconnu du public ?
Ses origines
Pierre Paul Riquet nait en 1609 à Béziers ; son ancêtre appartenant à la classe supérieure des romains au XII è siècle est venu s’installer à Marseille ; élu Premier Consul de la ville de la Seyne en Provence en 1346, il devient gentilhomme de la maison du comte de Provence et crée deux lignées de « Riquet » : Honoré Riquety qui donnera Mirabeau en 1789 et Noble Reynier Riquety de Béziers, ancêtre de Pierre Paul Riquet.
Son grand père possédait une boutique d’étoffes, son père était notaire à Béziers et excellent homme d’affaires, mais condamné pour faux en écritures. Pierre Paul est rapidement initié au commerce ; il ne fait pas d’études supérieures, mais apprend l’art de calculer et est attiré par la mécanique ; il s’exprime en langue d’oc et ne parle ni latin, ni grec.
De gabelou à Directeur de la Ferme du Languedoc
Il entre dans l’administration des gabelles du Languedoc dans les années 1630-1632 pour apprendre le métier de gabelou ou agent de la gabelle ; au poste de grenatier, il s’occupe de la gestion du grenier à sel, de l’achat et la vente du produit, de la vérification des faux, trafiquants et contrebandes. De receveur, il passe sous-fermier de tous les greniers du Haut Languedoc en 1648, puis fermier en 1652.
Constatant que le prix du transport est exorbitant, il monte une entreprise, mais les routes sont presque inexistantes, peu sûres et en piteux état. Ayant entendu parler à l’âge de 9 ans d’un projet de canal reliant Toulouse à Béziers, il pense que par ce biais, le coût du transport serait diminué de beaucoup.
Fermier général dans le Languedoc en 1661, il est recruté par la province du Roussillon et de Cerdagne afin de mettre en place cet impôt puisque la région précédemment espagnole et exempte de la gabelle, est devenue maintenant française depuis le mariage du roi. Les problèmes surviennent vite, le pauvre peuple est récalcitrant et gronde devant cette nouvelle taxe. Colbert à qui Riquet doit rendre des comptes suite à l’arrestation de Fouquet lui demande d’intervenir par la force. Il préfère négocier pour calmer les récalcitrants, malgré les révoltes, malgré l’assassinat de ses commis, jusqu’en 1670 où il doit accompagner les 4 000 soldats envoyés par le roi pour mater les rebelles. Colbert est clair « il faut absolument récolter la gabelle pour financer l’Etat, les guerres et le canal des Deux-Mers ».
Jusqu’en 1678, il gravit tous les échelons pour arriver au poste de Directeur de la Ferme du Languedoc malgré tous les soucis rencontrés, mais en amassant une belle fortune.
Le père de famille et l’homme
Après Béziers, il s’installe à Mirepoix, épouse une fille de contrôleur des tailles en 1638 lui donnant la même année Jean Mathias futur président à mortier de Toulouse, Pierre en 1641 qui meurt 15 mois plus tard, Elisabeth en 1645, Pierre Paul futur capitaine des gardes du roi et futur comte de Caraman baptisé en 1646. De constitution solide, ils échappent presque tous à plusieurs épisodes de peste qui déciment plus du cinquième de la population de la région de Toulouse. A la mort de son père en 1646, il déménage vers la Montagne Noire à Revel pour être à proximité des localités concernées par la collecte de la gabelle, aux environs de Castres et Mirepoix. Là, il commence à faire des essais pour « son futur canal », tout en ayant la joie d’avoir encore quatre nouveaux enfants.
Ce travailleur acharné se fait une bonne réputation, devient banquier privé, prêtant aux consuls de la ville, parfait homme d’affaires écrivant jusqu’à dix lettres par jour à différentes personnes pour des sujets variés, se déplaçant constamment d’une ville à l’autre, négociateur hors pair pour éviter des procès sans fin, constructeur, propriétaire du canal et chef d’entreprise proche de ses ouvriers, rationalisant le travail, fidélisant ses salariés en leur assurant une « mini sécurité sociale » et en les logeant, n’ayant jamais eu à faire face à des révoltes ni rebellions sur ses chantiers, constant dans ses projets et s’efforçant de les mener à terme, travaillant toujours dans un souci d’économie et de rentabilité, tout en gérant ses affaires de gabelles puisqu’il devient directeur de la ferme des gabelles du Languedoc et en obtenant la charge de munitionnaire des armées du roi ; n’étant ni ingénieur, ni architecte, ni géographe mais avec du talent, une volonté de fer, beaucoup de capacités, une passion et un grand courage, parti de rien ou presque… il fait fortune.
Il peut acheter le « Fort de Bonrepos » et son domaine à environ 20 kms de Toulouse, se lancer dans sa reconstruction, ce château médiéval étant en très mauvais état. L’endroit considéré comme lieu stratégique de défense doit être réparé par la ville et l’entretien réglé par les Consuls ; grâce à ses négociations, il obtient le domaine, le château à vie de manière perpétuelle, à condition d’assurer la protection des villageois en cas d’attaque extérieure. Là, il achète des parcelles supplémentaires, fait abattre des morceaux de bâtiments en ruine, embellit la demeure à partir de 1654, conservant les matériaux pour les réutiliser, remettant en état des moulins et la briqueterie, logeant les principaux artisans pour les avoir sous la main, faisant office de maître d’ouvrage. En 1666, Bonrepos est presque habitable et Riquet est réhabilité dans sa noblesse, ne signera jamais « baron de … », mais écrira toujours Seigneur de Bonrepos, voulant rester discret, car dans sa jeunesse il a appris deux choses : ne jamais trahir son roi et ne jamais faire étalage de ses biens et sa fortune.
Dans le but d’installer ses enfants, il acquiert aussi une maison dans Toulouse ainsi qu’un hôtel particulier à l’extérieur de la ville sur un domaine de quatre hectares avec une orangerie, des jardins, des prés et une glacière, sans oublier un hôtel à Paris. Un père aimant et soucieux de ses enfants, réalisant de belles alliances pour ses filles, toujours présent en cas de maladie ou lors d’un procès, ou encore pour sauver de la ruine et du déshonneur son second fils poursuivi pour dettes au jeu ; Riquet est jovial, bon vivant, d’un naturel franc ce qui lui apporte des ennemis mais aussi de fidèles amis.
La grande œuvre de Riquet
Le canal reliant les Deux-Mers fut un chef d’œuvre au temps de Louis XIV, le second chantier grandiose au temps du Roi Soleil…après Versailles. Tout le monde avait échoué pour construire le canal du Midi, Riquet a réussi à monter un projet « en béton », en insistant sur l’utilité économique et l’intérêt stratégique du canal, reliant l’Atlantique et la Méditerranée, en évitant le détroit de Gibraltar, en évitant le pillage de la marchandise et les taxes à payer à l’entrée ; il a été suffisamment persuasif pour le faire accepter par Colbert, malgré les 17 millions de livres, le financement du canal se faisant en trois parts : le roi, les états du Languedoc et Riquet ; son projet fut « choisi par le roi, de préférence à tout autre ». Il a su s’appuyer sur des personnes influentes à la Cour, il a su s’entourer d’une équipe compétente en qui il avait confiance.
Toujours présent sur le terrain, il entreprend le piquetage du canal de Sète à Toulouse, balisant les sources et les ruisseaux, payant mieux ses ouvriers pour les retenir et accélérer les travaux, de quelques centaines d’hommes il en géra 12 000 qui ne rechignaient pas à la tâche. Sur tous les fronts, il s’occupe aussi du creusement du port de Sète, du recrutement du personnel, de la construction de logements pour les ouvriers, des écuries, des magasins, assiste à toutes les réunions, organise le travail, répond à toutes les lettres à Colbert, trouve une solution lorsqu’une église se présente sur le tracé du canal (il la fit démonter, garder les matériaux pour être remontée un peu plus à l’écart) ou lorsqu’il faut traverser une montagne sablonneuse en faisant creuser un tunnel de 165m avec consolidation de la voute en 8 jours.
Concessionnaire du canal, il prend en charge la construction et l’entretien, investissant sa fortune personnelle, devant très souvent emprunter à des tiers et rembourser les dettes, l’argent du roi ne venant pas régulièrement ; en échange il perçoit les taxes, les péages, les redevances sur le transport des marchandises ; il doit faire face aux jaloux et tourmenteurs ainsi qu’à la pression exercée par les contrôleurs de Colbert, à ses récriminations, mais il peut compter sur ses fils qui sont présents, qui l’aident dans son travail et qui le soutiennent. Il pourrait être fatigué, stressé, épuisé, débordé, mais il tient bon malgré sa maladie, malgré les suspicions de Colbert qui le soupçonne de puiser dans la caisse du canal pour installer ses fils !
Ce fut la passion et l’œuvre de la vie de Riquet, une affaire de famille où les fils, les gendres, les beaux parents ont participé et travaillé, les descendants de Riquet continueront à le gérer jusqu’au XX è siècle. De même, ce sont des familles entières, de pères en fils qui y ont travaillé, des éclusiers aux magasiniers… Une réussite humaine car les travaux furent faits à la force du poignet.
Ce fut un moment de bonheur en 1667 où la première pierre est posée avec la bénédiction de l’archevêque de Toulouse, mais Riquet ne verra jamais naviguer les barques, il meurt en octobre 1680, l’inauguration se faisant en mai 1681, il ne restait que 5.5 kms à construire sur les 240 kms de la longueur du canal…Riquet est alors porté très haut, par son opiniâtreté, sa force de caractère, son talent, son génie.
Les autres réalisations de Riquet
Parallèlement au canal des Deux Mers, Riquet s’est occupé de la construction des 328 ouvrages d’art jalonnant le canal (aqueduc, moulins, déversoirs, scieries, auberges, écuries, forges, magasins, logements…) ; du port de Sète qui fut une réussite, une beauté d’après les constations du fils de Colbert (missionné pour vérifier !) ; de l’aqueduc de Répudre dans l’Aude qui a servi de modèle à Vauban, sans oublier la demande expresse de Colbert pour Versailles : amener l’eau aux fontaines, reliant les eaux de la Loire au dessus de Briare à l’aide d’un pont canal. Trop long, trop coûteux, on fait construire la machine de Marly ; de l’aqueduc de Castries près de Montpellier sur 7 kms ; du canal de l’Ourcq qui approvisionnera Paris en eau potable pour les habitants et les industries dont les travaux sont lancés en 1677 mais le chantier interrompu «qualifié d’inutile » à la mort de Riquet ; en 1670, le roi demande la distillation de bouteilles d’eau minérale des stations thermales de Balaruc-les-Bains ; Colbert, ne pouvant le laisser travailler en paix et accomplir sa « grande œuvre » le charge encore de faire une étude en 1676 pour le futur canal de Bourgogne (réalisé sous Louis XV), puis le futur canal du Centre (réalisé sous Louis XVI), ainsi que le canal de Provence reliant le Rhône à la Méditerranée qui deviendra l’actuel canal du Rhône à Sète.
Après Riquet
Riquet s’éteint donc le 1er octobre 1680, à 71 ans à Toulouse. Placé dans un caveau de l’Elise Saint Etienne, en toute discrétion, sans cérémonie, ses enfants installés à Paris ne purent être présents ; Colbert s’inquiétant de la fin des travaux, fait mettre des scellés sur les biens de la famille ! A force de plusieurs demandes de la famille, de l’entourage de Riquet et de personnes bien introduites à la Cour, Colbert envoie à Jean Mathias (le fils Riquet) les fonds nécessaires à l’achèvement du canal, le roi assurant la famille de sa protection.
Les deux fils s’entendant à merveille, agissant de concert, toujours en accord dans les décisions à prendre (chose rare pour l’époque dans des familles ayant des biens), firent achevés les travaux afin d’inaugurer le canal en mai 1681, avec la première barque voguant de Sète à la Garonne. De même qu’ils aidaient leurs sœurs en versant les dots prévues, aimables et conciliants avec tous, ne lésant personne lors du partage de l’héritage, malgré les 4 millions de livres de dettes laissées par Riquet, dont deux furent quand même prises en charge par Colbert.
Louis XIV dans ses Mémoires pour l’instruction du dauphin mentionnait « le canal avait permis au royaume de devenir le centre du commerce de toute l’Europe » ; il fut une mine d’or pour les enfants, mais il fallut encore attendre 44 ans pour être rentable !
Pour aller plus loin
- Riquet, le génie des eaux : Portrait intime, de Mireille Oblin-Brière. Editions Privat, avril 2013.
- Le canal du Midi : Histoire d’un chef-d’oeuvre, de René Gast. Editions Ouest-France, Janvier 2006.
Cet article a été publié le Mercredi 3 septembre 2014 à 17 h 51 min et est catégorisé sous LEGENDES-SUPERSTITIONS.
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