Trésors maudits de la Pierre qui Vire
Posté par francesca7 le 2 août 2014
à la «Pierre-qui-Vire», il y a un trésor, mais il est maudit, et celui qui veut y puiser, dans le meilleur des cas, se retrouve, à l’aube, Grosjean comme devant, les mains pleines de petits bouts de charbon, ou, en d’autres lieux, de feuilles mortes. S’il ne prend garde à s’échapper à temps, il peut perdre ce qui lui est le plus précieux, ou même la vie. Cet avertissement a été largement diffusé dans les campagnes françaises.
Le thème du trésor dévoilé pendant un bref et solennel instant, mais qu’il est interdit de toucher, est complémentaire de celui des prodiges accomplis par les pierres en ce «temps hors du temps» délimité par les douze coups de midi ou de minuit, l’angélus, le premier chant du coq, le lever du soleil au solstice d’été, les trois coups de l’ « attolite portas» aux Rameaux, l’évangile de la Résurrection (qui, rappelons le, était récité à l’origine au cours de la Veillée Pascale, cérémonie riche en symboles)…
On ne retrouve cependant d’exemples clairs et circonstanciés de cette association des deux éléments de la légende que dans un secteur limité de notre département: la Puisaye.
André Bourgeois, dans Contes et légendes de Puisaye’ raconte une histoire de trésor maudit: «Le Champ de l’Homme Mort». Entre Villiers-St-Benoît et Toucy, c’était autrefois un bois, un enchevêtrement d’épines acérées cachant un souterrain. Dans ce souterrain, un trésor fabuleux, gardé par le démon lui-même, sous forme d’un loup géant. La terre ne s’entrouvrait qu’au dimanche des Rameaux «lorsque, après la procession, le prêtre, revenu devant la porte de l’église, frappe trois coups avec la croix, et demande à entrer, alors que la voix du chantre répond à l’intérieur. Au premier coup frappé sur la croix, le trésor s’ouvrait, mais il se refermait au troisième coup, et le temps était court, malgré les répons en latin qui l’allongeaient un peu. Pendant ces brefs instants, on pouvait y puiser à même.» Un pauvre «fondeur de chandelles», Marien Milandre, pressé par la misère et malgré le danger, veut tenter sa chance.
Au premier coup, «les ronces s’écartent, le souterrain noir se montre, deux vantaux glissent et s’ouvrent tout au fond. Marien se hâte, il saute dans le trou, il court… et s’arrête, ébloui par la splendeur des pièces entassées. Il en saisit à poignée et, conscient du retard pris à admirer, il se retourne pour fuir. Trop tard ! Les vantaux se referment; contre lui, dans l’obscurité maintenant complète, il sent la gueule rouge et infernale du carnassier aux yeux de feu. L’homme est pris.» …On ne le retrouva que le mercredi suivant, «tout en lambeaux, le visage ensanglanté par les ronces; il écartait désespérément deux bras nus d’où les mains manquaient et d’où le sang dégoulinait abondamment…» Peu après, épuisé par l’horreur et l’hémorragie, Marien trépasse.
André Bourgeois note qu’une histoire identique lui a été contée: «le trésor était caché dans le «Bois du Guimiot», à Saint-Fargeau, et la victime, une femme Greslin.»
Quant à son éditeur, il ajoute en note: «Une histoire identique est située par les Toucycois au terrier des Cornillats. Le temps imparti au «candidat» expirait avec le dernier coup de cloche qui sonnait la messe de minuit.»
Charles Moiset rapporte une légende identique à celle de «l’Homme Mort», localisée à Tannerre-en-Puisaye, dans les ruines de l’ancien fort de la Motte-sous-Champlay, à cette différence près qu’il n’y a pas de gardien du trésor et qu’il est recommandé à l’audacieux de se retirer avant que la procession ne soit rentrée dans l’église, sinon «la porte du trésor se refermerait et l’ensevelirait vivant» ».
Ainsi, Morvan et Puisaye ont nourri des traditions de trésors maudits dont il faut se garder d’approcher lorsque, suivant l’expression du chanoine Grossier «le rideau fragile des faits régis par les lois de la nature se déchire».
Il nous faut à présent remonter jusqu’à Verlin, en pays saltusien, pour nous retrouver en terre de féérie. L’abbé Désiré Lemoine, curé de Verlin, écrivait en 1853 à son supérieur hiérarchique, le curé-doyen Girard, de Saint-Julien-du-Sault, à propos du hameau des Guillots : «C’est dans ce village qu’un chasseur distingué tira plus de trente coups de fusil sur un lièvre boîteux et, quand il voulut mettre la main dessus pour le prendre, le lièvre s’avisa de parler comme un homme. C’est encore là que l’on voit, pendant la messe de minuit, la terre s’entrouvrir et que l’on aperçoit un trésor qui ferait la fortune de tout le monde, si on pouvait s’en emparer…» . Ainsi le modeste hameau des Guillots nous rappellera-t-il, d’un double clin d’oeil malicieux, le souvenir du bestiaire satanique et du trésor de Noël évoqués notamment à propos de la Pierre-qui-Vire.
Il n’a pas été possible jusqu’ici de relever une tradition équivalente en Sénonais, à l’exception de la légende du Biquin d’Or, et encore se situe-t-elle en marge du territoire sénon. A Ferrières-en-Gâtinais, le Biquin donc le chevreau, est censé apparaître dans des conditions précises. Le bon moment, c’est pendant la Messe de Minuit, au moment de l’élévation. L’enfant de choeur commence par donner un coup de sonnette et les fidèles, agenouillés, doivent baisser la tête et regarder vers le sol. Suivent trois coups brefs pendant lesquels le prêtre élève une grande hostie et le calice. Enfin une dernière sonnerie autorise les fidèles à se redresser. Mais attention. précise la légende, c’est sur la route du Biquin d’or que la terre s’ouvrira, à une condition expresse, que tous les habitants se donnent la main autour du village ! Le plus étonnant dans ce «cercle magique», qui suppose l’absence de toute la communauté d’une des cérémonies les plus importantes du cycle chrétien, est que cette légende soit citée au présent et non comme une superstition d’autrefois… (rapporté par Mme Françoise Souchet). Ferrières a intégré le fabuleux animal dans son patrimoine: il y a dans cette ville une rue du Biquin d’Or.
A cette exception non icaunaise près, on peut seulement signaler quelques particularités toponymiques évoquant les trésors cachés sous des pierres, comme les lieux-dits «La Pierre l’Argent», à la Chapelle-sur-Oreuse et la «Pierre aux Ecus» à Saint-Maurice-aux-Riches-Hommes.
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