Hommage aux maîtres-Brodeurs
Posté par francesca7 le 12 juillet 2014
Il n’est peut-être pas de métier dont l’histoire, en Occident surtout, ait été plus intimement liée à celle de la peinture. Si la broderie est tombée en décadence de nos jours, et même dès la fin du seizième siècle, il ne faut pas oublier que, pendant longtemps, les peintres furent les auxiliaires des brodeurs : ceux-ci peignaient avec leurs aiguilles les compositions que les peintres avaient d’abord ébauchées au moyen de leurs pinceaux et dont ils avaient fait les cartons.
C’était un métier difficile. « Dans tout le moyen âge, dit de Laborde, et jusqu’à la fin du seizième siècle, broder était un art, une branche sérieuse, estimable, de la peinture. L’aiguille, véritable pinceau, se promenait sur la toile et laissait derrière elle le fil teint en guise de couleur, produisant une peinture d’un ton soyeux et d’une touche ingénieuse. »
S’il faut en croire les chansons
de gestes, on faisait même des
portraits brodés :
… La mescine
Ouvroit ès cambre la roine
Un confanon avoec le roi,
U el paignoit et lui et soi,
dit le roman de Flore et Blanceflor. Dans plus d’un inventaire de trésor du moyen âge se trouvent mentionnés des portraits en broderie.
La broderie semble être toujours
demeurée le passe-temps des grandes :
Catherine de Médicis brodait, et Ronsard,
dans son ode à la reine de Navarre, lui dit,
en parlant de Minerve :
Elle addonoit son courage
A faire maint bel ouvrage
Dessur la toile, et encor
A joindre la soye et l’or.
Vous, d’un pareil exercice,
Mariez par artifice
Dessur la toile en maint trait
L’or et la soye en pourtrait.
Il est à peine utile de rappeler que la fameuse tapisserie de Bayeux, qui représente les hauts faits de Guillaume le Conquérant , passe pour être l’ouvrage de la reine Mathilde ; et, bien que le fait ne soit pas absolument prouvé, il n’y aurait pas lieu d’en être surpris.
Il serait trop long d’énumérer les spécimens de broderies qui sont parvenus jusqu’à nous. Citons en première ligne les ornements épiscopaux de Thomas Becket, conservés aujourd’hui à la cathédrale de Sens, et que la gravure a souvent reproduits ; mentionnons encore les ornements de la chapelle de Charles le Téméraire, aujourd’hui à Berne.
Au dix-septième siècle, Alexandre Paynet, brodeur du roi Louis XIII, exécuta de magnifiques ornements que ce prince avait l’intention d’offrir au saint sépulcre de Jérusalem. Mais ce serait une grande entreprise que de vouloir indiquer tous les fragments d’étoffes brodées qui se trouvent encore aujourd’hui soit dans les trésors des églises, soit dans les bibliothèques, où souvent ils ont servi de couverture à des manuscrits.
La corporation des brodeurs et brodeuses reçut d’Etienne Boileau ses premiers statuts vers la fin du treizième siècle, en même temps que celle des « faiseuses d’aumosnières sarrazinoises », dont le métier ne différait qu’en ce qu’il s’appliquait à de plus petits objets. Dans ces statuts, on énumère les brodeurs et brodeuses qui se trouvaient alors à Paris, et il est à remarquer que plusieurs de ces dernières avaient pour maris des enlumineurs : on observe le même fait en 1316, date à laquelle la corporation eut de nouveaux statuts. Cette association d’enlumineurs et de brodeuses ne fut pas sans doute fortuite, et on peut croire que ces deux métiers ne pouvaient guère subsister l’un sans l’autre, le peintre créant les motifs que la brodeuse exécutait ensuite avec l’aiguille.
En Italie, de grands peintres ne dédaignèrent pas de faire des cartons pour des broderies : Antonio Pollajolo dessina pour Saint-Jean de Florence des ornements magnifiques, qui furent exécutés par des brodeuses ; bien d’autres s’associèrent à de semblables travaux.
Les règlements qui régissaient le métier des brodeurs à l’époque d’Etienne Boileau n’étaient pas fort nombreux ; ils concernaient les conditions d’apprentissage et la direction de la corporation par quatre prud’hommes ; quelques dispositions, enfin, déterminaient quand et comment on devait travailler : « Nuls ne nule ne pourra ouvrer ou dit mestier de nuiz fors tant come la lueur du jour durra tant seulement ; car l’œuvre fete de nuiz ne peut estre si bone ne si souffisante come l’œuvre fete de jour. »
L’apprentissage durait huit ans, et chaque maître ou maîtresse ne pouvait avoir qu’un apprenti ou une « apprentice » à la fois. Ce long apprentissage assurait la transmission d’ouvrier en ouvrier de tous les procédés de l’art. Les statuts des « faiseuses d’aumosnières sarrazinoises » étaient à peu près semblables.
Le métier se maintint très florissant jusqu’au dix-septième siècle ; puis vinrent plusieurs ordonnances qui défendirent l’abus des broderies et des ornements d’or dans le costume, et force fut aux brodeurs-chasubliers (c’est le nom que leur donnent les statuts de 1648) de se consacrer presque exclusivement à la confection des chasubles et des autres ornements religieux. A part ces travaux, on ne broda plus guère que des étoffes légères ; on employa plus rarement la soie et l’or.
Le nombre des maîtres fut limité à douze cents par les statuts de 1648 ; mais cette disposition ne fut jamais rigoureusement observée, bien que le nombre dût être forcément assez restreint, puisqu’on n’admettait à l’apprentissage que des fils de maître ou de compagnon et que chaque maître ne pouvait avoir qu’un apprenti. L’apprentissage durait six ans, et l’on n’était reçu maître qu’à condition d’ouvrir boutique et qu’après avoir été compagnon pendant trois ans. Le chef-d’œuvre, apprécié par les jurés visiteurs, était obligatoire ; seuls, les fils de maître étaient exempts de quelques-unes de ces formalités. On ne pouvait parvenir à la maîtrise avant l’âge de vingt ans.
Aucun maître ne pouvait s’associer avec un compagnon. Distingués en jeunes, modernes ou anciens, suivant qu’ils comptaient dix, vingt ou trente ans de réception, les maîtres devaient assister, au moins au nombre de trente, aux assemblées générales pour que les délibérations fussent valables.
Dans leurs broderies, les ouvriers du dix-septième et du dix-huitième siècle, cherchaient surtout à imiter les dentelles les plus renommées, telles que le point de Hongrie et la dentelle de Saxe. Exécutée tantôt à la main, tantôt au métier, la première, d’une exécution plus longue et plus difficile, fut toujours préférée.
Voici les termes qui, au dix-huitième siècle, désignaient les genres de broderie les plus usités :
broderie « à deux endroits » ou broderie « passée », travail qui produisait un dessin exactement semblable sur les deux faces de l’étoffe ; broderie « appliquée », exécutée sur de la grosse toile, que l’on découpait ensuite pour la coudre sur une autre étoffe ; broderie « en couchure » ou broderie d’or et d’argent : les mêmes matières servaient aussi à la broderie « en guipure » ; mais, pour exécuter celle-ci, on commençait par dessiner sur l’étoffe même, puis on découpait du vélin en suivant les formes du dessin, et l’on cousait ensuite par-dessus l’or avec de la soie. broderie « plate », garnie de paillettes, et broderie en chenilles de soie, usitée surtout pour les ornements sacerdotaux.
Tels étaient les principaux genres de broderies que l’on exécutait lors de la suppression de la corporation. Si, au point de vue des procédés et de l’habileté de la main-d’œuvre, les brodeurs avaient fait des progrès, un examen même peu attentif de leurs productions montre dans quel état d’infériorité ils se trouvaient vis-à-vis de leurs prédécesseurs : la broderie n’était plus un art, mais un métier.
(D’après un article paru au XIXe siècle)
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