Le corps de la femme au Moyen Âge
Posté par francesca7 le 11 juillet 2014
Le corps est une donnée capitale, que ce soit pour nous, à l’heure d’aujourd’hui, mais aussi dans l’histoire : il permet de comprendre certains comportements humains, et de les expliquer. Le corps féminin est d’autant plus compliqué à aborder qu’il répond à un manque de sources caractérisé, ou plutôt à des discours qui sont avant toute chose le fait d’hommes eux-mêmes. Dans le cadre de cet article, il s’agit d’essayer de dresser un tableau d’ensemble – et quelque peu généraliste – de la conception du corps féminin au Moyen Âge.
Le discours théorique et savant sur le corps de la femme au Moyen Âge puise dans deux traditions. Dans les Ecritures, qui vont permettre de construire un discours plutôt religieux, mais aussi dans la pratique de la médecine, d’inspiration antique et arabe – à partir des années 1100 et du XII è siècle -, qui met au point véritablement une conception particulière du corps de la femme, à la fois axée sur une forme de praxis et de poiesis, d’action et de production, au sens aristotélicien du terme.
Ces deux courants vont converger pour d’une part lire le corps de la femme selon le référent du corps masculin, et d’autre part pour poser le principe d’une subordination, d’une incomplétude, d’une imperfection du corps féminin par rapport au corps masculin.
A la source : l’imperfection du corps féminin dans les Ecritures
Deux textes fondateurs existent dès les origines, qui constituent véritablement deux référents majeurs qui animent le discours médiéval concernant les Ecritures : la Genèse, tirée de l’Ancien Testament, ainsi que la première exégèse chrétienne faite sur la Genèse par Saint Paul. Dans un premier temps, il s’agit de s’intéresser au discours proposé par l’Ancien Testament sur la femme, qui perdure jusqu’à Saint Paul de Tarse, au Ier siècle de notre ère, et bien au-delà encore.
Dans le vocabulaire même, on peut déceler une dépendance évidente de la femme, puisqu’elle a « été prise de l’homme » : d’abord parce qu’elle vient de sa côte, du « côté » d’Adam, mais surtout parce qu’elle a été façonnée à partir d’un morceau de l’homme. De plus, le latin qualifie la femme de « virago », alors que l’homme est « vir » : l’origine étymologique même du terme « virago » vient de son référent masculin. En réalité, la femme a été créée selon l’étalon masculin, sans jeu de mot ; cette extraction suppose une subordination, puisqu’Adam demande une aide, se sentant seul, ayant besoin d’une « auxiliaire ».
Par exemple, l’iconographie médiévale fait d’Adam celui qui accouche d’Eve, qui sort par son flanc. La perfection de nature, selon les médiévaux, est scellée par l’articulation que les théologiens font entre les deux récits de création, destinés à n’en constituer qu’un seul. Cette particularité finit par conduire à une forme d’incomplétude de nature de la femme, d’une imperfection de son anatomie.
La femme est une « image d’image », puisqu’elle a été créée à partir de l’homme, qui lui-même a été fait à l’image de Dieu. Par rapport au sens possible du premier récit, on assiste à un véritable déclassement ontologique, qui porte sur l’essence féminine, sur la nature de la femme. Ici, les choses sont de suite beaucoup plus tragiques concernant le sort de la femme, puisqu’il ne s’agit plus simplement d’une quelconque subordination hiérarchique vis-à-vis de l’homme, mais plutôt d’un éloignement caractérisé de la nature et de l’essence féminines de la figure de Dieu : l’on rentre dans un discours de nature, qui fige la nature féminine comme étant plus éloignée de Dieu – dans sa création – que l’homme.
Saint Paul de Tarse et le corps féminin
Les Epîtres de Saint Paul de Tarse sont antérieurs aux Evangiles, et sont les textes les plus précoces que les historiens possèdent en termes de théologie. Saint Paul fait du couple homme-femme la base de toute la cellule chrétienne : tous deux viennent de Dieu, et sont complémentaires, à la fois dans leur volonté et dans leur(s) action(s). Par exemple, Paul rappelle régulièrement les obligations que le mari a envers sa femme ; il y a une réciprocité – qui ne veut toutefois pas dire égalité ! Ici, il faut être très prudent : Saint Paul s’inspire directement de l’Ancien Testament ; il ne faut pas faire de lui un des précurseurs de l’égalité entre les sexes. En réalité, la relation est nettement dissymétrique, est directement issue de son interprétation et de sa lecture de la Genèse. Même si les hommes doivent aimer leurs femmes – autant qu’ils s’aiment eux-mêmes, cependant – étant des images de Dieu, l’épouse est et reste la « chose » de l’époux.
Saint Paul accentue le principe de subordination sociale de la femme, construite à partir et sur le récit de la Genèse – tout cela, bien entendu, dans un discours extrêmement péjoratif vis-à-vis du corps féminin. Saint Paul cherche constamment à faire le lien entre la création et le péché originel, et construit la responsabilité d’Eve dans le péché originel en la raccordant au fait qu’elle soit d’une nature dérivée de celle d’Adam. Elle fut séduite en premier parce qu’elle fut d’une nature seconde par rapport à Adam ; Saint Paul est le premier à faire cette jonction entre la responsabilité de la femme dans l’histoire du péché originel avec un discours sur la nature féminine. Saint Paul, par un génie absolu, part d’une infériorité patente de la femme pour la retransposer sur le récit du péché originel.
Le discours médical sur la femme au Moyen Âge
Tout le Haut Moyen Âge fonctionne sur la tradition du galénisme, sur l’héritage du corpus de Galien (qui est lui-même tiré du corpus d’Hippocrate), que l’on peut toutefois qualifier de figé. Cette médecine galénique est prolongée à partir du XI è siècle par les premières traductions venant de l’arabe, et surtout par celles d’Avicenne (Cf. le Canon d’Avicenne). Au XIII è siècle, par exemple, le De animalibus d’Aristote est traduit.
Ces traductions galéniques et aristotéliciennes ont une lecture très mécanique du corps, voire même
« hydraulique » : les dynamismes corporels reposent sur la théorie des humeurs et sur les « souffles », les « pneuma », qui font circuler les humeurs à l’intérieur du corps et causent les équilibres mais aussi les déséquilibres. Il s’agit véritablement pour eux d’un « corps machine », qui fonctionne comme un mécanisme.
Dans cette lecture tout à fait particulière, la femme est perçue comme un « homme en creux », parce que le rapport masculin-féminin est construit dans un réseau d’analogies. Par ailleurs, ceci est un des grands principes de la médecine galénique, dans les rapports entre le microcosme et le macrocosme, entre l’homme et l’Univers, où l’analogie est omniprésente. Nous sommes ici dans un système d’imbrications et de mise en symétrie des organes. Le vagin est par exemple considéré comme un pénis inversé ; le clitoris est comparé au prépuce ; les ovaires aux testicules ; la femme aurait aussi une émission de sperme ; etc.
Un autre principe médical sur le corps féminin existe : il s’agit de celui de l’instabilité des organes féminins. La matrice, notamment, n’est pas fixée dans le corps. Suivant son positionnement dans le corps, elle peut avoir une influence sur la santé de la femme, sur ses humeurs au quotidien, sur son caractère, etc. Il ne s’agit ni plus ni moins que la base médicale de l’hystérie, qui a commencé par l’idée de « l’utérus baladeur » ! En réalité, le centre de gravité de la femme est déterminé par rapport à la sexualité.
Dans la pratique médicale, comme nous pouvons l’observer dans les sources, on constate que les médecins ne traitent pas différemment le corps féminin du corps masculin. Néanmoins, le discours médical pose une infériorité et une imperfection du corps féminin vis-à-vis de celui de l’homme, qui se confirme à la fois dans les principes posés par l’Ancien Testament, et dans le laïus de Saint Paul de Tarse.
Pistes bibliographiques :
J. LE GOFF et N. TRUONG, Une Histoire du corps au Moyen Âge, Paris, Liana Levi, 2003.
J.-C. SCHMITT, Le Corps, les rites, les rêves, le temps. Essais d’anthropologie médiévale, Paris, Gallimard, 2001.
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