Le long de la ruelle Guichard
Posté par francesca7 le 7 juillet 2014
Villemanoche est une commune française située dans le département de l’Yonne en région Bourgogne.
Il y a beaucoup de grosses, très grosses pierres sur les coteaux de Villemanoche et encore plus dans les bois qui les surmontent. C’est, avec Champigny-sur-Yonne, un prolongement de la forêt de Fontainebleau.
Le 9 mars 1991, en fin d’après-midi, par un chaud soleil attirant déjà quelques vipères sur les grès du «Haut pays», j’avais rendez-vous au bout du chemin du Moulin avec M. Jacques Rouif, maire-adjoint de Villemanoche. Après avoir parcouru une centaine de mètres à travers un fouillis de repousses d’acacias, il étendit le bras et annonça: «Voilà le monstre !». J’avais devant moi la «Roche Branlante», bloc de «sablon» gris clair de près de 9 mètres de hauteur. La largeur du grès à la base avoisine 6 m d’un côté, 4 à 5 m de l’autre. La face tournée au soleil levant est verticale et évoque un clocher d’église avec son sommet en pyramide, comme – taillé en berceau», écrivait l’abbé Prunier (3).
«Ma mère, ajouta M. Rouif, raconte que la «Roche Branlante» va boire un coup dans l’Yonne une fois par an, pendant la messe de minuit… en passant par la ruelle Guichard!» (Mme Rouif est née en 1907).
La ruelle Guichard prend naissance une vingtaine de mètres à l’ouest de l’église de Villemanoche. Sa largeur n’excède guère 3 mètres au début. Après un parcours sinueux, elle dévale soudain la pente en ligne droite, se rétrécissant constamment, et finit par un goulet d’à peine l m 50 de large entre deux maisons de la rue de Paris. Détail suggestif, la maison de gauche, bombée, présente une large fissure à quelques mètres du sol, comme si une masse énorme l’avait heurtée à plusieurs reprises ! Jean Ray aurait pu en tirer une terrifiante histoire. Remarquons au passage que la ferme de M. Rouif est au chevet de l’église… tout près de la ruelle Guichard !
Face au débouché de la ruelle, rue de Paris, une autre maison. Le passage est donc bouché: c’était déjà le cas sur le cadastre de 1812. Par où la géante rejoignait-elle l’Yonne ? Peut-être, n’en étant plus à un exploit près, sautait-elle par dessus les toits ? L’histoire ne le dit pas…
L’instituteur J.A. Tavoillot écrivait même à propos de la Roche Branlante(4): «Autrefois, dit-on, on pouvait facilement la mettre en mouvement. Cela n’est pas croyable. Il est vrai que cette roche, dans sa partie hors sol, pèse déjà au moins 300 tonnes… (Les anciens, de façon générale, énonçaient les prodiges de la Roche Branlante comme des faits authentiques, à l’indignation de ceux qu’Antoine de Saint-Exupéry eût appelés les «grandes personnes»).
Mais quel rapport entre la nuit de Noël et cette soudaine activité, d’essence païenne, voire animiste, d’une roche que ne surmonte même pas une croix ? Ce n’est pas pour se faire baptiser qu’elle va vers l’eau et l’Yonne n’est pas le Jourdain…
Le message comprend en fait deux éléments: la nuit de Noël, avec son moment fort, la Messe de Minuit, qui commence traditionnellement le douzième coup sonné, et l’éveil de la Roche qui, dans ce cas précis, va «boire à l’Yonne» à deux bons kilomètres… Pour faire bonne mesure, elle évite soigneusement de longer l’église où les fidèles sont censés être en prière et emprunte sans problème apparent un passage trois fois trop étroit pour elle.
Pas question de s’absenter du Saint Office pour voir cela, d’autant plus, comme fit remarquer un petit enfant à qui je racontais cette histoire, que l’on risquait fort de se faire écraser !
L’enfant aurait-il spontanément trouvé, sous la légende, le message crypté ? Nous verrons un peu plus loin, en d’autres parages, un avertissement beaucoup plus clair. Notons seulement que cette fameuse nuit, qui suit de peu le solstice d’hiver -mort et renaissance de la lumière- est aussi celle où les animaux parlent!
G. Bidault de l’Isle note ainsi (5) : «On raconte en Franche-Comté et en Suisse romande qu’un paysan sceptique voulut s’en assurer et pour ce faire n’assista pas à la messe de minuit et se cacha dans l’étable. A l’heure dite, il entendit entre ses boeufs la conversation suivante: «Dis donc, Rousset, nous aurons un rude travail cette semaine! – Comment çà, Rosier, tout notre labeur est pourtant achevé? – Oui, mais nous serons obligés de conduire le cercueil de notre maître qui doit mourir dans trois jours…» On ne dit pas ce qu’en pensa le paysan, ni si le pronostic fut confirmé, mais cette histoire suffit à détourner les gens curieux de la région de répéter l’expérience pour leur compte.»
Bidault de l’Isle ajoute: «Cette croyance en la faculté qu’ont les animaux de parler lors de l’Élévation pendant la messe de minuit est très répandue aussi en Bourgogne, notamment dans l’Yonne. Elle était autrefois très affirmée. Dans l’Auxerrois, le Morvan, l’Avallonnais, nul n’en doutait. Mais personne n’osait s’en assurer, de peur d’apprendre, comme le paysan sceptique ci-dessus, un fâcheux pronostic. A Fulvy, le bétail frappait du pied et à Viviers il fléchissait un genou au moment même où il allait pouvoir parler… Aussi, lorsque le maître apparaissait portant la nourriture de minuit, s’efforçait-il de ne pas demeurer dans l’étable aussitôt la provende déposée au râtelier.»
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