Les philosophes hermétiques
Posté par francesca7 le 25 juin 2014
ou bien encore les nouveaux Alchimistes
Les savants qui se sont adonnés à l’alchimie dans le Moyen Age avaient d’autres noms que celui d’alchimistes ; ils s’appelaient, par exemple, les enfants de l’art, les initiés, les cosmopolites, les adeptes, les rose-croix, les souffleurs, ou les philosophes hermétiques ; ce dernier mot, hermétique faisait allusion à Hermès, ou Mercure trismégiste (c’est-à-dire trois fois grand), fameux philosophe égyptien, qu’on suppose avoir été conseiller d’Isis, femme d’Osiris, et avoir vécu environ 1900 ans avant Jésus-Christ
La philosophie hermétique, suivant les écrivains qui ont eu foi dans cette étude, était aussi ancienne que le monde ; elle avait pour objet la recherche de la pierre philosophale, de la panacée universelle, et du grand œuvre ; c’était encore l’art de trouver l’eau merveilleuse qui donne une santé et une jeunesse éternelle, et de changer les métaux en or. Les alchimistes imaginaient qu’il existait des métaux parfaits, comme l’or et l’argent, et des métaux imparfaits, comme le mercure, le plomb, etc., et qu’il était possible de transformer.
« L’or, disaient-ils, est de tous les corps de la nature le plus compact, le plus pesant, le plus inaltérable au feu, à l’eau et à l’air, c’est le roi des métaux. » Ils le désignaient aussi sous le nom de sol ou soleil, et le représentaient sous la figure d’un cercle ; ce n’était là qu’une conséquence de leur doctrine, dont la propagation se faisait entre les sages, seulement par images et comparaisons mystérieuses.
Les Arabes se sont beaucoup occupés d’alchimie ; ils sont les premiers qui aient attribué à l’or les plus grandes vertus médicinales, ils le mêlaient dans leurs compositions chimiques réduit en feuilles ; ils pensaient que l’or fortifie le cœur, ranime les esprits, et réjouit l’âme ; d’après eux l’or serait utile pour la mélancolie, les tremblements et les palpitations du cœur. Les alchimistes qui s’emparèrent de ces idées amplifièrent encore, retournèrent les éloges de mille façons ; ils attribuaient toutes les vertus possibles à cet or mystérieux, qu’ils prétendaient extraire eux-mêmes des métaux imparfaits.
L’or philosophique, la quintessence, l’âme de l’or, la teinture solaire radicale, l’eau du soleil, la poudre de projection, le magistère, l’essence des cèdres du Liban, le restaurant des pierres précieuses, l’élixir universel, toutes ces dénominations étaient également appliquées à la pierre philosophale. Ces noms merveilleux d’un secret imaginaire donnaient aux enfants de l’art un grand crédit, bien que les plus fameux d’entre eux soient morts, comme le célèbre Paracelse, dans les souffrances et la misère.
Il fallait que la croyance en la pierre philosophale fût bien vive et bien enracinée parmi les alchimistes, pour leur donner la persévérance inconcevable qu’ils mettaient dans leurs recherches ; ils entretenaient pendant des années entières des fourneaux allumés, où s’opérait la fusion des métaux et des compositions dont ils faisaient usage. Plusieurs ont eu la renommée d’avoir trouvé la pierre philosophale ; par exemple, on a prétendu longtemps que Nicolas Flamel l’avait découverte le 17 janvier 1332 ; il passait pour immensément riche, et, après sa mort, à diverses reprises, des gens avides firent des fouilles dans une maison qu’il avait possédée, à Paris, rue de Marivaux ; mais ces fouilles furent toujours infructueuses, comme devaient s’y attendre les esprits sensés. Avant Flamel, Raimond Lulle, fameux écrivain du XIIIe siècle, transforma, suivant la rumeur populaire, pendant son séjour à Londres, cinquante mille livres de vif-argent en or, pour le roi Edouard Ier.
Vers le même temps, Alphonse X, roi de Castille, avait écrit dans un de ses ouvrages : « La pierre qu’ils appellent philosophale, je savais la faire. N… me l’avait enseigné ; nous la fîmes ensemble, ensuite je la fis seul, et ce fut ainsi que souvent j’augmentai mes finances. »
Enfin, au XVIIe siècle, Van Helmont fils, le dernier homme remarquable qui se soit occupé de la recherche du grand oeuvre, affirme avoir vu et touché plusieurs fois la pierre philosophale. Elle avait, selon lui, la couleur du safran en poudre, et elle était brillante comme du verre pulvérisé. On lui en donna le quart d’un grain, et ce quart d’un grain, jeté dans huit onces de mercure, les changea en argent très pur.
On compte un nombre infini de traités d’alchimie, presque tous écrits en langage mystique, qui donnent des formules ou recettes pour opérer le grand œuvre. En voici une des plus courtes et des plus claires : « Mettez dans une fiole de verre fort au feu de sable ; de l’élixir d’Aristée avec du baume de Mercure, et une pareille pesanteur du plus pur or de vie ou précipité d’or, et la calcination qui restera au fond de la fiole se multipliera cent mille fois. » En voulant opérer d’après de semblables recettes, les souffleurs se sont toujours ruinés.
La pureté de l’âme était vivement recommandée par les alchimistes, comme une condition essentielle pour le succès de leurs travaux ; quelques-uns d’entre eux, cependant, ne la possédaient nullement. Flamel exerçait l’usure à Paris, et parvint à s’enrichir par ce moyen, beaucoup plus que par la divine pierre.
Paracelse, au XVIe siècle, passa presque toute sa vie dans l’ivresse et la débauche. C’est lui qui, dans les cours qu’il faisait en Allemagne, s’écriait avec une orgueilleuse ironie : « Avicenne, Galien, et vous tous, philosophes et médecins vulgaires, les cordons de mes souliers en savent plus que vous ; toutes les universités et tous les écrivains réunis sont moins instruits que les poils de ma barbe et de mon chignon ; moi, moi seul, je suis le vrai monarque de la médecine ! »
L’extravagance de ces paroles étonne peu lorsque l’on songe que presque tous les hommes de mérite, à cette époque, croyaient fermement aux sciences occultes ; que les moines les plus instruits, dans leurs retraites, en faisaient l’objet des études de leurs veilles, et qu’à la naissance du protestantisme, des thèses sur l’astrologie judiciaire, la cabale et la magie, étaient publiquement soutenues par des philosophes dont le nom est encore, de nos jours, honoré à plusieurs titres.
On peut dire qu’alors les sciences exactes n’existaient pas ; elles sortaient péniblement du chaos de la fable ; les observations ne se ralliaient que lentement pour former les bases de travaux sérieux et incontestablement utiles.
Il est fort heureux, assurément, que, de nos jours, personne ne puisse s’aviser de chercher la pierre philosophale, sans être certainement exposé à passer pour un fou. Toutefois, il faut être sobre de dédain pour ceux des alchimistes du Moyen Age qui étaient de bonne foi ; ils ont ouvert avec beaucoup de peine dans l’obscurité, à leurs propres risques et périls, les premières portes de la science.
D’importantes découvertes sont dues aux manipulations laborieuses et patientes par lesquelles ils faisaient passer une foule de matières avec l’espoir de parvenir à un but fantastique. C’est ainsi, pour citer un seul exemple, qu’on ne peut nier le mérite des efforts de Paracelse pour introduire en médecine l’usage des préparations antimoniales, mercurielles, salines, ferrugineuses, qui ont sur nos organes une action si efficace.
Quant aux alchimistes de mauvaise foi, charlatans avides, qu’on a vus partout se multiplier au XVIe siècle, nous abandonnons volontiers leur mémoire au mépris. C’est tout ce que l’on doit à ces vils escamoteurs, qui s’en allaient par le monde, vendant fort cher aux crédules le secret de faire de l’or, comme si, ayant un secret semblable, ils eussent besoin de le vendre pour s’enrichir.
On connaît quelques-unes des ruses de ces fripons. Les uns savaient habilement glisser dans du plomb ou du cuivre en état de fusion, des parcelles d’or contenues dans un bâton creux dont ils se servaient pour mêler leur préparation. D’autres se servaient de creusets dont ils garnissaient le fond d’or ou d’argent amassé en pâte légère ; ils couvraient ce fond d’une autre pâte, faite de la poudre même du creuset et d’eau gommée, qui cachait l’or et l’argent ; ensuite, ils jetaient le mercure ou le plomb, et l’agitant sur un feu ardent, faisaient apparaître à la fin l’or ou l’argent calciné.
(D’après un article paru en 1833)
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