Les forces en présence ne pouvaient guère laisser d’espoir aux Vendéens. En face de Charette et de Stofflet, qui va lui aussi reprendre la lutte, le jeune général Lazare Hoche.
A peine vingt-sept ans, mais des talents militaires qui l’ont hissé au grade de général. Le Directoire, en août 1795, lui donnait toute l’armée des côtes s’élevant à 80000 hommes.
Sa mission : écraser la rébellion.
La mort de Stofflet
Le chevalier Charette avait trente-trois ans, le courage et la ruse d’une bête fauve habituée à déjouer la mort jour après jour. Mais ses troupes avaient fondu et la défection du comte d’Artois (novembre) a fait souffler un vent de découragement chez la plupart des Vendéens. Du jour au lendemain, Charette va se retrouver avec un millier de fidèles.
Les Vendéens n’y croyaient plus. Continuer la lutte par fidélité au roi ? Mais il se désintéressait de ses derniers défenseurs. Pour la religion ? Mais le général Hoche permettait désormais de pratiquer librement le culte, et lui-même poussait ses généraux à se montrer aux offices. Contre la conscription ? Mais Hoche l’avait fait lever. Alors, à quoi bon ! Même les prêtres vendéens déconseillaient la reprise des combats.
Des grands chefs de l’insurrection, il ne restait, en cet automne 1795, que les deux farouches ennemis, Charette et Stofflet. Tout les séparait, sauf le but de leur combat. Stofflet reprit les armes, le 26 janvier 1796 sur l’ordre du comte d’Artois, qui lui fut apporté avec le brevet de lieutenant général par le chevalier de Colbert. Comme Charette, il n’y croyait plus :
— Mes amis, déclara-t-il, nous marchons à l’échafaud ; mais c’est égal, vive le roi quand même !
Lui aussi espérait un prince. Gomme Charette il dut se contenter du brevet de général. Il ne put réunir plus de quatre cents hommes.
C’est à lui que Hoche va d’abord s’attaquer. Traqué dans ce Bocage qui est son royaume à lui. Stofflet se cache le 23 février 1 796 dans la ferme de la Saugreniere. Le bâtiment se trouve loin de toutes les routes, à l’abri de toute perquisition. Là, à la fin du jour, se tient une réunion entre l’ancien garde-chasse et cinq de ses fidèles, et des émissaires de la chouannerie mainiaute et normande. La rencontre a été organisée par l’abbé Bernier, futur négociateur du Concordat, qui saura bientôt faire comprendre à Bonaparte, à travers l’explication du combat des Vendéens, tout l’intérêt pour lui du rétablissement de la paix religieuse. A la nuit, on se sépare. Les conjurés s’éloignent en pataugeant dans la neige. A la ferme ne restent que Stofflet, son officier d’ordonnance Charles Lichstenheim, et quatre Vendéens.
A quatre heures du matin deux cents soldats et vingt-cinq cavaliers cernent la ferme. Qui a dénoncé Stofflet ? On ne le saura jamais. On a soupçonné l’abbé Bernier, sans preuves.
Stofflet pensait finir sur l’échafaud. Il se trompait. Il est fusillé à Angers, sur la place qui s’appelait le champs de Mars. C’est le 25 février, à neuf heures du matin. Il refuse le bandeau qui doit lui ceindre les yeux en disant :
Un général vendéen n’a pas peur des balles.
Il commande le feu en criant
— Vive la religion, vive le roi !
Il s’écroule.
Méfiez-vous, notre général. Voilà les Bleus !
Ce cri. poussé par des enfants. Charette va l’entendre sans cesse dans les semaines qui suivent, les quatre semaines qui aboutissent à sa capture.
Hoche (gauche), talonné par le Comité de Salut public, et plus encore exaspéré par cette guerre qui n’en est pas une et qui s’éternise, déploie des forces énormes pour traquer le fugitif. Il met le paquet : 32500 hommes répartis en cinq colonnes ratissent jour et nuit les clos et les champs entourés de fossés ou bordés de haies, perquisitionnent dans les fermes et les châteaux. interrogent. menaçent…
— Ne laissez pas reposer votre proie. insiste Hoche.
Tous les moyens sont bons pour attraper ce renard trop rusé, méme les pires :
— Faites déguiser quelques hussards et volontaires en paysans munis de cocardes blanches…
Sur l’ordre du général Hoche, l’adjudant général Jean-Pierre Travot a lâché son commandement des Sables pour diriger les recherches sur le terrain méme. Depuis le 18 janvier 1796. il suit le fugitif et sa troupe, on pourrait dire « pas à pas », réussissant a abattre quelques-uns des Blancs qui entourent Charette, mais ne parvenant pas à prendre la tête. Travot arrive toujours trop tard. Dans la paroisse de Maché (Vendée). que son gibier vient de quitter, il promet les 6000 louis d’or que l’on dit étre en possession du fugitif à qui le dénoncera.
Le 21 février, dans un château près du village de La Bégaudière, Charette lance son dernier ordre de rassemblement
De par le Roi. Il est ordonné à tous les hommes en état de marcher et de porter les armes. de se rassembler et de me rejoindre de suite sous peine de mort.
Les commandants de paroisses et les conseillers civils me répondront sur leur tète de l’exécution du présent ordre.
Le chevalier Charette
Un commandement bien impératif pour le proscrit qui ne dispose plus que d’un effectif très réduit, une centaine d’hommes dont la moitié à cheval, et qui fond jour après jour. Les défections, les trahisons se multiplient. Travot, sur dénonciation de paysans, s’empare des dépôts de poudre et de fusils de Charette. Au combat de La Begaudière, le chevalier vendéen réussit une fois encore à s’échapper, mais son escorte est décimée. Cette fois ce sont 400 grenadiers qui canardent les Blancs. Une trentaine reste sur le terrain, et des meilleurs : le frère de Charette, un de ses cousins, MM. de la Porte, Beaumel’ c. le porte-fanion…
Travot envoie à Hoche un bulletin de victoire.
La noblesse, les émigrés, les chefs, ont fait les frais de cette journée, trente au moins ont été tués.
Au soir du 22 mars, le fugitif et sa petite bande trouvent un refuge dans la ferme du métayer Delhommeau, à La Pellerinière. sur la rive ouest de la rivière la Boulogne qui se jette plus au nord dans le lac de Grand-Lieu.
Il pleut et la nuit vient de tomber. Depuis le matin, ils n’ont cessé de marcher dans les petits chemins creux, car ils n’ont plus de chevaux. essuyant les coups de feu des chasseurs de montagne du commandant Gautier. Charette est blessé et tremble de fièvre. Ils sont là quarante-six, qui lui sont entièrement dévoués. Les cernant dans un périmètre terriblement restreint : douze mille hommes.
Le lendemain. très tôt, dans [aube livide. Charette se réveille. Ses derniers fidèles sont allonges autour de lui son domestique Bossard et Pfeiffer, son garde du corps, un Allemand farouche et devoué comme un chien-loup, puis les survivants de son état-major : Samuel et Charles de l’Espinay de La Roche-Daveau, le chevalier de Gousinot, La Bouere… et puis l’épicier Joseph Renolleau. le bourrelier Pierre Morisseau. le forgeron Louis Sorin.
Charette a-t-il un pressentiment ? Il fait ses adieux a l’abbé Remaud, un prètre réfractaire qui le suit depuis longtemps :
— Vous me quitterez aujourd’hui. l’abbé. et vous passerez en Angleterre où vous direz a Monseigneur le comte d’Artois que je saurai mourir en chevalier français…
Il n’a pas le temps de finir…
— Les Bleus ! crie une sentinelle ou ouvrant brusquement la porte.
Il faut fuir. encore une fois. Courant a moitié courbe. Charette passe la Boulogne. Son petit groupe de tête se compose de Bossard et Pfeiffer du garçon meunier Jaunâtre et de Samuel de l’Espinay. Les autres suivent en peloton. [oreille aux aguets, le fusil à la main.
On arrive au hameau de La Guyonniére, un hameau tranquille.
— Allons, dit Charette, ils ne nous auront pas cette fois encore !
Il a parlé trop tôt. Sa présence aussitôt signalée. a déclenché un vaste mouvement d’encerclement. Fantassins et cavaliers convergent sur lui en provenance des Lucs au sud, de Montaigu à l’est et de Saint-Philbert au nord. A la sortie du village de La Guyonnière, qu’il traverse d’ouest en est, Charette tombe sur les grenadiers du général Valentin arrivant des Lucs.
Aussitôt, les Blancs se dispersent. Ils fonçent dans les chemins creux, sautent les haies. courent en ligne brisée, toujours talonnés par les grenadiers.
Charette est reconnaissable de loin avec son chapeau à panache blanc et à ganses d’or. Pfeif fer s’en rend compte. Il arrive par derrière, fauche le chapeau d’un geste du bras, s’en coiffe et met le sien sur la tête de son général. Puis il court comme un fou.
Il a vu juste ! Le tir se concentre sur la cible qu’il forme avec son panache. Atteint par trois balles, il culbute sur le sol. Des grenadiers s’élancent sur lui…
— C’est moi, Charette, dit-il.
Il meurt aussitôt. Le général Valentin accourt. Il exulte déjà ! Quel rapport triomphant il pourra faire à Hoche !
Il déchante immédiatement : ce n’est pas Charette qui gît à ses pieds. La chasse reprend.
Vers onze heures. Charette et les 35 hommes qui lui restent, prennent un peu de repos dans une ferme située au Sableau. Les habitants de la ferme ont disparu. Charette pose ses deux pistolets sur la table et coupe un morceau de pain. Il n’a pas le temps de le porter à sa bouche : des coups de feu claquent.
Charette, sans même reprendre ses pistolets, attrappe son espingole au vol et saute par la fenêtre. Avec trois de ses hommes, il se cache dans un taillis, juste le temps de tirer sur le général Valentin, de le rater, et de repartir en courant. Un quart d’heure plus tard, il rejoint ses hommes au hameau de La Boulaye.
Au même moment, le général Travot et 80 chasseurs entrent au château de La Chabotterie. A vol d’oiseau, il se trouve à peine à deux kilomètres de La Boulaye. Le château, à moitié incendié par la guerre vendéenne, se trouve sur la route qui monte de Belleville à Clisson. Travot décide une halte. Au moment où il se met à table, on lui amène un paysan qui a des révélations à faire. C’est un traître. On pense qu’il s’agissait du nommé Buet, et qu’il voulait venger la mort du curé de la Rabatelière abattu par les hommes de Charette. A l’entendre, il sait où se cache Charette, il est prêt à le livrer. Travot saisit ses armes et accompagné du capitaine Verges à la tete des quatre-vingt chasseurs, il part en courant avec le paysan.
Tout près de là, au hameau de La Boulaye. les Blancs se heurtent à la colonne du commandant Dupuy. Obligés de fuir à nouveau, ils foncent vers le nord-est, traversent au pas de course le village de La Morinière, puis enfilent un chemin passant au sud du château de La Chabotterie. li est midi. Sous les yeux ébahis des habitants, Charette et ses compagnons dévalent la petite route traversant le hameau du Fossé et s’engloutissent dans les taillis de La Chabotterie. Il suffit de les traverser pour atteindre le bois de l’Essart d’où il pourra gagner cette forét de Gralas où il sera en sûreté. Mais le chemin qui traverse les taillis est fermé aux deux extrémités par ce que les Vendéens appellent des « échaliers « . Ce sont des clôtures épaisses formées de ronces et d’épines, qui ne s’ouvrent que difficilement. On ne les déplace que pour le passage des charrettes et carrioles.
L’escalade du premier échalier se fait sans trop de mal. Il faut vite gagner l’autre bout du chemin. Encore une escalade, déjà plus pénible, puis Charette et ses derniers fidèles tombent sur le sol. se ramassent et détalent à toutes jambes. Mais. juste devant eux, surgissent Travot et ses chasseurs. Charette fait demi-tour, se hisse a nouveau sur l’espalier, non sans mal car son épaule droite a été atteinte par une balle la veille. et réussit à retomber de l’autre côté. Mais les deux issues sont bouchées, et quatre cents cavaliers cernent ce taillis de trois hectares.
Charette prend le parti d’essayer une sortie à travers la broussaille, vers le pré de la Musse. Mais il tombe sur le capitaine Vergés à l’affût. Le capitaine saisit ses deux pistolets et tire des deux mains a la fois en se précipitant sur le fugitif. Charette recule précipitamment, la figure inondée de sang car une balle l’a atteint au front, labourant le front en diagonale. Une autre penétre dans son épaule déjà blessée. Les forces lui manquent. Depuis le matin il court presque sans une halte dans une boue épaisse qui colle a ses bottes. Il n’en peut plus, il tombe et perd conscience. Son fidèle Bossard le prend sur ses épaules mais il n’a pas fait cinq pas qu’une balle l’abat raide mort. Samuel de l’Espinay se précipite alors et saisit le corps de son général sous les aisselles. Il veut le dissimuler derrière un fourré. Les Bleus surgissent de tous côtes. L’Espinay descend le premier, presque à bout portant, puis, criblé de balles s’écroule.