Jeter son froc aux orties
Posté par francesca7 le 20 mai 2014
Ces mots s’emploient, par extension, pour désigner l’acte de toute personne qui, par inconstance ou par découragement, renonce à exercer une profession ou à terminer ce qui était commencé
Dans le sens propre, c’est se dépouiller de la robe ecclésiastique pour prendre le costume civil, c’est-à-dire quitter l’église pour reprendre un rang dans le commerce du monde. Avant d’employer le mot froc, on appelait floc une houppe placée au capuchon du manteau des gens d’église. En dernier lieu, froc a servi à désigner la partie de l’habit monacal qui couvre la tête et tombe sur l’estomac et sur les épaules ; ce n’est que, par extension, que l’on a appliqué ce mot au vêtement tout entier.
Ainsi donc, prendre le froc, c’est se faire religieux ; porter le froc, c’est être moine et quitter le froc ou jeter le froc, c’est sortir du ministère de sa propre volonté ou malgré ses supérieurs. Quant au mot orties qui complète cette phrase, il a dû y être ajouté pour donner à entendre que le moine qui quittait le froc le faisait avec un tel empressement qu’il laissait accrocher et déchirer son vêtement aux orties qui bordaient les haies des champs et les murs des maisons et qu’il semblait ainsi se débarrasser de son froc en s’enfuyant.
Les exemples de l’emploi du mot froc ne manquent pas. On le rencontre d’abord chez un auteur du XVIe siècle, Régnier (1573-1613) qui l’a mis dans ce vers de sa satire 2 : « Il n’est moine si saint qui n’en quitta le froc », et dans un autre de la satire 9 : « L’on se couvre d’un froc pour tromper un jaloux. »
Notre grand Boileau (1636-1711) l’a intercalé dans ces vers :
L’ambition partout chassa l’humilité
Dans la crasse du froc logea la vanité.
et dans la satire 8, nous retrouvons ces autres vers à l’adresse d’un homme versatile et changeant volontiers d’état ou de parti :
Il tourne au moindre vent, il tombe au moindre choc,
Aujourd’hui dans un casque et demain dans un froc.
On peut encore citer les deux vers de Gresset, poète du XVIIIe siècle (1709-1777) qui, après avoir débuté dans l’état ecclésiastique, le quitta en 1735, et nous laissa ses réflexions à ce sujet sous la forme poétique :
Je laisse au froc la vertu trop fardée,
Qu’un plaisir fin n’a jamais déridée.
Si, quittant les poètes, nous voulons rechercher l’emploi de ce mot froc parmi les prosateurs, nous trouvons chez Madame de Sévigné (XVIIe siècle) cette phrase : « J’espère bien jeter un peu cet hiver le froc aux orties dans notre jolie auberge. » Puis, nous voyons dans Lesage (1668-1747) les lignes suivantes : « Je vous dirai que j’ai le dessein d’en faire un moine ; je le crois né pour le froc. » Ailleurs, il se sert encore de cette expression : « Il ne me croyait pas homme à pousser la dévotion jusqu’à vouloir prendre le froc. »
Citons encore pour terminer ces deux exemples ; le premier, emprunté à Grimm, l’un des plus célèbres critiques du XVIIIe siècle et auteur de contes très appréciés, voici la phrase : « M. de Mirabeau ne voit dans un moine qu’un homme qui vit de cinq sous par jour et voilà ce qui concilie son estime pour le froc. » Sainte-Beuve, un auteur contemporain, écrivait ceci sur Rabelais qui avait, comme Gresset, tâté de l’état ecclésiastique : « Rabelais quitta l’habit régulier, c’est-à-dire monacal, pour prendre l’habit de prêtre séculier ; il jeta, comme on dit, le froc aux orties et alla à Montpellier pour étudier la médecine. »
De toutes ces citations, prises un peu partout, il faut remarquer que le mot froc était du XVeau XVIIIe siècle d’un usage très fréquent, mais que, s’il n’est plus employé de nos jours, il a servi au moins à former deux mots dont l’un, aujourd’hui démodé, frocaille, désignant les gens de froc, a été employé par Piron, poète du XVIIIe siècle dans les vers suivants :
Tremblez, méchants ! la frocaille en tumulte
Passait déjà de l’espoir à l’insulte !
L’autre mot formé du mot froc est le mot défroque d’un emploi un peu vulgaire, il est vrai, mais que l’usage a consacré définitivement pour désigner de vieux habits, tout râpés et rapiécés. On emploie toujours cette expression avec une idée de mépris.
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