Moines et moineaux à y perdre son latin
Posté par francesca7 le 11 mai 2014
Les moineaux, lit-on souvent, seraient ou ne seraient plus des passereaux, la belle affaire… :
Le mot passereau est un mot qui n’a plus la moindre acception scientifique.
Et pourtant le Larousse de 1910 indique encore : « Passereau : – du latin passer, moineau – ordre d’oiseaux comprenant un grand nombre de petites espèces : Les moineaux, les merles sont des passereaux ».
De nos jours, les dictionnaires insistent mais font une concession à la science en écrivant passereau ou « passériforme » : oiseau généralement petit et de moeurs arboricoles, chanteur et bâtisseur de nids pourvu de pattes à quatre doigts, trois en avant et un, pourvu d’une forte griffe en arrière ».
Pas question de douter de la filiation de nos piafs passériformes actuels avec les moineaux romains, mais peut-être est-on en droit de s’étonner à l’évocation de la descendance chez un moineau quand on sait que le moineau est un petit moine… et qu’un moine normalement n’a pas de descendance… Le moineau tient son nom du fait que, comme les moines, il porte sur la tête une capuche.
Dans les ouvrages scientifiques, les passereaux n’existent plus, les moineaux sont définitivement, (pour le moment) devenus des passériformes.
Le moineau domestique (passer domesticus)
Domesticus veut dire en latin « de la maison ». Cette particularité souligne son penchant à vivre en compagnie des hommes. C’est l’espèce la plus courante en ville. C’est lui le compagnon des parisiens qui est devenu, le piaf, le titi, le pierrot.
Le moineau friquet (passer montanus)
Le moineau de la montagne plus exactement celui des campagnes. Pourquoi est-il friquet ? Surement pas parce qu’il est plus riche que ses cousins citadins mais parce qu’il est vif et élégant, qualités qui étaient réunies sous le qualificatif de friquet en ancien français.
Si c’est là la vie que tous les moines fond… Je ferais moine…
Les moineaux, qui ne sont pas avares de démonstrations lorsqu’il s’agit d’étaler leurs ardeurs sexuelles au nez des bourgeois, ont acquit une réputation d’être des chauds lapins. Le moineau, le petit moine est, depuis le Moyen-âge, envié pour sa tonicité et connu pour sa lubricité.
Et puis les moines eux-mêmes sont parfois regardés comme de drôles de gens sinon de drôles d’oiseaux :
Extraits d’une oeuvre de Charles Esmangart , Fiction , parue en 1823 où il est question de la très fantaisiste Monachologie des spécimens de Ignace de Born traduite par Jean Anti-Moine et reprenant allégrement le livre V du Pantagruel de Rabelais et décrivant le moine à la manière d’un Linné ou d’un Buffon : « Définition. Voici la manière dont il définit le type général. Le moine: animal à figure humaine (anthropomorphum), avec un capuchon, hurlant pendant la nuit. »
Voici quelques traits de la description qu’il en fait: le corps bipède, droit; le dos courbé, la tête penchée en avant, toujours armée d’un capuchon. Animal avare, immonde, fétide, altéré, oisif, supportant plutôt le besoin que le travail. Les moines se rassemblent en troupe au soleil levant ou couchant, et surtout dans la nuit ; quand l’un d’entre eux crie, tous se mettent à crier; ils accourent au son des cloches ; ils marchent presque toujours par deux ; ils se couvrent de laine; ils vivent de butin et de quêtes; ils disent que le monde n’a été créé que pour eux ; ils se multiplient furtivement, exposent leurs petits, attaquent ceux de leur propre espèce, et dressent des embûches à leurs ennemis. La femelle ne diffère du mâle que par un voile qu’elle a toujours sur la tête. Les jeunes aiment à jouer, regardent de tous côtés autour d’elles, saluent les mâles d’un signe de tête. Les adultes et les vieilles sont malignes; elles mordent, elles montrent leurs dents quand elles sont en colère ; elles disent ave quand on les appelle : leur permet-on de parler, elles jasent toutes à-la-fois; au son des cloches elles se taisent tout-à-coup. »
« Différences. L’homme parle, raisonne, a une volonté; le moine le plus souvent est muet, ne raisonne pas, et n’a point de volonté, car il est entièrement soumis à son supérieur. L’homme porte sa tête élevée, le moine la porte penchée; les yeux toujours fixés contre terre. L’homme gagne son pain à la sueur de son front; le moine s’engraisse dans l’oisiveté. L’homme habite avec ses semblables ; le moine cherche la solitude, se cache, fuit le grand jour, d’où il suit que le genre moine est un genre de mammifères très distinct du genre humain, et qu’il est intermédiaire entre l’homme et le singe, duquel il se rapproche pourtant davantage, attendu qu’il n’en diffère guère que par la voix et la qualité de ses aliments. »
Expressions
Tirer sa poudre aux moineaux signifie faire de la dépense pour quelque chose qui n’en vaut pas la peine.
Manger comme un moineau signifie manger très peu.
Voilà une belle maison, s’il y avait des pots à moineaux, se dit pour se moquer d’une maison de campagne.
Synonymes
Les moineaux sont des mochons dans les Ardennes, des moissons en Normandie, des moigneaux dans le Berry.
La femelle s’appelle moinelle.
Homonyme
Un moineau est un élément de fortification.
Les relations entre les hommes et les moineaux
Les moineaux n’ont guère à se plaindre de leurs relations avec les hommes. Efficace ramasse-miettes, il trouve toujours leur provende à leur contact.
Ils doivent quand même déplorer la disparition des chevaux. Autrefois de belles et bonnes graines et de gentilles petites bébêtes étaient généreusement stockées dans les crottins et redistribuées par la plus noble conquête de l’homme citadin.
Les moineaux de Pékin et la révolution culturelle
Dans les années soixante, alors que la révolution culturelle triomphante finissait d’affamer ses enfants, les moineaux furent les victimes de l’aveuglement des stratèges du parti. Constatant qu’il y avait des millions de moineaux à Pékin, que ces moineaux à force de voler quelques grains de riz par jour aux masses laborieuses, soit en comptant comme les économistes maoïstes qu’ils s’appropriaient des milliers de tonnes de nourriture par ans, il fut décidé de tuer tous ces salauds de moineaux petit-bourgeois, devenus officiellement ennemi du peuple. Il fut ordonné de les éliminer à la chinoise en obligeant les pékinois à taper nuit et jour sur des gamelles. Ne pouvant plus se poser ni se reposer les oiseaux finirent tous par crever.
Devant un si beau résultat, la propagande fit ses choux gras de ce succès révolutionnaire mais omit bien sûr de parler des mouches qui, quelques semaines plus tard rendirent la vie impossible, même au Grand Timonier et à sa clique.
A défaut de grives pas question de manger des moineaux
Les moineaux, sauf lorsqu’ils sont volontairement ou pas confondus avec des becs-figues ou des ortolans ne figurent jamais sur les menus des gastronomes.
Cette situation privilégiée devrait leur permettre d’envisager l’avenir avec optimisme. Pourtant les populations de moineaux sont en chute libre ces derniers temps. Même s’ils sont toujours aussi « lubriques » nos petits moines fond de moins en moins de nichée. Pleins des insecticides qui trucident leurs proies, ils ne sont « plus bons » car devenus stériles et n’ont plus de descendance.
Article réalisé par Jean-Pierre Fleury.
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