Le passage de la Loire
Posté par francesca7 le 8 mai 2014
Commencé le 18 octobre 1793 à l’aube, le passage de la Loire s’achève tard dans la nuit du même jour. Le souvenir de cette journée sera évoqué en ces termes par la future marquise de La Rochejaquelein : « La plupart des paysans se trouvèrent à Saint-Florent bien avant les officiers, s’étant enfuis plus vite ; la moitié de l’armée y arriva donc la nuit. Les quatre mille Bretons ou Angevins, habitants de la rive droite de la Loire, qui avaient suivi MM. de Talmont et d’Autichamp, amenèrent des bateaux; Ils appelaient à grands cris les Vendéens et leur répétaient : « Venez, mes amis, dans notre pays ; tout le monde y est aristocrate, vous ne manquerez de rien « .
Nos gens, qui étaient tous saisis d’une terreur panique, se jetèrent en foule dans les bateaux. Quand les officiers arrivèrent au point du jour, c’était un spectacle étonnant et qu’on ne reverra jamais. Nous étions à Saint-Florent, les uns disent cent mille, les autres soixante-dix mille, dans k nombre environ dix mille femmes, dames ou paysannes, et à peu près autant d’enfants et de blessés. Tous ces gens s’échappaient du massacre et de l’incendie : on voyait la fumée des maisons où les hussards mettaient k feu, à deux lieues de nous. A cet endroit, la Loire a une petite île, plus près de Saint-Florent que de Varades ; il y avait une vingtaine de bateaux; les Vendéens se précipitèrent dedans ; d’autres passaient à la nage, ou sur les chevaux qu’un gué conduisait jusqu’à l’île. Cette île et les deux bords de la Loire étaient remplis de monde; chacun s’appelait, se culbutait; ceux qui étaient à Saint-Florent tendaient les bras aux autres ; il semblait que le fleuve une fois passé, toutes nos peines seraient finies. La plupart des officiers étaient sur la rive, tâchant de retenir les soldats, mais ceux-ci n’écoutaient rien. »
Au malheureux Lescure lui murmurant : « Si je tenais le jean-foutre qui nous fait passer la Loire, j’utiliserais mes dernières forces pour lui brûler la cervelle », La Rochejaquelein aurait pu répliquer que c’est tous les Vendéens qu’il aurait alors fallu tuer sur place. Combien sont-ils à avoir ainsi franchi le fleuve ? Soixante-dix mille à cent mille, si l’on en croit Victoire de Donnissan, dont, précise-t-elle, vingt mille sont des non-combattants. Kléber parle, de son côté, de soixante mille combattants, «sans comprendre prêtres, femmes et enfants ». Le nombre total, impossible à fixer avec précision, doit se situer entre soixante et quatre-vingt mille personnes ; celui des combattants effectifs, de valeur d’ailleurs très inégale, entre trente et quarante mille.
L’échec de Granville
C’est à partir d’Avranches où ils sont cantonnés et où un début de sédition contraint La Rochejaquelein à laisser une partie de l’armée que les Vendéens vont mener l’opération le 14 novembre. Ils bousculent tout d’abord l’avant-garde républicaine puis pénètrent dans le quartier Saint-Nicolas, faubourg extérieur aux hautes murailles qui protègent le port. Pendant deux jours on se bat avec acharnement d’un côté comme de l’autre. Pour chasser les Vendéens qui sont parvenus à occuper une rue, les défenseurs dirigés par le commissaire Jullien et par le général Varin incendient les maisons de cette rue.
A Paris, le Comité de Salut public apprenant ce qui se passe à Dol, à Avranches et à Granville s’inquiète et donne l’ordre à son représentant Jean Bon Saint-André de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour devenir maitre de la situation :
Les brigands, lui écrit le Comité de Salut public, se sont échappés à travers le département de la Mayenne qu’ils ont affamé ; ils ont battu trois fois nos bataillons à Fougères. Cet échec peut favoriser leur arrivée à la mer pour la terreur qu’ils ont répandue. Plusieurs représentants sont dans les départements environnants mais il leur manque de l’énergie. C’est toi que nous avons cru devoir choisir pour remplir cette importante et pressante mission. Nous t’engageons à partir pour Cherbourg sur-le-champ et tu sauveras la République dans cette partie qui communique d’une manière si dangereuse avec nos plus cruels ennemis. »
A Granville, la lutte se poursuit et I’on se bat au corps à corps avec d’un côté comme de l’autre des succès et des échecs. Du sommet des murailles, l’artillerie bleue ravage les rangs des assiégeants. La Rochejaquelein adresse alors un appel aux habitants de la ville :
Messieurs, les généraux et commandants de l’Armée catholique et royale préférant, comme ils l’ont prouvé dans tous les temps, la conquête des coeurs à celle des villes et des forts les plus redoutables, n’ayant. en raison des motifs purs et sacrés qui les animent, d’autre but que d’assurer, par la clémence, les fondements d’un trône que la plupart d’entre vous gémissent de voir si indignement renversé (…) vous proposent d’épargner le sang français si cher à leurs coeurs. Ils vous proposent d’ouvrir les portes de votre ville sans coup férir.
Un peuple d’amis entrera dans vos murs avec le rameau d’olivier, pour y faire règner, à l’ombre de l’autorité royale, l’ordre, la paix et le bonheur que vos tyrans vous ont si souvent promis. mais en vain (…). Libres de nous avoir pour amis ou ennemis, si vous préférez le dernier parti, songez que les indomptables habitants de la Vendée. vainqueurs et destructeurs des garnisons de Valenciennes et de Mayence, sont à vos portes, et qu’ils vont les ouvrir par le fer et par le feu. »
Cet appel n’est pas entendu. En criant au quai ! au quai !, La Rochejaquelein. Stofflet, Marigny, Forestier tentent alors, par les rochers. de prendre la ville a revers. Vainement. Embossées dans le port, deux barques canonnières les repoussent. Leur reflux achève de démoraliser l’armée vendéenne qui bat en retraite, renonçant à Granville. Habitués aux succès rapides, les Vendéens ont tendance à lâcher pied quand la résistance s’éternise.
Jusqu’ici, l’exode s’est fait dans des conditions matérielles et morales difficiles, certes, mais quelque soixante mille personnes sont parvenues, en moins d’un mois, à couvrir plus de trois cents kilomètres, en trouvant, vaille que vaille, des solutions aux problèmes de cantonnement et surtout de ravitaillement que posait le déplacement d’une telle cohue. Qui plus est, les Vendéens ont réussi à battre les redoutables troupes de Kléber à Entrammes et à faire capituler les petites garnisons des villes devant lesquelles ils se sont présentés : la terreur qu’ils inspirent est pour eux un allié précieux, de même que la médiocrité de l’armée républicaine, paralysée notamment par les divisions au niveau du commandement. Et quelles que soient les terribles fatigues qu’entraîne cette marche harassante dans des chemins défoncés par les pluies d’automne, et les doutes qui commencent à se faire jour, la perspective d’atteindre un port où l’on pourra se mettre sous la protection des Anglais soutient le moral de tous. C’est pourquoi l’échec devant Granville a une si profonde répercussion.
Si le trajet d’aller avait été difficile, le retour s’opère dans des conditions dramatiques. En effet, le nombre des blessés et des malades ne fait que croître. Et le ravitaillement devient de plus en plus problématique, car, jusqu’à Laval, les Vendéens reprennent la route de l’aller et traversent des villes et des villages qu’ils ont vidés de toutes leurs ressources alimentaires quelques jours ou quelques semaines plus tôt. Seuls peuvent espérer trouver quelque chose les maraudeurs s’éloignant toujours plus loin de la colonne, au risque de se faire massacrer. Les moins chanceux, qui sont les plus nombreux, trompent leur faim avec des pommes à cidre. Par ailleurs, les conditions sanitaires sont de plus en plus déplorables et la dysenterie fait bientôt des ravages, clairsemant les rangs et laissant le triste sillage de morts et de mourants propageant le mal à leur tour. De ce seul fait, le nombre des combattants s’amenuise.
Le 18 novembre, les Vendéens arrivent devant Pontorson et battent les troupes de Tribout. Le 20, ils arrivent à Dol. Le lendemain matin, Westermann, qui commande la cavalerie républicaine, attaque la ville, mais échoue. Le soir, il renouvelle sa tentative et est à nouveau repoussé. Le 22, Stofflet pénètre par surprise dans Antrain et massacre les républicains qui s’y trouvaient ; les survivants, terrifiés, fuient jusqu’à Rennes, Angers et Nantes. La route du retour est donc libre.
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