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LA JOURNÉE D’UN MÉDECIN

Posté par francesca7 le 6 mai 2014

par

L. Roux

~ * ~

sspl10432088UN médecin de Paris qui a une clientèle, un service dans un hôpital, un titre à la Faculté et des chevaux à l’écurie, quelquefois même un éditeur, ce médecin-là étant surtout au monde pour les besoins de ceux qui souffrent, se lève à cinq heures du matin pour rédiger, à tête reposée, ses observations sur les maladies de la veille, en grossir ses oeuvres complètes ou les envoyer au journal du lendemain. L’heure de son hôpital (sept heures) l’arrache à ce travail de cabinet. Il s’y rend à pied ou en demi-fortune. Il met, dans tous les cas, une précision mathématique à arriver à l’heure. Cette ponctualité lui donne le droit d’être très-sévère envers les élèves retardataires ; il en use quelquefois, mais il n’en abuse jamais. A l’hôpital il est chef de service ; ses malades, sa clinique, ses opérations l’absorbent tout entier jusqu’à dix heures.

Dupuytren s’était fait une loi de ne céder à aucune instance venue du dehors, en ce moment-là, de n’être distrait pour aucun motif de ce service des pauvres, exemple admirable et qui prouve beaucoup en faveur du caractère de ce grand chirurgien.

Il y a à l’Hôtel-Dieu, d’après un usage antique et solennel, une flûte qui doit servir au médecin de repas du matin. Les nouveaux médecins s’abstiennent d’y toucher avec un religieux respect ; Dupuytren prenait toujours cette flûte, par égard pour la tradition et peut-être aussi pour son estomac.

Il est onze heures quelquefois, et le médecin n’a pas quitté le tablier, ne s’est pas appartenu un seul instant.

Il rentre chez lui avec un appétit féroce. Quelques malades l’attendent dans une antichambre. Il se dit très-occupé et il ne tarde pas à l’être en effet ; il y aurait conscience de l’arracher à ses préoccupations. En ce moment, donnât-il des consultations, il n’aurait, je pense, le courage de mettre personne à la diète. Mais après avoir fait la part de ses appétits, le médecin reçoit sa clientèle à domicile. Ce sont les malades du quartier, qui ont trouvé le moyen ingénieux d’économiser une visite, et qui viennent surprendre à moitié prix une guérison qu’ils payeraient bien cher dans leurs foyers.

Le médecin monte aussitôt après en voiture, consulte sa liste de visites, et se fait descendre chez ceux qu’il nomme à juste titre ses malades.

Il y en a de tous les étages, de tous les quartiers, de toutes les professions, de tous les cultes, de tous les rangs et de tous les idiomes. Ici la maladie dérive d’une passion ; là la passion prend le caractère d’une maladie ; ici l’indigence se cache sous le luxe ; là c’est la richesse qui est enfouie sous des haillons. Une des propriétés du médecin, c’est de voir l’homme à nu et à toutes les heures de la journée. Selon l’épidémie qui court, le médecin prodigue la saignée ou les purgatifs, les stimulants ou les antiphlogistiques ; il n’a quelquefois qu’une seule corde à son arc : elle lui réussit à tous coups, à ce qu’il dit, du moins. Il faut rendre cette justice au médecin, qu’il demande peu de chose aux gens de lettres, et on l’accuse de méconnaître le génie ! Le médecin le connaît intus et in cute, et le traite par des douches. C’est assez bien formulé pour un médecin !

Quel homme, au reste, est aussi impatiemment attendu que le médecin ? Entouré, pressé, flatté, interrogé comme un oracle, on croit qu’il ne rencontre que des visages tristes ; mais au contraire il n’en peut rencontrer que d’épanouis, ouvertement ou en secret. Est-on convalescent ou mort, il y a toujours quelqu’un qui se réjouit.

Rien n’afflige dans le médecin que son absence ; l’impossibilité de l’avoir montre de quel prix il peut être pour un malade.

Sa journée étant tout son revenu, il la fractionne en autant de coupons qu’il a de malades. Un des principes de sa pratique, c’est de parler peu et d’écouter encore moins ; les médecins qui parlent peu inspirent généralement plus de confiance.

Le médecin, outre le personnel flottant de ses malades, a le cadre réglé de ses occupations, et dans ce tissu si dense, si serré, qui compose un de ses jours, comme pour les simples mortels, d’une durée moyenne de vingt-quatre heures, il faut qu’il loge les appels en consultation, les visites d’extra à la campagne, les voyages en poste qui arrachent à grands frais un médecin à son centre de vitalité, à son quartier général. Si l’on réfléchit qu’il est, en outre, membre de plusieurs sociétés savantes, de plusieurs conseils de salubrité, de plusieurs comités ou autres choses de bienfaisance, on a peine à se rassurer en pensant qu’il a l’Académie royale de médecine pour se reposer.

Il rentre chez lui à deux heures pour sa consultation. C’est une de ces heures religieuses qui fixent invariablement le médecin à la même table, en face du même buste d’Hippocrate. Il y a là recomposition pour lui de ce kaléidoscope d’infirmités, qui les lui représente en faisceau à l’hôpital, disséminées ensuite sur la surface des douze arrondissements, puis groupées de nouveau dans son antichambre, infirmerie plus élégante que la première, mais qui n’en est qu’une variété. Dupuytren, le même homme que nous avons vu professer avec une si noble abnégation le sacerdoce de l’art, procédait aussi avec une dignité hippocratique à cette consultation. Un secrétaire placé dans un salon à côté de son cabinet était chargé d’en recevoir le prix, invariablement fixé à cinq francs. La consultation est le tribunal de la pénitence de la médecine : tout le monde n’en peut pas sortir avec l’absolution ; beaucoup reviennent la chercher.

Chaque malade a pris quelques minutes du temps si précieux de l’homme de l’art. Il interroge la pendule avec anxiété, et se voit parfois forcé de suspendre ses consultations, comme il a suspendu ses visites. Nous parlons des exceptions, c’est-à-dire des célébrités médicales. Le temps passe beaucoup moins vite pour les médecins qui ne sont pas célèbres, ou pour les autres célébrités qui ne sont pas médecins.

Pour le médecin, c’est l’heure d’une nouvelle toilette ; ses clientes du grand monde l’attendent pour avoir de lui le bulletin de leur santé. La toilette d’un médecin doit être doctorale : habit noir, chemise à jabot d’une extrême finesse, ampleur de vêtement ; encore jeune, il peut avoir la taille serrée, des gants jaunes et des bottes vernies ; mais ce dandysme facultatif fait sourire les vieilles réputations.

Le médecin a équipage pour cette seconde visite. Il est moitié homme du monde et moitié médecin. Il ne manque jamais de donner à corps perdu dans une invitation à dîner, qu’il refuse d’un habitué au Rocher de Cancale, pour avoir le droit d’en esquiver une autre à la fortune du pot d’un académicien de ses amis, et cela parce qu’il tient à faire un bon dîner. Un médecin dîne chez soi et presque jamais autre part.

Le dîner d’un médecin est quelque chose d’hygiénique et de confortable à la fois, basé sur les lois de la tempérance et sur les raffinements de la sensualité. Brillat-Savarin était très-médecin ; aussi tous les médecins tiennent un peu de Brillat-Savarin. Le dîner semble attaché à la profession : c’est une des spécialités internes qu’il cultive avec le plus d’art. Il n’admet à sa table qu’une société plus choisie que nombreuse de gens qui savent manger. Au surplus, sous le couvert de son invitation, on peut avaler sans crainte et même s’indigérer sans scrupule. Les mets, calculés sur le tempérament des convives, sont un brevet de santé pour une huitaine au moins. Un médecin garantit ses convives sains et saufs jusqu’à la visite de digestion. On doit pardonner à ce repas d’être secundum artem, puisqu’il doit porter la compensation des longues fatigues entreprises au nom de l’art.

Au salon on parle encore médecin ou littérature médicale, saupoudrée de quelques nouvelles politiques, de promotions à la Faculté, d’épidémies à la mode ; c’est l’heure où le médecin se résume, compte ce qu’il a ajouté à son blason, se représente le tableau de l’actualité et s’applaudit ordinairement d’être né médecin.

200px-Florence_NightingaleLe médecin fait assez volontiers une apparition à l’Opéra, surtout s’il est médecin du théâtre ; mais il faut qu’une pièce soit bien en vogue pour l’attirer à un autre spectacle : d’où il est logique de conclure que les drames qui ont été vus par les médecins ne sont jamais les plus malades. D’ailleurs, tout est drame pour le médecin. A lui la science des affections et des passions, comme au notaire celle des intérêts. Le médecin a trop vu mourir pour s’intéresser beaucoup à un faux semblant de mort ou d’empoisonnement. S’il pouvait complétement se faire illusion sur ses illusions, il s’enfuirait peut-être au troisième acte d’un drame, de crainte qu’on ne vînt le chercher au cinquième pour porter secours à quelqu’un.

La médecine, voilà le grand élément de l’existence du médecin ; parlez-lui médecine, même au théâtre, vous êtes toujours sûr de l’intéresser. Une nature artiste voit dans le médecin un homme à interpréter ; le médecin voit dans le poëte un cas de physiologie à étudier.

Le médecin est à sa vocation toute la journée : qu’on le prenne à telle heure qu’on voudra, il se meut toujours au nom d’un principe, le principe vital ; il y échappe, mais avec peine, la nuit, pour surprendre quelques heures de sommeil. Il fait verrouiller sa porte, veiller son portier, son domestique ; il est partout pour les solliciteurs, excepté dans son lit.

Quels sont les plaisirs du médecin ? quelles sont ses affections, ses passions, ses manies ? En a-t-il ? a-t-il le temps d’en avoir ? Qui le croirait ! lui qui n’a jamais une minute, qui est toujours en retard de plusieurs secondes sur l’éternité, lui qui dévore le temps, il a celui d’être antiquaire, horticulteur, bibliomane, artiste, collectionneur ; quant à naturaliste, microscopiste, anatomiste, cela rentre dans l’état. Vous trouverez quelquefois le plus grand médecin de Paris occupé à des riens, et tout plein de son sujet. Combien la pauvre humanité ne doit-elle pas souffrir dans ces moments-là !

Le dimanche c’est encore pis ! Le médecin a une maison de campagne où il se rend comme un simple bourgeois. Sa calèche, spacieuse comme un char des pompes funèbres, s’ouvre pour lui et sa nombreuse famille ; et sans que l’on sache ni pourquoi ni comment, le dimanche, la journée du médecin est un peu celle de tout le monde. Mais prenez le médecin sur semaine, alors qu’il est le plus médecin : de l’hôpital à la Faculté, de la Faculté dans son cabinet, de là chez ses clients, ne sachant auquel entendre, toujours en lutte avec le principe délétère de notre nature, asservi, en outre, à nos caprices, à nos fantaisies, à nos imaginations, subissant la plus impérieuse des servitudes, celle d’être souvent utile, toujours indispensable ; vous le trouverez sans cesse agissant, portant la santé, la consolation partout, ne se fixant nulle part ; et la journée du médecin, si pleine d’oeuvres recommandables, est un des problèmes de la science et de la société.

Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 

 

 

Publié dans ARTISANAT FRANCAIS, LITTERATURE FRANCAISE | Pas de Commentaire »

LE CONDUCTEUR D’OMNIBUS

Posté par francesca7 le 6 mai 2014

 

par

Charles Friès

~ * ~

images (11)C’EST une triste destinée que celle du conducteur d’omnibus.

D’un bout de l’année à l’autre, on le voit, rivé à son marche-pied comme le forçat l’est à sa chaîne, poursuivre son éternel pèlerinage à travers les mêmes rues, les mêmes quais, les mêmes boulevards.

La pluie, le vent, le froid, la grêle, rien n’arrête dans sa course ce juif errant d’un nouveau genre. Pour lui, jamais de répit ! Marche ! Marche ! tel est le cri qui bourdonne sans relâche aux oreilles de ce malheureux qu’on a plaisamment qualifié d’image vivante du repos dans le mouvement.

Etrange paradoxe ! car il n’est pas sous le ciel d’existence plus occupée, plus laborieuse et qui soit semée de plus de tribulations que la sienne.

– A la bonne heure, me direz-vous, mais il est sans doute largement rétribué. – Du tout, il n’en est rien ; son traitement est des plus modiques. Travaillant tout le jour, et même une partie de la nuit, il reçoit à peine le salaire du moindre manoeuvre. Aussi serez-vous bien surpris d’apprendre que, pour parvenir à exercer ce métier pénible et ingrat, on trouve autant de difficultés à vaincre, autant de rivaux à écarter, que s’il s’agissait d’une place d’employé dans un ministère ou d’auditeur au conseil d’État.

Celui que des revers de fortune, l’inaptitude pour une profession différente, ou toute autre raison, obligent à chercher du service comme conducteur dans cette administration, qui avait jadis pris pour devise : l’industrie féconde l’industrie, doit d’abord se faire recevoir surnuméraire. Cette faveur insigne ne lui sera accordée que s’il est vigoureusement épaulé par les gens les plus recommandables, et après, toutefois, qu’il aura satisfait à toutes les conditions de l’ordonnance de police concernant les conducteurs de voitures dites du transport en commun.

Une fois admis, le néophyte est invité à verser un cautionnement de 200 fr., dont on juge superflu de lui payer les intérêts, et qui lui sera d’ailleurs restitué aussitôt qu’il exprimera le voeu de se démettre de ses fonctions.

Il lui faut ensuite songer à son équipement. S’il n’a pas les fonds nécessaires à cet usage, l’administration se charge de le faire habiller, en se réservant de retenir plus tard tant par semaine sur ses appointements, jusqu’à ce qu’il se soit libéré envers elle.

Maintenant que la plaque de métal brille sur la poitrine de notre homme, qu’il a revêtu son habillement de drap bleu, composé, comme vous savez, d’une casquette polonaise, d’une veste avec quelques broderies d’argent au collet, et d’un pantalon garni de basane, – costume qu’il porte invariablement dans la canicule et par la gelée la plus âpre, – il peut commencer sa nouvelle carrière. A cet effet, il se rend tous les matins à l’un des dépôts qui lui est assigné, afin de remplacer, au besoin, celui des conducteurs en pied (titulaires), qui ne répond pas à l’appel. De même que ce dernier, il touche pour chaque jour de travail 3 fr. 25c., desquels il faut retrancher 15 cent., consacrés par lui au brossage de sa voiture. Ajoutez à cela les amendes, les suspensions ou mises à pied, et vous conviendrez avec moi qu’à moins d’avoir quelque inscription au grand-livre, on ne saurait guère se permettre un pareil état.

Pendant tout le temps de son noviciat, dont la durée est de six, huit mois, un an et quelquefois plus, le surnuméraire voyage indistinctement dans toutes les directions ; il n’a pas de ligne attitrée. Passe-t-il en pied ? il procède d’une autre manière, et se voit contraint de rester fidèle à la même ligne, qui est toujours une des plus longues et des plus fatigantes ; celles plus courtes, et où il y a moins de tracas, revenant de droit aux employés les plus anciens.

A présent, nous allons, si vous le voulez bien, suivre le conducteur dans une de ses courses. Pour cela, transportons-nous en imagination dans le premier omnibus venu ; prenons, par exemple, celui qui, partant de l’Odéon, va nous conduire jusqu’à la barrière Blanche, en traversant Paris dans presque toute sa largeur.

Le chef de station a reçu le matin sa minute, c’est-à-dire l’heure de départ de chacune des voitures desservant la ligne à laquelle il est attaché ; attaché est le mot, car il ne peut sous aucun prétexte, s’éloigner un seul instant de son bureau. Il faut qu’il soit toujours là pour porter sur son registre le nombre des voyageurs payants et celui des correspondants amenés à chaque course, pour écouter les réclamations des personnes qui auraient quelque plainte à former contre un conducteur, et surtout pour veiller à ce que les départs se fassent de la manière voulue.

A un coup de sifflet parti du bureau, le cocher, alerte au commandement, s’élance sur son siége et fouette ses chevaux, après s’être préalablement attaché au bras gauche le cordon qui lui transmettra les ordres du conducteur, lorsqu’il faudra suspendre la marche ou la continuer.

Le conducteur est muni de sa feuille de route, dont la perte lui vaudrait une amende de 2 fr., et sur laquelle est inscrite l’heure précise où il a quitté la station, afin que le chef de la station opposée puisse vérifier si le parcours a été franchi dans le temps donné.

S’il ne veut pas encourir la peine d’une amende de 50 cent., le conducteur doit, en montant sur le marche-pied, accrocher, à côté du cadran, un petit écriteau indiquant combien il a déjà fait de courses dans sa journée.

Dans la semaine, le nombre des courses varie, suivant la longueur des lignes, de seize à vingt ; les dimanches et les jours de fête, on augmente parfois ce nombre, sans ajouter pour cela de nouvelles voitures, mais en accélérant la marche, ou, pour me servir du terme technique, en chassant davantage.

D’après ceci, il est clair, pour quiconque connaît un peu son Paris, que le conducteur fait chaque jour une promenade d’au moins vingt-cinq lieues ; au bout d’une année il a donc parcouru, en tournant sans cesse dans le même cercle, l’énorme distance d’environ dix mille lieues. On trouverait difficilement, je crois, quelqu’un dont on pût en dire autant.

images (13)Attention, je vous prie ! voici venir pour le conducteur l’acte le plus délicat de sa charge. Il s’agit de faire fonctionner cette mécanique ingénieuse appelée cadran ; symbole éclatant d’égalité sur lequel le riche et le pauvre sont cotés au même taux, et que beaucoup de fort honnêtes gens prennent encore pour une horloge. Malheur, malheur à lui s’il omettait de sonner un voyageur ! rien au monde ne saurait l’excuser. A la première faute de ce genre, il est frappé d’une amende de 5 francs ; à la seconde, l’amende est doublée, et, à la troisième, il est irrévocablement renvoyé.

– Eh ! mais, quel est ce monsieur, à la redingote hermétiquement boutonnée, au chapeau de cuir verni, qui vient tout à coup de s’abattre sur le marche-pied, avec la rapidité du vautour fondant sur sa proie ?

– C’est un inspecteur ambulant, une mouche, comme on les appelle, qui a pour mission de s’assurer si le nombre des voyageurs correspond au chiffre indiqué sur le cadran. Après avoir acquis la certitude que le conducteur n’est pas en fraude, il se fait exhiber la feuille de route, y appose son visa au moyen d’un timbre, – le tout sans proférer une syllabe, – et disparaît comme il est venu.

Tous les voyageurs ont été scrupuleusement sonnés ; le conducteur se trouve ainsi responsable du prix de chaque place.

…………………………………….

Déjà nous apercevons les arbres du boulevard extérieur : nous ne sommes plus qu’à une portée de pistolet de la barrière. Ici seulement le conducteur peut, sans s’exposer à être puni, quitter le marche-pied, et s’asseoir sur la banquette.

Enfin nous arrivons à la station. – Il va porter sa feuille de route au chef du bureau, remonte son cadran, et se tient prêt à partir au premier signal. – Est-il parvenu à sa dernière course ? Ne croyez pas qu’il soit au bout de ses peines. Il lui reste encore à se rendre au dépôt, afin de verser sa recette entre les mains du comptable.

Cette recette varie, suivant la bonté des lignes, depuis 35 jusqu’à 100 francs ; elle dépasse rarement ce dernier chiffre.

Passons maintenant au chapitre des gratifications réservées au conducteur.

Si, pendant une année entière, il n’a pas mérité la moindre réprimande, la plus petite amende, s’il n’a pas été une seule fois mis à pied, s’il a toujours été poli avec ses chefs, et qu’aucune plainte du public ne se soit élevée contre lui, il reçoit alors une gratification de 20, 30 ou 40 francs, qui lui sont retenus pour ses frais d’habillement.

Voilà les seules récompenses auxquelles il puisse prétendre, car il n’est pas pour lui d’avancement possible, pas de pension à espérer pour sa vieillesse ! Ce qui peut lui arriver de plus heureux, après de longues années de service, c’est d’obtenir une place de chef de station : c’est là son bâton de maréchal. Et notez bien qu’une fois promu à cette charge, ses appointements restent les mêmes qu’auparavant ; seulement, n’ayant plus de fonds en maniement, il est débarrassé de toute responsabilité.

Eh bien ! qu’en dites-vous ?

Est–il un sort pire que celui-là, et ne devons-nous pas quelque pitié au pauvre conducteur d’omnibus ?

Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 

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LES MAÎTRES CHANTEURS

Posté par francesca7 le 6 mai 2014

 

par

Francis Guichardet

~ * ~

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LES philologues des prisons n’ont pas encore établi d’une manière exacte et positive l’origine du mot chanteur, qui est venu enrichir la langue française en prenant depuis quelques années une nouvelle signification. Si nous nous en rapportons aux littérateurs de la Force, et aux grammairiens de la police correctionnelle, faire chanter signifie exploiter la crédulité, les vices, et la poltronnerie de certaines gens, et leur soutirer de l’argent à l’aide de promesses ou de menaces. Nous croyons donc rendre hommage aux autorités compétentes, et éclairer un point obscur des vocabulaires d’argot, en accordant le titre de maître chanteur aux sommités de la profession, aux professeurs habiles qui donnent, à des prix plus ou moins élevés, de savantes leçons aux élèves de leur choix.

Et cependant, les membres habiles de cette dangereuse corporation n’ont encore rien eu à démêler avec la justice. Bien que leur existence soit liée à tout ce qu’il y a de plus abject dans ce monde d’escrocs, de joueurs, de tripoteurs d’affaires véreuses, d’usuriers, d’industriels sans industrie, qui se répandent chaque matin sur le pavé de Paris, ils ont su conserver de belles relations, de nombreuses connaissances, même des amitiés parmi cette société toute parisienne, composée de gens qui, mettant en première ligne la dissipation, l’agitation et le plaisir, s’inquiètent assez peu de la moralité et des ressources des compagnons de leurs débauches. Grâce à cette indifférence, ils peuvent à leur aise choisir le terrain de leurs exploitations, et se mettre à l’abri d’une surveillance trop active. Et puis, qui songe à s’enquérir de leurs moyens d’existence ? N’ont-ils pas toutes les apparences du comfortable et du bien-être ? Ne font-ils pas partie de cette jeunesse dorée, dont le crédit s’est fondé sur des espérances imaginaires ou sur une fortune depuis longtemps dissipée ? Ne sont-ils pas toujours et partout charmants convives, beaux joueurs, causeurs amusants ? N’ont-ils pas ce premier vernis d’instruction qui suffit à la population flottante dont ils s’entourent, et qui attire ces intimités de rencontre si faciles à contracter ? Lorsque, dans leurs jours de fortune, ils ont joué le rôle d’amphitryons, ne l’ont-ils pas fait avec une magnificence digne d’un millionnaire de bon goût ? Si, parfois, dans les moments difficiles, ils usent largement de la bourse de leurs amis, en abusent-ils jamais ? Et si, faute de mémoire, ils oublient ces emprunts forcés, ne les payent-ils pas par leur obligeance, par un dévouement à toute épreuve, par les offres les plus généreuses ? Qu’un de leurs intimes ait besoin d’argent, ils se transforment aussitôt en courtiers, et déterrent à grand’peine un de ces banquiers raisonnables dont la mission sur cette terre est de faire oublier la parcimonie d’un père ou d’un tuteur. Que l’affaire présente des difficultés, ils s’empressent de devenir eux-mêmes solidaires des engagements exigés, se contentant, par décence, de partager les bénéfices de l’opération. Soyez poursuivi par une lettre de change usuraire, ils viennent à votre secours ; et, forts de leur expérience, vous pouvez marcher les yeux fermés dans cette voie de jugements, d’oppositions, de règlements, d’appels ; priviléges du débiteur, chemins de traverse qui procurent, en dépit des recors, quelques derniers mois de soleil et de liberté. C’est ainsi qu’ils se font accepter, c’est en s’initiant à toutes les affaires de leurs amis, qu’ils se rendent indispensables. Et qui oserait mettre en doute leur loyauté et l’honnêteté de leurs expédients ? N’ont-ils pas donné vingt fois des preuves de susceptibilité et de courage ? Ne sait-on pas qu’ils tiennent plus à l’honneur qu’à la vie, et que, pris sur le fait, ils répondraient comme un aventurier célèbre : « Il vous est permis de penser que nous sommes des fripons, mais nous ne souffrons jamais qu’on nous le dise ! »

images (8)Cette assurance, le maître chanteur sait la conserver dans le cours de ses exploitations. Préparé à tout événement, il calcule avec sang-froid toutes les chances d’une entreprise ; il en devine d’avance les écueils, et son audace parvient souvent à les surmonter. Rarement, il est vrai, il lui est nécessaire de déployer une grande énergie : la faiblesse, les erreurs, et la timidité de ses adversaires, viennent lui donner de faciles triomphes, et la peur est toujours l’un de ses plus puissants auxiliaires. Et puis, le voit-on jamais s’aventurer sans qu’il soit sûr de réussir ? Ne connaît-il pas le côté faible de ses victimes ? n’a-t-il pas des coups imprévus à leur porter ? Une jeune femme est nonchalamment couchée sur les coussins de son boudoir. Elle a dit le matin qu’elle était souffrante, et que sa porte resterait fermée pour tous : cependant sa femme de chambre vient lui annoncer qu’une personne inconnue demande à lui parler. Après plusieurs refus, l’insistance du visiteur, et surtout quelques mots écrits à la hâte, lui font changer de résolution ; elle consent enfin à recevoir ce personnage mystérieux. Celui que l’on vient d’introduire est un jeune homme aux manières distinguées, à la mise élégante ; il salue avec grâce, et paraît être façonné aux usages de la bonne compagnie.

« Madame, dit-il, après avoir accepté un siége à côté de la jeune femme, j’ai d’abord à m’excuser de venir ainsi troubler votre solitude. Je me serais empressé de respecter la consigne que vous avez donnée à votre femme de chambre, si l’affaire qui m’amène n’intéressait pas et votre avenir et votre repos.

– Mais, monsieur, de quoi s’agit-il donc ? Les quelques lignes que vous venez de me faire remettre m’ont effrayée ! Qui vous envoie ? que désirez-vous ? et, surtout, qui êtes-vous ?

– Je suis un peu des amis de M. Alfred D…

– Eh bien ! qu’y a-t-il de commun entre M. Alfred et moi ? Je le connais à peine… Je l’ai rencontré quelquefois dans des réunions, dans des bals, comme on rencontre tout le monde ; mais ce jeune homme n’a jamais été admis chez moi.

– Il est heureux pour lui, madame, qu’il n’ait pas le même reproche à se faire. Il a eu le bonheur de vous recevoir plusieurs fois.

– Monsieur !

– Eh ! je ne viens pas ici, madame, vous demander compte de vos actions, et vous faire subir un interrogatoire. Je ne me reconnais pas le droit de contrôler vos démarches, et je vous prie simplement de m’accorder quelques minutes d’attention.

– Parlez, monsieur, parlez ; je vous écoute.

– Voilà le but de ma visite. Comme vous devez le savoir, M. Alfred D… est parti depuis quelques jours, laissant le soin de ses affaires et la clef de son appartement à l’un de ses amis. Poussé par un instinct de curiosité fort blâmable, cet indiscret ami a découvert une correspondance qui vous intéresse, je crois, au dernier point.

– Et que prétend-il faire de cette correspondance ? Où donc voulez-vous en venir ?

– Ne craignez rien, madame. Ces lettres sont aujourd’hui entre les mains d’une personne qui en connaît tout le prix, et qui les garde précieusement.

– Mais c’est un vol, une infamie, un abus de confiance !

– Veuillez vous calmer, madame. Il est un moyen de réparer la négligence de M. Alfred ; grâce à la cupidité du nouveau dépositaire de ces lettres, il est facile de se les faire restituer.

– Je vous comprends, enfin, monsieur. Je suis tombée dans un guet-apens ; je suis victime d’une horrible machination ! Vous êtes donc un voleur, monsieur ? Sortez, sortez d’ici, ou je vais vous faire chasser.

– La colère, madame, est une mauvaise conseillère, dit le chanteur sans se déconcerter. Vous n’appellerez pas, vous ne me ferez pas chasser, et je suis même certain que plus tard vous vous montrerez reconnaissante du service que je vous rends aujourd’hui. » Puis, reprenant après un instant de silence : « Vous devez savoir, madame, qu’il existe une personne qui payerait ces lettres bien cher.

– Et qui donc, monsieur ?

– Votre mari. Il paraît que, victime d’un déplorable aveuglement, monsieur votre mari s’obstine à méconnaître le trésor qu’il possède ; et, s’il avait entre les mains des preuves suffisantes, il serait tout disposé à vous intenter un procès en séparation.

– Et vous avez eu la pensée…

– Non, madame : nous avons cru prendre le parti du plus faible en nous adressant d’abord à vous.

– Ainsi, c’est de l’argent qu’il vous faut ! Que demandez-vous ? Vous faites là, monsieur, un bien misérable métier.

– Je ne fais que remplir avec conscience la mission dont je me suis chargé.

– Abrégeons, monsieur, abrégeons ce triste débat. Qu’exigez-vous de moi ?

– Si nous estimions, madame, votre correspondance à sa juste valeur, nous vous en demanderions un prix fort élevé ; mais, dans l’espoir de vous être agréable, le dépositaire consent à s’en dessaisir contre une indemnité de cinq mille francs.

– Cinq mille francs, grands dieux ! Mais, où voulez-vous que je trouve cette somme ?

– Je sais, madame, qu’il est assez rare de trouver chez une jolie femme cinq mille francs d’économies ; aussi n’ai-je pas entièrement compté sur cette ressource. Mais vous possédez des bijoux, des diamants sur lesquels il est facile d’emprunter, et je vous dirai comme le bandit espagnol Jose Maria : Vous êtes assez belle, madame, pour pouvoir vous passer pendant quelque temps de ces parures inutiles.

– Je vois, monsieur, que vous possédez à fond les ressources de votre métier. Et quand vous faut-il cette somme ?

– Si je ne craignais pas d’être importun, je reviendrais ce soir ; ou s’il vous convient mieux de la faire remettre chez moi, j’attendrai à l’heure que vous voudrez bien m’indiquer la personne qui en sera chargée.

– Revenez, monsieur, revenez ce soir ! Après m’avoir humiliée comme vous l’avez fait, serai-je encore forcée à mettre des étrangers dans la confidence de cette sale affaire ? Du reste, monsieur, je ne crois pas avoir besoin de réclamer votre discrétion ; et, s’il vous reste encore un peu d’honneur, je ne pense pas que vous soyiez tenté de divulguer un secret dont vous tirez d’aussi beaux avantages !

– Je mets toujours la plus grande conscience dans ces sortes de transactions, et je veux vous en donner une preuve, ajoute le chanteur, en remettant à sa victime un petit paquet cacheté : Voici votre correspondance. Vous aurez le temps de l’examiner avant ma seconde visite. Si par hasard il manque quelques lettres, j’aurais l’honneur de vous les remettre ce soir. »

C’est ainsi que le maître chanteur se constitue à son profit le vengeur de la morale et des maris, et lorsqu’il n’a plus rien à demander à ce terrain fertile, il se met à la piste d’une nouvelle affaire, et souvent son choix s’arrête sur l’un des commensaux de son cercle habituel. Un jeune dissipateur est sur le point de réparer, à l’aide d’un brillant mariage, les nombreux échecs de son patrimoine. Déjà les bans sont publiés : quelques jours encore, et les erreurs de jeunesse seront tout à fait effacées, lorsque un matin, un obligeant ami vient brusquement interrompre ses rêves dorés, et prendre une large part à son bonheur.

« Tu dors, malheureux, tu dors, et la foudre gronde sur ta tête ! Élisa, cette créature angélique, n’est plus la femme que nous avons connue autrefois si douce, si timide, si réservée. En apprenant que tu allais contracter un riche mariage, sa jalousie s’est réveillée, et elle ne parle de rien moins que de déposer son enfant sur l’autel nuptial ! Évitons un pareil scandale ! appliquons à l’instant la recette de Figaro. Cette recrudescence de passion n’est autre qu’un caprice de mille écus ; à ce prix seulement, la malheureuse consent à se taire. Pour prévenir tout danger, j’ai promis cette somme, persuadé que tu ferais honneur à un engagement pris en ton nom. »

images (9)Quelquefois le chanteur, exalté par le succès de plusieurs affaires de ce genre, se décide à abandonner les sphères secondaires, pour essayer ses forces sur un théâtre plus élevé. Arrivé alors à l’apogée de la profession, sa perspicacité se développe, ses investigations deviennent plus actives, ses plans sont mieux combinés. Il ne s’agit plus désormais de ces misérables produits dont il a bien voulu se contenter pour se faire la main ; il faut maintenant que les bénéfices probables de son industrie prennent des proportions gigantesques, et lui donnent au besoin quelques années de repos. Cette scène nouvelle n’est pas abordable pour tous, et, si quelques-uns parviennent à s’y faire accepter, le plus grand nombre ne vient s’y essayer que pour subir des chutes éclatantes. C’est dans cette troupe privilégiée que se retrouvent ces individus dont l’existence est un problème, et qui, sans avoir une position avouée, jouissent cependant de quelque crédit dans certains bureaux de ministères. La vie qu’ils mènent depuis des années laisse supposer que les services qu’ils peuvent rendre sont assez largement rétribués ; mais leurs actions et leurs démarches sont entourées d’un voile tellement épais, qu’il est impossible de définir le caractère de leurs attributions. Sous le couvert d’une occulte protection, leur discrétion obligée résiste rarement à l’appât d’une gratification brillante, et, grâce au mystère dont ils s’entourent, ils abusent plus aisément de la confiance qui leur est accordée. Vers la fin de la restauration, une lettre compromettante tomba ainsi entre les mains de trois maîtres chanteurs. Le signataire de ce précieux autographe était l’un des personnages les plus éminents de l’époque, et l’on savait qu’il était assez riche pour le racheter à un prix très-élevé. L’occasion était belle ! La lettre est lue, commentée, appréciée. Chaque ligne est une fortune, chaque mot est un trésor. Les prétentions des intéressés montent en un instant jusqu’à soixante, quatre-vingt, cent, cent vingt mille francs ! Une audience est demandée : le plus expérimenté de la bande sera le plénipotentiaire. Au jour indiqué le maître chanteur se présente avec son assurance ordinaire dans les salons du duc ***. Une fois introduit dans le cabinet du ministre, il tire gravement une lettre de son portefeuille, et en la lui présentant il lui dit :

« Monsieur le duc, l’original de cette lettre est entre les mains d’une personne qui pourrait en faire un mauvais usage. C’est dans le but de vous en prévenir que j’ai eu l’honneur de vous demander une audience.

– Et quel usage pensez-vous qu’on puisse faire de cette lettre ? réplique froidement le ministre, après avoir parcouru le papier.

– Il me semble, monsieur le duc, que si cette lettre tombait entre les mains de vos ennemis, ce serait une arme dangereuse dont ils pourraient abuser.

– Et c’est sans doute dans mon intérêt que vous êtes venu m’en indiquer le détenteur ?

– Votre Excellence a trop la connaissance des hommes  pour croire à un semblable dévouement.

– Quel prix demande-t-on ?

– Le possesseur croit l’estimer au-dessous de sa valeur en réclamant une indemnité de cent vingt mille francs.

– Je vois que vous traitez les choses fort grandement. Mais ces prétentions sont très-exagérées, et puis cette pièce a peu d’importance pour moi ; et, si on s’avisait de la publier, les personnes intéressées mériteraient tout au plus un reproche de négligence. Cependant je ne veux pas que votre démarche soit infructueuse… Êtes-vous bien sûr que cette lettre soit écrite par moi ?

– Dans une heure, je puis présenter l’original à Votre Excellence.

– Eh bien ! revenez. Nous pourrons nous entendre… Vous me semblez avoir assez d’adresse, du sang-froid… Il serait peut-être possible de vous utiliser. Précisément, nous aurions quelqu’un à envoyer aux colonies… un homme sûr, éprouvé…

– Je suis aux ordres de monsieur le ministre.

– Revenez donc dans une heure. »

Le maître chanteur est enchanté, ravi ! La manière dont il a été reçu lui donne une haute idée de lui-même. Déjà il se croit un personnage politique, et, dans ses rêves ambitieux, il songe au moyen de profiter seul de sa bonne fortune et de sacrifier ses affidés. Dans ce but, le récit de son entrevue est arrangé à sa guise : à l’entendre, les bénéfices de l’entreprise seront au-dessus de toute prévision. Enfin la lettre lui est remise, et, pour la seconde fois, il est introduit dans le cabinet ministériel.

A peine le duc *** a-t-il la lettre entre les mains, qu’il s’écrie d’un ton indigné :

« Monsieur ! il paraît qu’à toutes les belles qualités que j’ai reconnues chez vous, vous pouvez ajouter celle de faussaire ! Ceci est un faux, et je garde cette pièce pour la remettre à la justice !

– Mais, monsieur le ministre, balbutie le chanteur, anéanti sous ce coup inattendu, je puis vous affirmer…

– Vous voudriez peut-être me faire croire que vous avez agi de bonne foi ? Vous êtes bien heureux que je ne vous fasse pas arrêter sur-le-champ ! Dès ce jour, votre conduite sera activement surveillée. » Puis, après avoir sonné : « Huissier, reconduisez monsieur ! »

Revenu de son émotion, l’habile chanteur s’aperçut un peu tard qu’il venait d’avoir affaire à plus fort que lui ; et il eut besoin de tout son courage pour supporter les malédictions de ses deux associés, qui s’attendaient à tout autre dividende.

Dans ces derniers temps, les mêmes chanteurs furent plus heureux, et pourtant ils s’adressèrent à un personnage vieilli dans la diplomatie. De prétendues pièces officielles, habilement fabriquées, et soustraites, disait-on, aux affaires étrangères, furent présentées à un ministre résident. Il s’agissait d’une convention secrète, qui, au mépris des engagements contractés, sacrifiait les intérêts de la nation si bien représentée par le vieux diplomate. Des entrevues eurent lieu, des rendez-vous mystérieux furent donnés. L’un des complices, chamarré de croix, s’affubla avec succès du titre de secrétaire d’ambassade. L’affaire avait été heureusement combinée : elle arriva à bonne fin, et les chanteurs puisèrent à pleines mains dans les fonds secrets de la représentation étrangère. Plus tard, la vérité fut connue, et le rappel du ministre devint le dénoûment de cette étrange mystification.

images (10)Souvent les chanteurs forment entre eux une espèce de tribunal secret, un corps de police formidable. Revêtus de ce nouveau caractère, il est presque impossible d’échapper à leurs perquisitions incessantes, à leur espionnage de chaque jour. Vices, passions, erreurs, faiblesses, crimes et délits, tout cela rentre alors dans leur ressort. Qui ne connaît le malheur de ce pauvre banqueroutier sur le point d’atteindre la frontière, brusquement arrêté, au moment de toucher au port, par un ordre d’arrestation imaginaire, et obtenant sa liberté, un instant compromise, au prix de cinquante mille francs ? Et ce juif payant deux fois au poids de l’or, d’après un tarif à lui, un énorme lingot de cuivre, d’abord parce qu’il croit faire un excellent marché, et ensuite parce qu’on le menace de le dénoncer comme recéleur ? Et ces malheureux attirés dans un rendez-vous  par une femme charmante, bonheur interrompu par l’apparition soudaine d’un père ou d’un mari de circonstance venant réclamer le prix de leur honneur ? Et ces fidèles conservateurs d’un goût emprunté à l’antiquité, et ces vieux débauchés toujours en quête des jeunes filles au-dessous de quinze ans, ne sont-il pas tombés dans les piéges tendus par cette redoutable corporation ?

Parlerons-nous du chantage littéraire, et de ces pauvres diables déshonorant, faute de mieux, le titre d’homme de lettres ; de ces fondateurs de journaux et de publications en projet envoyant à qui de droit des missives dans le genre de celle-ci :

    MONSIEUR,

Nous comptons donner de la publicité à une affaire dans laquelle  vous êtes personnellement compromis. Votre réputation d’intégrité, quelque bien établie qu’elle soit, ne pourra résister aux preuves évidentes que nous avons sous les yeux. Nous vous prions donc de nous dire quelles sont vos intentions à cet égard.
                        Recevez, etc.

ou bien :

    MADAME,

Nous allons faire paraître la première livraison d’un ouvrage intitulé Biographie des femmes entretenues. Ce livre sera orné de charmants portraits sur acier. Voudriez-vous accorder une ou deux séancesà notre dessinateur ordinaire ? Dans le cas où notre proposition ne serait pas agréée, nous osons espérer que vous voudrez bien nous indemniser de la perte d’un aussi gracieux modèle. Alors seulement, nous consentirions à priver nos lecteurs de tous les détails qui nous ont été communiqués sur vous.

                        Veuillez agréer, etc.

La législation nouvelle est venue heureusement comprimer l’élan de cette littérature exceptionnelle. Les chanteurs littéraires n’ont plus aujourd’hui que de rares successeurs ; et si, de temps à autre, laGazette des Tribunaux vient nous révéler quelques essais de transactions de ce genre, ils ont eu déjà pour tout bénéfice une condamnation correctionnelle, écueil dangereux où viennent souvent échouer les aventureuses expéditions des maîtres chanteurs.

 

Source -   Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 9 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 

Publié dans ARTISANAT FRANCAIS, LITTERATURE FRANCAISE | 1 Commentaire »

 

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