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Les Pâques chargées de légendes

Posté par francesca7 le 4 mai 2014

 

(D’après « Les fêtes légendaires », paru en 1866
et « Le Petit Journal illustré », paru en 1932)

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Fête célèbre entre toutes, Pâques marque la résurrection du Christ, et s’accompagne d’une renaissance de la nature elle-même, longtemps engourdie sous son immense linceul de neige. Comme toute fête, elle est caractérisée par des symboles, que ce soit l’agneau, les oeufs — rouges à l’origine —, mais encore de nombreuses légendes parmi lesquelles celle de ces cloches qui arrachées de leur église sous la Révolution y revinrent miraculeusement, ou encore celle de ces possédés du diable venant chaque année à la Sainte-Chapelle pour s’en délivrer

D’où vient son nom ?… Demandons-le aux savants… Ils nous répondront que le mot hébreu paschah signifie « passage », et que la Pâque fut créée par Moïse pour rappeler la sortie d’Egypte et le passage de la mer Rouge. Pâques fut donc une fête juive avant de devenir une fête chrétienne. Ce jour-là, dans les familles juives, on tuait le mouton gras et on le mangeait en famille. Les traditions de bonne chère sont celles qui se transmettent le plus sûrement d’âge en âge. Celle du mouton passa d’une religion à l’autre. Jusqu’au XVIesiècle, on apportait dans les églises des agneaux tout rôtis que le prêtre bénissait et qui servaient de plat de résistance le jour de Pâques.

Œufs de Pâques
Plus tard, l’usage se répand, parmi la noblesse, d’échanger des oeufs qui sont de véritables joyaux. Le roi en distribue de pleines corbeilles à ses courtisans. Boucher adorna de compositions libertines des œufs de Pâques destinés à Mme Victoire, fille de Louis XV. Pourquoi les oeufs de Pâques sont-ils traditionnellement rouges ?… Voici ce que conte, à ce propos, un ancien membre de l’Ecole d’Athènes, savant avisé et grand voyageur. Ce savant, au cours d’un voyage de recherches archéologiques en Epire, s’arrêta un jour au couvent grec des Saints-Pères. Conduit par un moine, il vit, dans l’église dit monastère, toute une série de-tableaux dont les sujets étaient empruntés à l’Ancien et au Nouveau Testament.

« Afin de ne pas scandaliser le bon Père, racontait-il, je m’efforçais de lui montrer que tous les sujets que représentaient ces peintures m’étaient familiers ; et l’excellent religieux qui d’abord avait pris un air soupçonneux, commençait à me considérer avec sympathie, lorsqu’un dernier tableau me fit hésiter. J’apercevais bien un personnage présentant le type traditionnel de saint Pierre. En face de lui, une femme tenait à deux mains un tablier relevé et l’ouvrait pour montrer au prince des apôtres un objet que je ne distinguais pas dans la demi-obscurité de l’église.

— Et celui-ci, demandai-je, que représente-t-il ?
— Comment ! tu ne le connais-pas ?
— Non !
— Tu ne vois pas que c’est sainte Madeleine montrant à saint Pierre ses œufs rouges ?
— Quels oeufs rouges ?
— Tu ne sais donc pas que saint Pierre, allant en hâte au tombeau, se croisa avec sainte Madeleine qui en revenait ?
— Certes si, je sais cela… Mais les œufs ?
— Alors, tu sais que sainte Madeleine dit à saint Pierre que le Christ était ressuscité ?… Mais que répondit-il ?… Il répondit — car tu sais qu’il était incrédule — il répondit qu’il croirait cela quand les œufs de poule seraient rouges. Or, la sainte femme portait des œufs dans son tablier. (Le bon moine n’expliquait pas pourquoi elle s’était chargée de ces objets fragiles pour courir au tombeau… Mais n’importe !… il n’y aurait plus de légende possible s’il fallait tout expliquer). Madeleine ouvrit donc son tablier : les oeufs étaient devenus rouges, et saint Pierre fut forcé de croire à la résurrection. Voilà, conclut le révérend Père, pourquoi, à Pâques, on fait des oeufs rouges. »

cloches de Pâques - par Grandville

Cloches de Pâques
Mais Pâques n’est pas seulement le jour des œufs, c’est aussi le jour des cloches, le jour où, après un long silence, elles recommencent à frapper l’air de leurs chants harmonieux. Les habitants des grandes villes ne s’aperçoivent guère que les cloches se sont tues. A Paris, même au voisinage des églises, c’est à peine si l’on entend les plus gros bourdons. Mais, dans les campagnes, la voix des cloches est une voix familière, et leur silence, non plus que leur réveil, ne passent inaperçus.

La cloche est d’invention très ancienne : il est probable qu’elle est de provenance orientale et qu’elle ne fit son apparition en Occident que vers l’an 400 de notre ère. L’Italie, ou plutôt la Campanie, province de l’Italie méridionale, lui donna d’abord asile, et de là vint que les cloches prirent le nom de cette province, et que le clocheton où on les suspendait s’appelait « campanile ».

L’usage des cloches se généralisa en Europe vers le VIIIe siècle, dans les églises et les monastères ; mais c’est seulement à partir des XIIe et XIIIe siècles qu’on leur donna de grandes dimensions et un poids considérable pour obtenir des sons graves et puissants.

Pâques est donc, depuis au moins huit ou neuf siècles, la fête des cloches et le jour solennel où les sonneurs, de toute la force de leurs bras, mettent en branle campanes et bourdons. Le sonneur, ce jour-là, est le maître des régions éthérées ; il les emplit de la voix sonore de son carillon. En dépit d’un vieux dicton qui le représente comme un fervent ami de la dive bouteille, c’est surtout de musique aérienne que le sonneur se grise ce jour-là.

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Légendes autour de Pâques
Au temps jadis, quand on fondait les cloches au pied même du clocher où elles devaient être logées, c’est l’époque qui précédait la fête de Pâques qu’on choisissait pour ce travail, et c’est le jour de Pâques qu’on baptisait la cloche et qu’on l’inaugurait. Le fondeur besognait dans le mystère ; la nuit, on voyait rougeoyer les lueurs de son fourneau gigantesque ; et maintes histoires miraculeuses couraient sur sou compte. Les légendes sont nombreuses sur la fabrication des cloches autrefois. Citons-en une entre cent.

C’est l’histoire étrange et tragique de la cloche de Breslau. En 1386, le plus vieux fondeur de cette ville avait cru trouver la formule d’un alliage merveilleux. Le métal avait été versé dans le moule et le vieillard, voulant se reposer quelques instants, avait laissé son jeune apprenti auprès du moule, en lui recommandant de ne pas toucher au métal.

Mais le jeune garçon, désirant faire jaillir de belles gerbes d’étincelles, plongea dans l’alliage liquide une grosse barre de fer. Aussitôt, le métal, au contact de cet objet froid, se mit fit bouillonner, et l’enfant poussa des cris de terreur. Le fondeur, éveillé en sursaut, accourut ; et, croyant son chef-d’œuvre perdu, il entra dans une si violente colère qu’il empoigna son apprenti et le jeta dans le métal fondu. Or, les habitants de Breslau assuraient que le son de cette cloche avait quelque chose de pénétrant, de douloureux. Quand elle sonnait, on eut dit que l’espace s’emplissait de sanglots.

L’amour que les gens d’autrefois avaient pour leurs cloches s’exprimait ainsi par toutes sortes de légendes. Contons-en une haute, celle des cloches d’une vieille abbaye de Flandre, que les sans-culottes enlevèrent, en 1792, pour en faire des canons. On les avait descendues à grand peine du clocher où, depuis des siècles, elles chantaient de matines jusqu’à vêpres, et on les avait déposées sur un lourd chariot garni d’un épais lit de paille. Il s’agissait de les conduire à la fonderie de Douai. En route, le charretier jurait, sacrait sans relâche, et les cloches frémissaient d’entendre de tels blasphèmes.

Et voilà qu’un beau soir — c’était justement le samedi saint, veille de Pâques — comme le mécréant sacrait plus fort que de coutume, les cloches, tout à coup, s’ébranlèrent, s’entrechoquèrent dans un déchaînement de sonorités furibondes, s’enlevèrent d’elles-mêmes et disparurent dans la nuit. L’homme fut retrouvé, inanimé, auprès de son attelage. Quant aux cloches, elles s’en étaient revenues au clocher abbatial ; et, le lendemain, dimanche de Pâques, dès l’aube, les gens du pays ne furent pas peu surpris de les entendre sonner à- toute volée.

C’étaient là de belles histoires qui, jadis, faisaient frissonner les paysans à la veillée, et que seuls se rappellent aujourd’hui les fervents des traditions populaires et aussi les poètes qui aiment la voix des cloches et le pittoresque dès clochers.

Une vieille chronique nous raconte un fait curieux qui se passa le jour de Pâques. Burchard, dit le Barbu, tige de la maison de Montmorency, possédait un fort dans l’île de Seine (devenue l’île Saint-Denis). Il partait de ce fort pour faire des incursions sur l’abbaye de Saint-Denis, qu’il pillait et dévastait fréquemment. Si Vivien, abbé de ce monastère, s’en plaignit au roi qui ordonna au noble baron de mettre fin à ses brigandages, Burchard n’obéit pas et se vengea sur les propriétés de l’abbaye et sur les pauvres habitants qui les cultivaient. Le roi, impuissant à contenir ce redouble brigand, imagina de lui faire consentir un accord avec l’abbé de Saint-Denis, accord qui eut lieu en 1008.

Il fut convenu que Burchard serait autorisé à construire un château dans un lieu appelé Montmorency, près de la fontaine de Saint-Valery, à trois milles de Saint-Denis ; qu’il ferait hommage à l’abbé pour le fief qu’il possédait dans l’île Saint-Denis ; que ses chevaliers habitant son château de Montmorency seraient tenus de se rendre, deux fois par an, le jour de Pâques et le jour de saint Denis, dans l’abbaye de ce nom, et d’y rester en otages jusqu’à ce que les objets volés par ledit Burchard, les dommages faits par lui aux biens de l’abbaye, fussent restitués ou réparés ; après quoi, on se donnait le baiser de paix et les chevaliers retournaient à Montmorency.

La fête de Pâques était donc choisie comme terme de restitution, de réparation et d’oubli des injures. Dans beaucoup d’actes de ce genre on voit ce jour figurer comme date de paix et de pardon. Voici ce qui advint dans le palais de la Cité, le jour de Pâques de l’an 995, cependant que régnait Robert le pieux, ce roi célèbre dans les légendes. Tout le monde sait qu’un jour, voyant un voleur qui coupait le gland d’or de sa robe, pendant qu’il était en prières, il se retourna et pria le larron de n’en voler que la moitié, afin d’en laisser un morceau pour un autre malheureux.

Par son ordre, disent les vieilles chroniques, un palais fut construit : c’est le palais de la Cité. Robert voulant l’inaugurer le jour de Pâques, des tables furent dressées pour un festin, où les pauvres de Paris étaient invités ; et avant de commencer le repas, Robert se lava les mains. Alors, de la foule des mendiants qui le suivaient s’avança un aveugle qui lui demanda l’aumône ; le roi en badinant, lui jeta de l’eau au visage ; aussitôt, à la grande admiration des assistants, l’aveugle recouvra la vue. Ce miracle, accompli le jour de Pâques de 995, attira un grand concours de peuple dans le palais de la Cité.

Dans la Sainte-Chapelle, que saint Louis fit bâtir pour loger les reliques qu’il amassait de toutes parts, on célébrait, pendant la nuit du vendredi au samedi-saint, une cérémonie assez bizarre pour être racontée. Tous les possédés du diable y venaient régulièrement chaque année pour être délivrés de l’obsession de cet esprit maudit. C’était un affreux charivari, mêlé de contorsions, de cris et de hurlements qui ébranlaient le Châtelet jusque dans sa base. Quand ce vacarme était à son comble, le grand chantre apparaissait armé du bois de la vraie croix. A son aspect tout rentrait dans l’ordre, les convulsions cessaient, et aux cris de rage succédait le calme le plus parfait. Le lendemain, jour de Pâques, tous ceux qui avaient eu le diable au corps et qui avaient éprouvé la vertu de la précieuse relique, allaient en troupe à Notre-Dame ; ils se tenaient dans une chapelle latérale, et l’officiant venait les asperger d’eau bénite pour compléter la guérison. Cette coutume subsista jusque sous Louis XV.

Cérémonie de la Gargouille à Rouen

 

Si c’était l’usage à la Pentecôte de donner la liberté aux colombes dans les églises en mémoire de l’Esprit-Saint qui descendit sur les apôtres sous forme de colombe, il y avait à Pâques une tradition plus généreuse. On délivrait des prisonniers, on les ressuscitait à la vie ; ils sortaient de la prison comme du tombeau. La joie était tellement grande qu’elle devait pénétrer partout, même dans les cachots. Cette délivrance se rattache à plusieurs légendes, dont la plus célèbre est celle de saint Romain, au VIIe siècle. Un dragon qu’on nommait Gargouille tempêtait en rivière de Seine et faisait naufrager les bateaux ; sur les rives, il mangeait les chevaux et les bœufs des pauvres laboureurs. Déjà plusieurs chevaliers sans paour avaient essayé de le tuer, mais ils avaient trouvé la mort.

Saint Romain, alors archevêque de Rouen, se crut assez bien avec Dieu pour tenter l’entreprise. Il se rendit d’abord dans les prisons de l’officialité et emmena avec lui deux prisonniers, condamnés à mort. Suivi d’une grande foule de peuple, il se rend au repaire du monstre qui, à sa voix, devient docile. Il lui met son étole et une corde au cou, et les deux prisonniers le conduisirent ainsi, comme un chien tenu en laisse, sur la place publique, où il fut brûlé incontinent. La Gargouille, sentant le feu, essaya de l’éteindre en vomissant beaucoup d’eau sur le bûcher, mais elle ne put y parvenir, saint Romain était là. Le monstre fut réduit en cendres. Disons en passant que c’est depuis cet événement qu’on donna le nom de gargouilles aux animaux chimériques, sculptés autour des basiliques, qui rejettent loin d’elles les eaux sales, comme pour empêcher les souillures de pénétrer dans la maison de Dieu.

En mémoire de cette délivrance miraculeuse, on octroya aux archevêques de Rouen le droit de descendre tous les ans à l’officialité et, sur le rapport du geôlier, de donner la liberté à deux prisonniers. Cette délivrance se faisait à Pâques. A Paris, c’était à Notre-Dame que s’accomplissait celte cérémonie : l’archidiacre brisait un anneau de la chaîne, et le prisonnier, après promesse de meilleure vie, était mis en liberté.

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la légende bourbonnaise de Jeanne et Robert

Posté par francesca7 le 4 mai 2014

L’Oeuf  rouge maléfique de Pâques 

(D’après « Les fêtes légendaires », paru en 1866)

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Symbole très prisé que l’on retrouve dans de nombreuses légendes, l’œuf, et particulièrement celui de Pâques, passe pour être le catalyseur de puissances magiques et maléfiques. Ainsi en va de l’histoire terrifiante de Jeanne croisant le chemin d’une mendiante lui remettant un jour de Pâques un œuf d’un rouge éclatant censé lui porter bonheur, et à n’ouvrir que la première nuit de noces venue…

Au Moyen Age, on prêtait aux magiciens la capacité de se servir de l’œuf pour leurs conjurations diaboliques : ils le vidaient adroitement, et traçaient dans l’intérieur des caractères cabalistiques dont la puissance causait beaucoup de mal. C’est même de cette superstition que vient la coutume de briser la coque des œufs que l’on a mangés, afin de détruire le charme et ne pas offrir à ses ennemis un moyen de maléfice.

Dans beaucoup de campagnes, le curé de la paroisse, selon la vieille coutume, aux époques de Pâques, venait bénir chaque maison et, en échange de ce bonheur qu’il apportait, on lui offrait également des œufs enjolivés. Dans d’autres, on affirmait que les cloches, dans la semaine de deuil qui précède Pâques, partent pour Rome pour se faire bénir par le Pape. Dans cette semaine lugubre, où les chants de l’Église ne parlent que de mort, où des tentures noires aux larmes d’argent tapissent les murs sacrés, les cloches sont muettes et tristes dans le vieux clocher. Aussi, comme on ne les entend pas sonner, les cloches passent pour avoir quitté leur demeure aérienne afin d’effectuer leur pieux pèlerinage, et ne reviennent qu’à Pâques pour jeter leurs plus joyeux carillons en l’honneur de la résurrection.

On ne revient pas d’un si long voyage sans rapporter quelque cadeau aux enfants sages. La cloche des fêtes rapportait toujours les plus beaux joujoux et revenait la première. La cloche des morts revenait la dernière et ne donnait jamais rien. Ce jour-là, c’était donc un petit jour de l’an, et les cadeaux de la vieille cloche étaient toujours bien accueillis. Le pauvre donnait à son enfant un œuf rouge comme la robe des cardinaux romains, puisqu’il était censé venir de Rome. C’est ainsi que se continua la pieuse coutume des œufs de Pâques.

C’est lorsque les cloches jettent leurs plus joyeux éclats qui vont jusqu’aux cieux, que de beaux anges blancs aux ailes d’azur entr’ouvrent les portes du ciel bleu, portant devant eux des corbeilles de fleurs remplies d’œufs, et voltigent au-dessus des maisons de leur choix, où ils déposent leur offrande, affirme encore la tradition populaire. Mais aussi l’esprit du mal, toujours à l’affût d’une proie, glisse quelquefois son œuf maudit parmi ceux de Dieu. Témoin cette vieille légende :

Jadis, dans un humble village du Bourbonnais, vivaient une veuve et sa fille ; une honnête aisance leur assurait une vie calme et heureuse. Jeanne, tel était le nom de la jeune fille, venait d’atteindre vingt printemps ; belle comme les anges, elle en avait les vertus : aussi les pauvres la bénissaient, car c’était elle souvent qui faisait luire la joie et le bonheur dans leurs tristes chaumières. De nombreux épouseurs se présentaient, mais la mère retardait toujours le moment douloureux qui devait la séparer de sa fille. Encore une année, disait-elle, et Jeanne restait toujours heureuse et pure sous l’aile maternelle.

Un jour de Pâques, au sortir de la messe, Jeanne trouva à la porte du logis une vieille mendiante inconnue du village, qui implora sa charité. Elle lui fit l’aumône, et en la recevant, l’étrangère dont elle ne put voir le visage caché par un capuchon tout déguenillé, lui dit d’une voix chevrotante : « Belle damoiselle, c’est aujourd’hui la plus grande fête de l’année, si vous ne dédaignez pas le pauvre cadeau d’une vieille mendiante, prenez cet œuf, il vous portera bonheur. Avant que la Pâques prochaine arrive, un jeune et gentil seigneur viendra vous demander pour épouse, vous deviendrez châtelaine, ma belle enfant, car c’est écrit là haut. Le jour de votre union, brisez cet œuf, vous trouverez dans sa frêle coquille mon présent de noce. »

En disant ces mots, elle lui remit un œuf plus gros que ceux que l’on voit ordinairement, et d’un rouge éclatant. Jeanne le prit en riant de la prédiction et, sans parler à sa mère de cette singulière rencontre, le plaça dans sa chambre virginale au fond d’un coffret. Sa vie continua ainsi quelque temps, calme et monotone. Cependant, sa mère la surprenait souvent dans des rêveries profondes ; des passions inconnues bouillonnaient dans son cœur ; des rêves enchanteurs troublaient son sommeil ; plusieurs fois même elle vit dans ses nuits agitées l’œuf de la mendiante briller d’un rouge sinistre et rayonner comme un charbon de feu ; elle se remémorait avec joie la prédiction qui flattait son amour-propre.

Plus d’une fois, elle fut tentée de le briser pour connaître l’avenir, mais elle refoula la curiosité au fond de son cœur et se laissa aller au cours de sa destinée, s’abandonnant à la main de celui qui dirige tout. Dans les environs du village s’élevait un vieux castel à moitié disloqué par la guerre et les orages et abandonné depuis plusieurs siècles. On vit un jour arriver un gentilhomme qui, se disant héritier des anciens seigneurs, le fit restaurer et l’habita. Il s’entoura de nombreux amis. Tous les jours voyaient se succéder chasses, fêtes et festins. Il se nommait le sire Robert de Volpiac.

Dans une de ses excursions, le hasard mit Jeanne sur sa route. Il la vit ; sa beauté le frappa ; il s’enquit auprès de ses fermiers de son nom et de sa demeure. Bref, il la demanda en mariage. La mère, étourdie par cette brusque proposition, refusa d’abord. Mais l’ambition, cette fois, l’emporta sur l’amour maternel. Jeanne était pressante ; elle assurait que c’était le bonheur, et que, châtelaine et riche, elle pourrait faire des aumônes plus nombreuses et plus utiles. Enfin, l’union du très haut et très noble sire Robert de Volpiac et de Damoiselle Jeanne se célébra dans la chapelle du manoir, en présence d’un chapelain inconnu et des amis de Robert.

téléchargement (2)Une fête brillante remplit toute la journée, on fit d’abondantes aumônes et un. festin général réunit tous les habitants du village, servis parles valets du château. Jeanne, au milieu des splendeurs de la fête, n’avait pas oublié l’œuf de Pâques, ni la prédiction qui se réalisait. Aussi eut-elle soin de le faire apporter dans son coffret et de le déposer dans la chambre nuptiale. La nuit arriva, les fêtes cessèrent, et peu à peu les invités se retirèrent. Le sire de Volpiac fit conduire dans la plus belle chambre la jeune châtelaine qui, tremblante d’émotion, renvoya ses suivantes et resta seule en proie à un affreux pressentiment.

Que va-t-elle apprendre ? Minuit sonnait à la haute tour quand Robert entra. Il s’avança vers Jeanne et voulut lui donner le premier baiser d’époux ; mais elle se recula et lui dit :

— Mon beau seigneur, avant de vous appartenir, ainsi que je l’ai juré devant le chapelain, je veux savoir ce que contient cet œuf mystérieux, qui, il y a près d’un an, me fut donné par une mendiante en me prédisant le sort qui me favorise aujourd’hui. J’ai promis de le casser la première nuit de mes noces, car il doit me donner le mot de l’énigme, qui, depuis quelque temps, enveloppe mon existence et m’a rendue châtelaine de céans.

— A quoi bon, reprit le gentilhomme, perdre un temps précieux ? Aujourd’hui, c’est le bonheur… Demain, ne serait-il pas assez tôt ?… demain dès…

Mais, sans même attendre la fin de ses paroles, Jeanne, d’une main fiévreuse, avait pris l’œuf entre ses jolis doigts. Il était tellement brûlant qu’elle le jeta brusquement par terre. Il se brisa. Aussitôt, un énorme crapaud en sortit et sauta sur le lit de noces, en vomissant des flammes qui mirent le feu aux courtines ; puis, d’un bond fabuleux, passant par une ogive, il propagea le feu de toutes parts. L’incendie envahit tout, et un cri formidable ébranla le vieux manoir qui s’écroula dans un immense embrasement. Satan avait une âme de plus…

Depuis, affirme la légende, dans les nuits sombres, on voit rôder dans les ruines sinistres du château maudit, la pauvre châtelaine, dont la voix lamentable demande des prières aux pauvres du village, en souvenir des nombreuses aumônes qu’elle leur avait faites de son vivant. Telle est notre vieille légende qui nous montre ce que peut contenir un œuf de Pâques.

C’est un avertissement aux jeunes filles qui, dans ce jour de fête, reçoivent des œufs de Pâques remplis de cadeaux : « Pensez à la pauvre châtelaine de la légende et prenez garde que, de la frêle coquille que vous brisez aujourd’hui d’une main aussi impatiente que joyeuse, il ne s’échappe de mauvaises pensées qui, réveillant des passions inconnues à vos jeunes cœurs, vous conduiraient tôt ou tard à la perdition. »

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