À partir du 4 e millénaire av. J.-C. apparaît un ensemble de civilisations fécondes en monuments originaux. La richesse de la Corse est, à ce sujet, exceptionnelle dans le bassin de la Méditerranée. On a repéré plusieurs centaines de menhirs dans l’île et sans doute un certain nombre d’autres dorment encore sous la terre.
L’art des Mégalithiques
La civilisation mégalithique (de mégalithe : grande pierre) se développe dans l’île vers 4000 av. J.-C. et s’y maintient jusqu’aux environs de l’an 1000 av. J.-C.
Cette civilisation élabore ses techniques et son propre mode de vie agro-pastoral. On note la pratique des inhumations dans des coffres , puis dans des dolmens , grandes pierres plates posées sur des pierres dressées verticalement. Dans le même temps apparaissent des blocs monolithes dressés : les menhirs . Ils sont isolés ou groupés en alignements ou en cercles.
À la fin du néolithique (2500-2000 av. J.-C.), naissent les mystérieuses statues-menhirs . Environ 80 statues anthropomorphes sont connues en Corse. Munies d’un nez, d’une bouche et d’une paire d’yeux, elles sont parfois sexuées, et alors en majorité féminines. Celles du sud de la Corse sont souvent armées (poignards, épées). Selon certains archéologues, les Mégalithiques auraient représenté ainsi leurs ennemis tués au combat. Cette explication reste très controversée ; la statue-menhir serait plus simplement la représentation d’un personnage défunt ou d’une divinité.
La région de Sartène et la basse vallée du Taravo conservent les monuments les plus caractéristiques de cette époque : ne manquez pas de visiter le site de Filitosa et les mégalithes de Cauria. Des vestiges subsistent aussi dans le Niolo, le Nebbio et la Balagne.
Les monuments torréens
Vers le milieu du 4 e millénaire av. J.-C. apparaît la civilisation torréenne qui doit son nom aux nombreuses tours ( torre ) qu’elle édifie. D’une dizaine de mètres de diamètre, les tours disposent d’une petite pièce centrale. Certaines forment un ensemble beaucoup plus vaste avec le village appelé castellu et une enceinte fortifiée. Des murs cyclopéens protègent les lieux : ils sont constitués de gros blocs de pierre irréguliers, assemblés sans mortier. On a longtemps cru que ces vestiges étaient l’œuvre d’un peuple d’envahisseurs, les Shardanes. On pense aujourd’hui que la civilisation torréenne est une évolution du peuplement insulaire mégalithique liée aux échanges maritimes avec le reste du monde méditerranéen.
Les monuments torréens les mieux conservés se situent sur le plateau de Levie et dans la région de Porto-Vecchio. Le gisement de Filitosa, dans la basse vallée du Taravo, présente un intérêt exceptionnel.
Les vestiges de l’Antiquité
Sites grecs et romains
Les vestiges grecs et romains ne se rencontrent en Corse que dans les sites archéologiques d’Aléria et de Mariana. Aléria fut surtout une base navale, important relais commercial avec la Grèce et l’Italie. On découvre dans le musée une collection de cratères et de pièces provenant de l’Attique (territoire de la cité d’Athènes), de bronzes, de mosaïques, de monnaies, de poteries. Cet art témoigne de la perméabilité du milieu insulaire aux influences artistiques du monde méditerranéen.
À l’embouchure du Golo, jouxtant l’église de la Canonica, Mariana était une cité antique et un port où stationnait une partie de la flotte de Misène.
L’art paléochrétien
Le christianisme se répand en Corse sans doute au 3 e s. La plus ancienne tradition qui soit établie avec quelque sérieux remonte au martyre de sainte Dévote en 202. Différents indices archéologiques permettent de penser qu’entre le 3 e et le 5 e s., tout un art fleurit sur l’île et qu’il connaît son âge d’or durant la seconde moitié du 4 e s. Des basiliques paléochrétiennes ont été localisées à Calvi, Ajaccio, St-Florent, Sagone, Mariana… Le baptistère et les mosaïques découvertes sur le site de Mariana donnent une idée assez précise du milieu artistique évolué de la Corse à cette époque. Mais il ne nous reste que peu de témoignages paléochrétiens car au 5 e s., tous les bourgs situés le long des côtes furent pillés et saccagés par les hordes d’envahisseurs arrivés par mer.
L’héritage roman
L’art roman de Corse est considéré comme l’un des plus beaux d’Europe. Il éclôt sur l’île dès le 9 e s., atteint sa pleine maturité durant la seconde moitié du 11 e s. et se perpétue avec la même qualité jusqu’à la fin du Moyen Âge.
Les églises préromanes
Dès le 9 e s., des dizaines de petites églises et de chapelles rurales sont édifiées. La présence de bénédictins des îles toscanes stimule l’architecture romane primitive qui fleurit surtout, à l’écart du littoral, dans les lieux protégés des raids. Malheureusement, il ne reste aujourd’hui sur l’île qu’une quinzaine d’édifices, la plupart très ruinés. Citons St-Jean-Baptiste de Corte (9 e s.) avec son baptistère à peu près intact et Santa Maria de Valle-di-Rostino (10 e s.).
L’art roman pisan
Dès la fin du 11 e s., la république de Pise entreprend de réédifier les cathédrales côtières afin de repeupler les plaines littorales abandonnées. Elle reconstruit aussi les principales églises des vallées, les piévannies . Architectes, tailleurs de pierre, maîtres maçons et sculpteurs toscans viennent apporter leurs connaissances aux artisans corses. Ils élèvent des églises, principalement dans la Castagniccia, le Nebbio et la Balagne ; celles-ci servent également de maison du peuple et de tribunaux. L’église piévane de Carbini et l’abside de la cathédrale de Mariana représentent des chefs-d’œuvre du début de cette époque. Entre 1125 et 1160, période de maturité, on remarque en particulier la cathédrale du Nebbio à St-Florent et l’église St-Jean-Baptiste à Ste-Lucie-de-Tallano. À partir du milieu du 12 e s. apparaissent quelques édifices polychromes dont San Michele de Murato et La Trinité d’Aregno constituent les plus beaux exemples.
Le caractère si harmonieux de l’architecture pisane de Corse vient de la simplicité des lignes et de la pureté des volumes. Dans les édifices, seule l’abside est voûtée (d’un cul-de-four), mais jamais la nef, couverte d’une simple charpente, à l’exception de la chapelle San Quilico près de Figari.
Plan et dimension – La plupart des églises présentent une nef rectangulaire et un chœur semi-circulaire. Elles sont de dimensions modestes : 33 m de long pour la plus grande, la Canonica ; 7,5 m pour la plus petite, la chapelle San Quilico.
Matériau et appareillage – Les pierres, d’excellente qualité (schistes de Sisco, calschistes de la Canonica, granits de Carbini…), sont appareillées de la façon la plus heureuse. L’architecte conserve souvent les trous de boulin qui servaient à caler les échafaudages, et dans lesquels jouent l’ombre et la lumière. Les chevets ornés de bandes lombardes et de colonnettes engagées, les fenêtres-meurtrières ouvertes dans les murs latéraux, les losanges, rosaces et marqueteries, les toitures en lauzes ou pierres plates (teghje) constituent une architecture sobre et équilibrée.
Décoration – Des motifs sculptés apparaissent en façade, à la base des toits, aux encadrements des fenêtres. À partir de 1135, la polychromie naturelle de la pierre participe souvent à la décoration, comme l’illustre l’église de la Trinité d’Aregno. San Michele de Murato est aussi célèbre pour son parement en serpentine vert sombre et en calcaire blanchâtre que pour sa naïve décoration sculptée.
Les sculptures archaïques ornent parfois les corniches, les arcatures, les tympans des portails. D’un dessin stylisé, elles représentent des figures géométriques, des dents d’engrenage, des entrelacs, des animaux fabuleux, des scènes symboliques et des personnages énigmatiques exécutés en ronde bosse.
Des fresques habillent parfois l’intérieur de modestes sanctuaires. D’inspiration byzantine, elles seraient des œuvres d’artistes locaux du 15 e s. On admire les plus belles dans les chapelles de St-Michel de Castirla, San Nicolao de Sermano et Ste-Christine, près de Cervione. Le haut de la voûte est toujours occupé par le Christ en majesté entouré des symboles des évangélistes, tandis qu’en bas figurent les apôtres et des saints. Le style de ces fresques où dominent le vert clair, l’ocre et le rouge, rappelle l’art des peintres de Sienne au 13 e s.
Les canons de l’art roman continueront longtemps d’être appliqués en Corse : la chapelle Ste-Catherine de Sisco, par exemple, est de style roman et date pourtant du 15 e s. L’île passe ensuite presque sans transition du roman au baroque. On ne connaît que deux églises gothiques en Corse : St-François et St-Dominique à Bonifacio.
La floraison de l’art baroque
L’ancienne cathédrale de Cervione marque sans doute le point de départ, en 1584, de l’art baroque. Plus qu’un choix esthétique délibéré, le baroque corse apparaît comme une expression artistique du renouveau religieux lié à la Contre-Réforme.
Un renouveau religieux
Aux 17 e et 18 e s., sous l’occupation génoise, un style baroque très inspiré de l’Italie du Nord se développe dans les régions les plus aisées de l’île : la Balagne, la Castagniccia et la région de Bastia. Sans profusion monumentale extérieure, les églises offrent toutefois une façade ornée de corniches, pilastres, colonnes engagées supportant un décor de pinacles, volutes et coquilles, et sont souvent embellies d’un parement de pierres dorées. Un solide clocher carré, à plusieurs étages ajourés, domine l’édifice. Dans certains cas, il se dresse à l’écart de l’église.
Dans les villes génoises, notamment à Bastia, les sobres lignes de certaines façades d’églises contrastent avec des intérieurs somptueusement décorés d’ors, de marbres, de peintures en trompe l’œil, de meubles en bois sculpté, de stucs dorés de style baroque en honneur à Gênes au 17 e s. Dans les églises baroques de villages, on découvre de riches autels et des balustrades de chœur en mosaïques de marbre polychrome, importés de Ligurie. Les artistes locaux ont parfois exprimé un art haut en couleur et plein de saveur : l’église de Carcheto est un bon exemple de ce courant populaire.
Le rôle social des confréries – Apparues au 14 e s., les chapelles de confréries fleurissent par la suite dans toute la Corse en empruntant leur décor intérieur au riche répertoire baroque, tout en conservant un extérieur des plus simples.
L’architecture militaire
Littoral ceinturé de tours de guet, citadelles perchées sur des éperons, les témoignages d’architecture militaire sont toujours présents en Corse.
Les citadelles
Afin de développer les relations commerciales avec le monde méditerranéen tout en améliorant le système de défense de l’île, Gênes fonde à partir de la fin du 12 e s. les places fortes de Bonifacio, Calvi, Bastia, St-Florent, Ajaccio, Algajola et Porto-Vecchio. Les citadelles, dans lesquelles se serrent les hautes maisons, sont entourées de remparts défendus par des bastions.
Les tours
Pour lutter contre les invasions des pirates venus d’Afrique du Nord, l’ Office de Saint-Georges organise un système de surveillance et d’alerte sur 500 km de côtes en faisant construire des tours de vigie et de refuge. Dès que des voiles barbaresques se pointent à l’horizon, les guetteurs allument au sommet de l’édifice des feux qui alertent les villages. En outre, les notables font édifier des tours carrées qui servent d’habitation et, en cas de péril, d’abri. Aujourd’hui, sur les 85 tours dénombrées au début du 18 e s., 67 sont encore debout, plus particulièrement le long du Cap Corse et sur la côte ouest de l’île. Elles sont hautes de 12 à 17 m, d’une architecture rudimentaire, mais donnent au paysage une note romantique.
Les forts
Dans le Cap Corse (Rogliano) et en Corse-du-Sud (Tiuccia…), on observe des ruines de châteaux médiévaux qui appartenaient aux seigneurs de l’île. Quelques ouvrages militaires, conçus pour la défense d’un lieu stratégique, subsistent en partie. C’est notamment le cas du fort défendant le goulet de Tizzano dans le Sartenais.
L’architecture traditionnelle
Les villages
Dans les villages anciens, les maisons sont groupées dans un apparent désordre qui masque une organisation en blocs familiaux. Ils forment souvent un charmant dédale de ruelles empierrées en escalier et de passages couverts où il fait bon errer. Promenez-vous par exemple à Sant’Antonino en Balagne ou à Vescovato en Casinca. De rares villages conservent une maison forte (casa torra) , ancien habitat noble qui avait aussi une fonction défensive communautaire. On peut en observer à Ste-Lucie-de-Tallano , à Bicchisano , à Ste-Marie-Sicché.
La maison traditionnelle
Tout comme le village, la maison (a casa) est très importante pour un Corse. Il répugne à la vendre et même à la louer. Toujours simple et sobre, elle abritait autrefois la famille au grand complet. C’est une « maison bloc » à quatre pans, construite avec les pierres locales : blocs de schiste dans le nord de l’île, granit dans le centre et au sud, calcaire à Bonifacio et St-Florent. En montagne, les murs très épais sont percés d’étroites fenêtres empêchant le soleil d’entrer en été et les vents de s’infiltrer en hiver. Les toits sont recouverts de tuiles canal en Corse occidentale et de dalles de schiste lustré appelées teghje en Corse orientale, ce qui donne de jolis tons gris-bleu à Corte, verts à Bastia, gris-argent en Castagniccia. En Balagne, les toits sont remplacés par des terrasses utilisées pour le séchage des fruits au soleil.
Les bergeries
Disséminées dans les montagnes, elles sont plus ou moins abandonnées en raison de la décadence de la transhumance, mais abritent encore de mai à octobre quelques bergers et leurs bêtes. Ce sont de grossières constructions autour d’un assemblage de pierres sans mortier. L’installation du berger y est rudimentaire : sacabane (capanna) n’offre qu’une pièce sans fenêtre. Le berger dort sur un matelas de fougères disposé sur un bat-flanc. Il confectionne le fromage et le brocciu puis les dispose dans des caves-saloirs (casgili) . Si vous vous promenez dans le désert des Agriate, vous découvrirez quelques « paillers » , humbles constructions quadrangulaires en pierres sèches autrefois couvertes de branchages et d’un épais revêtement de glaise. En Castagniccia, on rencontre parfois, sous l’apparence de « bergeries », des séchoirs à châtaignes.
Les ponts génois
On désigne volontiers sous ce terme général tous les ponts tant soit peu anciens de l’île. En fait, quelques-uns datent de la période pisane. Puis, à partir du 16 e s., Gênes en fait construire un grand nombre sur des itinéraires très fréquentés afin de développer les échanges commerciaux et agricoles dans l’île. Ces ponts portent une arche unique et une étroite chaussée empierrée, à la brisure très accentuée. Leur hauteur et leur position à un endroit large du cours d’eau sont calculées en prévision des crues parfois subites et violentes sous le climat méditerranéen.
Les fontaines
Au bord des chemins, à l’entrée des villages ou en forêt, on peut se rafraîchir à la source de charmantes fontaines rustiques faites de galets.