La canne des soldats
Posté par francesca7 le 20 avril 2014
pourquoi tant de soldats avaient-ils une canne ?
article Le Point.fr
Il y a un siècle, la Première Guerre mondiale éclatait. Un ouvrage répond aux questions que cet incroyable conflit continue de soulever. Extraits.
Dans les brocantes et les ventes aux enchères, on découvre encore très souvent des cannes datant de la Grande Guerre. Certaines sont de véritables oeuvres d’art. Épousant les tourments du bois, torsadées comme un serpent, elles sont souvent ciselées avec une grande habileté. Bien entendu, ce ne sont pas des objets réglementaires. Dans l’armée française, seuls les chasseurs alpins et les troupes alpines possédaient des piolets, des bâtons ou des cannes simples. Les longues marches et les manoeuvres dans les montagnes en expliquaient la présence et l’utilité.
Mais dès l’entrée en guerre, les régiments avancent, reculent, certains parcourant trois cents à quatre cents kilomètres en quelques semaines. Ces déplacements sous la chaleur sont harassants, les pieds peu habitués aux chaussures en cuir sont meurtris : tout en progressant le long des routes et des chemins, les hommes vont vite ramasser un vigoureux morceau de branche pour s’en servir comme d’un précieux bâton de marche. Arrive ensuite le temps des tranchées. Donc de l’ennui, de la lassitude et, pour beaucoup, de la mélancolie. C’est l’époque où commence à se développer l’art des tranchées (voir question 39). Quoi de plus facile pour un homme de la terre que de retrouver une occupation qu’il connaît bien ?
Sauver sa peau
Avant la guerre, ce bâton avait eu de multiples usages : manier le troupeau, effrayer le chien, marcher jusqu’au canton le jour des comices agricoles, jauger les mensurations d’une bête avant de l’acheter et… revenir des comices agricoles. Sculptés d’un nid avec deux oisillons et offerts à une jeune fille, certains se transformaient même en demandes en mariage. Pour le travailler, un bon couteau suffit. Il ne reste qu’à trouver dans les bois environnants la branche qui pourra faire l’affaire.
Mais le soldat fait vite face à une difficulté : conserver son oeuvre. Quand la relève arrive et que le régiment rejoint à pied son cantonnement, il est d’usage qu’à l’approche d’un village encore habité le colonel regroupe ses hommes. Ordre est alors donné de se débarrasser de ce compagnon peu martial. C’est à regret que le bâton est jeté dans le fossé. Mais le soldat prend l’habitude de repérer l’endroit pour revenir plus tard le chercher. Et c’est musique en tête, pas cadencé et tête haute que les hommes orphelins de leur bâton défilent crânement devant d’autres unités au repos et le plus souvent moqueuses.
Mais le bâton ne sert pas seulement à tromper son ennui ou à établir un lien avec le monde d’avant. Pour l’homme de corvée et tous ceux qui retrouvent la fange des premières lignes, il y a cette boue gluante qui aspire, retient, absorbe, une boue traîtresse qui trompe, emprisonne, engloutit. C’est souvent grâce à son bâton que le soldat va réussir à s’en extirper et à sauver sa peau. Autant d’histoires de survie que racontent ces humbles bâtons. On comprend donc un peu mieux que les musées les recherchent et que les collectionneurs se les disputent.
100 questions sur la Grande Guerre de Jean-Pierre Verney, éditions La Boétie
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