La parcelle Romanée-Conti
Posté par francesca7 le 13 avril 2014
La parcelle Romanée-Conti a été délimitée par les moines dès le XIIe siècle. Un tracé bien précis qui en fait un solitaire parmi d’autres diamants.
La Romanée-Conti couvre 1 hectare, 80 ares et 50 centiares. Une exposition un peu originale, une présence d’argile très fine, une profondeur de terre importante et un drainage naturel parfait feraient la différence avec ses voisines.
Si l’on peut matérialiser certains grands terroirs – argile bleue de Pétrus, graves de Margaux… -, il n’en est rien pour la reine bourguignonne. Du moins, rien de visible. Perché sur les murets, à flanc de colline, on a beau écarquiller les yeux, rien ne semble distinguer le solitaire des autres diamants qui l’entourent. Dans le long défilé des premiers et grands crus entre Gevrey et Vougeot, la parcelle baptisée Romanée-Conti n’est donc pas plus extraordinaire qu’une autre. Dans cette quasi-monotonie, une simple borne signale l’existence du paradis des vins, la limite sud-est du plus grand des grands vins de Bourgogne, monopole des familles de Villaine et Leroy.
La Romanée-Conti couvre 1 hectare, 80 ares et 50 centiares. Son premier rang de vignes commence le long d’une petite route de vignerons, son dernier s’arrête au sentier des Raignots, large de 1,50 mètre, qui la sépare d’un autre grand cru, Richebourg. « La Romanée-Conti regarde le sud, et, au point de rupture avec le Richebourg, il y a un changement de pente léger vers le nord-est et donc une rupture géologique et micro-climatique », assure Aubert de Villaine, associé-gérant du domaine. Une exposition un peu originale, une présence d’argile très fine que l’on ne trouve pas forcément chez les voisins, une profondeur de terre importante, un drainage naturel parfait : voilà ce qui ferait la différence entre ce morceau de prince (elle appartint effectivement à Louis-François de Bourbon, prince de Conti) et les autres. Du moins, voilà ce qu’on peut en dire. Pas grand-chose, donc.
Le dogme
Et pourtant, même si la Romanée-Conti a engendré une multitude de légendes, une chose est sûre : cette délimitation extrêmement précise de un hectare, quatre-vingts ares et une poignée de centiares existe depuis le XV siècle, peut-être même le XIIe, sans qu’on l’ait modifiée. « Elle a été dessinée avec le vignoble de Vosne par les moines du monastère de Saint-Vivant, qui dépendait de Cluny, alors que Richebourg était organisé par les moines de Cîteaux. Et le point de rencontre des influences de ces deux grands ordres religieux, c’est là, à la limite des Échezeaux et des Richebourg. » Pourquoi les moines ont-ils organisé un partage aussi précis, pour quelle raison ont-ils donné ce contour à la future Romanée-Conti ? Et surtout pourquoi les partages, les ventes, les invasions, les guerres, la Révolution, bref, des siècles d’histoire tumultueuse, ont-ils respecté ce choix initial ? Mystère et boule d’argile.
Richard Olney, qui a écrit sur la Romanée-Conti l’ouvrage de référence*, nous dit tout des moines, clercs, grand seigneurs, bourgeois, ou Roi-Soleil qui ont eu à la fréquenter et consacre un chapitre au « génie du terroir » sans vraiment nous donner ses références. Là encore, c’est peut-être Aubert de Villaine, qui nous met sur la bonne piste : « Ces terroirs, que les siècles ont respectés, et quels qu’en soient les propriétaires, ont eu parfois des faiblesses. C’est comme la papauté : les papes passent, mais le dogme reste. Et le dogme, c’est le mariage intime avec un cépage, le pinot noir. Il faut imaginer qu’il a été sélectionné, je dirais raffiné par les moines qui sont allés le chercher dans les forêts de Bourgogne, pour devenir ce qu’il est, un cépage neutre qui ne fait de grands vins que sur les grands terroirs. »
Le « mulch »
Le mystère insondable est sans doute là : une adéquation subtile entre un raisin et un sol, un climat, une exposition, une alimentation en eau – la Romanée-Conti ne souffre jamais de la sécheresse. Tout cela déterminé par des années, des siècles d’observations. « Regardez les nuances sur les grands crus, dit encore Aubert de Villaine : l’exubérance de l’Échezeaux, le côté soyeux du Grand-Échezeaux, La Tache, spectaculaire, qui tape du poing sur la table, surtout quand elle est jeune, la Romanée-Conti, beaucoup plus réservée, qui demande à être vraiment connaisseur pour l’apprécier. Elle ne commence à être elle-même qu’à partir de 15 ans. »
Les hommes n’ont pas seulement observé, ils ont aussi travaillé ces terroirs. Du temps des Conti, les paysans allaient chercher la terre fine des plateaux pour amender les vignes. Pourquoi sur les plateaux ? Parce qu’on avait compris que c’est de là que naturellement elle venait, véhiculée par le ruissellement des eaux de pluies. Il y avait aussi le « provignage », qui a duré jusqu’en 1945 à la Romanée-Conti. Cette opération relevait du mystique autant que de la pratique culturale. Pour reproduire la vigne, en effet, on « sacrifiait » un bon pied, qu’on enterrait couché dans une fosse en laissant juste deux sarments, qui, en se développant, créaient deux ceps nouveaux. « Quand on a arraché en 1945, pour reconstituer le vignoble, raconte Aubert de Villaine, il y avait une épaisseur de racines entremêlées – on appelle cela un « mulch » – sur plus d’un mètre de hauteur. Notre première récolte a eu lieu en 1952. Le vin était extraordinaire. André Noblet, notre ancien chef d’exploitation, était sûr que les nouvelles vignes avaient puisé dans ce mulch le caractère de la Romanée-Conti… »
* Romanée-Conti, Richard Olney, éditions Flammarion.
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