le champagne de l’excellence
Posté par francesca7 le 12 avril 2014
À l’origine « danseuse » d’un fourreur de la Belle Époque, le domaine produit une cuvée millésimée uniquement les très bonnes années.
L’histoire de Salon ressemble à la trame d’un roman réaliste et historique. Au début de l’aventure, il existe pour de vrai un monsieur Salon, Eugène-Aimé de son prénom. Champenois, fils d’un artisan charron, il a très vite quitté les roues de charrette et les pieds de vigne pour « monter » à Paris et faire fortune dans un tout autre secteur : la fourrure. Eugène-Aimé fréquente le Maxim’s des princes russes et de la Belle Otéro. On le décrit comme un des brillants personnages de la Belle Époque. Pour se faire plaisir, briller auprès des dames et régaler ses amis, il acquiert un hectare de vigne dans un des plus fameux crus de champagne : Le Mesnil-sur-Oger. C’est une des communes références de la Côte des Blancs, au sud d’Épernay, royaume du cépage chardonnay. Le Mesnil a un terroir particulier, qui donne des vins tranchants, de très longue garde, rarement aimables dans leur jeunesse, mais d’une grande subtilité aromatique avec le temps.
Le champagne Salon, au départ de son histoire, ne se destinait donc pas au circuit commercial. Mais par la suite Eugène-Aimé récupère les raisins de plusieurs parcelles autour, et crée sa propre marque, assez confidentielle, connue et appréciée surtout des professionnels champenois. Eugène-Aimé meurt solitaire en 1943. On dit que depuis le début des hostilités il ne sortait plus guère de chez lui.
Dans le « nid d’aigle » d’Hitler
Une année passe, puis les Alliés débarquent. Parmi eux, Bernard de Nonancourt, dont la mère est une Lanson, du champagne du même nom. Son frère, résistant, est mort ; lui a réussi a rejoindre en vélo Grenoble où le futur abbé Pierre l’a aidé à rejoindre l’Espagne. De là, il a gagné l’Angleterre et s’est mis au service du général de Gaulle. Engagé dans l’armée Leclerc, il dirige le commando qui, désobéissant aux ordres du commandement américain (mais avec la bénédiction de Leclerc), s’empare du fameux « nid d’aigle » d’Hitler, son repaire de Berteschgaden. Là sont entreposés nombre de trésors volés à la France dont plusieurs milliers de bouteilles : les chiffres varient, peut-être 500 000… Les plus grands crus de Bordeaux, de la Bourgogne, les grandes cuvées de Champagne… Bernard de Nonancourt et ses hommes fêtent l’événement et débouchent une bouteille qu’ils trouvent dans une des caisses qui servent à entreposer ces vins : du Salon 1928. Le goût de ce vin, certes une très grande année, lui restera à jamais en mémoire et Nonancourt se fait le serment que si un jour Salon est à vendre, il l’achètera.
Après la guerre, Bernard de Nonancourt a développé avec succès la marque Laurent-Perrier – rachetée par les Lanson en 1925 – et il a tenu parole. Quelques années plus tard, quand une marque d’apéritif, qui l’avait maintenu en l’état, décida de se séparer de Salon, il en deviendra le propriétaire et le gardien de l’orthodoxie…
Inverser la marche du temps
Salon est toujours élaboré a partir de la vigne historique d’Eugène-Aimé, complété par les raisins provenant d’une vingtaine de parcelles – les mêmes depuis le début du siècle. Sauf une cependant : le Clos Tarin, qui est devenu le Clos du Mesnil de Krug en 1979. Salon ne produit qu’une seule cuvée, pur chardonnay et millésimée, uniquement les très bonnes années : 37 seulement en un siècle ! « Dans la décennie 80, nous avons réalisé seulement quatre millésimes et rien entre 1990 et 1995. En revanche 95, 96 et 97 ont été embouteillés. Nous n’avons pas produit de millésime 98, car il manquait d’acidité », explique son directeur, Didier Depond.
Salon conserve très longtemps ses bouteilles avant de les commercialiser (Le 99 est en vente en ce moment chez les cavistes) et conserve en permanence dans ses caves entre dix et douze millésimes différents. Les bouteilles (80 000 en moyenne pour chaque millésime) sont mises à la vente quand oenologue et directeur les jugent à maturité suffisante. Parfois même, ils inversent la marche du temps, proposant le 88 avant le 85 jugé encore un peu trop jeune. Une dégustation des vieux millésimes de la marque constitue évidemment un événement rare et particulièrement délicieux.
Les grands millésimes
Salon 1976, année de la grande sécheresse (et d’impôt concomitant). Les vendanges ont commencé fin août. Nez crème au beurre, amande grillée, bouche encore jeune, solide, aux saveurs de miel et d’épices, très long, toujours délicieux aujourd’hui.
Salon 1982. Peut-être le plus beau : un nez de truffe blanche, note de cire, puissant, riche, bouche grasse, ronde, structurée, ample, des saveurs de pêche blanche et de pâtisserie. Beaucoup de volume, mais sans se départir de l’élégance : un monument.
Salon 1988. Des arômes de brioche, épices douces, citron confit.
Salon 1990. Doré soutenu, tilleul, épices, citron vert, floral, nez très frais, bouche structurée, acidité présente mais sans agressivité, délicat, du gras, très rond, dense mais élégant, très flatteur.
Millésimes exceptionnels 1961,1959, 1955, 1948 et même encore en très bonne forme le 1928 qui avait tant plu au jeune officier de Nonancourt…
article paru LePoint.fr
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