Lafite-Rothschild
Posté par francesca7 le 12 avril 2014
On ne confondra pas, sous peine de vexer quiconque, les Rothschild de Lafite et ceux de Mouton. Tous issus d’une même jeune pousse certes, mais celle-ci est devenue un solide chêne généalogique et les branches n’ont plus guère l’occasion de vibrer au même vent depuis déjà fort longtemps. Nathaniel acquiert Mouton en 1853. Il représente la branche anglaise de la famille. Lafite fut acheté un peu plus tard, en 1868, par James, chef de la branche française. Des trois premiers de Pauillac, Lafite est sans doute le plus mystérieux et le plus élégant. Il fut une période où cette élégance confinait à la minceur type mannequin. Les vins de la décennie 1970, peu riche en millésimes ensoleillés, excepté 1976 où ce fut sécheresse et canicule guère favorables au vin, paraissent un peu maigres. Les années 1980 ont vu le grand retour et, surtout, les décennies suivantes, ce qu’on peut appeler l’ère Chevallier. Sans dénaturer, sans ôter à ce grand vin sa finesse et sa délicatesse, il a gommé les creux. Jamais Charles Chevallier n’a cédé, pourtant c’était tentant, à la mode du « toujours plus » qui a fait des ravages et continue d’en faire dans la famille grands vins à Bordeaux. Pas d’extraction massive, pas d’oenologie « bidouillante », pas d’élevage mystérieux… Le secret de Lafite, Charles Chevallier nous le livre : « On fait du Lafite sur le terroir classé en 1855. Richesse, densité et élégance ne viennent que de ce terroir. On connaît toutes les parcelles qui font du grand vin, et le vin qui en provient est placé d’autorité en barriques neuves. On peut faire du vin puissant partout, cela reste du concentré ; pour qu’il soit élégant, on ne peut le faire que dans ce périmètre. Pour les parcelles qui, systématiquement tous les ans, donnent des Carruades (le second vin), on écoule directement en barriques de réemploi. Il reste toujours un entre les deux avec lequel on se balade. Le parcellaire de Lafite, je peux le dessiner de mémoire, c’est presque toujours le même, sauf année bizarre, comme 1994, où le merlot a été éliminé, ou 2003. »
C’est dans ce périmètre que sont évidemment plantés les grands cabernet-sauvignon du château, qui sont fortement présents dans l’assemblage du grand vin. L’encépagement de Lafite comprend 70 % de cabernet-sauvignon, 25 % de merlot (plus 3 % de cabernet franc et 2 % de petit-verdot). Mais on notera que, bien souvent, l’assemblage retenu pour le grand vin comporte un pourcentage supérieur de cabernet-sauvignon et peu de merlot (toujours plus de 80 %). Lafite n’est pas un vin de rondeur mais de finesse. En 1994, Lafite a surpris tout le monde en annonçant un 100 % cabernet-sauvignon sans une trace de verdeur ou de dureté, un vin de finesse que l’on pourrait imaginer d’une année bien plus ensoleillée. Et pourtant. Flotte pour les vendanges, maturité compliquée à obtenir : beaucoup de 1994 présentent les côtés anguleux de tanins pas assez bronzés au soleil. Souvent, les responsables ont choisi d’augmenter la proportion de merlot dans les assemblages. Ce cépage est précoce et apporte de la rondeur, tandis que le cabernet-sauvignon est un timide tardif qui, parfois, fait attendre les vendangeurs jusqu’à la mi-octobre. Mais c’est une spécialité de Lafite que de sublimer les millésimes moyens. On retrouve cette manie déroutante avec le 2004. Parmi les grands millésimes de Lafite, on retient le 1982, mais les 1986, 1988, 1989 sont peut-être un cran au-dessus dans la précision et l’équilibre. Quant au 1990, c’est aujourd’hui un vrai bonheur. Dans cette décennie 1990, le coup d’éclat de Lafite s’est joué avec un millésime qui ne plaît pas forcément aux palais sucrés ou aux amateurs de vins guimauves : 1996. Acidité, verdeur, tanins sévères, le millésime a connu peu de défenseurs au moment de sa sortie. Les vins se sont arrondis et, pour ceux qui fréquentent les salles de ventes, c’est l’occasion de se faire plaisir avec des bouteilles de grande garde. Lafite, dans ce millésime, surpasse tout le monde. Pour nous, le plus grand demeure le merveilleux 1959. Suave, émouvant comme un grand bourgogne, raffiné comme seuls les grands cabernet-sauvignon peuvent l’être. 1959 fut une année chaude, solaire. Mais dans le verre, aucune trace de chaleur, de fruits trop mûrs ou de pruneau : que de la dentelle et de la fraîcheur… La trilogie 2008 (raffiné), 2009 (truffe), 2010 (complétude) est remarquable aussi bien qu’intouchable, car c’est à cette époque que les riches amateurs chinois ont découvert Lafite et fait grimper les prix..
article LePoint.fr
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