La tome d’Arles est un fromage de Provence frais au goût de brebis. Sans croûte, elle se présente nue, recouverte d’une feuille de laurier. C’est un fromage fondant et onctueux qui favorise la digestion en fin de repas.
On trouve dans la littérature le mot » TOME » orthographié avec un ou deux « m ». Dans les paragraphes qui suivent les deux orthographes sont utilisées en fonction de l’auteur cité. En Provençal, le mot » toumo » ne prenant qu’un » m « , il semble plus juste d’adopter la forme » tome « , qui de plus, évite la confusion avec d’autres fromages très différents tels la » tomme de Savoie » par exemple. La définition du Larousse des fromages à la rubrique CAMARGUE, donne un aperçu global du produit et de son contexte de fabrication : » CAMARGUE (Provence) – brebis.
Au printemps, la Camargue est envahie par d’immenses troupeaux de moutons transhumants vers les basses Alpes. On fait du lait des brebis, de frais fromages accommodés de thym et de laurier. On les appelle Gardian ou Tome d’Arles, où d’ailleurs on peut rencontrer près des arènes, des marchands ambulants de ce fromage très agréable frais et qui, en durcissant, acquiert un arôme profond ( d’Avril à Juin ). «
L’élevage en pays d’Arles.
La commune d’Arles, depuis le XIIème siècle, a peu à peu cédé ses terres aux particuliers, se contentant de réserver un droit de parcours, ou droit d’Esplèche, laissant les coussouls et pâtis, de la Mi-Carême à la Saint Michel, à la libre disposition des éleveurs qui payaient un impôt foncier à la commune.
Fin XVIIIème, on trouvait en Crau et en Camargue trois grandes catégories de troupeaux de brebis :
* Ceux qui venaient des Alpes ( troupeaux de transhumance inverse ).
* Ceux qui appartenaient aux éleveurs arlésiens qui ne possédaient aucune terre, les troupeaux de » nomades « ).
* Et enfin les troupeaux des tenants du foncier, les plus nombreux que l’on trouvait sur l’ensemble de la Crau et sur les espaces incultivables de la Camargue.
Au XIXème siècle on assiste d’une part à une mise en valeur de la Crau et de la Camargue, avec des travaux d’assèchement, d’assainissement et d’irrigation, ce qui a eu pour conséquence de restreindre l’espace destiné aux troupeaux et d’autre part une évolution des bêtes avec l’introduction du mérinos d’Espagne qui, croisé avec la vieille race locale cravenne va aboutir à la formation d’une race : le mérinos d’Arles. Rustique et résistant, cet animal est très bien adapté à la transhumance, ne craignant pas les longues marches ni les variations de température. De plus, doté d’une toison épaisse, le mérinos d’Arles a une laine longue et fine d’une qualité remarquable.
Mais l’érosion des prix de la laine, commencée dès le début du XXème siècle, et la concurrence des laines étrangères va contraindre l’éleveur à s’orienter vers une production d’animaux de boucherie. On observe alors une évolution de la race mérinos d’Arles.
Après la seconde guerre mondiale, on assiste au développement des activités agricoles sur les espaces traditionnellement réservés aux troupeaux : extension de la riziculture en Camargue, extension des cultures fourragères en Crau, et cultures de produits maraîchers, de melons ou de blé dur.
Parallèlement au développement agricole, l’installation du complexe de Fos-sur-Mer va voir l’extension des zones urbaines. Les revenus apportés par la vente de la laine deviennent de plus en plus mineurs : dans les années 50, la laine couvrait tout juste les frais du voyage à pied ! Et la majorité des rapports proviennent de la vente d’agneaux de boucherie. Autrefois, les troupeaux transhumants étaient menés par des boucs castrés, dont les cornes s’étaient ainsi développées, les » menons « . Ces boucs appartenaient à la race du Rove ; ils sont aujourd’hui remplacés par des moutons conducteurs appellés floucats. Leur nombre est variable pour chaque troupeau, environ un pour 200 ou 300 bêtes environ. Les chèvres qui accompagnaient les troupeaux, fournissant du lait pour améliorer la nourriture des bergers et aussi fabriquer des fromages, voient leur nombre diminuer d’année en année. Il y avait près de 3900 chèvres dans les troupeaux transhumant vers les Basses-Alpes en 1946. En 1960, environ 80% des troupeaux comportaient encore
Les origines de la tome d’Arles.
Louis STOUFF, historien, dans son ouvrage » Ravitaillement et alimentation en Provence au XIV et XVème siècles » , nous renseigne sur les habitudes en matière de consommation de fromage : » On offre au roi René des ‘fromaiges rons des presurs’. Les chanoines du chapitre Ste Trophine à Arles mangent traditionnellement à l’époque de Pâques des fromages frais et salés. Le mot tomme est utilisé, il est difficile de savoir à quoi il correspond ; à Arles il paraît désigner des fromages de brebis car on trouve des instruments destinés à la fabrication et à la conservation de la tomme chez les bergers qui ne possèdent que des brebis. «
Dans cette définition, ce fromage frais et salé, de brebis, semble correspondre à l’actuelle tome d’Arles.
Louis STOUFF toujours, dans son livre » Arles à la fin du moyen-âge » , nous parle des pastres : » Le lait se recueille dans des seaux, la production et la fabrication des fromages sont l’un des revenus. En 1390, un pastre s’engage à traire les bêtes et à fabriquer le fromage … ils ont des claies pour les faire sécher, l’un d’eux a sans doute douze douzaines de fromages en cours de séchage, leur équipement comprend de petits paniers pour égoutter les fromages frais. «
On consommait aussi du fromage de chèvre : » caseum de baucio » , en provenance de la chaîne des Alpilles, domaine des chèvres.
Le mot tome, utilisé par Pline l’ancien semble désigner un commencement de fromage plutôt qu’un fromage proprement dit, c’est à dire un caillé pas encore affiné. On portait à Rome des fromages mous en provenance de Lozère ou du Gevaudan, nommés en patois » toumo » . ( A. FABRE – le roquefort de Pline l’ancien ).
Frédéric MISTRAL, dans » Mireille » , traduit tomme par fromage frais et dans le chapitre 6 du poème du Rhône, il précise :
» Jonchée ( toumo ), fromage frais que l’on fait égoutter sur des joncs et que l’on retourne de temps en temps » , d’où la locution » vira coume uno toumo » ( tourner comme une tomme ). Toujours d’après Mistral, les » fiscello » étaient des petits ronds de jonc ou d’osier sur lesquels le lait caillé était mis à égoutter, mais la tomme se moulait dans des vases de poterie percés de trous. Les tommes préparées avec du lait de chèvre ou de brebis sont d’un blanc très pur, d’un coupe fine lisse et brillante. ( R. JOUVEAU – La cuisine provençale de tradition populaire ).
Les débuts de la tome d’Arles.
En 1923, Mr. A. CONDUCHE, alors employé saisonnier de Roquefort, dans une laiterie à Moules, près d’Arles, achète sa propre laiterie en Arles. Il n’avait pas de troupeau, il organisait le ramassage du lait ( exclusivement de brebis car il reprochait aux chèvres leur faible rendement ) d’Octobre à Mai, sur Nîmes, St Gilles et Vauvert, trois localités du département voisin, le Gard.
En période de pointe, il traitait jusqu’à 1500 litres de lait par jour, la majorité était transformée sur place en roqueforts qui étaient envoyés par la suite dans les caves de Roquefort pour affinage, le reste de la production se répartissait en :
– Un fromage frais et nu L »ARLESIENNE
– Un fromage ½ sel LOU GARDIAN
– Un fromage plus sec LOU PASTRE
Vendus sur les marchés d’Arles, Nîmes, Avignon et Tarascon. ( ces trois noms étaient déposés sous une marque commerciale ) Le nom de » gardian » est encore communément utilisé pour nommer la tome d’Arles.L a production de Mr. CONDUCHE a cessé en 1952, par insuffisance de lait.
Aujourd’hui, on trouve le successeur de Mr. CONDUCHE en la personne de Mr. René BOUET, issu d’une famille de bergers depuis plus de 150 ans, à Vauvert dans le département du Gard. Associé avec son gendre, Stéphane LEMERCIER, il est le dernier à poursuivre cette production, dans sa fromagerie » le Mas du Trident » , à Vauvert avec 300 brebis. Leur fromage, commercialisé sous le nom de » Trident « , se trouve sur les marchés de Provence, les crémiers, épiciers et restaurateurs de la région.
En dehors de la commercialisation, la tome d’Arles a toujours été fabriquée dans les mas de Camargue, pour l’auto-consommation et nourrir les ouvriers qui travaillaient dans ces fermes. Certains habitants de la périphérie d’Arles avaient de petits troupeaux de chèvres et faisaient de la tome avec la même recette, les mêmes méthodes, pour leur propre consommation.
La fabrication de la Tome d’Arles.
La tome d’Arles est un fromage frais de type caillé présure. Elle est de forme carrée ( la forme carrée ne vient pas de la forme des moules, qui sont ronds, mais du fait que les fromages sont stockés côte à côte, très serrés ). Elle mesure 6 cm de côté et 1,5 cm d’épaisseur.
Sans croûte, elle se présente nue, recouverte d’une feuille de laurier. Le lait était tout d’abord traité à 60 °C pendant 30 minutes, ce qui correspondait à une pasteurisation basse, obligatoire pour éviter la brucellose, ou fièvre de malte ou fièvre ondulante. Les contrôles vétérinaires actuels dispensent de cette opération. Le lait n’était pas écrémé. L’emprésurage se faisait à une température de 30 à 33 °C, avec environ 35 ml de présure ( 10.000 ) pour 100 litres. La coagulation durait 60 à 90 minutes selon la température ambiante, de 25 à 30 °C. Le caillé était découpé au sabre en cubes de 5 cm., sauf pour » l’Arlesienne « , afin de soutirer le sérum. Le moulage était individuel et à la louche, dans des faisselles en terre ou en fer et plus récemment en plastique ( 8 cm. de diamètre et 6 cm. de haut ). Le pressage se faisait par la pression naturelle, on tournait le fromage toutes les deux heures ( sauf » l’Arlesienne » qui n’était pas retournée ) et le démoulage s’effectuait au bout de 24 heures. » Lou Gardian » était salé, poivré, et saupoudré de thym, laurier, fenouil en poudre et recouvert d’une feuille de laurier entière. Ce même gardian pouvait aussi être vinaigré ou trempé dans l’alcool.
Stéphane LEMERCIER définit son fromage ainsi : » Une pâte fraîche, blanche, souple, au goût remarquablement fin et subtil, de forme carrée, parfumée aux herbes de Provence, recouvert d’une feuille de laurier, voilà le Trident, spécialité de Camargue au lait de brebis. Régal des gens de Camargue et de » bouvine « , il est souvent consommé en entrée à la façon de Jean LAFONT ( célèbre manadier de Camargue ), accompagné d’une salade de tomates et poivrons ou autre légume de saison et surtout arrosé d’une huile d’olive locale, une mise en bouche formidable au début d’un repas « .
Pierre ANDROUET, qui préconisait de l’accompagner des » listels » de Camargue ou de clairette de Bellegarde, a écrit sur la tome d’Arles un jugement flatteur : » C’est à mon goût un des fromages les plus délicats qui soient « .