Mélusine et mythologie française
Posté par francesca7 le 11 avril 2014
Un nom aux résonances magiques, qui ouvre la porte au rêve, comme l’ont compris aussi bien les poètes que les commerçants.
Ce nom n’apparaît au grand jour qu’à la toute fin du XIVème siècle, avec les romans de Jehan d’Arras et de Coudrette. Mais il est probable qu’il existait déjà auparavant. Le personnage en tout cas est avéré bien plus tôt : il renvoie à plusieurs grands thèmes légendaires, comme par exemple la nymphe des eaux, l’être de terroir, le génie qui habite un certain lieu, le succube qui vient du monde diabolique s’unir charnellement avec un homme, l’annonciatrice de mort, la vouivre ou encore la sirène.
Mais la richesse de cette figure, qui échappe à toute réduction, suggère bien d’autres développements. Femme, fée, serpente et oiseau, elle participe de tous les éléments, de toutes les natures. Toujours actuelle, elle s’affirme comme un inépuisable support de réflexion sur la nature et la destinée humaines.
Tout semble indiquer qu’elle est l’héritière de très anciennes croyances. Plus qu’une nymphe, elle est une véritable divinité des eaux. Et elle apparaît comme une déesse-mère, révérée en des temps ancestraux, et peut-être sur des terres éloignées.
Une hypothèse séduisante, entre autres, la feraient venir de l’antique Scythie. Hérodote(Histoires, IV,9, Les Belles Lettres, trad. Ph. E. Legrand) ne raconte-t-il pas l’aventure survenue àHéraclès sur son chemin de retour d’Erythée, d’où il ramène les vaches de Géryon ? Celles-ci ont soudainement diparu. « Il serait arrivé dans la région qu’on appelle l’Hylaia ; là, il aurait trouvé dans une antre une jeune fille serpent formée de deux natures ; les parties supérieures de son corps, à partir des hanches, étaient d’une femme ; les parties inférieures, d’un reptile. Il la regarda avec étonnement ; puis il lui demanda si elle n’avait pas vu quelque part des cavales vagabondes. Elle répondit que c’était elle-même qui les avait et qu’elle ne lui rendrait pas avant qu’il se fût uni à elle ; et Héraclès se serait uni à elle pour ce prix. » Il la quitta, et trois fils naquirent. Parmi eux Skythès devint l’ancêtre de la famille royale scythe.
Mélusine n’est peut-être pas si loin que cela : les Taïfales, qui étaient des Scythes, ont pris pied, avec l’armée romaine, dans le Poitou où s’est incarnée Mélusine. Et ils ont même donné leur nom à la ville de Tiffauges, dont la fée construsit le château …
LA LÉGENDE DE MÉLUSINE |
Le roi Hélinas d’Albanie rencontre une belle inconnue au bord d’une fontaine, et elle accepte de l’épouser pourvu qu’il lui promette de ne pas la voir pendant ses couches.
Celle-ci, Pressine, met bientôt au monde trois filles : Mélusine, Mélior et Palestine. Mais Hélinas ne peut s’empêcher d’entrer alors qu’elle les baigne. Aussitôt, Pressine s’enfuit avec les bébés, et gagne l’île d’Avalon.
Ayant grandi, les trois soeurs apprennent la faute de leur père. Elles décident de le punir en l’enfermant sous une montagne. Pressine, qui n’avait sans doute pas oublié Hélinas, ne peut rien changer à leur geste, mais, furieuse, elle punit à son tour ses filles : Mélior sera condamnée à garder un épervier dans un château d’Arménie ; Palestine sera enfermée dans le mont Canigou, avec le trésor de son père ; et Mélusine se transformera tous les samedis en serpente « du nombril en aval » et ne pourra échapper à cette malédiction qu’en épousant un homme qui accepte de ne point la voir en cette situation.
Raimondin, dont le père, le comte de Forez, avait lui aussi rencontré une fée au bord d’une fontaine, est élevé chez son oncle, le comte de Poitiers. Hélàs, Raimondin le tue accidentellement au cours d’une chasse au sanglier. Eperdu de douleur, il erre à l’aventure à travers la forêt de Coulombiers.
C’est ainsi qu’il parvient à une fontaine où se tenaient « trois dames de grand pouvoir ». Tout à sa peine, il ne les remarque pas, mais Mélusine quitte ses compagnes, vient vers lui et arrête son cheval. Il est immédiatement ébloui par sa beauté. Elle l’appelle par son nom, et lui promet bonheur et prospérité s’il l’épouse. Il devra seulement ne jamais chercher à savoir, ni révéler à quiconque où elle va et ce qu’elle fait le samedi.
C’est ainsi que Raimondin va devenir le plus puissant seigneur du Poitou. Les noces sont somptueusement célébrées. Près de la fontaine où ils se sont rencontrés, Mélusine édifie le château de Lusignan. Et elle donne naissance à dix fils, dont les huit premiers sont porteurs d’une tare physique. Mais aucun nuage ne vient pour autant ternir le bonheur et la prospérité du couple …
Jusqu’au jour où le frère de Raimondin insinue des choses sur les activités de Mélusine le samedi. Raimondin, bouleversé, ne peut s’empêcher de rejoindre le bas de la tour où elle s’est enfermée. De son épée il perce un trou dans la porte, et il découvre sa femme prenant son bain, « jusquà la taille, blanche comme la neige sur la branche, bien faite et gracieuse, le visage frais et lisse. Certes on ne vit jamais plus belle femme. Mais son corps se termine par une queue de serpent, énorme et horrible. »
Le pauvre homme, pris de frayeur, se signe. Mais, très vite, il rebouche le trou. Il retourne auprès de son frère et c’est contre lui qu’il rejette sa fureur. Il déclare Mélusine irréprochable, et le met à la porte du château.
Mélusine, de son côté, feint de ne s’être aperçue de rien, et la vie continue comme avant …
Jusqu’au jour où un de leurs fils, Geoffroy la Grand’Dent, incendie sauvagement l’abbaye de Maillezais, avec les moines qu’avait rejoints son frère Fromont. Raimondin, horrifié, voit là le signe du caractère diabolique de sa femme, et il ne peut s’empêcher de la traiter en public de « très fausse serpente ».
C’en était trop, le serment était rompu. Mélusine saute par la fenêtre. Elle redevient serpente, et s’envole. « Elle fait trois fois le tour de la forteresse, poussant à chaque tour un cri prodigieux, un cri étrange, douloureux et pitoyable. »
Raimondin ne l’a jamais revue. Mais on dit qu’elle revint nuitamment allaiter ses deux derniers fils qui n’étaient pas sevrés. Et qu’elle se manifeste, en criant, chaque fois que la mort va toucher sa descendance, ou que son château s’apprête à changer d’occupant.
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