Comment devient-on nonne au Moyen Age ? Aujourd’hui quand une femme «prend le voile», selon l’expression consacrée, c’est parce qu’elle le désire. Nous la supposons majeure et libre de ses décisions Il n’en va pas ainsi au Moyen Age. Il y a certainement des jeunes nonnes qui n’ont jamais caressé d’autre rêve, mais on a d’innombrables preuves que les filles sont la plupart du temps placées au monastère par décision paternelle, ce choix pouvant intervenir avant même leur naissance. Un exemple. En 1282, un grand seigneur de Provence, Géraud de Villeneuve, rédige son testament. Il a déjà une fille religieuse; il veut que sa fille Roseline le soit également et il lui constitue la dot correspondante.
Les filles sont cloîtrées très jeunes. Beaucoup ont moins de 7 ans. Le moine cistercien Césaire d’Heisterbach, au début XIII’ siècle, se félicite de cette pratique: «Leur extrême jeunesse, dit-il, préserve la simplicité qui maintient la pureté de leur corps.» On raconte même qu’une enfant était entrée si jeune au cloître que, apercevant un jour une chèvre dressée contre le mur de la clôture, elle avait cru qu’il s’agissait «d’une femme du siècle à qui, avec l’âge, poussent la barbe et des cornes».
L’entrée dans les ordres n’est ni gra tuite ni ouverte à toutes les classes sociales. Le monastère est un moyen de stériliser les rameaux trop abondants tout en s’assurant la bénédiction spirituelle du lignage. Deux conséquences. Malgré des protestations récurrentes pour interdire la simonie, la dot est obligatoire et seules les filles d’un certain niveau social peuvent se cloîtrer. En outre, les monastères sont obligés de poser un numerus clausus car la demande est supérieure à l’offre. Les paysannes qui ont à la fois la vocation et la liberté sont converses, vouées aux gros travaux – religieuses au rabais, vivant dans des bâtiments séparés, non mélangées en tout cas avec les nonnes de choeur.
Mais ces femmes ne vont pas se joindre aux frères pour évangéliser et convertir. C’est inconcevable, même si Claire en a peut-être rêvé. C’est toute la structure ecclésiologique qui est en jeu, et l’idée qu’une Eglise fondée par les hommes se fait à la fois de la fragilité féminine et du danger que la femme représente pour la vertu masculine. D’abord, la femme est exclue du sacerdoce et donc toujours tributaire des prêtres pour les sacrements. Il n’est pas davantage question qu’elle puisse s’instruire dans les universités qui ouvrent aux garçons de nouvelles carrières en développant considérablement le savoir dans les «arts libéraux», la théologie, le droit, la médecine. Saint Paul avait interdit à la femme, «voilée en signe de soumission », d’enseigner et de parler en public. Sa beauté troublerait l’auditoire, renchérissent les censeurs du XIII’ siècle. Elle ne saurait donc sans scandale courir les rues et encore moins traverser les mers.
Le cas des deux écuyers était impardonnable. En droit féodal, l’adultère commis avec la femme de son seigneur était assimilé au crime de haute trahison et puni de mort. Mais de plus, le crime de frères d’Aunay s’aggravait de lèse-majesté puisqu’il s’agissait de princesses royales. Ils furent savamment et longuement torturés. Philippe d’Aunay finit par avouer qu’il était l’amant de Marguerite, reine de Navarre, et Gainier, de Blanche, comtesse de la Marche. L’un et l’autre, sous l’empire de la douleur, donnèrent tous les détails de leur double liaison qui remontait à deux ans et demi, les lieux de leurs rencontres, les noms de leurs complices. Interrogées, mais non torturées, les princesses commencèrent par nier. Les aveux des frères d’Aunay les confondirent. Marguerite et Blanche reconnurent leur faute. Quant à Jeanne, elle protesta avec tant de véhémence qu’elle impressionna ceux qui l’interrogeaient, mais enfin elle était coupable de ne pas avoir dénoncer les fautives, sinon même d’avoir facilité les rendez-vous.
Marguerite et Jeanne furent dépouillées de leurs atours, tondues et conduites dans la forteresse de Château-Gaillard. Jeanne implora le pardon de Philippe le Bel, réclama vainement un jugement contradictoire. Elle fut menée au château de Dourdan dans un chariot bâché. Tout au long du chemin, elle criait aux passant : « Pour dieux, dites à mon seigneur Philippe que je meurs sans péché ! »
L’exécution des frères d’Aunay eut lieu à Pontoise et fut une boucherie. ils furent roués, écorchés vifs, châtrés, puis décapités et l’on suspendit leurs dépouilles sans tête à un gibet. On rapporte que Blanche et Marguerite, enfermées dans leur chariot, assistèrent à ce supplice. De là, elles gagnèrent Château-Gaillard.
Marguerite fut placée à dessein dans une salle haute, copieusement éventée. Elle passait ses journées à se lamenter, à pleurer. Elle ne put résister à l’humidité glacée et aux courants d’air, et mourut bientôt. Blanche s’accrochait à la vie ; elle espérait obtenir son pardon. On l’avait enfermée dans une salle basse, moins inconfortable. Elle se consola comme elle le put et devint grosse de son geôlier. Au bout de sept ans de captivité, on l’interrogea à nouveau, non pas sur l’adultère avec Gautier d’Aunay, mais parce que son époux voulait faire annuler leur mariage : en droit canonique, l’adultère n’était pas un cas d’annulation ! Au cours de cet interrogatoire, elle se montra fort calme, résignée, presque rieuse. Tant de bonne volonté méritait récompense ! On lui permit de se retirer à l’abbaye de Mauhuisson, où elle mourut en 1326. Quant à Jeanne, ses protestations d’ innocence portèrent leurs fruits. Après la mort de Philippe le Bel, son époux la reprit et, par la suite, elle devint reine de France.
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