Des vins mythiques
Posté par francesca7 le 5 avril 2014
Haut-Brion le plus ancien et Latour le plus bio figurent parmi les cinq grands vins répertoriés au classement de 1855. Leur histoire se lie comme une saga.
C’est un club très fermé : Lafite, Latour, Margaux, Mouton et Haut-Brion, que l’on cite toujours un peu à part. Et pour cause : les quatre premiers sont issus du Médoc, cette langue de terre entre estuaire et océan, tandis que le dernier se situe au sud-ouest de Bordeaux, entouré désormais par l’urbain et ses désagréments. Haut-Brion est un graves. Les autres sont de Pauillac pour Latour, Lafite et Mouton, de Margaux pour Margaux. Le classement de 1855, opéré à la demande de Napoléon III pour les crus du Médoc, a intégré Haut-Brion, qui n’en était pourtant pas un. Une raison à cela : l’ancienneté. Les courtiers et autres professionnels de la commercialisation de l’époque considéraient que ce cru était le premier à s’être exporté et à acquérir ainsi une notoriété internationale, et qu’à ce titre il avait toute sa place dans ce nouveau classement. Ils n’avaient pas tort.
Haut-Brion
C’est un cru qui a toujours de l’avance, qui est chaque année le premier à vendanger. Grâce à son sol épatant de graves profondes, mais pas seulement. Il possède son petit réchauffement climatique bien personnel. Quand Haut-Brion fut créé par Jean de Pontac, au XVIe siècle, il était entouré de bois, de prés, et ses voisins s’appelaient cerfs, biches, lièvres et sangliers. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. C’est un cru au milieu de la ville, entouré d’habitations, de routes, d’une voie ferrée. Pour se rendre au château, le bus suffit. Bien des beaux domaines alentour ont disparu, bouffés par la cité à chaque poussée d’urbanisme ou de démangeaison économique. Haut-Brion doit à sa stature de premier historique sa capacité de résistance aux embuscades urbaines.
Des cinq premiers cités, Haut-Brion est celui qui possède le plus de merlot. L’assemblage moyen tourne autour de 50 % de ce cépage, complété des cabernets. Pour se donner une idée, le 2005 était composé ainsi : 56 % de merlot, 39 % de cabernet-sauvignon, 5 % de cabernet franc. Tandis que le 2009 contenait 46 % de merlot, 40 % de cabernet-sauvignon, 14 % de cabernet franc. Ce millésime 2009, exceptionnel dans ce château, était marqué par une forte chaleur et un risque de voir les degrés d’alcool grimper très haut. Le cabernet, moins « alcoologène » que le merlot, s’imposait davantage, d’autant que les années chaudes lui assurent une parfaite maturité…
Comment caractériser le rouge de Haut-Brion (on produit aussi du blanc, de façon plus confidentielle) ? Une certaine sévérité de jeunesse et des arômes particuliers quand le vin est adulte. On peut y déceler la fumée, le cuir, le havane, la truffe très présente les années chaudes comme 1989, qu’il faut citer comme une des grandes réussites du domaine. On ajoutera 2005 de très longue garde, 2009 et, dans les anciens, 1970 et 1982. Mais c’est dans les « petits » millésimes qu’il faut goûter la différence avec le commun. 2004, 2002 ou 2006, le mal jugé par la critique internationale, sont impeccables aujourd’hui.
Latour
Le domaine viticole de Latour resta dans la famille Ségur, grande famille noble fondatrice de presque tous les grands crus environnants (Lafite, Calon, Mouton, etc.), jusqu’en 1963. Cette année-là, les descendants du marquis de Ségur cèdent les actions au groupe Pearson, puis, après un passage dans l’escarcelle d’Allied Lyons, elles atterrissent en 1993 dans celle de François Pinault (également propriétaire du Point). François Pinault a réalisé de très gros investissements dans l’outil de production, qui ont permis à Latour de monter en qualité : nouveau chai souterrain, aires de stockage elles aussi souterraines, rénovation des chais et des bâtiments, du cuvier et des systèmes de vinification, etc. Moins visible, le travail dans le vignoble. La politique de Pearson était de ne jamais arracher mais de remplacer les pieds manquants afin de conserver au maximum les vieilles vignes. Sur le papier, l’idée était bonne, mais au final, cela se traduisait par un vignoble peu productif, avec des ceps fragilisés.
L’équipe actuelle a continué dans cette voie-là, où c’était nécessaire et possible, mais elle a aussi lancé un programme d’arrachage, de mise en repos des terres pendant cinq ans et de replantations. Parallèlement, une expérience de culture en biodynamie a été lancée dès 2008 sur certaines parcelles, afin d’étudier si cette pratique pouvait être généralisée à l’ensemble du vignoble. Non seulement l’expérience a réussi, mais Fréderic Engerer, le responsable du domaine, a décidé de passer la totalité de l’Enclos (le vignoble historique) en bio dès cette année et de travailler en biodynamie la partie est, celle qui regarde l’estuaire. Une partie est désormais travaillée au cheval : « Je n’avais pas mesuré l’impact social, le rapport des gens avec les chevaux. Ce n’est pas seulement le passage du tracteur, de la mécanique à l’animal, c’est autre chose : un cheval, c’est vivant, ça peut être malade, et les gens s’en informent dès l’embauche. »
Le grand vin est produit sur le terroir dit de l’Enclos, qui est constitué de trois grandes familles pédologiques : les graves argileuses, les sables graveleux, les argiles marneuses. Les sols et sous-sols de cet Enclos sont un modèle médocain, avec la couche de graves bien drainantes en surface. Les cailloux jouent également un rôle dans la maturité en accumulant la chaleur le jour pour la restituer la nuit. Mais les argiles en profondeur sont déterminantes. Ce sont elles qui vont fournir à la plante, l’été, une humidité et une nourriture suffisantes pour conduire les raisins jusqu’à la pleine maturité. Les parcelles extérieures à l’Enclos (et les jeunes vignes de celui-ci) produisent le second vin et un troisième, Pauillac, proposé à un prix plus accessible et souvent délicieux. Il n’y a pas de ratés dans les derniers millésimes et, si la critique est assez unanime pour souligner la qualité des grands millésimes comme 2000, 2005, 2010, on a parfois plus de plaisir avec des années comme 2001 ou 2002 (ici parfaitement réussi), qui nécessitent moins d’attente.
parution : Le Point.fr
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.