Repères dans l’art des jardins de la Loire
Posté par francesca7 le 4 avril 2014
Un pays fleuri et cultivé au gré des modes : jardins médiévaux, inspirés de la Renaissance italienne, « à la française », « à l’anglaise » ou contemporains se succèdent comme autant de sources de plaisirs raffinés ou de pieuse méditation.
Le jardin des origines
L’histoire se heurte à un obstacle majeur : le végétal est par essence éphémère. À part l’olivier qui peut collectionner les millénaires, les arbres vivent cent, cinq cents, exceptionnellement mille ans pour les ifs puis meurent. Et que dire des arbustes, des fleurs ou les légumes ? Reste-t-il quelque part dans le monde un jardin intact, un jardin des origines, ne serait-ce qu’un jardin romain, médiéval ou de la Renaissance ? Non. Ni en Val de Loire ni ailleurs. Justement, où les jardins sont-ils nés ? Étonnamment, l’étymologie, l’histoire et la Bible nous mènent vers une source plus ou moins commune des jardins d’Occident, qui est… un paradis ! Le mot paradis vient en effet du persan pairidaeza qui signifie jardin, enclos. Avec l’exil des Hébreux, ce mot donna pardes dans la Bible, puis paradeisos (notre paradis) en grec. Rappelons aussi que, dans la Bible, l’homme et la femme sont créés dans un jardin merveilleux, le paradis, planté d’arbres à fruits, abritant les animaux et d’où un fleuve, divisé en quatre bras (dont peut-être l’Euphrate), irrigue les quatre points cardinaux.
Le plan du paradis
Au-delà du mot, les origines de l’art des jardins se trouvent justement, via la Grèce antique et Rome, dans ces régions proches du Tigre et de l’Euphrate : elle passe par l’influence fondatrice de l’Égypte, où les tombeaux sont ornés de peintures idéalisées de jardins, avec leur technique d’irrigation et des plantes aux significations symboliques, puis par la découverte du pairidaeza, décrit pour la première fois par le Grec Lysandre au 5e s. av. J.-C. Ce visiteur émerveillé a pour guide le roi perse lui-même, Cyrus , présenté comme un roi jardinier, qui se préoccupe en personne de semer et de soigner ses arbres. Son jardin abrite entre ses murs des arbres fruitiers, baignés du parfum de multiples fleurs. Dans son palais d’Ispahan (6 e s. av. J.-C.), des fouilles ont mis au jour un de ces jardins clos, avec ses canaux et sa salle à colonnes, les tapis en reproduisant souvent le plan. De la même époque datent les célèbres jardins suspendus de Babylone . Quel lien le jardin occidental a-t-il avec ces lointaines descriptions ? Protégés dans un espace clos, les arbres et les fleurs, dont la vie en zone aride est conditionnée par l’irrigation, s’ordonnent le long de deux allées en croix bordées de canaux qui partagent l’espace du jardin en quatre. Ce plan traverse siècles et contrées de manière exemplaire : c’était vraisemblablement celui des Égyptiens, ce sera celui des jardins perses, babyloniens, grecs, romains, des jardins dits musulmans et des cloîtres monastiques !
Jardins des sens et sens du jardin
Ces jardins qui émerveillent les visiteurs naissent à la frange du désert et affirment dès l’origine toutes leurs fonctions actuelles. Leur mur protège des bêtes sauvages des arbres parfois rapportés de fort loin, portant des fruits comestibles. L’eau qui y coule avec un bruit charmant proclame une victoire de l’intelligence humaine sur la nature, l’ombre de ses arbres protège du soleil autant le visiteur qu’un second étage de végétation, qui compte des herbes aromatiques ou médicinales, des fleurs pour leurs couleurs et leur parfum, parfois aussi de beaux oiseaux. Bien-être, beauté, nourriture, soin, mais aussi science, pouvoir et prestige s’unissent pour combler les sens.
Jardin clos du Moyen Âge
« J’ai un jardin rempli de plantes parfumées où fleurissent la rose, la violette, le thym et le crocus, le lis, le narcisse, le serpolet, le romarin, le jaune souci, le daphné et l’anis. D’autres fleurs s’y épanouissent à leur tour de sorte qu’à Bourgueil le printemps est éternel… » écrit, en l’an 1100, l’historien et poète Baudry de Bourgueil à propos de son abbaye. Les sources en Val de Loire ne nous permettent pas de remonter au-delà du Moyen Âge, mais les abbayes de Bourgueil, Marmoutier ou Cormery possèdent un jardin. Traditionnellement, ces jardins monastiques sont divisés en parcelles carrées ou rectangulaires comprenant le potager (hortulus) , le verger(pomarius) , le jardin médicinal (herbularius) , et le cloître pour la méditation. S’y ajoute vers la fin du Moyen Âge un jardin clos (hortus conclusus) , image de la Vierge. Les fleurs – aux vertus symboliques – servent à fleurir les lieux saints. Les nobles possèdent aussi des jardins d’agrément, clôturés et divisés selon les mêmes principes, auxquels s’ajoutent de vastes parcs, avec bois et étangs.
Les méthodes de culture utilisent le plessis (tressage du bois surélevant, drainant et réchauffant le sol), la taille, le tressage des végétaux vivants. Les jardins comptent des banquettes de verdure où s’asseoir, des tonnelles, des prairies fleuries.
Quelques créations contemporaines permettent d’imaginer ces lieux. Le jardin en terrasses du château de Bloisa été aménagé par Gilles Clément en un jardin des fleurs royales (lis, iris et hémérocalles) et un jardin des simples (plantes aromatiques et médicinales). À St-Cosme , où Ronsard fut prieur, la rose est omniprésente : huit espaces y déclinent l’art du jardinage du Moyen Âge à la Renaissance.
Renaissance et perspective
Avec la Renaissance, les jardins, comme les autres arts, s’imprègnent d’influence italienne, qui passe d’abord par les récits admiratifs des voyageurs puis par la traduction d’ouvrages. Au 15 e s., les « carreaux » fleuris, installés par le roi René dans ses manoirs d’Anjou et par Louis XI au Plessis-lès-Tours, présentent des berceaux de feuillage et des fontaines à l’intersection des allées qui dispensent une douce fraîcheur au promeneur, distrait en outre par des animaux élevés en liberté ou gardés dans des ménageries et des volières. Charles VIII, enthousiasmé par les jardins qu’il découvre lors de sa campagne en Italie (1495), fait venir le jardinier napolitain Pacello de Mercogliano , qui aménage les jardins d’Amboise puis, plus grands et plus modernes, ceux de Blois. Entre 1553 et 1557, Diane de Poitiers fait réaliser les premiers jardins de Chenonceau (11 000 jours de travail, 7 000 tombereaux de terre transportée), qui mélangent arbres fruitiers, légumes et fleurs.
Si les techniques (tressage, taille) et la division des espaces restent les mêmes qu’au Moyen Âge, la distribution dans le plan s’ordonne et s’imprègne peu à peu de symétrie. Plus vaste que celui des jardins clos, il s’articule autour d’un axe principal incluant les bâtiments. Les jardins s’affirment en effet comme un prolongement de l’architecture des châteaux, dans une mise en scène toute théâtrale recelant des statues antiques. L’ eau , qui s’anime de canaux, jets, bassins, miroirs et cascades (à partir du 16 e s.) devient un élément central… Dans le même temps, l’art se veut plus proche de la nature et les jardins intègrent progressivement l’idée de perspective : même s’ils restent composés d’espaces clos, ils peuvent s’étager à flanc de coteau et ouvrir par quelques percées sur le paysage alentour. Les espèces cultivées restent les ifs, les buis et les charmes qui se prêtent à la taille sculpturale des jardiniers. S’y ajoutent des plantes nouvelles : un des premiers bigaradiers (oranges amères) français est offert en cadeau de mariage à Louis XII, la tulipe venue de Turquie éblouit les Flandres pour provoquer, un siècle plus tard, un fantastique mouvement de spéculation financière. Ces plantes exotiques alignées dans les parterres sont objets d’admiration au même titre que les statues ou bassins.
Au château d’Angers, l’actuel petit jardin méditerranéen rappelle ce goût des plantes exotiques , tandis que les jardins de Chenonceau, de Villandry, de Chamerolles et ceux en terrasses de Valmer évoquent les jardins Renaissance.
Le labyrinthe végétal
Généralement dessiné par des ifs, il apparaît dans les jardins à la Renaissance. Si au 16e s. il s’élève au niveau du genou, il se fait beaucoup plus haut à partir du 17e s., cachant dans ses méandres des jeux galants, une grotte… On en retrouve dans de nombreux jardins : Villandry, Chenonceau, Chamerolles…
Jardin « à la française »
En France, le 17 e et le 18 e s. poussent à leur paroxysme les principes et techniques de la Renaissance. Le plan d’ensemble du jardin dégage de vastes perspectives . Les bosquets et parterres ne sont plus seulement symétriques, ils sont aussi redistribués suivant leur fonction : le potager est caché, voire relégué, le verger aussi, sauf si ses arbres sont conduits en espalier (les techniques de taille atteignent un summum à Versailles). Lesparterres dessinés sont bordés de bosquets boisés, percés de larges allées en étoiles. L’ art topiaire , déjà présent dans les galeries, les haies, les pergolas, les charmilles, trouve une scène de choix dans les parterres de broderies, dont les arabesques de végétaux taillés se détachent sur fond de sable ou de gravier. Canaux, fontaines, bassins s’intègrent dans cette symétrie, de même que les fleurs exotiques, toujours présentes et mises en valeur dans des parterres légèrement surélevés. La rigueur triomphe, la nature est contrôlée, dominée, architecte et maître jardinier travaillent de concert. La mode des jardins « à la française » gagnera l’ensemble de l’Europe, du Portugal à la Russie, en passant par l’Angleterre, l’Autriche et la Hongrie.
Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, livre un atout horticole majeur au Val de Loire. Installé à Blois, celui-ci possède en effet le palais du Luxembourg et sa collection botanique. Par lui, les nouvelles introductions arrivent à Blois, dans un jardin hélas disparu aujourd’hui.
Jardin « à l’anglaise »
Promis à la même expansion que les jardins « à la française », les premiers parcs paysagers font leur apparition dans les années 1710 en Angleterre. Rompant avec l’accentuation perpétuelle de la géométrie, le plan simule au contraire un naturel trompeur fait de pittoresques allées tortueuses, de pelouses ondulées, de ruisseaux sinueux, de pièces d’eau, ruines, bancs, rochers, statues, bosquets… dont l’agencement très étudié semble l’œuvre du hasard. Les acclimatations d’arbres et de plantes exotiques continuent, mais doivent elles aussi s’intégrer de manière naturelle au site.
Les jardins romantiques ou « anglo-chinois » connaissent en France une grande vogue à la fin du 18 e s., stoppée par les troubles révolutionnaires. Des « fabriques » ou « folies » agrémentent ces parcs : imitations de ruines antiques, pyramides égyptiennes, pagodes chinoises, kiosques ottomans… La pagode de Chanteloup(1775-1778), imitation de celle des jardins royaux de Kew, à côté de Londres, et la rotonde de l’Abondance, construite par Soufflot pour faire la jonction entre l’orangerie et le château de Ménars, en sont de beaux exemples.
Le 19 e s. voit aussi la naissance des parcs urbains et un engouement pour les jardins de fleurs, favorisés par la production en serres. Le jardin du Mail d’Angers (1859) est un jardin public de style néoclassique, exceptionnellement fleuri à la belle saison, avec kiosque à musique et statues. Citons également le jardin d’horticulture du Mans, créé au 19 e s. par Jean-Charles Alphand, auteur des parcs parisiens des Buttes-Chaumont, Montsouris et Monceau.
L’éclectisme et l’exotisme sont à la mode à la Belle Époque, comme en témoigne le parc de Maulévrier (1899-1913), le plus grand jardin japonais d’Europe, œuvre d’Alexandre Marcel.
Les créations contemporaines
Peut-être parce qu’il reste trop proche, le 20 e s. donne l’impression d’avoir nourri de multiples tendances parmi lesquelles il est difficile de reconnaître un axe majeur. Par le thème de ses expositions (« Acclimatations », « Jardin des curiosités », « Potager », « Mosaïculture », etc.) le Festival international des jardins à Chaumont-sur-Loire , créé en 1992, offre un bon reflet de cette multiplicité. Avec plus de 160 000 visiteurs chaque été, c’est aussi la première manifestation française dans l’art des jardins et l’une des plus importantes d’Europe.
En Val de Loire, le jardin du 20 e s. s’est beaucoup tourné vers les reconstitutions historiques, dont Villandry est le précurseur (1906).
Les collections de plantes s’avèrent aussi un axe important. Retenons celles, nationales, du Pré de Culands (houx), du parc floral de la Source, à Orléans (iris, clématites), ou des Grandes Bruyères (roses à parfum, magnolias, cornouillers de Chine et d’Amérique).
Le paysagiste Gilles Clément (jardins du château de Blois et du musée du Quai-Branly à Paris) met en avant une autre tendance contemporaine, qui est comme une prolongation très radicale du tournant pris au 18 e s. par les parcs à l’anglaise. Ce principe, baptisé par lui « jardin en mouvement », prône une intervention minimale dans le jardin : les plantes meurent et se ressèment naturellement, le jardinier n’intervient que pour les contrôler ou favoriser leur croissance. Ce principe, qui requiert du jardinier la capacité à identifier toutes les plantes et une conception du site sans cesse en évolution, est appliqué dans quelques rares jardins (une partie du parc André-Citroën à Paris, parc Matisse à Lille, quelques lycées horticoles dont celui de St-Herblain près de Nantes).
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