Au clair de la lune
Posté par francesca7 le 23 mars 2014
ou de la « lume » ?
La mélodie de cette chanson enfantine est parfois attribuée à Jean-Baptiste Lully, compositeur du xviie siècle.
Cependant, en l’absence de sources fiables étayant cette thèse, l’œuvre est actuellement considérée comme une chanson anonyme du xviiie siècle.
D’après certaines sources la version originale disait Prête-moi ta lume plutôt que Prête-moi ta plume. Lume vient du mot lumière et c’est ce dont on a besoin pour écrire lorsque la chandelle est morte. On a donc la demande, « la lumière (lume) pour écrire un mot » et la justification de cette demande, « ma chandelle est morte, je n’ai plus de feu ». Il faut donc du feu pour rallumer la chandelle et avoir ainsi de la lumière (lume). Cette version est plus cohérente avec la voisine qui bat le briquet, c’est-à-dire qui allume son feu, et pourra rallumer la chandelle. Ce sens est perdu avec « Prête-moi ta plume ».
Cependant la version officielle serait cohérente si le protagoniste cherchait deux choses : une plume pour écrire et du feu pour sa chandelle. Ainsi dans le premier couplet la demande de feu serait alors sous-entendue dans « ma chandelle est morte je n’ai plus de feu ». Dans le second couplet la version modifiée donnerait « je n’ai pas de lume, je suis dans mon lit » ce qui signifierait que puisque Pierrot est dans son lit, alors il a déjà éteint ses lumières. Mais la version originale « je n’ai pas de plume, je suis dans mon lit » peut être toute aussi logique si Pierrot explique qu’il n’a pas de plume pour son ami et qu’il est dans son lit (sous entendu qu’il a déjà éteint le feu de ses chandelles). De même, pour le quatrième couplet, la version modifiée « on chercha la lume, on chercha du feu » produirait une phrase redondante, alors que la version officielle « on chercha la plume, on chercha du feu » contient deux informations.
À travers des termes comme Lubin (moine dépravé), chandelle, battre le briquet (désigne l’acte sexuel)2 et le dieu d’amour, les paroles ont des sous-entendus sexuels. Ainsi, rallumer le feu (l’ardeur) lorsque la chandelle est morte (le pénis au repos) en allant voir la voisine qui « bat le briquet » peut être interprété de façon lubrique.
En 1925, Charles Vogel, chroniqueur au Petit Journal illustré, entreprend de faire toute la lumière sur la chanson populaire « Au clair de la lune », et se range à l’opinion de ceux qui, luttant contre une habitude de plusieurs siècles, avancent que la rime d’origine a été déformée
http://www.youtube.com/watch?v=IYLTc3tGdzc
Au clair de la lune, Mon ami Pierrot…
Mais, amusons-nous !… Est-ce bien « Au clair de la lune ? » D’aucuns estiment que c’est « au clair de la lume » qu’il faut dire et nous n’hésitons pas à déclarer que nous nous rangeons à leur opinion. Lume, pour lumière, du latin « lumen ». Ce qui rend cette hypothèse fort admissible au demeurant, c’est que lune ne rime pas avec plume, alors quelume, au contraire, rime fort congrûment, et c’est là tout de même une raison valable car si la chanson ne témoigne point d’une richesse extraordinaire qui l’apparente aux productions parnassiennes de Théodore de Banville, de Leconte de Lisle et de José Maria de Heredia, on n’y relève pas, par ailleurs, des libertés aussi hardies.
Au « bon vieux temps » on ne sacrifiait pas, en poésie, aux simples assonances, comme on le fait aujourd’hui. Or, la chanson dont il s’agit, remonte au « bon vieux temps ». N’insistons pas. Lume ou Lune, c’est la chanson populaire depuis près de trois siècles [nous sommes en 1925], qui est en cause, et non une petite particularité d’ordre poétique. Et si cela peut être agréable à M. Tout-le-Monde, ou même seulement à M. Presque-Tout-le-Monde, acceptons sans plus « Au Clair de la lune ».
Est-ce Lubin, est-ce Arlequin (il y a deux versions, comme pour lume et lune) à qui est advenue la fâcheuse aventure ayant à écrire un mot, « de constater que sa chandelle est morte et qu’il n’a plus de feu » ? Lubin – ou Arlequin – sollicite Pierrot d’ouvrir sa porte et de prêter sa plume. Et Pierrot, qui est au lit, ne se veut point déranger, aussi engage-t-il le solliciteur à s’adresser à la voisine, qui doit être chez elle, puisque dans sa cuisine, on entend battre le briquet. Lubin – ou Arlequin – suit le conseil et prie la voisine de le vouloir bien accueillir « au nom du dieu d’amour ». Et la voisine se laisse aisément attendrir, car la chanson nous apprend, sans nous fournir d’autres détails précis, que la porte « sur eux se ferma ».
Qui est l’auteur de ces paroles ? Un inconnu. On ne sait rien de plus. Mais, l’auteur de la musique ? On attribue la musique à Lulli – sans preuves certaines, il est vrai… car on ne s’appuie guère que sur des probabilités admissibles. La musique serait donc de Lulli, de Lulli jeune, de Lulli à l’époque où il était simplement marmiton (il a été marmiton, l’auteur de la « Marche de Turenne »). Elle ne date pas du temps où le maître composait des opéras et de la musique pour les pièces de Molière et les ballets de la Cour de Versailles, du temps où Lulli était surintendant de la musique du Grand Roy ! Il ne nous appartient pas d’affirmer catégoriquement que la mélodie est – ou n’est pas – de Lulli, pour ce motif d’ailleurs suffisant que nous ne pourrions baser notre assertion dans un sens ou dans l’autre, sur des témoignages et des documents irréfutables. Reconnaissons, simplement, que la musique est charmante en sa grâce un peu mélancolique, en sa naïveté, en sa simplicité, de même que les paroles sont pleines de fraîcheur et de délicate ingénuité.
Cette mélodie a servi de thème à des « variations » pour piano tout à fait réussies, dues au compositeur Lucien Lambert. Lesdites « variations » ont obtenu, il y a une quarantaine d’années, un vif succès auprès des exécutants – d’une certaine force, car elles ne sont pas très, très faciles à jouer, et surtout à bien jouer ! Dans un de ses opéras-comiques – qui n’est pas la plus populaire de ses œuvres – à cause de la Dame Blanche, Boieldieu [François-Adrien Boieldieu (1775-1834)] a intercalé des « variations » pour chant sur Au clair de la lune, qui atteignent tout bonnement à la perfection dans le genre. Les personnes qui ont entendu – au Trianon-Lyrique, par exemple –, les Voitures versées, de Boieldieu, ne me contrediront pas, j’en ai la conviction. Et voilà pour Au clair de la lune – ou de la lume – paroles de X…, musique de Lulli, à moins qu’elle ne soit pas de Lulli !
(D’après « Le Petit Journal illustré » n°1827 paru en 1925)
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