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Le pâtissier d’antan

Posté par francesca7 le 18 mars 2014

 

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C’est dans la Bible qu’apparaît pour la première fois le terme de gâteau (ou galettes suivant les traductions modernes) dans un texte écrit environ 1 000 ans avant notre ère (Genèse, XVIII, 6). Abraham reçoit la visite de trois hommes ou de trois anges ou de Dieu sous un pluriel de majesté – les exégètes me corrigeront – qui lui annoncent que Sarah, sa femme, va enfanter malgré son âge avancé. Pour les recevoir avec cette hospitalité qui caractérise les civilisations du désert, le vieil homme fait préparer le beurre (un aliment luxueux), le lait et tuer un veau. Puis il se tourne vers Sarah et lui commande : « Prépare en hâte trois seah de fleur de farine, pétris-les et fais-en un gâteau » (le seah est une mesure ou un boisseau). Il ne s’agit pas d’une recette complète et il semble manquer des ingrédients pour mériter le terme de gâteau, mais c’est sa première mention littéraire. 

Dans ce gâteau, il n’y avait pas de beurre (on le consommait avec le pain et on n’avait pas encore pensé à mettre de corps gras dans la pâtisserie, sauf peut-être de l’huile) ni oeufs (les nomades n’avaient pas de basse-cour). Il est en revanche probable que que Sarah ait utilisé de la levure et du miel (d’origine sauvage, récolté aux abords des oasis). L’historienne Maguelonne Tousaint-Samat penche pour une imbibation au sirop de dattes dont l’utilisation est attestée à la même époque.                    

Malheureusement, le rédacteur de la Genèse n’a pas jugé utile de nous renseigner sur ce point précis. 

Ce premier gâteau fait avec trois seah de farine et qui lève ensuite est une image qui est utilisée à au moins deux autres reprises dans La Bible, cette fois dans le Nouveau Testament où Jésus Christ file la métaphore pâtissière : « Il leur dit une autre parabole : Le règne des cieux est pareil à la levure qu’une femme a prise et cachée dans trois mesures de farine jusqu’à ce que tout ait levé » (Matthieu, XIII, 33) ; « Il dit encore : A quoi comparer le règne de Dieu ? Il est pareil à de la levure qu’une femme a prise et cachée dans trois mesures de farine jusqu’à ce que tout ait levé » (Luc, XIII, 20-21).

 

IMG1Si le Moyen Age a connu aussi les pâtissiers sous le nom « d’oublayeurs » ou « d’oublieurs » ce n’est vraiment qu’au XVIII me siècle que la pâtisserie a pris sa physionomie délicate et au XX me siècle qu’elle a atteint, comme d’ailleurs tout l’art de la table son actuelle légèreté.

En tant que profession, la pâtisserie se trouve encadrée, d’un coté par la boulangerie, qui fait toutes sortes de gâteaux en dehors même de la galette des rois, de l’autre par la charcuterie, qui produit les friands et nombre de pâtés et articles analogues. Il ne semble d’ailleurs pas que cette circonstance ait nui en qualité à l’art du pâtissier, dont les produits n’ont jamais été plus fins.

La guerre de 1914-18 a eu, entre autres conséquences, celle de modifier profondément les conditions de la vie économique et sociale. La raréfaction de la main-d’œuvre qui en est résultée, la réduction de la durée légale du travail corrélative à l’augmentation générale des salaires, les charges fiscales aggravées dans une proportion inconnue jusqu’alors imposent au pâtissier l’obligation d’abandonner les méthodes surannées et d’utiliser le plus possible les machines et outils qui tendent à simplifier et faciliter le travail, à ménager l’effort et le temps de l’ouvrier.

C’est un déferlement de beau travail qui continuera dans les premières décennies du XXème siècle avec Darenne, Duval, Seurin, Léveillé, Mahieux, Michot, Jacquelin, Aubinot, dont nous voyons encore les chefs-d’œuvre dans nos livres de recettes.

Plus près de nous, retenons parmi tant d’autres, le célèbre Coquelin, J-P Franchiolo, qui remporta plusieurs grands prix avant la dernière guerre, ainsi que Paul Vigreux, primé à Paris et à Bruxelles. Chanel, Rivière, Delaveyne, Deblieux, Guillou, et Tholoniat sont aussi des noms qui ne manqueront pas de marquer leur époque.

Publié dans ARTISANAT FRANCAIS | Pas de Commentaire »

L’amateur de livres par Charles Nodier

Posté par francesca7 le 18 mars 2014

~ * ~

QUICONQUE est loup agisse en loup,
C’est le plus certain de beaucoup.

Ce que La Fontaine a dit du loup, je le dirai volontiers du pédant. Savez-vous rien de plus lourd qu’un pédant qui veut être léger, de plus maussade qu’un pédant qui veut être gracieux ? et s’il me prenait envie de faire de l’esprit en huit pages, moi qui ai juste ce qu’il faut d’esprit pour distinguer le prétérit de l’aoriste, ne me renverriez-vous pas à mes diphtongues ?

J’aime mieux vous prévenir tout d’abord que cet article sera piquant comme un colloque de Mathurin Cordier ou comme un chapitre de Despautère. Dieu, la nature et l’Académie ont renfermé mon imagination dans ces étroites limites qu’elle ne franchira plus. Plus heureux que moi, qui ne peux me dispenser d’écrire, puisque ainsi l’a décidé un libraire trop exigeant, vous pouvez vous dispenser de me lire. Son dessin était fait, sa planche était tirée, il ne manquait plus qu’une longue et inutile élucubration à sa livraison incomplète. Eh bien ! la voici : mais vous y chercheriez inutilement un de ces portraits ingénieux auxquels vos écrivains favoris vous ont accoutumé. Si vous êtes curieux de voir le bouquiniste représenté dans une esquisse fine et originale, n’allez pas plus loin, je vous prie, et tenez-vous-en au modeste conseil de Mathieu Laensbergh : « Voyez-en la représentation ci-contre. »

L’amateur de livres est un type qu’il est important de saisir, car tout présage qu’il va bientôt s’effacer. Le livre imprimé n’existe que depuis quatre cents ans tout au plus, et il s’accumule déjà dans certains pays de manière à mettre en péril le vieil équilibre du globe. La civilisation est arrivée à la plus inattendue de ses périodes, l’âge du papier. Depuis que tout le monde fait le livre, personne n’est fort empressé de l’acheter. Nos jeunes auteurs sont d’ailleurs en mesure de se fournir à eux seuls d’une bibliothèque complète. Il n’y a qu’à les laisser faire.

A considérer l’amateur de livres comme une espèce qui se subdivise en nombreuses variétés, le premier rang de cette ingénieuse et capricieuse famille est dû au bibliophile.

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Le bibliophile est un homme doué de quelque esprit et de quelque goût, qui prend plaisir aux oeuvres du génie, de l’imagination et du sentiment. Il aime cette muette conversation des grands esprits qui n’exige pas de frais de réciprocité, que l’on commence où l’on veut, que l’on quitte sans impolitesse, qu’on renoue sans se rendre importun ; et, de l’amour de cet auteur absent dont l’artifice de l’écriture lui a rendu le langage, il est arrivé sans s’en apercevoir à l’amour du symbole matériel qui le représente. Il aime le livre comme un ami aime le portrait d’un ami, comme un amant aime le portrait de sa maîtresse ; et, comme l’amant, il aime à orner ce qu’il aime. Il se ferait scrupule de laisser le volume précieux, qui a comblé son coeur de jouissances si pures, sous les tristes livrées de la misère, quand il peut lui accorder le luxe du tapis et du maroquin. Sa bibliothèque resplendit de dentelles d’or comme la toilette d’une favorite ; et, par leur apparence extérieure elle-même, ses livres sont dignes des regards des consuls, ainsi que le souhaitait Virgile.Alexandre était bibliophile. Quand la victoire eut placé dans ses mains les riches cassettes de Darius, il pouvait y renfermer les plus rares trésors de la Perse. Il y déposa les oeuvres d’Homère.

Les bibliophiles s’en vont comme les rois. Autrefois les rois étaient bibliophiles. C’est à leurs soins que nous devons tant de manuscrits inestimables dont une munificence éclairée multipliait les copies. Alcuin fut le Gruthuyse de Charlemagne, comme Gruthuyse l’Alcuin des ducs de Bourgogne. Les beaux livres de François Ier porteront aussi loin que ses monuments la renommée de ses salamandres. Henri II confiait le secret de son chiffre amoureux aux magnifiques reliures de sa librairie, comme aux somptueuses décorations de ses palais. Les volumes qui ont appartenu à Anne d’Autriche, font encore, par leur chaste et noble élégance, les délices des connaisseurs.

Les grands seigneurs et les gens notables de l’état se conformaient au goût du souverain. Il y avait alors autant d’opulentes bibliothèques que de familles à écussons et à pannonceaux. Les Guise, les d’Urfé, les de Thou, les Richelieu, les Mazarin, les Bignon, les Molé, les Pasquier, les Séguier, les Colbert, les Lamoignon, les d’Estrées, les d’Aumont, les la Vallière, ont rivalisé, presque jusqu’à nos jours, d’utiles et savantes richesses ; et je nomme au hasard quelques-uns de ces nobles bibliophiles pour m’épargner le soin fastidieux de nommer tout le monde. Nos successeurs ne seront pas si embarrassés.

Bien plus, la finance elle-même, la finance aima les livres ! elle a beaucoup changé depuis. Le trésorier Grollier influa plus à lui seul sur les progrès de la typographie et de la reliure que ne le feront jamais nos chétives médailles et nos budgets littéraires, si économes pour les lettres. Son exemple fut suivi de Zamet à Montauron, et de celui-ci à Samuel Bernard, Paris et Crevenna. Un simple marchand de bois, M. Girardot de Préfond, releva sa noblesse un peu équivoque par cet honorable emploi de l’argent, qui lui assure du moins l’immortalité des bibliographies et des catalogues. Nos banquiers n’en sont pas jaloux.

Il y a quelque temps qu’un de mes amis visitait un de ces capitalistes à millions, entre les mains desquels circulent incessamment tous les trésors de l’industrie et du commerce, pour y rentrer augmentés d’une large récolte d’or. Impatient d’échapper au faste qui l’éblouissait, il témoigna le désir de se réfugier dans la bibliothèque : « La bibliothèque ? dit le Crésus, n’allez pas plus loin, la voici. » Cette bibliothèque se réduisait en effet à un portefeuille énorme, enflé de billets de banque. « Pensez-vous, ajouta le financier avec la fatuité railleuse d’un sot qui a eu l’esprit de devenir riche, que les bibliothèques les plus célèbres du monde renferment un volume de cette valeur ? » Il n’y a rien à répondre à cette question, sinon que l’homme qui possède un pareil volume est bien malheureux de ne pas trouver du plaisir à en acheter d’autres.

Old book bindings.jpgLe bibliophile ne se trouve plus dans ces classes élevées de notre société progressantes (je vous demande pardon pour ce hideux participe, mais il passera, si vous voulez bien le permettre, avec le verbe progresser) ; le bibliophile de notre époque, c’est le savant, le littérateur, l’artiste, le petit propriétaire à modiques ressources ou à fortune congrue, qui se désennuie dans le commerce des livres de l’insipidité du commerce des hommes, et qu’un goût déplacé peut-être, mais innocent, console plus ou moins de la fausseté de nos autres affections. Mais ce n’est pas lui qui pourra former d’importantes collections, et trop heureux, hélas ! si ses yeux mourants s’arrêtent encore un moment sur la sienne ; trop heureux s’il laisse ce faible héritage à ses enfants ! J’en connais un, et je vous dirais son nom si je voulais, qui a passé cinquante ans de sa laborieuse existence à travailler pour se composer une bibliothèque, et à vendre sa bibliothèque pour vivre. Voilà le bibliophile, et je vous notifie que c’est un des derniers de l’espèce. Aujourd’hui l’amour de l’argent a prévalu : les livres ne portent point d’intérêt.

L’opposé du bibliophile, c’est le bibliophobe. Nos grands seigneurs de la politique, nos grands seigneurs de la banque, nos grands hommes d’état, nos grands hommes de lettres sont généralement bibliophobes. Pour cette aristocratie imposante que les heureux perfectionnements de la civilisation ont fait prévaloir, l’éducation et les lumières du genre humain datent tout au plus de Voltaire. Voltaire est à leurs yeux un mythe dans lequel se résument l’invention des lettres par Trismégiste, et l’invention de l’imprimerie par Guttemberg. Comme tout est dans Voltaire, le bibliophobe ne se ferait pas plus de scrupule qu’Omar de brûler la bibliothèque d’Alexandrie. Ce n’est pas que le bibliophobe lise Voltaire, il s’en garde bien ; mais il se félicite de trouver en Voltaire un prétexte spécieux à son dédain universel pour les livres. A l’avis du bibliophobe, tout ce qui n’est plus brochure est déjà bouquin ; le bibliophobe ne tolère sur les tablettes négligées de son cabinet que le papier qui sue et les pages qui maculent, sauf à se débarrasser de ce fatras de chiffons humides, tribut stérile de quelques muses affamées, entre les mains du colporteur qui les paie au-dessous du poids ; car le bibliophobe reçoit l’hommage d’un livre et le vend. Je n’ai pas besoin de dire qu’il ne le lit pas et qu’il ne le paie jamais.

Il y a quelque dizaine d’années qu’un étranger, homme de génie, se trouva surpris dans un café de Paris, à la suite de son déjeuner, par un de ces désappointements ridicules auxquels les esprits profondément préoccupés sont trop sujets. Il avait oublié sa bourse, et cherchait inutilement dans son portefeuille un misérable poundégaré, quand ses yeux tombèrent, parmi les adresses éparses dans son album, sur celle de je ne sais quel seigneur suzerain d’un million d’écus, dont la porte était voisine. Il écrit au noble Turcaret, lui demande 20 francs d’emprunt pour une heure, charge un garçon de sa lettre, attend, et reçoit pour toute réponse le noninflexible du cardinal à Maynard. Un ami providentiel survient heureusement, et le tire d’embarras. Cette anecdote est jusqu’ici  trop commune pour mériter qu’on la raconte, mais elle n’est pas finie. L’homme de génie devint célèbre, ce qui arrive quelquefois au génie, et puis il mourut, ce qui arrive toujours, tôt ou tard, à tout le monde. La renommée de ses ouvrages pénétra jusque dans les salons de la Banque, et le prix de ses autographes, qui ne fut pas coté à la Bourse, fit quelque sensation dans les ventes. Je l’ai vu, ce noble et utile appel à l’urbanité française, se payer 150 fr. dans un encan où le richard l’avait furtivement glissé, pour tenter le caprice des amateurs, et je serais bien étonné si ce petit capital n’était pas triplé aujourd’hui dans des mains si discrètes et si intelligentes. Ceci prouve qu’un bienfait refusé n’est pas plus perdu qu’un autre. On sait que j’ai toujours aimé à mêler quelque trait de morale dans mes moindres historiettes.

Il est une espèce de bibliophobe auquel je puis pardonner sa brutale antipathie contre les livres, la plus délicieuse de toutes les choses du monde après les femmes, les fleurs, les papillons et les marionnettes ; c’est l’homme sage, sensible et peu cultivé, qui a pris les livres en horreur pour l’abus qu’on en fait et pour le mal qu’ils font. Tel était mon noble et vieux compagnon d’infortune, le commandeur de Valois, quand il me disait, en détournant doucement de la main le seul volume qui me fût resté (c’était, hélas ! Platon) : « Arrière, arrière, au nom de Dieu ! ce sont ces drôles-là qui ont préparé la révolution ! Aussi, ajoutait-il fièrement après avoir relevé avec quelque coquetterie le poil de sa moustache grise, je puis prendre le ciel à témoin que je n’en ai jamais lu un seul. »

Ce qui distingue le bibliophile, c’est le goût, ce tact ingénieux et délicat qui s’applique à tout, et qui donne un charme inexprimable à la vie. On oserait garantir hardiment qu’un bibliophile est un homme à peu près heureux, ou qui sait ce qu’il faudrait faire pour l’être. L’honnête et savant Urbain Chevreau a décrit merveilleusement ce bonheur, en parlant de lui-même, et je lui en fais mon compliment. Vous serez de mon avis, si vous voulez l’écouter un moment à ma place, et vous savez déjà que vous n’y perdrez pas. « Je ne m’ennuie point, dit-il, dans ma solitude, où j’ai une bibliothèque assez nombreuse pour un ermite, et admirable pour le choix des livres. On y peut trouver généralement tous les Grecs et tous les Latins, de quelque profession qu’ils aient été, orateurs, poëtes, sophistes, rhéteurs, philosophes, historiens, géographes, chronologistes, les pères de l’Église, les théologiens et les conciles. On y voit les antiquaires, les relations les plus curieuses, beaucoup d’Italiens, peu d’Espagnols, les auteurs modernes d’une réputation établie ; et le tout dans une fort grande propreté. J’y ai des tableaux, des estampes ; un grand parterre tout rempli de fleurs, des arbres fruitiers, et dans un salon, des musiciens domestiques, qui, par leur ramage, ne manquent jamais de m’éveiller, ou de me divertir dans mes repas. La maison est neuve, et bien bâtie ; l’air en est sain, et pour m’acquitter de mon devoir, j’ai trois églises à côté de mes deux portes cochères. »

L’amateur de livres par Charles Nodier dans HUMEUR DES ANCETRES 220px-Latin_dictionarySi Urbain Chevreau avait vécu du temps de Sylla, je ne sais pas trop si le sénat aurait osé proclamer Sylla le plus heureux des hommes de la terre : mais je suis porté à le croire, car il est bien probable qu’un homme comme Urbain Chevreau n’aurait pas été connu du sénat. Remarquez, en effet, que ce digne Urbain Chevreau, l’objet et le modèle de mes plus chères études, l’enchantement de mes plus agréables lectures, præsidium et dulce decus meum, a oublié ou méconnu, dans ce charmant tableau d’une existence digne d’envie, ce que sa félicité avait de plus précieux et de plus rare. Il était plus savant que les savants de son temps, qui étaient si savants ; il était plus lettré que les lettrés ; il faisait des vers qui valaient les meilleurs vers, et de la prose si pleine, si abondante et si facile, qu’on croit l’entendre quand on le lit. Que de périls à éviter ! que d’obstacles à vaincre pour être heureux ! il fut heureux parce qu’il sut se contenter de sa fortune et se passer de la gloire. On l’oublia tellement de son temps, qu’il ne fut pas de l’Académie ; mais la haine l’avait laissé en paix comme la faveur, et il mourut paisible, entre ses fleurs et ses livres, à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

Que la terre soit légère au plus aimable et au plus érudit des bibliophiles, comme dit la petite phrase épicédique aujourd’hui consacrée. Mais que sont devenus ses livres, les livres si choisis et si propres d’Urbain Chevreau, dont aucun catalogue récent n’a fait mention ? C’est là une question vive, pressante, incisive, et dont on s’occupera beaucoup dans le monde social, quand le monde social ne s’occupera plus des sots non-sens de philosophie humanitaire et de méchante politique dont il est infatué.

Le bibliophile sait choisir les livres ; le bibliomane les entasse. Le bibliophile joint le livre au livre, après l’avoir soumis à toutes les investigations de ses sens et de son intelligence ; le bibliomane entasse les livres les uns sur les autres sans les regarder. Le bibliophile apprécie le livre, le bibliomane le pèse ou mesure. Le bibliophile procède avec une loupe, et le bibliomane avec une toise. J’en connais certains qui supputent les enrichissements de leur bibliothèque par mètres carrés. 

L’innocente et délicieuse fièvre du bibliophile est, dans le bibliomane, une maladie aiguë poussée au délire. Parvenue à ce degré fatal de paroxysme, elle n’a plus rien d’intelligent, et se confond avec toutes les manies. Je ne sais si les phrénologistes qui ont découvert tant de sottises ont découvert jusqu’ici dans l’enveloppe osseuse de notre pauvre cervelle l’instinct de collectivité, si développé dans plusieurs pauvres diables de ma connaissance. J’en ai vu un, dans ma jeunesse, qui faisait collection de bouchons de liége, anecdotiques ou historiques, et qui les avait rangés par ordre, dans son immense galetas, sous des étiquettes instructives, avec indication de l’époque plus ou moins solennelle où ils avaient été extraits de la bouteille ; exemplum ut : « M. LE MAIRE, CHAMPAGNE MOUSSEUX DE PREMIÈRE QUALITÉ ; NAISSANCE DE SA MAJESTÉ LE ROI DE ROME. » Le bibliomane doit avoir à peu près la même protubérance.

Du sublime au ridicule, il n’y a qu’un pas. Du bibliophile au bibliomane, il n’y a qu’une crise. Le bibliophile devient souvent bibliomane, quand son esprit décroît ou quand sa fortune s’augmente, deux graves inconvénients auxquels les plus honnêtes gens sont exposés ; mais le premier est bien plus commun que l’autre. Mon cher et honorable maître, M. Boulard, avait été un bibliophile délicat et difficile, avant d’amasser dans six maisons à six étages six cent mille volumes de tous les formats, empilés comme les pierres des murailles cyclopéennes, c’est-à-dire sans chaux et sans ciment, mais qu’on aurait pu aussi prendre de loin pour des tumuli gaulois. C’était, en effet, de véritables bibliotaphes. Je me souviens qu’en voyageant un jour avec lui parmi ces obélisques mal calés, et dont la prudente science de M. Lebas n’avait pas assuré l’aplomb, je m’informai curieusement d’un livre unique, dont ma respectueuse amitié s’était empressée de lui céder la possession dans une vente célèbre. M. Boulard me regarda fixement, avec cet air de bonhomie gracieuse et spirituelle qui lui était particulier ; et, frappant du bout de sa canne à pomme d’or une de ces masses énormes, rudis indigestaque moles, puis une seconde et une troisième : « Il est là, me dit-il, ou bien là, ou là. » Je frémis à l’idée que la malencontreuse plaquette avait disparu pour toujours, peut-être, sous dix-huit mille in-folio, mais ce calcul ne me dit pas négliger l’intérêt de mon salut. Les piles géantes, ébranlées dans leur équilibre incertain par le bout de la canne de M. Boulard, se balançaient sur leurs bases d’une manière menaçante, et leur sommet vibra longtemps comme la flèche légère d’une cathédrale gothique, à la volée des cloches ou aux assauts de la tempête ; j’entraînai M. Boulard, et je m’enfuis avant qu’Ossa ne fût tombé sur Pélion, ou Pélion sur Ossa. Aujourd’hui même, quand je pense que les Bollandistes ont failli s’écrouler tous à la fois, et de vingt pieds de haut, sur ma tête, je ne me rappelle pas ce péril sans une pieuse horreur. Ce serait abuser des mots que d’appeler bibliothèques ces épouvantables montagnes de livres qu’on ne peut attaquer qu’avec la sape, et soutenir qu’avec l’étançon.

Monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen ademptum.

Le bibliophile ne doit pas se confondre avec le bouquiniste, dont nous allons parler, et cependant le bibliophile ne dédaigne pas de bouquiner quelquefois. Il sait que plus d’une perle s’est trouvée dans le fumier, et plus d’un trésor littéraire sous une grossière enveloppe. Malheureusement ces bonnes fortunes sont fort rares. Quant au bibliomane, il ne bouquine jamais, parce que bouquiner, c’est encore choisir. Le bibliomane ne choisit point, il achète.

220px-Honor%C3%A9_Daumier_007 dans LITTERATURE FRANCAISELe bouquiniste proprement dit est ordinairement un vieux rentier ou un professeur émérite, ou un homme de lettres passé de mode, qui a conservé le goût des livres, et qui n’a pas su conserver assez d’aisance pour en acheter. Celui-là est sans cesse à la recherche de ces bouquins précieux, raræ aves in terris, que le hasard capricieux peut avoir cachés d’aventure dans la poussière d’une échoppe, diamants sans monture que le vulgaire confond avec la verroterie, et qui ne s’en distinguent qu’au regard judicieux du lapidaire. Avez-vous entendu parler de cet exemplaire de l’Imitation de Jésus-Christ, que Rousseau demandait en 1763 à son ami M. Dupeyrou, qu’il annotait, qu’il ornait de sa signature, et dont un des feuillets se trouve marqué d’une pervenche sèche, la vraie pervenche, la pervenche originale que Rousseau avait recueillie la même année sous les buissons des Charmettes ? M. de Latour est possesseur de ce bijou de modeste apparence qui ne serait pas surpayé au poids de l’or, et qui lui a coûté 75 centimes. Voilà une délicieuse conquête ! Je ne sais toutefois si je n’aimerais pas autant le vieux volume de Théagène et Chariclée, que Racine abandonna en riant à son professeur : « Vous pouvez, lui dit-il, brûler celui-là ; maintenant je le sais par coeur. » Si ce joli petit livre n’est plus sur les quais, avec la signature élégante et les notes grecques en caractères mignons qui le feront distinguer entre mille, je vous réponds qu’il y a passé. Et que diriez-vous de l’édition originale du Pédant joué de Cyrano, avec les deux scènes que vous savez, enfermées dans une large accolade, et cette simple note de Molière, griffonnée sur la marge : « Ceci est à moi. » Ce sont là les douces joies, et le plus souvent, il faut en convenir, les merveilleuses illusions du bouquiniste. Le savant M. Barbier, qui a publié tant d’excellentes choses sur les anonymes, et qui en a tant laissé à dire, avait promis une bibliographie spéciale des livres précieux ramassés pendant quarante ans sur les quais de Paris. La perte de ce manuscrit serait fort à regretter pour les lettres, et surtout pour les bouquinistes, ces habiles et ingénieux alchimistes de la littérature, qui rêvent partout la pierre philosophale, et qui en trouvent de temps en temps quelques morceaux, sans prendre grand souci de les faire enchâsser richement dans des reliures fastueuses. Le bouquiniste croit toute sa vie posséder ce que personne ne possède, et ses épaules se soulèveraient de pitié devant l’écrin du grand Mogol ; mais le bouquiniste a de puissantes raisons pour ne pas relever ses richesses de la vaine apparence d’une richesse étrangère, et il déguise son motif secret sous un prétexte assez spécieux. « La livrée de l’âge, dit-il, sied aux vieilles productions de la typographie, comme la patine au bronze antique. Le bibliophile qui envoie ses livres à Bauzonnet ressemble à un numismate qui ferait dorer ses médailles. Laissez le vert-de-gris à l’airain, et le cuir éraillé aux bouquins. » Ce qu’il y de vrai au fond de tout cela, c’est que les reliures de Bauzonnet sont fort chères, et que le bouquiniste n’est pas riche. N’enluminez pas la beauté d’un fard presque sacrilége, et n’abandonnez pas les livres aux opérations dangereuses de la restauration, quand ils peuvent s’en passer, mais croyez fermement qu’aux livres comme aux belles, la parue ne nuit en rien.

Le nom du bouquiniste est un de ces substantifs à sens double qui abondent malheureusement dans toutes les langues. On appelle également bouquiniste l’amateur qui cherche des bouquins, et le pauvre libraire en plein air qui en vend. Autrefois, le métier de celui-ci n’était pas sans considération et sans avenir. On a vu le marchand de bouquins s’élever du modeste étalage de la rue, ou de la frileuse exposition d’une échoppe nomade, jusqu’aux honneurs d’une petit boutique de six pieds carrés. Tel fut naguère ce Passard dont la mémoire vit peut-être encore dans la rue du Coq. Et qui pourrait avoir oublié Passard, avec ses cheveux coupés de près, sa courte queue en trompette, son gros oeil fauve et saillant, et le petit oeil bleu enfoncé qu’un jeu bizarre de la nature avait opposé à l’autre, pour que le signalement de Passard n’eût rien à envier à son caractère en originalité excentrique ? Lorsque Passard, l’angle droit de sa bouche relevé par une légère convulsion sardonique, était en humeur de parler ; quand son petit oeil bleu commençait à pétiller d’un feu malin qui n’enflammait jamais son gros oeil éteint, vous pouviez vous attendre à voir se dérouler devant vous toute la chronique scandaleuse de la politique et de la littérature pendant quarante années historiques. Passard, qui avait colporté, sous le bras, sa boutique ambulante, du passage des Capucines au Louvre, et du Louvre à l’Institut, avait tout vu, tout connu, tout dédaigné du haut de son orgueil de bouquiniste. Et cependant Passard n’était pas l’homme d’Horace, dicendi bona mala locutus ; il n’en était que la moitié. La mémoire de Passard ne se rappelait que le mal ; mais, avec quelle verve ironique, et quelquefois éloquente, il stigmatisait de son mépris les noms les plus illustres, c’est ce qu’il faut avoir entendu pour le croire. » Mirabeau cependant ? lui dis-je timidement un jour. – Mirabeau, me répondit fièrement Passard en se campant sur le pied droit, était un stupide polisson. » Je me hâte de déclarer, pour l’acquit de ma conscience, que ceci ne prouve rien, si Passard ne connaissait pas mieux les hommes qu’il ne connaît les livres. Ce qu’il y a d’incontestable pour les bouquinistes amateurs qui l’ont visité si souvent, c’est que sa conversation était beaucoup plus curieuse que ses bouquins.

J’ai cité Passard, bouquiniste obscur dont le nom ne brillera jamais dans une biographie ; Passard, qui est, selon toute apparence, le Brutus, le Cassius, le dernier des bouquinistes. Le bouquiniste des ponts, des quais et des boulevards, pauvre créature équivoque, anomale, étiolée, qui ne vit plus qu’à demi de ses bouquins méconnus, est tout au plus l’ombre du bouquiniste : le bouquiniste est mort.

Cette grande catastrophe sociale, la mort du bouquiniste, était un des résultats infaillibles du progrès : douce et innocente superfétation de la bonne littérature, le bouquiniste devait finir avec elle. Dans cet âge d’ignorance auquel nous avons eu le bonheur d’échapper, le libraire était, en général, un homme capable d’apprécier ses publications, qui les faisait imprimer sur un bon papier solide, élastique et sonore, et qui les faisait recouvrir, quand elles en valaient la peine, d’un bon cuir imperméable, assujetti par une bonne colle et par une bonne couture. Si le livre tombait par hasard dans le domaine du bouquiniste, il n’était pas perdu pour cela. Basane, veau ou parchemin, sa reliure brûlée et racornie aux feux du soleil, imbibée, détendue et ramollie par les averses, revêtue par le vent d’une couche épaisse de poussière qui devient de la boue quand il pleut, protégeait longtemps encore, sous un abri fort disgracieux au regard, les visions du philosophe ou les rêveries du poëte. Aujourd’hui, ce n’est plus cela. Le libraire du progrès sait que la gloire viagère des livres qu’il publie n’a guère plus de durée probable que la vie des moucherons du fleuve Hypanis, et qu’à peine baptisée par la réclame, elle sera enterrée dans trois jours avec le feuilleton. Il couvre d’un papier jaune ou vert son papier blanc noirci d’encre, et il abandonne le spongieux chiffon à toutes les intempéries des éléments. Un mois après le honteux volume gît dans les caisses de l’étalagiste, à la merci d’une belle pluie matinale. Il s’humecte, s’abreuve, se tord, se marbre çà et là de larges zônes mordorées, retourne peu à peu à l’état de bouillie dont il est sorti, et n’a presque plus de préparation à subir pour tomber sous le pilon du cartonnier. L’histoire des livres du progrès est tout entière là-dedans.

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Charles NODIER

Et puis faites-moi la grâce de me le dire, si vous le savez, que restera-t-il dans vingt ans ? 

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Le flâneur par Auguste de Lacroix

Posté par francesca7 le 18 mars 2014

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CONNAISSEZ-VOUS un signe plus approprié à son idée, un mot plus exclusivement français pour exprimer une personnification toute française ? Le flâneur ! type gracieux, mot charmant éclos, un beau jour de printemps, d’un joyeux rayon de soleil et d’une fraîche brise, sur les lèvres d’un artiste, d’un écolier ou d’un gamin, – ces trois grandes puissances néologiques !

220px-Daumier,_BadaudsLe flâneur est, sans contredit, originaire et habitant d’une vaste cité, de Paris assurément. Il n’y a qu’une grande ville, en effet, qui puisse servir de théâtre à ses explorations incessantes, et il n’y a que le peuple le plus léger et le plus spirituel de la terre qui ait pu produire cette espèce de philosophes sans le savoir, qui semblent exercer d’instinct la faculté de tout saisir d’un coup d’oeil et d’analyser en passant. Le flâneur est essentiellement national, différent, en cela, des grands hommes, en général, qui sont de tous les pays, et du touriste, en particulier, qui observe à la course. Sans doute le flâneur aime aussi le mouvement, la variété et la foule ; mais il n’est pas travaillé par un irrésistible besoin de locomotion ; il circonscrit volontiers son domaine, pourvu qu’il y trouve l’aliment journalier de son esprit, et, grâce à une merveilleuse perspicacité, il sait moissonner encore d’incroyables richesses dans ce vaste champ de l’observation où le vulgaire ne fauche qu’à la surface.

Comme on le voit déjà, nous ne prostituons pas le titre de flâneur à ces sortes de contrefaçons plus ou moins ridicules d’un type estimable qui promènent, tout le long du jour, leur oisiveté ennuyée et ennuyeuse. – Usurpation inouïe, même dans un siècle où les distinctions aristocratiques sont à la portée de l’ambition la plus roturière : – Nous ne reconnaissons pour flâneurs que ce petit nombre privilégié d’hommes de loisirs et d’esprit qui étudient le coeur humain sur la nature même, et la société dans ce grand livre du monde toujours ouvert sous leurs yeux. L’observateur au repos n’est observateur qu’à demi ; le véritable observateur, c’est le flâneur, c’est-à-dire l’homme d’intelligence subtile, qui va sans cesse explorant toute chose, l’espèce humaine principalement, partout, dans tous les âges et toutes les conditions, – philosophe narquois qui étudie, comme discutaient les péripatéticiens.

Nous n’admettons pas même l’existence du flâneur autre part qu’à Paris. Qu’est-ce, en effet, qu’un flâneur en province, sinon un pitoyable rêveur dont les yeux fatigués et l’esprit émoussé par la contemplation des mêmes objets finissent par ne plus s’arrêter sur aucun.

Pour le vulgaire, le flâneur n’offre rien, au premier coup d’oeil, qui le distingue de cette espèce particulière de bipèdes humains généralement désignés sous le nom debadauds. Pourtant la différence est immense et doit être signalée. Le flâneur est au badaud ce qu’est le gourmet au glouton, ce que serait mademoiselle Mars à une actrice de tréteaux, Chateaubriand à un rédacteur en échoppe, ou, plutôt, La Bruyère ou Balzac à un paysan de l’Auvergne ou du Limousin arrivé d’hier à Paris. Le badaud marche pour marcher, s’amuse de tout, se prend à tout indistinctement, rit sans motif et regarde sans voir. Il va dans la vie, comme le scarabée dans les airs, battant de l’aile contre chaque objet qu’il rencontre ; heurté, brisé à tout instant, jouet du vent qui souffle ou du gamin qui passe. C’est pour lui que la suprême sagesse a dit : « Il a des yeux, et il n’apercevra pas, des oreilles, et il n’entendra pas. » L’expression bayer aux corneilles semble avoir été inventée à son intention. Il passera, en effet, des heures entières à suivre de l’oeil l’hirondelle qui vole ou la mouche qui va bourdonnant, et cela, sans la plus simple réflexion, sans la moindre arrière-pensée. – Le badaud ne pense pas ; il ne perçoit les objets qu’extérieurement. Il n’y a pas de communication entre son cerveau et ses sens. Pour lui les choses n’existent que simplement et superficiellement, sans caractère particulier et sans nuances ; le coeur humain est un monolythe dont les hiéroglyphes ne l’intéressent nullement. La déduction philosophique lui est inconnue. Les sociétés ne sont à ses yeux que des réunions d’hommes, et les monuments des amas de pierres. Une scène populaire se résume pour lui en une certaine somme d’injures et de coups de poings. Il était sur le filon d’une mine de précieuses découvertes, et le voilà qui se détourne pour suivre un chien qui aboie ou un tambour qui bat. Il est l’inventeur de la pêche à la ligne, de l’ingénieux passe-temps des ricochets et des ronds concentriques.

Il y a, entre ces deux espèces d’êtres organisés, tous les degrés de la création, toute la distance qui sépare l’homme du polype.

L’enveloppe corporelle du flâneur est telle, à peu près, que celle des autres animaux dénommés, sans doute par antiphrase, pensants et raisonnables. Il a, comme ces derniers, une figure assez insignifiante et habituellement inoffensive, excepté quand on dérange le cours de ses promenades sans but, ou qu’on s’interpose directement entre son rayon visuel et le bateleur qu’il admire ou la commère qu’il écoute, auquel cas son oeil lance des éclairs et son naturel bénin tourne à la férocité. Il s’habille, du reste, comme tout le monde et marche comme vous et moi, si ce n’est qu’il trébuche beaucoup plus souvent, bien qu’il chemine plus lentement et passe pour y voir beaucoup mieux. D’aucuns, des hypocrites, des flâneurs déguisés prétendent que les individus que nous essayons de décrire doivent nécessairement avoir, aux yeux de l’observateur, des traits caractéristiques qui échappent au vulgaire. Ils vous diront qu’en les examinant attentivement, vous découvrirez une finesse moqueuse dans leur sourire imperceptible et une prodigieuse perspicacité dans leurs regards. Ils vous diront…. Que sais-je ? il y a dans tel air de tête, dans tel pli du visage, la révélation d’une supériorité intellectuelle quelconque ; ici la profondeur de la pensée, la puissance de la logique, la perception des rapports éloignés ; là, l’esprit d’analyse rapide et subtile. – Hallucinations de la science, alchimie poétique à l’usage des imaginations romanesques. – Défiez-vous de cette manie importée du roman dans la vie réelle. Ils ont beau dire, ces songe-creux de la physiologie, l’esprit ne déteint pas sur le facies humain ; je connais des hommes doués d’éminentes facultés, qui sourient d’une façon stupide, et j’ai vu des gens atteints et convaincus de crétinisme moral, dont  le regard étincelait d’intelligence.

Le flâneur est un être essentiellement complexe, il n’a pas de goût particulier, il a tous les goûts ; il comprend tout, il est susceptible d’éprouver toutes les passions, explique tous les travers et a toujours une excuse prête pour toutes les faiblesses. C’est une nature nécessairement malléable, une organisation d’artiste. Aussi aime-t-il les arts, comme un roi constitutionnel. Il est dilettante, peintre, poëte, antiquaire, bibliophile ; il déguste en connaisseur un opéra de Mayerber, un tableau d’Ingres, une ode de Hugo ; il flaire l’Elzévir, hante les baladins et court sus à la grisette. Il a des admirations pour mademoiselle Rachel et des tendresses pour Odry. Vous le rencontrez partout, dans les promenades, aux Bouffes, aux concerts, au sermon, aux Funambules, dans les salons, à la guinguette, au boulevard de Gand et dans la rue de la Grande-Truanderie. Il pose devant les carreaux de Susse, stationne tour à tour au pied de Notre-Dame et près de l’étalage d’un bouquiniste. Il est curieux, presque indiscret. C’est un homme que l’amour de la science peut pousser jusqu’à la cruauté, et qui prendra quelquefois, pour sujet de ses expériences, le coeur même de son ami le plus intime.

Le flâneur est comme toutes les belles choses, comme les jolies femmes, il n’a pas d’âge… Il existe depuis vingt-cinq ans jusqu’à soixante, aussi longtemps que l’homme jouit pleinement de ses facultés intellectuelles et locomotives. Le flâneur, ayant besoin de ses jambes autant que de son esprit, quand les premières lui font défaut, passe à l’état d’observateur : c’est alors une autre existence, une autre condition ; sa nature se dédouble et s’affaiblit ; c’est le commencement de la fin.

Le flâneur par Auguste de Lacroix dans HUMEUR DES ANCETRES Rosler-LeFlaneurParis appartient au flâneur par droit de conquête et par droit de naissance. Chaque jour il le parcourt dans tous les sens, en scrute les profondeurs et marque, dans sa mémoire, les recoins les plus obscurs. Il voit tout par lui-même, et promène incessamment dans Paris ses oreilles de lièvre et ses yeux de lynx. Il n’ignore rien de ce qui s’y passe, il connaît, dans ses moindres détails, la nouvelle du jour, l’événement de la veille ; il sait ce qu’il faut croire et ce qu’il faut rejeter des débats en police correctionnelle racontés par la Gazette ; il sait mieux que le procureur du roi, mieux que le préfet de police, où et de quelle manière a commencé ce drame sanglant (style de réquisitoire) qui a épouvanté la société, et réclame de la justice un grand et salutaire exemple. – Il sait bien d’autres choses, ma foi. – Il sait comment s’élaborent les lois et comment elles s’exécutent ; il possède le tarif des votes, le secret des improvisations de tel orateur, et le prix du dernier discours de tel autre. Il vous dira où se trouvent la plus belle galerie de tableaux et la plus riche collection d’antiques et d’autographes ; à quel amateur appartient le seul portrait existant  de Raphaël peint par lui-même, et quelle bibliothèque renferme les plus rares éditions des Alde et des Elzévir.  Il sait encore quel heureux sportsman parisien possède le premier pur-sang et le meilleur trotteur, quel sultan de théâtre, le plus joli minois de soubrette, et quel corps de ballet, la jambe la mieux arrondie. Que dis-je ? c’est à lui que nous devons les plus précieuses découvertes et les inventions les plus merveilleuses. Qui nous révèle chaque jour les talents nouveau-nés ! Qui a découvert dernièrement mademoiselle Rachel perdue au milieu des utilités du Gymnase ! – Un directeur-flâneur. – Qui a trouvé le galvanisme ? – Un physicien flânant sur son balcon en compagnie d’une grenouille. – A qui devons-nous la connaissance des lois de l’électricité, de l’attraction, de la pesanteur spécifique ? – A des savants, des naturalistes, des mathématiciens faisant l’école buissonnière. – Qui a inventé la boussole ? – Un marin jouant, pendant son heure de quart, avec un morceau de métal. – Qui a inventé la poudre ? – Un moine flânant le long des murs salpêtreux d’un vieux couvent. – Les arts, les sciences, la littérature doivent plus ou moins leurs progrès journaliers au flâneur. Ils procèdent de lui et convergent vers lui. Il est le centre et le pivot social ; il a plus fait pour la philosophie et l’étude du coeur humain que les plus beaux livres et les plus savantes théories.

On a remarqué que les paresseux sont presque tous des gens d’esprit. On conçoit, en effet, qu’il faut posséder en soi-même beaucoup de ressources contre l’ennui pour vivre ainsi habituellement de son propre fonds, comme la marmotte de sa propre substance. Cette observation est particulièrement vraie à l’égard du flâneur. Mais il faut au préalable s’entendre sur les mots. Pour ceux qui font consister la paresse dans l’absence de toute occupation suivie, de tout travail régulier et d’une utilité immédiate, assurément le flâneur est éminemment paresseux. Il faut remarquer néanmoins que l’homme le plus occupé n’est pas l’homme le plus affairé, et que le travail n’est pas toujours une chose appréciable à l’oeil. Le flâneur, il est vrai, produit peu, mais il amasse beaucoup. Laissez venir pour lui l’âge des souvenirs et de la méditation, cette période de la vie qui est comme le moment de la digestion des idées acquises, où tout se classe et s’ordonne dans le cerveau de l’homme à la faveur du calme profond de l’imagination et des sens ; laissez sonner pour lui l’heure de la retraite, c’est-à-dire des rhumatismes, de l’ophtalmie et de la surdité, et vous verrez se résumer alors, sous la forme de romans de moeurs ou d’oeuvres philosophiques, les études profondes de cette vie en apparence si inoccupée et si futile. Vous vous étonnez quelquefois, à l’apparition d’un livre tout rempli de haute philosophie et d’ingénieux aperçus, d’apprendre qu’il est l’oeuvre d’un homme du monde, et peut-être d’un jeune homme que vous rangiez dédaigneusement parmi ces désoeuvrés dont la figure est partout et l’esprit nulle part. Croyez-vous donc que le monde s’apprenne dans la solitude, et que le coeur humain soit un livre qu’on étudie au coin du feu ! Je voudrais bien qu’il me fût permis de demander sans indiscrétion à l’ingénieux auteur de la Physiologie du Mariage à quelles sources il a puisé cette profonde connaissance des plus inexplicables mystères de la nature féminine. Il y a tel flâneur que vous méprisez qui vous en dirait plus sur ce sujet que tous les penseurs et les moralistes ensemble. – Passe encore pour les sciences positives qui s’apprennent par le secours de la tradition écrite : à celles-là il faut des sectateurs casaniers et des intelligences de plomb ; mais hors de là, dans les arts, dans les lettres, le flâneur est sur ses terres. Combien d’hommes distingués ont commencé par être d’obscurs flâneurs ! Qui ne connaît les habitudes de flânerie du plus puissant des orateurs de la chambre, et le caractère et les goûts d’artiste de ce petit journaliste dont la révolution de juillet a fait tout à la fois un grand ministre, le plus habile jongleur de paroles, le plus fécond et le plus spirituel causeur de tribune. Demandez à ces deux hommes quel traité, la Rhétorique d’Aristote ou l’Orateur de Cicéron, leur a livré les fils électriques qui se lient mystérieusement à chacune des fibres du coeur humain.

Mais c’est surtout la littérature qui possède l’élite de la flânerie. Les noms ici se pressent sous ma plume. La flânerie est le caractère distinctif du véritable homme de lettres. Le talent n’existe, dans l’espèce, que comme conséquence ; l’instinct de la flânerie est la cause première. C’est le cas de dire, avec une légère variante : littérateurs parce que flâneurs. Le quoique serait une absurdité démontrée par l’expérience. Comprendriez-vous un littérateur, c’est-à-dire un homme faisant métier de peindre principalement les moeurs et les passions, qui ne serait pas vivement sollicité par un secret penchant à observer, à comparer, à analyser, à voir par ses yeux, à surprendre, comme on dit, la nature sur le fait ? Aussi voyez comme les exemples abondent ! Le prétendu ermite de la Chaussée d’Antin est un flâneur émérite qui n’a pu renoncer encore à ses habitudes de jeunesse. L’auteur du Tableau de Paris a dû flâner énormément. Quel plus grand flâneur que La Fontaine ? Rousseau a flâné pendant les deux tiers de sa vie, et employé le reste à raconter les flâneries très-peu édifiantes de sa jeunesse. Racine étudiait, comme on sait, le coeur humain dans les coulisses de la Comédie-Française, ce qui fait sans doute (soit dit en passant) que ses héroïnes grecques et romaines ont une tournure toute française. Que dire de Bernardin de Saint-Pierre qui, après avoir flâné dans les deux hémisphères, passait des journées entières à s’extasier éloquemment devant un fraisier chargé d’insectes microscopiques, et qui ne trouvait d’admiration, en face des tours de la cathédrale de Rouen, que pour les hirondelles voltigeant au-dessus de sa tête ? Si le touriste n’est autre qu’un flâneur en voyage, dans quelle classe rangerons-nous, je vous prie, le chantre d’Atala et de Réné ? Et qu’était-ce autre chose qu’une éternelle flânerie, que ces poétiques pérégrinations sur les grèves de l’Océan, sur les bords de l’Ohio ou du Meschascebé, à travers les vertes savanes de la Louisiane ou sous les forêts murmurantes du Kentuky ? Où en serions-nous aujourd’hui si un vague instinct de flânerie n’eût conduit le barde chrétien près des ruines de Jérusalem, ou parmi les tribus guerrières des Natchez auprès d’un vieux sauvage, poète et conteur comme lui ? Qui n’a pas surpris, plus d’une fois, en flagrant délit de flâneries sur le quai des Augustins ou sur le boulevard du Temple, le savant linguiste, l’élégant écrivain dont la bonhomie si pleine de finesse a pu seule hériter légitimement de l’épithète caractéristique accolée au nom de La Fontaine ? Qui ne connaît sa passion pour Polichinelle, son admiration pour Débureau et ses assiduités aux stalles des Funambules ? Voici, à ce propos, une anecdote qui m’a été racontée par l’auteur même de Trilby, et qui prouve que le goût de la flânerie n’est pas plus incompatible avec l’élévation de l’esprit qu’avec la gravité obligée des fonctions éminentes.

Lorsque M. Français de Nantes fut appelé à la direction de la librairie, il ouvrait les portes de son administration à un grand nombre d’hommes de lettres, qui trouvèrent ainsi, dans les loisirs d’une position aisée, les moyens de se livrer avec succès à leurs travaux de prédilection. Parmi les écrivains privilégiés et les plus dignes de cette faveur accordée au talent, se trouvait le poëte si gracieux et si pur qui fit, plus tard Fragoletta et la Vallée aux loups. M. Français de Nantes avait pour ce dernier une estime et une affection particulières. Il l’avait nommé tout exprès à un emploi qui n’exigeait que peu de travail. L’heureux sinécuriste pouvait se prélasser et rêver à son aise dans le fauteuil bureaucratique, en attendant mieux. L’assiduité était pour lui la seule condition obligatoire. Pendant trois mois tout alla pour le mieux dans la meilleure et la plus douce des administrations. A cette époque, le ponctuel bureaucrate parut perdre peu à peu le sentiment du devoir, cette religion des femmes vertueuses et des employés irréprochables. Plus d’une fois ses confrères étonnés échangèrent entre eux un sourire équivoque et des propos qui ne l’étaient pas du tout, en voyant l’humble patère déshéritée du feutre accoutumé et l’infortuné fauteuil d’acajou tendre incessamment ses bras dans le vide. Le scandale allait croissant, la gent gratte-papier s’en émut ; le vent, ou tout autre indiscret de même genre, en glissa la nouvelle jusque sous la porte du cabinet particulier du directeur. Un jour, l’employé retardataire était debout, la tête basse et l’air contrit devant son protecteur. Celui-ci, avait, contre sa coutume, le front plissé et le regard sévère.

280px-Gustave_Caillebotte_-_Paris_Street%3B_Rainy_Day_-_Google_Art_Project dans HUMEUR DES ANCETRES« J’apprends, monsieur, disait-il, que vous manquez à la seule condition que j’avais cru pouvoir vous imposer. Vos fonctions seraient-elles trop pénibles et puis-je retrancher quelque chose à votre travail journalier pour l’administration ! Vous ai-je fait une position trop difficile ? » Cela fut dit d’un ton de reproche amical qui toucha vivement le coupable. – « Croyez, monsieur, que ma reconnaissance… – Pourquoi ne pas m’en donner un témoignage qui vous soit utile à vous-même, en vous rendant exactement, sinon à vos fonctions, du moins à votre bureau, ainsi que nous en sommes convenus ? – Allons, reprit l’employé visiblement embarrassé, après un instant d’hésitation et comme faisant un effort sur lui-même, je vois bien qu’il faudra déloger. – Comment, monsieur, répliqua vivement M. de Nantes se trompant sur l’intention exprimée par ces paroles, est-ce là le témoignage de votre reconnaissance ? – Pardon, monsieur le directeur, je voulais dire seulement que je serai forcé de quitter le logement que j’occupe depuis quelques jours. – Je comprends, vous habitez la campagne, et c’est ce qui cause vos inexactitudes et vos absences fréquentes. – Je dois vous avouer, monsieur le directeur, que j’habite Paris. – Mais alors, faites-moi l’honneur de m’expliquer cette énigme. – Ah ! voilà justement la difficulté…, je n’oserai jamais… – Je vois ce que c’est, dit M. de Nantes souriant avec malice, vous êtes sous le coup de quelque grande passion, monsieur le poëte, en puissance d’une maîtresse jalouse, exigeante peut-être, qui vous tyrannise et vous tient en charte privée. – Hélas ! monsieur, je n’ai guère pour le moment d’autre maîtresse que la poésie et d’autre passion que celle de la gloire. Mais j’ai une faiblesse… dont je rougis… – Hé quoi ! aimeriez-vous le vin, le jeu ?… – Tenez, monsieur le directeur, vous ne devineriez jamais, dit tout à coup le jeune homme d’un air de résolution, j’aime mieux vous le dire tout de suite. Sachez donc que j’habite le Marais et que, pour venir ici, je suis obligé de parcourir dans toute sa longueur le boulevard du Temple toujours si animé, si bruyant, si encombré d’individus et de choses curieuses, arracheurs de dents, escamoteurs, jongleurs, montreurs d’ours, de syrènes, d’enfants à deux têtes, de géantes et de crocodiles, qu’on est tenté à chaque pas… – Ah ! monsieur, interrompit le directeur général d’un ton dédaigneux, je n’aurais jamais pensé qu’un homme tel que vous pût s’intéresser à de pareilles choses. Et ce n’est pas pour cela assurément, je suis fâché de vous le dire, que j’ai pris sur moi de vous créér une sinécure aux frais de l’état. En agissant ainsi, monsieur, croyez-le bien, j’avais pensé que les loisirs d’un homme dont j’honore le talent ne seraient pas perdus pour l’art, et j’ose ajouter pour la gloire du pays. Il y a plus que de l’enfantillage à s’arrêter à de semblables bagatelles. – Je confesse, monsieur le directeur, que les bagatelles en général, et lesbagatelles de la porte en particulier, ont souvent pour moi un charme irrésistible. Polichinelle lui-même… – Quoi ! vous aimeriez Polichinelle ? – Avec passion. – Et vous allez vous amuser de ses pasquinades et de ses tours d’adresse ? – Tous les jours, pendant une heure au moins.

- C’est singulier, repartit gravement M. de Nantes, je ne vous y ai jamais rencontré. »

Nous aurions encore bien des exemples à citer, si nous ne craignions d’abuser de ce moyen d’argumentation. Les hommes de lettres et les artistes nous fourniraient à profusion ces sortes de preuves par induction. Contentons-nous de rappeler ici que M. de Chateaubriand, qui doit se connaître en hommes de génie, a défini les poëtes : des enfants sublimes.

Et en effet, cette simplicité de caractère, cette apparente bonhomie qui fait qu’on s’intéresse aux moindres choses et qu’on ne craint pas de se commettre avec les vulgarités de la vie, est presque toujours l’indice d’un mérite éminent. La véritable supériorité ne s’abaisse pas en se laissant voir et toucher. Elle se constate et se popularise par le libre accès et le laisser-aller. Il n’y a que les nains et les gens difformes qui éprouvent le besoin de se draper et de monter sur des échasses. Les esprits affectés de myopie prennent en pitié les sages et les forts qui jouent avec les petits enfants et s’évertuent à l’examen des choses futiles. Cette divergence d’opinion et de conduite entre ces deux classes d’hommes s’explique tout naturellement par l’infirmité des premiers. Les uns s’arrêtent à la surface, les autres plongent jusqu’au fond : voilà tout le secret de cette différence. – Il y a sous la première enveloppe de chaque chose des rapports inconnus, des aperçus ignorés, tout un nouveau monde d’idées, de réflexions et de sentiments qui s’éveillent et jaillissent tout à coup sous le regard exercé de l’observateur, comme la source cachée sous la sonde du géologue. Pour le vulgaire l’enfant qui babille, qui pleure ou qui joue, n’est qu’un être incomplet, le plus faible et le moins raisonnable de tous. – Pour le physiologiste, c’est le roi de la création qui s’essaie, c’est l’homme avec ses instincts, ses passions ses facultés natives qui se révèlent et trahissent peut-être ses destinées futures. L’homme du peuple, nature abrupte dont les caractères primitifs n’ont pu être effacés par le frottement social ; l’homme policé, énigme vivante, dont chaque action, chaque parole est un mensonge et, souvent, un piége ; la femme, chimère insaisissable qui s’ignore elle-même, qui s’évanouit dès qu’on la devine et fait mourir ceux qui ne peuvent l’expliquer ; la société, inextricable labyrinthe ; le monde enfin, cette grande énigme, plus grande que toutes les autres, dont le mot est resté dans le sein de Dieu : tout existe, vit, se meut et pose pour l’observateur. Or, comme nous l’avons dit, qu’est-ce que le flâneur, sinon l’observateur en action, l’observateur dans son expression la plus élevée et la plus éminemment utile ?

Une dame nous demande si le flâneur est amoureux. – Un profond sentiment de tout ce qui est beau est la première condition de sa nature. – Constance ? – Hélas ! demandez au philosophe quel abîme il y a dans le coeur de l’homme ; au poëte, s’il est de constantes amours ; au voyageur, quel irrésistible instinct le pousse à chercher sans cesse de nouveaux sites, des climats plus doux et des ombrages plus verdoyants ; demandez au marin si son coeur n’est pas vaste comme l’Océan et changeant comme ses flots, à combien de rivages il a amarré son navire et jeté ses affections, s’il a trouvé quelque part des contrées aussi belles à ses yeux que celles qu’il n’avait pas encore visitées, et des liens capables de résister aux caprices des éléments et aux bourrasques des passions. Ne demandons pas compte à la suprême sagesse des facultés réparties à chacune de ses créatures, ni au flâneur des imperfections inhérentes à son organisation exceptionnelle ; ne demandons pas à l’hirondelle pourquoi elle voltige, au ruisseau pourquoi il serpente en fuyant, au flâneur pourquoi il flâne. Assez d’autres se plaisent aujourd’hui à dénigrer ce type aimable et léger de notre caractère national qui va s’effaçant chaque jour. Laissons aux aveugles le triste privilége de médire de la lumière, aux sourds de nier l’harmonie, aux sots ce qu’ils ne comprennent pas. Qui de nous ne sentira pas dans son coeur quelque secrète sympathie pour cet être si bon, si facile, si inoffensif et si gai qu’on appelle le flâneur ? Qui de nous, en interrogeant sa conscience, osera se proclamer assez pur du péché de flânerie pour jeter au flâneur la première pierre ? Qui êtes-vous enfin, vous qui lisez ces lignes ? Et qui suis-je moi qui les écris ?

Un flâneur.                           

AUGUSTE DE LACROIX.

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L’art comme chemin initiatique

Posté par francesca7 le 18 mars 2014

 par François Brousse

 

 

220px-Theseus_Minotaur_MosaicSi vous désirez arrêter les guerres entre les peuples, commencez par arrêter la guerre contre l’animal. 
Abandonnez la cruauté carnivore, adoptez la douceur végétarienne.

 
Le végétal ne souffre pas, il se dilue dans l’âme collective de son espèce. L’animal souffre, il possède une âme autonome. Soyez les frères des animaux et les anges qui veillent aux destinées seront vos frères. (Le comte de Saint- Germain et les maîtres de l’Aggartha*, p. 375)

On peut dire que la Terre actuellement est soumise à la violence pour trois raisons. Premièrement, le karma de nos existences antérieures, deuxièmement le karma actuel que nous accumulons en détruisant, en faisant souffrir les animaux, et en les torturant sous le prétexte de vivisection. Chaque fois que vous détruisez et que vous faites souffrir des animaux, vous créez des destructions et des souffrances humaines. Voilà les deux causes fondamentales, et la troisième cause essentielle se rencontre dans nos pensées. (Ibid.)

On doit comprendre que la pensée possède autant de force, sinon plus, que les actes.Par la Bénédiction bouddhique (souhaitons que tous les êtres soient heureux), par le filtrage des pensées (écartons sereinement toute impulsion de haine et d’envie), nous transformons alchimiquement l’atmosphère mentale des hommes. 
Un penseur bienveillant vaut mieux qu’un téméraire acteur. (Ibid., p. 377)

Ma parole, sur le plan poétique et métaphysique, renferme une invitation permanente à la joie : contemplation jubilante de la Beauté, de la Vérité, de l’Amour ; adoration désintéressée des grands prophètes ; bienveillance universelle qui engendre une fête intérieure ; établissement de la justice sur la Terre par les rayons de la pensée. 
Si l’on n’accepte pas l’idéalisme, les masses humaines sombreront dans l’enfer des super bombes, but inévitable de la violence et de la folie. (Ibid., p. 385)

La troisième porte du merveilleux Temple est la contemplation. Elle nous introduit dans le jardin des joies exaltantes et des extases spirituelles. Un des plaisirs les plus aigus de l’âme est la vision de la Beauté. Ce rayon divin brille à travers les êtres depuis le scintillement des cristaux géométriques jusqu’à la fulgurance blanche des avions, depuis le septuple pont de l’arc-en-ciel éblouissant jusqu’aux prunelles de la femme amoureuse. Le poète doit s’immerger dans la beauté universelle comme un isis gorgonide, plein de flammèches multicolores, dans l’aquarium illimité des mers. La torche parfaite étincelle aussi avec autant de riches grandeurs, dans le coeur des inspirés. Et ces inspirés ont laissé des oeuvres, tableaux, statues, musiques, poèmes, où se trouvent, emprisonnées et frissonnantes, les lueurs les plus vives de l’au-delà. En admirant un Rembrandt ou un Michel-Ange, en écoutant du Beethoven, en lisant Shakespeare, l’homme communique avec la vie infinie. La contemplation nous arrache aux lourdes ténèbres pour nous projeter dans la lumière des joies pures. (Ibid.)

Le Beau, ressenti par tout être pensant, aimant, vivant, est donc aussi universel que la raison qui ondule diversement dans les têtes. Ensuite, il purifie toujours l’âme, l’ennoblit, éclaire la voûte de notre crâne d’inextinguibles rayons, change notre sang en pourpre, notre chair en marbre, notre dignité en orgueil, notre front en auréole. Des hommes, il fait des dieux. (Ibid., p. 386)

La Beauté n’est pas un artifice né d’un instant et d’un lieu, comme une balle qui crève. Elle est le reflet éternel du Maître absolu, le rayon d’or qui brille sur le front de l’Être suprême. Mais cette énergie éternelle a pour visage l’infinité. Le Beau, loin de s’enfermer dans une école, offre à chaque siècle de nouvelles radiations. Il tire de son coffret inépuisable l’art hindou, l’art chinois, l’art maya, l’art égyptien, l’art grec, l’art persan, l’art chaldéen, l’art gothique, l’art classique, l’art romantique, l’art surréaliste, l’art de la Quatrième Dimension, tous les joyaux du gouffre multiforme. Chaque joyau est taillé pour l’éternité, mais le nombre des joyaux n’a pas de limites. 

On ne dépasse pas Homère, on l’égale dans une autre planète esthétique. 
La main du désir matériel a ravi à l’âme ses ailes de musique et de flamboiement. Elle est tombée, la malheureuse exilée du ciel, sur la Terre grouillante de bagnes. La main de la Beauté a forgé d’autres ailes, d’harmonies et de parfums, de chants et de splendeurs. Par la contemplation de la Beauté éternelle et infinie, l’âme reprend ses ailes et remonte au soleil des perfections ! (Ibid.)

Je pense que le chemin de l’art et de la poésie nous permet de contempler le visage de Dieu. Dans l’admiration, les barrières de l’égoïsme s’effacent, entre l’oeuvre divine et le contemplateur, entre un poème de Hugo et le lecteur, entre une symphonie de Beethoven et l’auditeur, les murs de la vanité s’évaporent. On devient Un avec le poète créateur qui est lui-même Un avec Dieu. Si nous passons du côté de l’artiste formateur d’une oeuvre nouvelle, il s’identifie au Verbe divin qui a créé les mondes. Les véritables sauveurs de l’humanité ne sont pas les fondateurs de religion tels Mahomet ou Jésus, mais les grands peintres, les grands architectes, les grands sculpteurs, les grands poètes, les grands musiciens, les grands magiciens, bref, tous ceux qui enrichissent le fleuve de gloire esthétique où se baigne l’humanité. En lisant tous les jours un poème transfigurateur qui nous rapproche de l’infini, nous parcourons le chemin de lumière qui monte directement à la divinité. (Ibid., p. 386-387)

Dans le crépuscule qui baigne les peuples, deux cimes éternellement éclairées : l’amour de l’art, l’amour de l’humanité. Elles contiennent assez de lumière pour rallumer le soleil. (Ibid., p. 387)

Dans les cadences de l’art créateur un secret est caché, celui qui le révèle bouleverse les mondes. (Ibid.)

L’artiste s’éblouit, le philosophe s’illumine. Le premier se vautre dans les splendeurs, le second plonge au coeur de la clarté. L’homme transcendant est à la fois éblouissement et illumination. (Ibid.)

Les poètes, les artistes, les philosophes, les saints, tiennent dans l’histoire plus de place que les conquérants. Les hommes de lumière priment les hommes de sang. Un chef-d’oeuvre de Molière importe à l’humanité plus que toutes les guerres de Louis XIV. (Ibid., p. 387-388)

téléchargement (8)Selon les hindous, Dieu se manifeste par trois visages de magnificence : Brahma, Vishnou, Çiva. Brahma s’incarne dans les grands poètes et les grands artistes, Vishnou prend la forme des fondateurs de religion, Çiva s’incorpore aux puissants métaphysiciens dont l’intelligence scrute les secrets de l’univers. Pour s’élever à l’absolu, il convient de vénérer ces trois faces divines. 
Quotidiennement, le néophyte lira un poème immortel et savourera une oeuvre d’art exaltante : musique ou peinture ou sculpture ou architecture. La danse sacrée, qui reproduit les rythmes cosmiques, humains et célestes, y tient une place de choix. 
Quant aux révélations civaïques, on les révère en méditant les livres des hauts penseurs, comme Platon ou Sankara, remplis de souffles infinis. 
Les fulgurances du troisième visage, Vishnou, se concrétisent en adoration lucide. Il faut adresser chaque matin une gerbe de pensées d’amour, de souhaits bénéfiques, aux cinq maîtres du Soleil : Krishna la force, Bouddha la sagesse, Jésus l’amour, Padma Sambhava la joie, Olympio Victor Hugo la beauté. 
Par l’adoration des trois faces divines, l’humain quitte le plan de l’éphémère pour entrer dans le royaume de l’intemporel. (Ibid., p. 388)

DELPHINE 
Les rossignols surpris cessèrent leur romance 
Quand Delphine aux yeux pers se leva pour danser 
Les étoiles s’arrêtèrent dans l’ombre immense 
Et l’espace ébloui n’osa plus respirer 
Car l’art humain contient plus que l’éternité. 
La Rosée des constellations, p. 116

> Textes de François Brousse édités par www.licorne-ailee.com

- A lire : Le comte de Saint-Germain et les maîtres de l’Aggartha Auteur : Jean-Pierre WENGER 
Les éditions Saint-Germain Morya 3e trimestre 2012 
chez DG Diffusion dans toute librairie

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