Les Provinciales de Pascal
Posté par francesca7 le 13 mars 2014
Les Provinciales, ou Lettres écrites par Louis de Montalte à un Provincial de ses amis et aux R.R. Pères Jésuites, constituent une série de dix-huit lettres écrites par Pascal sous un pseudonyme, Louis de Montalte. Elles sont une défense d’Antoine Arnauld, janséniste ami de Pascal, qui fut condamné en 1656 par la Sorbonne pour des opinions considérées comme hérétiques. La première lettre est datée du 23 janvier 1656 et la dix-huitième du 24 mars 1657. Une dix-neuvième lettre dont on n’a qu’une ébauche est fréquemment incluse avec les autres.
LA CONTROVERSE /
La doctrine catholique soutient que l’Homme naît dans un état de faiblesse telle qu’il ne peut se diriger durablement vers le bien si Dieu ne lui prête force intérieure et lumière. Mais comment peut-on concilier action divine et libre arbitre humain ? Contre le moine Pélage, saint Augustin avait soutenu que la grâce est toujours efficace, c’est-à-dire qu’elle atteint de manière infaillible le but que Dieu, tout puissant, lui attribue. Selon lui, l’homme reste libre, car il possède toujours le pouvoir de résister à Dieu, mais la grâce s’accompagne d’une joie si grande qu’en définitive le libre-arbitre, réalisant où se situe le vrai bonheur, s’y précipite de lui-même. Ainsi l’action humaine ne fait que suivre et accompagner l’impulsion de Dieu.
Conservée par le dominicain Thomas d’Aquin, cette théorie fut approfondie par Calvin, qui professa que la grâce sauve les élus sans qu’ils disposent de libre-arbitre pour s’opposer aux desseins de Dieu. En réaction contre cette conception, le jésuite Molina publia en 1588 son Accord du libre arbitre avec les dons de la grâce divine, où naît l’idée de grâce suffisante: Dieu propose à l’homme une grâce qui, s’il veut bien en profiter, lui suffit pour agir vers le bien. C’est donc à l’homme d’accepter ou de rejeter cette invitation divine.
L’objectif de Jansénius et des grands théologiens de Port-Royal (Arnauld, Nicole, Pascal) était de combattre le molinisme, qui incarnait selon eux une union interdite entre l’Évangile et le stoïcisme païen. En 1653, le pape Innocent XI avait condamné cinq des propositions de Jansénius. Arnauld répliqua alors par sa célèbre distinction du droit et du fait: il admettait qu’en droit les propositions étaient hérétiques, mais il remarquait qu’elles ne se trouvaient pas dans Jansénius. Pourtant, face au risque d’une condamnation par la Sorbonne, il devint urgent d’agir à la fin de janvier 1656. Suite aux pressions de ses amis, Pascal écrivit en un seul jet ce qui allait devenir la Première Provinciale. La publication fut triomphale. Les Jésuites, furieux, cherchaient sans y parvenir à trouver l’auteur, qui se cachait sous le pseudonyme de Louis de Montalte.
Pascal écrivit dix-huit lettres et en ébaucha une dix-neuvième, qui ne fut pas publiée. Les quatre premières lettres étaient dédiées à la question de la grâce, mais l’écrivain réalisa qu’il attaquerait beaucoup plus facilement les Jésuites en dénonçant les théories morales scandaleuses de certains de leurs théologiens (par exemple le casuiste Antonio Escobar y Mendoza). La violence du ton progresse ainsi à partir de la onzième lettre, jusqu’aux deux dernières Provinciales où Pascal apostrophe le Père Annat, jésuite et confesseur du roi.
L’impact des Provinciales fut considérable. Pascal utilisait l’humour avec beaucoup d’esprit pour fustiger les institutions existantes et son ouvrage devint extrêmement populaire. La mobilité du ton, le recours à l’ingénuité simulée (avant Montesquieu et les Lettres persanes), l’éloquence, etc., expliquent l’immense admiration de l’œuvre par les contemporains. Boileau considérait même que les Provinciales étaient l’unique création supérieure aux productions de l’Antiquité.
Cependant, sa publication était clandestine et, en 1660, Louis XIV interdit le livre, qui fut lacéré et brûlé sur son ordre. Les Provinciales n’en ont pas moins survécu et leur influence a été grande sur la prose des auteurs de langue française comme Rousseau ou Voltaire, qui a dit au sujet de la grandeur des lettres : « Les meilleures comédies de Molière n’ont pas plus de sel que les premières Lettres provinciales : Bossuet n’a rien de plus sublime que les dernières. »
Depuis lors, certains reprochent à Pascal d’avoir, par de tels écrits, donné des armes aux adversaires du catholicisme. On en trouve un exemple dans la Catholic Encyclopedia :
« Que Pascal ait pensé faire un travail utile, c’est toute sa vie qui en témoigne, aussi bien que ses déclarations à son lit de mort. Sa bonne foi ne peut pas sérieusement être mise en doute, mais certaines de ses méthodes sont plus discutables. S’il n’a jamais sérieusement altéré les citations des casuistes qu’il faisait, comme on l’a quelquefois accusé injustement de l’avoir fait, il les arrange un peu et de manière peu sincère ; il simplifie à l’excès des questions compliquées et, dans sa façon de présenter les solutions des casuistes il se permet quelquefois de mêler sa propre interprétation. Mais le reproche le plus grave qu’on puisse lui adresser est d’avoir injustement fait tort à la Société de Jésus, en l’attaquant exclusivement et lui attribuant un désir d’abaisser l’idéal chrétien et de mitiger le code de la morale dans l’intérêt de sa politique; il a par là discrédité la casuistique elle-même en refusant de reconnaître sa légitimité voire, dans certains cas, sa nécessité, si bien que ce ne sont pas seulement les jésuites, mais la religion qui a souffert dans ce conflit, même s’il a contribué à accélérer la condamnation par l’Église de certaines théories laxistes. Ainsi, sans le vouloir ni même s’en rendre compte, Pascal a fourni des armes aussi bien aux incroyants et aux adversaires de l’Église qu’aux partisans d’une morale indépendante. »
En littérature, Pascal est considéré comme un des auteurs les plus importants de la période classique française et il est lu aujourd’hui en tant qu’un des plus grands maîtres de la prose française. Son utilisation de la satire et de l’esprit a influencé des polémistes postérieurs. On se souvient bien de la teneur de son travail littéraire à cause de sa forte opposition au rationalisme de René Descartes et de l’affirmation simultanée que l’empirisme philosophique était également insuffisant pour déterminer des vérités majeures.
Chateaubriand a décrit ses contributions dans une célèbre envolée lyrique se concluant par « (il) fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie, comme du raisonnement le plus fort (…) cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal ».
Jules Barbey d’Aurevilly voit en Pascal un « Hamlet du catholicisme ». Charles Baudelaire le paraphrase et lui consacre son poème « Le gouffre ».
Une discussion à propos de Pascal et de son « pari » occupe une place importante dans le film Ma nuit chez Maud du réalisateur français Éric Rohmer.
La méditation pascalienne sur le divertissement trouve un prolongement dans le roman de Jean Giono, Un roi sans divertissement (1947). Giono emprunte le titre et la dernière phrase du livre à un passage des Pensées (fragment 142 de l’édition Brunschvicg) : « Un roi sans divertissement est un homme plein de misères. »
Pour Julien Green, Pascal est « Le plus grand des Français ».
Sœur Emmanuelle, dans son livre Vivre, à quoi ça sert ? (éditions J’ai Lu) s’appuie sur quelques principes de la pensée pascalienne qui fut un guide pour elle, tout au long de sa vie.
Vers la fin de sa vie le sociologue Pierre Bourdieu a publié un livre de réflexions sur son domaine qui est intitulé Méditations pascaliennes.
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