Un roman journalistique d’émile Zola
Posté par francesca7 le 7 mars 2014
extrait dans : Les sources de L’Argent
Ce roman a sans doute beaucoup coûté à Zola parce que le sujet lui était peu familier. Si le lecteur curieux parcourt les premières listes de 1870 constituant l’architecture de la saga des Rougon-Macquart, il s’étonnera de ne trouver aucune mention de l’Argent. Pourtant les aspects financiers étaient déjà bien présents dans la Curée par exemple. Mais, dans ce roman, la focalisation portait moins sur le désir effréné de richesse monétaire ou les spéculations foncières que sur la pourriture d’un monde sans foi ni loi. Zola a pris conscience peu à peu qu’il devait écrire cette enquête sur l’argent moderne, une des causes principales de la chute du régime impérial honni. Par ailleurs l’observateur naturaliste connaissait bien les deux ressorts de l’âme humaine soulignés dans ses Notes : « II n’y a que l’amour et l’argent ». La seconde forme essentielle du désir, surtout dans ses aspects contemporains du pouvoir des énormes sommes mystérieusement brassées loin du public, n’avait jamais été réellement et méthodiquement abordée.
Il convient de noter que la jeune IIIe République est traversée par quelques scandales financiers retentissants dont le Bel-Ami de Maupassant paru cinq ans plutôt s’était déjà fait l’écho lui aussi. L’affaire de la « dette tunisienne » devenue marocaine sous la plume de Maupassant n’est pas sans rappeler le coup fourré de Sadowa dans l’Argent. Au moment où Zola écrit son roman le scandale de Panama bat son plein. Rappelons que Ferdinand de Lesseps, pour subventionner un projet mal évalué au départ, a massivement fait appel aux capitaux des petits épargnants (le fameux « bas de laine »), en recourant à des hommes d’affaires qui soutiennent la publicité de l’investissement en achetant largement des journaux peu consciencieux. C’est cette stratégie payante que reprend d’ailleurs Saccard.
Zola est démuni face aux questions financières, au droit des sociétés, aux cotations boursières. Il n’a même pas de compte bancaire. Son éditeur, Fasquelle, lui avance au fur et à mesure l’argent dont il a besoin. Il va donc constituer un dossier de plus de mille pages pour combler ses connaissances lacunaires avouées à demi-mot, à deux reprises, dans le premier chapitre du roman : « ce mystère des opérations financières où peu de cervelles françaises pénètrent » ; « ce mystère des opérations financières, d’autant plus attirant pour les cervelles françaises que très peu d’entre elles les pénètrent ». Zola a donc consulté plusieurs ouvrages pour s’initier à cette religion de la finance. Il a lu les Mémoires d’un coulissier de Feydeau, l’ouvrage de Mirecourt sur La Bourse et celui d’Aycard sur Le Crédit mobilier. Il bénéficie des leçons de son éditeur, qui a pratiqué le métier d’agent de change avant de se lancer dans la librairie. Il s’est surtout beaucoup inspiré du krach de l’Union générale survenu en janvier 1882. Le polytechnicien Bontoux avait repris en 1878 cette banque qui avait connu des difficultés. Par une gestion audacieuse, il avait fait grimper la valeur de l’action jusqu’à des hauteurs insoupçonnées, enrichissant tout un petit peuple d’actionnaires. C’est que Bontoux avait eu la lumineuse idée de drainer l’épargne religieuse vers sa banque catholique. Pourtant au début de 1882, ce fut l’effondrement du cours, l’action perdant les neuf dixièmes de sa valeur. Poursuivi pour escroquerie, le banquier se réfugia en Espagne d’où il rédigea, pour sa défense, une apologie qui parut en librairie en 1888. Zola a de plus étudié dans les numéros du Droit les comptes rendus d’audience du procès Bontoux qui s’acheva sur la condamnation de l’intéressé à cinq ans de prison en 1883. L’opinion française est alors travaillée par l’ouvrage antisémite de Drumond, la France Juive. Bontoux, lui aussi, invoque un complot des Juifs et des francs-maçons pour expliquer la déroute de son œuvre bien-pensante et, de fait, lui et ses actionnaires avaient bien été ruinés en partie par la spéculation des Rothschild. Ces accusations vont d’ailleurs resservir à l’occasion du scandale de Panama, permettant à plusieurs personnalités d’échapper à la vindicte populaire. Elles contribueront à faire enfler notablement le ressentiment antisémite à l’occasion de l’Affaire Dreyfus. Elles sont bien présentes dans le roman de Zola.
Plus anecdotique, la scène scabreuse qui oppose Saccard à Delcambre à propos de l’entretien de la baronne Sandorff tire son origine d’un fait divers de l’époque : Edwige Sapia fut bien l’objet d’une empoignade de mauvais garçons entre deux notabilités, le banquier Jules Mirès (condamné à cinq ans de prison en 1861 pour la faillite de la Caisse générale des chemins de fer) et Gustave Louis Chaix d’Est-Ange, avocat et homme politique français.
Le personnage de Saccard a plusieurs origines : d’abord le père de Zola, trop tôt disparu lors des sept ans d’Émile. Le fils a gardé de lui le souvenir ébloui d’un entrepreneur moderne, hardi, engagé dans le progrès social. Zola a également été marqué par le spéculateur et industriel Hector de Sastres, qui fut l’ami et le protégé du ministre Jacques Louis Randon. Bien sûr, Saccard a hérité aussi de quelques caractéristiques de Paul Eugène Bontoux. Zola a donné à Saccard la confiance en soi, l’optimisme chevillé au corps, l’esprit visionnaire, le sens des opportunités économiques de ces personnalités. Notons également que quelques traits de Bontoux et du père ont été attribuées à Hamelin, l’ingénieur brillant, appliqué, utopiste.
Zola a donc réuni plus de mille pages de notes pour rédiger son roman. Il s’est livré à une étude du dossier comme un journaliste moderne. Si ses confrères se sont parfois montrés très critiques à l’égard de ces compilations laborieuses qui, selon eux, cachaient un manque d’inspiration ou d’audace créatrice, il nous faut bien reconnaître que Zola se présente comme un écrivain moderne, scrupuleux, appliquant à la fiction romanesque les méthodes du journalisme d’investigation
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Émile Zola (à l’état civil Émile Édouard Charles Antoine Zola) est un écrivain et journaliste français, né à Paris le 2 avril 1840 et mort dans la même ville le 29 septembre 1902. Considéré comme le chef de file du naturalisme, c’est l’un des romanciers français les plus populaires , les plus publiés, traduits et commentés au monde. Ses romans ont connu de très nombreuses adaptations au cinéma et à la télévision.
En 1888, alors que Zola s’interroge sur le sens de son existence à la veille de la cinquantaine, sa vie bascule brutalement. N’avait-il pas soufflé à Goncourt : « Ma femme n’est pas là… Eh bien je ne vois pas passer une jeune fille comme celle-ci sans me dire : « Ça ne vaut-il pas mieux qu’un livre ? » » ? Par ailleurs, il est présenté à la Société des gens de lettres par Alphonse Daudet en 1891, et accueilli en son sein « exceptionnellement par acclamation et à main levée à l’unanimité. » Il est élu au comité, puis élu et réélu président de l’association de 1891 à 1900. Il exerce très sérieusement ses fonctions : il intervient dans la presse pour présenter son organisation et ses valeurs, il fait reconnaître la société comme établissement d’utilité publique, le droit de la propriété littéraire et la défense des auteurs en France progressent sous son autorité, des conventions avec des pays étrangers, comme la Russie, sont signées.
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