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Le garçon de café par A.Ricard

Posté par francesca7 le 2 mars 2014

 
par Auguste Ricard en 1840

~ * ~

téléchargement (4)UN homme porte des chemises en toile de Hollande, des bas de Paris ; ses souliers vernis ont été faits sur les dessins d’un bottier de la rue Vivienne ; il n’emploie, pour sa barbe, que du savon onctueux, pour ses mains que de la pâte d’amandes douces ; ses dents sont entretenues par Desirabode, sa chevelure par Michalon ; il a appris l’art du sourire perpétuel dans la classe d’un vieux mime de l’Opéra ; il est patient, poli, aimable…..

Vous croyez qu’il est question d’un grand-écuyer de prince, d’un diplomate, d’un chanteur de romances ?

Du tout, il s’agit d’un garçon de café.

On est assez généralement garçon de café de père en fils. Tel homme qui sert des glaces au Café de Foi, ou des cerises à l’eau-de-vie chez la mère Saguet, à la barrière du Maine, avait un trisaïeul dans la carrière qu’il exploite, comme aujourd’hui, un Séguier, un Molé, un Crillon, dans l’armée ou dans la magistrature. L’art de verser le café, la liqueur, de marcher au pas de charge, à travers des allées de tables et de tabourets, en portant dans la main droite des buissons de sorbets, un thé complet, ou une phalange de carafes d’orgeat, cet art-là demande une longue habitude. Pour faire un bon garçon de café, il faut avoir été pris tout petit, il faut avoir commencé ses exercices sous les yeux d’un père.

Cependant il est quelques exceptions à cette règle : on rencontre, dans l’intéressante classe qui nous occupe aujourd’hui, plus d’un praticien qui n’a pas été bercé avec les traditions de café, et qui, à l’âge de quinze ans, n’eût pas su laver une tasse sans en faire des morceaux. C’est une variété de l’espèce, chez laquelle le génie a lui tout d’un coup. Les antécédents de ceux qui la composent se perdent dans les brouillards d’un passé orageux, dans la fumée de cent estaminets, dans la chronique de la Chaumière et de la Courtille. Ces garçons de café-là ont, pour la plupart, hérité jadis d’un parent de la Normandie, ou du Perche. Alors ils ont roulé dans les cabriolets de régie pendant les jours gras de telle année ; ils ont joué du cor chez tous les marchands de vin de la rue Montorgueil ; ils ont fatigué le sol historique du bois de Romainville avec leur danse passionnée, puis, un beau jour, ils ont porté leur dernier écu au bureau de placement. Ils sont devenus garçons de café.

Ceux-là ne sont pas les moins habiles. Leur vieille expérience en fait d’excellents arbitres dans une discussion de billard, de dames ou de dominos ; ils savent, de longue date, ce qui plaît aux viveurs sortant d’un bon repas, et ils n’ont pas peur des ivrognes.

Quels que soient d’ailleurs ses précédents, le garçon de café typique est toujours un homme probe et bien portant : la vigueur de constitution et l’honnêteté d’âme sont deux qualités sans lesquelles il ne saurait être. L’oeil du maître, on le comprend, ne peut toujours planer sur les flacons, les carafes, les tasses et les cafetières du laboratoire. Rien de facile comme de détourner, au milieu de la consommation gigantesque de certains établissements, quelques gouttes de cet océan de rafraîchissements et de liqueurs, quelques fractions de ce total que le patron compte tous les soirs, à la grande mortification du mauvais sujet retardataire échangeant sa dernière pièce de dix sous, à minuit, contre une bouteille de bière blanche. Le garçon est donc, et de toute nécessité, un honnête homme. Depuis le lever du soleil jusqu’à l’extinction du gaz, il manipule le numéraire de son prochain : c’est un serviteur de confiance, c’est un garçon de recettes à domicile.

Vigueur de constitution : vous allez voir qu’elle est indispensable au garçon de café. Le jour paraît ; le garçon de café qui, la veille, a dû se coucher tard, doit se lever de bonne heure. Il n’y a guère d’éveillés à Paris que les fruitières, les balayeurs et les porteurs d’eau ; eh bien ! lui, homme élégant, lui qui passe son temps au milieu d’épicuriens, lui qui fait incontestablement partie de la civilisation avancée, de la vie de luxe, il faut qu’il s’arrache aux douceurs du repos. Tous les jours le bien vivre l’entoure de ses séductions, de ses parfums, de ses joies, et lui, il doit vivre de la vie rude de l’ouvrier ; son maître veut qu’il ait, à la fois, l’élégance coquette d’une jolie perruche et la vigilance pénible du coq. Il s’éveille donc, il étend les bras, et ses doigts allongés vont frapper les pieds des tables entre lesquelles il a jeté son matelas la veille, ou bien ils labourent le sable que l’on sème tous les jours dans la grande salle. Car, voyez-vous bien, il est condamné à se nourrir, à se reposer dans cet espace où il fait son état ; comme le soldat en campagne, il couche sur le champ de bataille. Mais, en vérité, mieux vaut souvent le bivouac, sur lequel la neige et la pluie ne tombent pas toujours, quoi qu’en disent les Victoires et Conquêtes et les vaudevilles militaires.

Au bivouac, l’air pur du matin, les feux du soleil levant, le chant des oiseaux du ciel raniment le guerrier. Le garçon de café, à son grand lever, ne trouve qu’une atmosphère lourde et tout imprégnée des émanations trop connues du gaz, auxquelles se mêlent les odeurs, hermétiquement renfermées par les volets de l’établissement, du punch, du vin chaud et du haricot de mouton, que le propriétaire du lieu a partagé à minuit avec tout son monde, sur la table numéro 1, c’est-à-dire celle la plus rapprochée du comptoir. La seule clarté qui vienne égayer le garçon de café à son réveil, est celle du quinquet inextinguible qui veille toujours dans le laboratoire avec l’obstination du feu de Vesta. Quant à ces harmonies matinales, qui signalent le retour de la lumière, le garçon de café est tout à fait libre de prendre pour telles les cris du chat, ou les sifflements aigus des serins de madame qui pressentent le passage prochain de la marchande de mouron.

Mais le piétinement du maître qui, à l’entresol, cherche ses bretelles et sa cravate, fait trembler le plafond. En un clin d’oeil les matelas de tous les garçons sont enlevés. Ce travail demande peu de force, car ces petits meubles qui tiennent beaucoup du silex pour la dureté, participent encore plus de la plume pour la légèreté de poids. Tout cela est jeté, pêle-mêle, derrière une vieille cloison, avec des queues de billards au rebut, les arrosoirs d’été, des damiers cassés et l’antique comptoir que le patron a jadis acheté avec le fonds. Les volets sont détachés, la laitière arrive, le chef descend de sa chambre avec un sac de monnaie sous le bras, madame songe à sa toilette, les pains de beurre s’éparpillent dans des soucoupes, le garçon de fourneau allume son feu, toutes les abeilles de cette ruche sont en mouvement, l’heure du travail a sonné. Après ce premier coup de collier, le garçon de café jouit, dans presque tous les quartiers de Paris, de quelques instants de repos ; en attendant la pratique, il arrache la bande des journaux et il étudie la situation des choses dans le grand format, la littérature dans le petit. Assez généralement le garçon de café marche avec le gouvernement et la garde nationale en politique ; en littérature il est d’une force gigantesque sur la charade et le cours de la Bourse.

De huit heures à dix, les cafés au lait occupent entièrement le garçon. Cette première vente apporte peu de monnaie dans le tronc bronze et or du comptoir. Les déjeuneurs au café se composent en général d’employés, de vieux garçons et de provinciaux logés dans les petits hôtels du voisinage. Ces trois espèces d’individus ont une foule de raisons toujours prêtes pour prouver l’utilité de l’économie. Le garçon de café tient à ces clients-là comme à un casuel certain, mais il est avec eux d’une politesse froide ; il leur dit toujours que le Corsaire et le Charivari sont en main, et, lorsqu’ils prennent place devant la table de marbre, il n’a à leur service qu’un très léger coup de serviette. Il en donne deux pour le café avec un beurre, trois pour un café complet. C’est le tarif.

Mais, de midi à deux heures, le café noir, l’eau-de-vie, le rhum et le kirch absorbent toute son attention, toute sa politesse. Les consommateurs de cette seconde période de la journée sont doucement échauffés par le Chablis et le Grave que le restaurateur du quartier leur a servis. Ce sont des citoyens dont l’unique métier est de joyeusement vivre, ou bien des militaires qui se sont liés de coeur et d’âme au camp de Compiègne, des commis-voyageurs qui ont fait avantageusement l’article à Reims ou à Sédan, des jeunes gens de famille qui se sont battus le matin, et à trente-cinq pas, avec des pistolets de poche. De pareils personnages paient sans compter, parce qu’ils sont heureux ; ils appellent le garçon « mon cher, » ils lui demandent du tabac et l’analyse de l’analyse de la pièce nouvelle dont les journaux ont dû rendre compte. Quand ils quittent le café, ils se tiennent immobiles une seule minute et, dans ce court espace, le garçon les habille de leur paletot, manteau ou redingote, il les coiffe de leur chapeau, il leur met gants et canne à la main et il termine par une de ces révérences qu’on ne saurait rencontrer autre part qu’à Paris. Ajoutez un peu plus de générosité d’un côté, un peu plus d’empressement de l’autre et vous aurez une idée exacte des rapports du garçon avec les consommateurs de café à l’eau après dîner.

Les moeurs, les habitudes, la toilette du garçon de café varient selon le quartier où il travaille. Au Palais-Royal, sur les boulevards, depuis la Madeleine jusqu’au faubourg du Temple, dans une partie du faubourg Saint-Germain, le garçon de café est élégant, aimable, attentif ; la chemise de toile de Hollande ne lui suffit plus ; il y fait adapter une chemisette en batiste ; il change de tabliers comme on change de ministres ; de ses cheveux, toujours taillés à la mode qui vient de naître, s’exhalent les odeurs les plus douces et, par conséquent, du meilleur goût ; sa veste se venge de n’être qu’une veste par la finesse de son tissu, par la grâce exquise de sa coupe ; ses mains sont fines, délicates ; il a du ventre le moins possible. Ce garçon de café-là n’emploie que des expressions choisies ; il lit dans de jolis in-18 dorés sur tranches et reliés en maroquin ; quand on se plaint à lui du café qu’il a servi, il lève les yeux au ciel, il soupire, il vous donne une autre tasse et vous apporte la même cafetière en téléchargement (5)disant : – Cette fois, monsieur sera content ! – Si un habitué entre en bâillant ou en accusant une migraine ou des douleurs rhumatismales, le garçon de café réplique avec consternation : – Que voulez-vous ? nous avons une si odieuse température ! Monsieur prend-il du rhum ?… Doué d’une imagination vive, d’un vaste amour-propre, de maux de nerfs, d’une grande flexibilité d’esprit, de tout ce qui constitue, enfin, l’homme infiniment civilisé, il prend les locutions, les manières, l’humeur des individus qu’il sert habituellement. Le garçon de café du boulevard Saint-Martin, un peu égrillard, parce que la Courtille n’est pas loin, affecte, cependant, des airs d’homme confortable. Il est extrêmement littéraire, parce qu’il apporte tous les jours des rognons à la brochette aux fournisseurs ordinaires de l’Ambigu, de la Gaieté et de la porte Saint-Martin. Il sait sur le bout du doigt le nombre des représentations de Gaspardo et du Sonneur de Saint-Paul ; il a l’honneur d’être tutoyé par quelques dramaturges, il vous dira tous les bons mots de M. Harel, il a parlé deux fois à mademoiselle Georges, et il prête souvent sa tabatière à Bocage. Le garçon de café du boulevard Saint-Martin est, surtout, policé depuis que les marchands de chevaux de la rue de Lancry sont allés faire leurs élèves aux Champs-Élysées.

Au café de Paris le garçon connaît tous les détails, toute la mise en scène d’une course au clocher ; il accable de son mépris un pantalon sans sous-pieds, un chapeau de soie ; il exècre le boeuf bouilli ; Duprez commence à ne plus lui plaire, il dit : aller en véhicule, au lieu de : aller en cabriolet et, dans ses jours de sortie, il ne fume que des cigares à quatre sous.

Jadis, le garçon du café Desmares était prodigieusement militaire. Il connaissait tous les officiers supérieurs de la garde royale, tous les on dit de la caserne d’Orsay et de Belle-Chasse. Il a perdu cette couleur martiale, mais il est resté aristocrate. Il soupire, il s’ennuie. Comme le faubourg Saint-Germain, il attend.

Les garçons de café du quartier Latin ont aussi leur physionomie à part. Les écoles, la science, la chambre des pairs ont depuis longtemps façonné leur intelligence et leurs goûts. Ils sont de première force aux dominos.

Le café de Foy est l’établissement où le garçon fait le plus vite fortune ; c’est, du moins, ce que l’on dit partout. Quoi qu’il en soit, il faut convenir que nulle part l’éducation de l’homme au tablier blanc n’est aussi parfaite. Le garçon du café de Foy, empressé comme celui du café Lemblin, coquet comme celui des boulevards, a, de plus qu’eux tous, un certain air de dignité, de politesse diplomatique qui annonce un contact plus fréquent avec la vraie bonne compagnie. Le garçon du café de Foy ne ressemble pas aux autres : il est tout à fait lui. Vous remarquerez, en entrant dans l’enceinte où il fonctionne, que toujours il est d’une taille élevée. On dit dans l’arrondissement du Palais-Royal : « Grand comme un garçon du café de Foy. » Militairement parlant, on pourrait établir que les garçons de salle de Paris forment un bataillon dont la compagnie de grenadiers est au café de Foy. Rien de plus modeste, d’ailleurs, que les lambris sous lesquels il sert les amateurs de café. Les dorures, les peintures, les glaces immenses, ne scintillent pas autour de lui ; le luxe ne peut pas lui monter à la tête. Il va et vient dans une salle mesquinement décorée, soutenue par de tristes piliers et chauffée par un poêle qui n’a rien de remarquable que son ampleur. Sous le rapport de la décoration, le café de Foy vit tranquillement, depuis des années, sur la renommée d’une caille, peinte autrefois, par Carle Vernet, au plafond sur lequel elle vole encore à l’heure qu’il est. C’est une vieille maison de la bonne roche, où le garçon est toujours un homme choisi. Il vient là tout jeune, il y grandit, il y blanchit. Il met toute sa vie entre ces vingt pieds carrés dans lesquels un public d’élite s’assied tous les jours. Ne pas confondre avec les fumeurs de cigares qui, pendant l’été, entourent les tables du jardin : nous parlons de l’intérieur, et il est bien convenu que, nous autres amateurs du tabac de la Havane, nous sommes des gens mal élevés.

Il y avait une fois un baron. Pauvre gentilhomme ! il était bien à plaindre. Son vieux castel de Bretagne avait été vendu comme propriété nationale ; ses bons chevaux de bataille avaient été tués dans les guerres de l’émigration ; il avait mis ses diamants en gage chez un juif allemand pour prêter de l’argent à un prince français qui ne le lui avait pas rendu, selon l’usage. Il ne restait au baron de K…… qu’une rente de 1,200 livres et la liberté de vivre, que Bonaparte, premier consul, lui avait fait expédier par la poste, dans un moment de bonne humeur. De retour à Paris, M. de K…… avait sagement arrêté avec lui-même qu’il n’irait plus à l’Opéra, qu’il ne jouerait plus au pharaon, qu’il achèterait un parapluie et qu’il mangerait chez un gargotier. Mais, quoi ! le bon compatriote de Bertrand Duguesclin n’avait pu renoncer à son cher café à l’eau après le dîner : il y tenait comme à sa croix de Saint-Louis, comme à son opinion politique. Brossé, ciré, propre comme un vieux soldat, il venait tous les soirs au café de Foy prendre sa demi-tasse ; c’était sa seule joie au milieu des grandes joies de cette époque, où la France fêtait Marengo et le repos de la guillotine. Il avait adopté une table devant laquelle il prenait place toujours. Par suite, il était toujours servi par le même garçon, chacun des servants d’un café ayant une ligne de tables à surveiller. M. de K……, élevé au sein de l’opulence, avait contracté l’usage de l’or depuis ses dents de sept ans. Il était habitué à payer, et à payer richement. Entraîné par cette douce routine, il entra un soir au café de Foy sans un sou dans sa poche, et il prit son café comme à l’ordinaire ; puis, quand il voulut partir, il tira sa bourse ! Le garçon vit tout de suite, dans les traits consternés de l’émigré, le funeste état des choses, et, en desservant sa pratique, il dit à voix basse : « C’est payé ! » En effet, il paya la demi-tasse. Oh ! il faudrait un litre d’encre, un paquet de plumes et deux rames de papier pour peindre les combats que se livra M. de K…… le lendemain quand l’heure du café sonna au cadran de ses habitudes, car le lendemain, comme la veille, le pauvre soldat de Condé était, comme on dit, à sec. Que vous dirai-je ? il entra, possédé par ce besoin aussi terrible que la faim peut-être, ou du moins qui est une faim d’un autre genre. Son café fut payé encore par le garçon. Il le fut pendant plusieurs années, et le comptoir ignora toujours ce détail de la grande salle. Seulement, le maître du lieu ne cessait de s’extasier sur l’exquise politesse du ci-devant, qui n’entrait, ne sortait jamais sans lui faire deux révérences d’ancienne cour. Hélas ! le vieux gentilhomme croyait saluer son créancier, et son vrai créancier c’était le garçon, dont la discrète bonté ne se démentit jamais, qui supportait patiemment les rebuffades du baron quand le café était moins chaud que de coutume, et qui portait tous les soirs à la dame du comptoir l’argent de la demi-tasse comme s’il venait de le recevoir.

On sait que les émigrés furent indemnisés, un peu chèrement même ! Un jour celui dont il est question arriva au café de Foy avec une énorme cocarde blanche et un portefeuille garni de billets de banque. Il demanda son compte, et on lui dit qu’il ne devait rien. Étonnement, stupéfaction. Le garçon fut appelé.

Le brave homme avoua, en rougissant, que, depuis des années, il payait sans rien dire le café du baron, et le baron pleura, et il embrassa devant tout le monde le garçon de café en disant : « Et toi aussi, mon enfant, tu étais un courtisan du malheur ! »

M. le baron de K…… a dépouillé le garçon de café de la serviette et de la veste, et il lui a donné les fonds nécessaires pour acheter un établissement.

N. B. Ce garçon de café-là était bonapartiste.

Les physionomies du garçon de fourneau et du garçon de billard forment deux types à part et qui n’ont rien de commun avec celle du garçon de salle. Ce dernier, serviteur de tout le monde, est connu de tout le monde ; les deux autres sont cloués à une place unique : l’un devant le feu où il prépare le café, le chocolat, etc. ; l’autre à un billard, qu’il prend comme fermier au maître de la maison, et avec lequel il spécule sur les passions des habitués de la poule. La physiologie de ces deux individus ne peut être traitée que par un alchimiste et un joueur de billard consommé. Or, je ne saurais mettre de l’eau en ébullition sans me brûler les doigts, et je n’ai jamais fait au billard qu’un doublé, encore était-ce un raccroc. Non sum dignus.

téléchargement (7)Le garçon de café – genre moderne – ne s’embarrasse pas sitôt d’une famille. Comme il est, de toute rigueur, bien fait et bien élevé, il vit en sultan au milieu d’un nombre imposant de demoiselles de comptoir. Il n’a, l’heureux homme, qu’à leur jeter le mouchoir, – je veux dire la serviette. – Ce sont elles qui font plisser ses chemises, qui harcellent la blanchisseuse pour que celle-ci tienne toujours le linge d’Oscar ou de Frédéric dans un état de blancheur entière. Confiant dans leur zèle, dans leur économie, le garçon de café leur abandonne souvent, même, le soin de payer les mémoires. Quand cet Alcibiade en tablier a trente ans, il songe à l’avenir. Il achète un habit noir pour les jours de sortie, il mange de la pâte de Regnault et il place ses économies. L’ambition éclot dans son coeur, il destitue les inspectrices de sa lingerie, et, dans son sommeil tourmenté, il ne rêve plus qu’établissement à son nom, que grande salle toute d’or comme les palais des Mille et une Nuits, avec un comptoir en bois de citronnier, des torrents de gaz et de peintures de Cicéri. Dès ce moment le garçon de café se fait inscrire dans une compagnie de la garde nationale ; il cherche une femme et une maison neuve formant coin de rue. Quand il a trouvé l’une et l’autre, il s’entoure des artistes les plus distingués, comme les vieux Médicis quand ils faisaient construire leurs palais ; et il fait travailler peintres, doreurs et mouleurs dans le rez-de-chaussée qu’il a loué à raison de 20,000 francs chaque année, sans compter le pot de vin. Les pots de vin se fourrent partout aujourd’hui. A sa voix la palette de vingt Raphaëls s’épuise ; ces murailles nues, que les lourds Limousins construisaient encore il y a trois mois, se chargent de fresques étincelantes. A la place des Napoléons à petit chapeau et des inscriptions érotiques tracées naguère au charbon par les gâcheurs, vous voyez de riches et beaux Indiens, – des Indiens d’opéra, – poursuivre le tigre royal sur leurs chevaux de race ; vous voyez un tournoi où messire Bertrand Duguesclin emporte le prix devant toute la noblesse de Bretagne ; vous voyez des nymphes nues, une Psyché qui s’envole, un Mercure qui porte dans les airs les ordres de son patron ; vous voyez des oiseaux de toutes les nuances, des fruits de toutes les couleurs.

Le comptoir, chef-d’oeuvre de l’ébénisterie moderne, se dresse dans une niche dorée. Il est orné déjà de coupes en vermeil que Ben-Venuto Cellini n’eût pas désavouées, et une beauté de choix a été retenue d’avance pour occuper chaque jour, à raison de 100 francs par mois, ce trône magnifique. Le garçon de café, devenu maître à son tour, a obtenu un crédit chez les négociants qui vendent en gros les objets de consommation qu’il va donner en détail au public. Une douzaine de réclames, dans lesquelles les courtiers d’annonces citent, à leur manière, les palais d’Armide et de Cléopâtre, sont lancées dans les journaux. Le jour de l’ouverture arrive enfin.

L’établissement nouveau fait 6,000 francs de recettes. Le propriétaire fait mettre des jabots à toutes ses chemises, il marchande un tilbury et il se demande déjà s’il achètera un château en Beauce ou en Normandie. Il jure sur son fourniment de garde national qu’il ne céderait pas son fonds à moins de 600,000 francs, et il dit à tout propos cette phrase qu’il s’est fait faire par un homme lettré de ses amis : Le bouge qui s’appelle le café de Foy !

Mais un autre fou ouvre dans le voisinage un café plus riche encore. Il y a jeté 100,000 francs de dorures, de peintures et de glaces. Le public qui aime à rire va s’engouffrer tous les soirs dans ce nouveau palais de fée, et l’autre palais, comme celui d’un ministre disgracié, devient une solitude.

Le maître du lieu, alors, est entièrement libre de déposer son bilan et de donner trois pour cent à ses créanciers. Il met à couvert le plus de fonds possible et quant il a satisfait aux exigences de la loi qui régit les faillites, il va vivre de son revenu au pays natal. Mais il n’est qu’un petit rentier, il n’a qu’une maison chétive, deux carrés de choux, une marre pour ses canards de Barbarie. La maladie des rois détrônés le saisit un jour, et il meurt d’ennui au milieu d’une famille inconsolable.

Le garçon de café rococo – celui que ses camarades intitulent dédaigneusement perruque –, a, presque toujours, une femme légitime et des enfants en chambre dans le voisinage. La femme fait ordinairement des gilets ou des pelottes médicamenteuses pour messieurs les chirurgiens herniaires. Chaque tête de cette famille-là, possède à son nom un livret à la caisse d’épargne. Le chef met patiemment sou sur sou pendant des années, et il crie toujours misère, puis un beau matin, il prend aussi un établissement. Mais il ne perd ni son temps ni son argent, à créer un palais de merveilles. A l’affût des faillites, il en trouve une sur son chemin qui lui donne, à un rabais fabuleux, pour 80,000 francs de glaces, de peintures, avec un fonds bien commencé et un matériel tout neuf. Assis sur les ruines des autres, le garçon de café achalande tout doucement la maison dont il est devenu maître. En quatre ans il arrive au chiffre de fortune qu’il a toujours ambitionné. Joueur prudent il cesse alors de tenter le destin et il vend fort cher ce qu’il a acheté presque pour rien. Vous le voyez ensuite faire l’usure dans une petite maison isolée, dont la porte est garnie de ferrures et la cour ornée d’un chien de montagne, toujours de mauvaise humeur.

Parvenu à cet apogée, il est facile à reconnaître : dans les cafés, il paie toujours sa demi-tasse sans rien donner au garçon ; il loge au Marais ou rue de Charonne, et aux Batignolles surtout ; il a un col de chemise très-haut, l’accent de la basse Normandie et un regard à quinze pour cent.

Tolérant, laborieux, fidèle, de bonne compagnie, le garçon de café supporte, sans hausser les épaules, les façons départementales de certains consommateurs qui lui demandent effrontément le bain de pied et boivent dans leur soucoupe ; il est debout du matin au soir et souvent, par sa manière de servir, il achalande la maison pendant que le maître joue aux dominos, ou à la hausse et à la baisse ; témoin, instrument des bénéfices énormes de ce patron, il amasse sans envie des pièces de deux sous à côté de ce tas d’argent qui grossit tous les jours ; il oublie, il ignore que le tronc touche à la caisse ; il peut, dans l’occasion, répondre convenablement à l’homme du monde qui est venu seul au café et qui aime mieux la conversation que la liqueur. Concluons donc, en présence de tant de qualités et de vertus, qu’une foule d’hommes considérables dans l’armée, la magistrature, la littérature, l’administration… dans l’instruction publique, surtout… ne seraient pas dignes de porter le tablier blanc.

AUGUSTE RICARD.
source : http://www.bmlisieux.com/

Publié dans ARTISANAT FRANCAIS | Pas de Commentaire »

L’artisanat sarthois

Posté par francesca7 le 2 mars 2014

 par Sébastien Juteau

Introduction

téléchargement (2)
L’artisanat a longtemps été un moteur économique local jusqu’à ce que l’industrie ne le supplante. Avant la société de consommation de masse, l’artisan était un des notables du village de part son instruction plus élevée et sa maîtrise du français par rapport aux simples paysans, ce qui en fait aussi un animateur du débat politique local. Ces artisans étaient souvent leurs propres patrons et possédaient leur outillage, parfois produit pendant leur compagnonnage. Dans leurs communautés les artisans étaient connus et source de sociabilité, « la forge était un lieu de rencontre pour les hommes » (p.328*), même les artisans itinérants ou saisonniers sont connus. Souvent les artisans cumulaient deux activités, mis à part le forgeron, il était difficile pour eux de vivre que d’une activité.

Les artisans sont toujours associés à l’idée qu’ils exercent un métier ancien, dont le savoir faire se transmet de maître-artisan à compagnon de génération en génération. Il est vrai que certains métiers continuent de reproduire le même geste : on scie toujours le bois de la même façon et on bât toujours le fer de la même façon. Cependant, ce sont de métiers fragiles, ils sont très dépendants de leur environnement, puisqu’ils ont une portée locale, au sein d’une communauté réduite de la taille d’un village. Cet environnement qui les a longtemps fait vivre – voire placés au centre de la vie de la communauté – les a aussi fait en partie disparaître. Ils ont été les victimes du développement des voies de communication et de la mécanisation engendrés par la Révolution industrielle. L’arrivée de la société de consommation de masse dans un département rural comme la Sarthe, après la Seconde Guerre mondiale, marque l’entrée définitive dans le xxe siècle et est le dernier coup porté à l’artisan local. C’est la fin de l’artisanat et l’intégration définitive du monde rural à l’ensemble du territoire, en effet, plus le nombre d’artisans diminue et plus les contacts avec le reste de la nation augmentent.

Finalement, des professions artisanales disparaissent, comme le charron, le rétameur ou le chiffonnier mais d’autres se maintiennent, certainement les moins dépendantes à la modernité, comme les boulangers ou bouchers. Ces professions qui se maintiennent ont du aussi s’adapter à un nouvel environnement. Elles ont également beaucoup perdu en effectifs, comme le maréchal-ferrant. Une simple recherche dans l’annuaire laisse percevoir l’ampleur du recul, alors que les maréchaux-ferrants étaient très nombreux avant la Première Guerre mondiale, seulement 25 forgerons sont répertoriés aujourd’hui. Il en est de même pour les tonneliers, on n’en compte plus qu’un en activité actuellement.

Nous sommes donc face à un phénomène de décroissance de l’artisanat traditionnel et spécialisé, donc à une perte de compétences qui pouvaient faire la fierté d’un département, comme les tisserands (de chanvre) ou les ciergiers en Sarthe.

Cette introduction contient des éléments issus de l’ouvrage de : Werber (Eugen), La fin des terroirs La modernisation de la France Rurale 1870-1914, Paris, Fayard, 1983, p. 322-329.


L’artisan, qui est-ce ?
 

Il semble pertinent de commencer par définir ce qu’est un artisan. Devant la définition complexe de cet ensemble de corps de métiers, il a paru plus simple de chercher la définition qu’en donne la loi plutôt que de se fier à une définition d’un dictionnaire, même si celui-ci représente une autorité certaine. Donc, la définition qu’en donne la loi, et qui est notamment reprise par l’INSEE est la suivante : 

« On considère comme artisan, toute personne physique ou morale inscrite au registre des métiers. Sous certaines conditions d’activité exercée et de nombre de salariés, cette inscription est obligatoire ».

La loi du 5 juillet 1996, relative au développement et à la promotion du commerce et de l’artisanat précise en effet : 

« Doivent être immatriculées au répertoire des métiers (…), les personnes physiques et morales qui n’emploient pas plus de dix salariés et qui exercent, à titre principal ou secondaire, une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services relevant de l’artisanat et figurant sur une liste établie par décret (…) ». 

Il existe d’ailleurs une nomenclature qui permette de savoir quels sont les différents types d’artisans et les métiers qui s’y rattachent. 

téléchargement (3)La définition est actuelle, alors que ce dossier documentaire recouvre la plus large période historique possible. Il a été plus simple de prendre une définition, celle sur laquelle se base actuellement le régime des artisans, plutôt que d’aller pointer du doigt les différentes variations au cours du temps. Pour mémoire, voici la définition qu’en donne Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d’Alembert en 1772 : 

« Nom par lequel on désigne les ouvriers qui professent ceux d’entre les arts mécaniques, qui supposent le moins d’intelligence. On dit d’un bon Cordonnier, que c’est un bon artisan; et d’un habile Horloger, que c’est un grand artiste ».

Version numérique disponible sur le site de l’ATILF à l’adresse suivante :
http://portail.atilf.fr/cgi-bin/getobject_?a.6:195./var/artfla/encyclopedie/textdata/IMAGE/

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L’épicier par Honoré de Balzac

Posté par francesca7 le 2 mars 2014

 ~ * ~

téléchargementD’AUTRES, des ingrats passent insouciamment devant la sacro-sainte boutique d’un épicier. Dieu vous en garde ! Quelque rebutant, crasseux, mal en casquette que soit le garçon, quelque frais et réjoui que soit le maître, je les regarde avec sollicitude et leur parle avec la déférence qu’a pour eux le Constitutionnel. Je laisse aller un mort, un évêque, un roi, sans y faire attention ; mais je ne vois jamais avec indifférence un épicier. A mes yeux, l’épicier, dont l’omnipotence ne date que d’un siècle, est une des plus belles expressions de la société moderne. N’est-il donc pas un être aussi sublime de résignation que remarquable par son utilité ; une source constante de douceur, de lumière, de denrées bienfaisantes ? Enfin n’est-il plus le ministre de l’Afrique, le chargé d’affaires des Indes et de l’Amérique ? Certes, l’épicier est tout cela ; mais ce qui met le comble à ses perfections, il est tout cela sans s’en douter. L’obélisque sait-il qu’il est un monument ?

Ricaneurs infâmes, chez quel épicier êtes-vous entrés qui ne vous ait gracieusement souri, sa casquette à la main, tandis que vous gardiez votre chapeau sur la tête ? Le boucher est rude, le boulanger est pâle et grognon ; mais l’épicier, toujours prêt à obliger, montre dans tous les quartiers de Paris un visage aimable. Aussi, à quelque classe qu’appartienne le piéton dans l’embarras, ne s’adresse-t-il ni à la science rébarbative de l’horloger, ni au comptoir bastionné de viandes saignantes où trône la fraîche bouchère, ni à la grille défiante du boulanger : entre toutes les boutiques ouvertes, il attend, il choisit celle de l’épicier pour changer une pièce de cent sous ou pour demander son chemin ; il est sûr que cet homme, le plus chrétien de tous les commerçants, est à tous, bien que le plus occupé ; car le temps qu’il donne aux passants, il se le vole à lui-même. Mais quoique vous entriez pour le déranger, pour le mettre à contribution, il est certain qu’il vous saluera ; il vous marquera même de l’intérêt, si l’entretien dépasse une simple interrogation et tourne à la confidence. Vous trouveriez plus facilement une femme mal faite qu’un épicier sans politesse. Retenez cet axiome, répétez-le pour contre-balancer d’étranges calomnies.

Du haut de leur fausse grandeur, de leur implacable intelligence ou de leurs barbes artistement taillées, quelques gens ont osé dire Raca ! à l’épicier. Ils ont fait de son nom un mot, une opinion, une chose, un système, une figure européenne et encyclopédique comme sa boutique. On crie : Vous êtes des épiciers ! pour dire une infinité d’injures. Il est temps d’en finir avec des Dioclétiens de l’épicerie. Que blâme-t-on chez l’épicier ? Est-ce son pantalon plus ou moins brun rouge, verdâtre ou chocolat ? ses bas bleus dans des chaussons, sa casquette de fausse loutre garnie d’un lagon d’argent verdi ou d’or noirci, son tablier à pointe triangulaire arrivant au diaphragme ? Mais pouvez-vous punir en lui, vile société sans aristocratie et qui travaillez comme des fourmis, l’estimable symbole du travail ? Serait-ce qu’un épicier est censé ne pas penser le moins du monde, ignorer les arts, la littérature et la politique ? et qui donc a engouffré les éditions de Voltaire et de Rousseau ? qui donc achète Souvenirs et Regrets de Dubufe ? qui a usé la planche du Soldat laboureur, du Convoi du pauvre, celle de l’Attaque de la barrière de Clichy ? qui pleure aux mélodrames, qui prend au sérieux la Légion-d’Honneur ! qui devient actionnaire des entreprises impossibles ? qui voyez-vous aux premières galeries de l’Opéra-Comique quand on joue Adolphe et Clara ou les Rendez-vous bourgeois ? qui hésite à se moucher au Théâtre-Français quand on chante Chatterton ? qui lit Paul de Kock ? qui court voir et admirer le Musée de Versailles ? qui a fait le succès du Postillon de Longjumeau ? qui achète les pendules à mameluks pleurant leur coursier ? qui nomme les plus dangereux députés de l’opposition, et qui appuie les mesures énergiques du pouvoir contre les perturbateurs ? L’épicier, l’épicier, toujours l’épicier ! Vous le trouvez l’arme au bras sur le seuil de toutes les nécessités, même les plus contraires, comme il est sur le pas de sa porte, ne comprenant pas toujours ce qui se passe, mais appuyant tout par son silence, par son travail, par son immobilité, par son argent ! Si nous ne sommes pas devenus sauvages, espagnols ou saint-simoniens, rendez-en grâce à la grande armée des épiciers. Elle a tout maintenu. Peut-être maintiendra-t-elle l’un comme l’autre, la république comme l’empire, la légitimité comme la nouvelle dynastie ; mais certes elle maintiendra. Maintenir est sa devise. Si elle ne maintenait pas un ordre social quelconque, à qui vendrait-elle ? L’épicier est la chose jugée qui s’avance ou se retire, parle ou se tait aux jours des grandes crises. Ne l’admirez-vous pas dans sa foi pour les niaiseries consacrées ! Empêchez-le de se porter en foule au tableau de Jeanne Gray, de doter les enfants du général Foy, de souscrire pour le Champ-d’Asile, de se ruer sur l’asphalte, de demander la translation des cendres de Napoléon, d’habiller son enfant en lancier polonais, ou en artilleur de la garde nationale, selon la circonstance. Tu l’essaierais en vain, fanfaron Journalisme, toi qui, le premier, inclines plume et presse à son aspect, lui souris et lui tends incessamment la chatière de ton abonnement !

Image illustrative de l'article ÉpicierMais a-t-on bien examiné l’importance de ce viscère indispensable à la vie sociale, et que les anciens eussent déifié peut-être ? Spéculateur, vous bâtissez un quartier, ou même un village ; vous avez construit plus ou moins de maisons, vous avez été assez osé pour élever une église ; vous trouvez des espèces d’habitants, vous ramassez un pédagogue, vous espérez des enfants ; vous avez fabriqué quelque chose qui a l’air d’une civilisation, comme on fait une tourte : il y a des champignons, des pattes de poulets, des écrevisses et des boulettes ; un presbytère, des adjoints, un garde champêtre et des administrés : rien ne tiendra, tout va se dissoudre, tant que vous n’aurez pas lié ce microcosme par le plus fort des liens sociaux, par un épicier. Si vous tardiez à planter au coin de la rue principale un épicier, comme vous avez planté une croix au-dessus du clocher, tout déserterait. Le pain, la viande, les tailleurs, les prêtres, les souliers, le gouvernement, la solive, tout vient par la poste, par le roulage ou le coche ; mais l’épicier doit être là, rester là, se lever le premier, se coucher le dernier ; ouvrir sa boutique à toute heure aux chalands, aux cancans, aux marchands. Sans lui, aucun de ses excès qui distinguent la société moderne des sociétés anciennes auxquelles l’eau-de-vie, le tabac, le thé, le sucre étaient inconnus. De sa boutique procède une triple production pour chaque besoin : thé, café, chocolat, la conclusion de tous les déjeuners réels ; la chandelle, l’huile et la bougie, source de toute lumière ; le sel, le poivre et la muscade, qui composent la rhétorique de la cuisine ; le riz, le haricot et le macaroni, nécessaires à toute alimentation raisonnée ; le sucre, les sirops et la confiture, sans quoi la vie serait bien amère ; les fromages, les pruneaux et les mendiants, qui, selon Brillat-Savarin, donnent au dessert sa physionomie. Mais ne serait-ce pas dépeindre tous nos besoins que détailler les unités à trois angles qu’embrasse l’épicerie ? L’épicier lui-même forme une trilogie : il est électeur, garde national et juré. Je ne sais si les moqueurs ont une pierre sous la mamelle gauche ; mais il m’est impossible de railler cet homme quand, à l’aspect des billes d’agate contenues dans ses jattes de bois, je me rappelle le rôle qu’il jouait dans mon enfance. Ah ! quelle place il occupe dans le coeur des marmots auxquels il vend le papier des cocottes, la corde des cerfs-volants, les soleils et les dragées ! Cet homme, qui tient dans sa montre des cierges pour notre enterrement et dans son oeil une larme pour notre mémoire, côtoie incessamment notre existence : il vend la plume et l’encre au poëte, les couleurs au peintre, la colle à tous. Un joueur a tout perdu, veut se tuer : l’épicier lui vendra les balles, la poudre ou l’arsenic ; le vicieux personnage espère tout regagner, l’épicier lui vendra des cartes. Votre maîtresse vient, vous ne lui offrirez pas à déjeuner sans l’intervention de l’épicier ; elle ne fera pas une tache à sa robe qu’il ne reparaisse avec l’empois, le savon, la potasse. Si, dans une nuit douloureuse, vous appelez la lumière à grands cris, l’épicier vous tend le rouleau rouge du miraculeux, de l’illustre Fumade, que ne détrônent ni les briquets allemands, ni les luxueuses machines à soupape. Vous n’allez point au bal sans son vernis. Enfin, il vend l’hostie au prêtre, le cent-sept-ans au soldat, le masque au carnaval, l’eau de Cologne à la plus belle moitié du genre humain. Invalide, il te vendra le tabac éternel que tu fais passer de ta tabatière à ton nez, de ton nez à ton mouchoir, de ton mouchoir à ta tabatière : le nez, le tabac et le mouchoir d’un invalide ne sont-ils pas une image de l’infini aussi bien que le serpent qui se mord la queue ? Il vend des drogues qui donnent la mort, et des substances qui donnent la vie ; il s’est vendu lui-même au public comme une âme à Satan. Il est l’alpha et l’oméga de notre état social. Vous ne pouvez faire un pas ou une lieue, un crime ou une bonne action, une oeuvre d’art ou de débauche, une maîtresse ou un ami, sans recourir à la toute-puissance de l’épicier. Cet homme est la civilisation en boutique, la société en cornet, la nécessité armée de pied en cap, l’encyclopédie en action, la vie distribuée en tiroirs, en bouteilles, en sachets. Nous avons entendu préférer la protection d’un épicier à celle d’un roi : celle du roi vous tue, celle de l’épicier fait vivre. Soyez abandonné de tout, même du diable ou de votre mère, s’il vous reste un épicier pour ami, vous vivrez chez lui, comme le rat dans son fromage. Nous tenons tout, vous disent les épiciers avec un juste orgueil. Ajoutez : Nous tenons à tout.

Par quelle fatalité ce pivot social, cette tranquille créature, ce philosophe pratique, cette industrie incessamment occupée, a-t-elle donc été prise pour type de la bêtise ? Quelles vertus lui manquent ? Aucune. La nature éminemment généreuse de l’épicier entre pour beaucoup dans la physionomie de Paris. D’un jour à l’autre, ému par quelque catastrophe ou par une fête, ne reparaît-il pas dans le luxe de son uniforme, après avoir fait de l’opposition en bizet ? Ses mouvantes lignes bleues à bonnets ondoyants accompagnent en pompe les illustres morts ou les vivants qui triomphent, et se mettent galamment en espaliers fleuris à l’entrée d’une royale mariée. Quant à sa constance, elle est fabuleuse. Lui seul a le courage de se guillotiner lui-même tous les jours avec un col de chemise empesé. Quelle intarissable fécondité dans le retour de ses plaisanteries avec ses pratiques ! avec quelles paternelles consolations il ramasse les deux sous du pauvre, de la veuve et de l’orphelin ! avec quel sentiment de modestie il pénètre chez ses clients d’un rang élevé ! Direz-vous que l’épicier ne peut rien créer ? QUINQUET était un épicier ; après son invention, il est devenu un mot de la langue, il a engendré l’industrie du lampiste.

Ah ! si l’épicerie ne voulait fournir ni pairs de France ni députés, si elle refusait des lampions à nos réjouissances, si elle cessait de piloter les piétons égarés, de donner de la monnaie aux passants, et un verre de vin à la femme qui se trouve mal au coin de la borne, sans vérifier son état ; si le quinquet de l’épicier ne protestait plus contre le gaz son ennemi, qui s’éteint à onze heures ; s’il se désabonnait au Constitutionnel, s’il devenait progressif, s’il déblatérait contre le prix Monthyon, s’il refusait d’être capitaine de sa compagnie, s’il dédaignait la croix de la Légion-d’Honneur, s’il s’avisait de lire les livres qu’il vend en feuilles dépareillées, s’il allait entendre les symphonies de Berlioz au Conservatoire, s’il admirait Géricault en temps utile, s’il feuilletait Cousin, s’il comprenait Ballanche, ce serait un dépravé qui mériterait d’être la poupée éternellement abattue, éternellement relevée, éternellement ajustée par la saillie de l’artiste affamé, de l’ingrat écrivain, du saint-simonien au désespoir. Mais examinez-le, ô mes concitoyens ! Que voyez-vous en lui ? Un homme généralement court, joufflu, à ventre bombé, bon père, bon époux, bon maître. A ce mot, arrêtons-nous.

Qui s’est figuré le Bonheur, autrement que sous la forme d’un petit garçon épicier, rougeaud, à tablier bleu, le pas sur la marche d’un magasin, regardant les femmes d’un air égrillard, admirant sa bourgeoise, n’ayant rien, rieur avec les chalands, content d’un billet de spectacle, considérant le patron comme un homme fort, enviant le jour où il se fera comme lui la barbe dans un miroir rond, pendant que sa femme lui apprêtera sa chemise, sa cravate et son pantalon ? Voilà la véritable Arcadie ? Être berger comme le veut Poussin n’est plus dans nos moeurs. Être épicier, quand votre femme ne s’amourache pas d’un Grec qui vous empoisonne avec votre propre arsenic, est une des plus heureuses conditions humaines.

téléchargement (1)Artistes et feuilletonistes, cruels moqueurs qui insultez au génie aussi bien qu’à l’épicier, admettons que ce petit ventre rondelet doive inspirer la malice de vos crayons, oui, malheureusement quelques épiciers, en présentant arme, présentent une panse rabelaisienne qui dérange l’alignement inespéré des rangs de la garde nationale à une revue, et nous avons entendu des colonels poussifs s‘en plaindre amèrement. Mais qui peut concevoir un épicier maigre et pâle ? il serait déshonoré, il irait sur les brisées des gens passionnés. Voilà qui est dit, il a du ventre. Napoléon et Louis XVIII ont eu le leur, et la Chambre n’irait pas sans le sien. Deux illustres exemples ! Mais si vous songez qu’il est plus confiant avec ses avances que nos amis avec leur bourse, vous admirerez cet homme et lui pardonnerez bien des choses. S’il n’était pas sujet à faire faillite, il serait le prototype du bien, du beau, de l’utile. Il n’a d’autres vices, aux gens des yeux délicats, que d’avoir en amour, à quatre lieues de Paris, une campagne dont le jardin a trente perches ; de draper son lit et sa chambre en rideaux de calicot jaune imprimé de rosaces rouges ; de s’y asseoir sur le velours d’Utrecht à brosses fleuries ; il est l’éternel complice de ces infâmes étoffes. On se moque généralement du diamant qu’il porte à sa chemise et de l’anneau de mariage qui orne sa main ; mais l’un signifie l’homme établi, comme l’autre annonce le mariage, et personne n’imaginerait un épicier sans femme. La femme de l’épicier en a partagé le sort jusque dans l’enfer de la moquerie française. Et pourquoi l’a-t-on immolée en la rendant ainsi doublement victime ? Elle a voulu, dit-on, aller à la cour. Quelle femme assise dans un comptoir n’éprouve le besoin d’en sortir, et où la vertu ira-t-elle, si ce n’est aux environs du trône ? car elle est vertueuse : rarement l’infidélité plane sur la tête de l’épicier, non que sa femme manque aux grâces de son sexe, mais elle manque d’occasion. La femme d’un épicier, l’exemple l’a prouvé, ne peut dénouer sa passion que par le crime, tant elle est bien gardée. L’exiguité du local, l’envahissement de la marchandise, qui monte de marche en marche et pose ses chandelles, ses pains de sucre jusque sur le seuil de la chambre conjugale, sont les gardiens de sa vertu, toujours exposée aux regards publics. Aussi, forcée d’être vertueuse, s’attache-t-elle tant à son mari que la plupart des femmes d’épiciers en maigrissent. Prenez un cabriolet à l’heure, parcourez Paris, regardez les femmes d’épiciers : toutes sont maigres, pâles, jaunes, étirées. L’hygiène, interrogée, a parlé de miasmes exhalés par les denrées coloniales ; la pathologie, consultée, a dit quelque chose sur l’assiduité sédentaire au comptoir, sur le mouvement continuel des bras, de la voix, sur l’attention sans cesse éveillée, sur le froid qui entrait par une porte toujours ouverte et rougissait le nez. Peut-être, en jetant ces raisons au nez des curieux, la science n’a-t-elle pas osé dire que la fidélité avait quelque chose de fatal pour les épicières, peut-être a-t-elle craint d’affliger les épiciers en leur démontrant les inconvénients de la vertu. Quoi qu’il en soit, dans ces ménages que vous voyez mangeant et buvant enfermés sous la verrière de ce grand bocal, autrement nommé par eux arrière-boutique, revivent et fleurissent les coutumes sacramentales qui mettent l’hymen en honneur. Jamais un épicier, en quelque quartier que vous en fassiez l’épreuve, ne dira ce mot leste : ma femme ; il dira : mon épouse. Ma femme emporte des idées saugrenues, étranges, subalternes, et change une divine créature en une chose. Les Sauvages ont des femmes ; les êtres civilisés ont des épouses ; jeunes filles venues entre onze heures et midi à la mairie, accompagnées d’une infinité de parents et de connaissances, parées d’une couronne de fleurs d’oranger toujours déposée sous la pendule, en sorte que le mameluk ne pleure pas exclusivement sur le cheval. Aussi, toujours fier de sa victoire, l’épicier conduisant sa femme par la ville, a-t-il je ne sais quoi de fastueux qui le signale au caricaturiste. Il sent si bien le bonheur de quitter sa boutique, son épouse fait si rarement des toilettes, ses robes sont si bouffantes, qu’un épicier orné de son épouse tient plus de place sur la voie publique que tout autre couple. Débarrassé de sa casquette de loutre et de son gilet rond, il ressemblerait assez à tout autre citoyen, n’étaient ces mots, ma bonne amie, qu’il emploie fréquemment en expliquant les changements de Paris à son épouse, qui, confinée dans son comptoir, ignore les nouveautés. Si parfois, le dimanche, il se hasarde à faire une promenade champêtre, il s’assied à l’endroit le plus poudreux des bois de Romainville, de Vincennes ou d’Auteuil, et s’extasie sur la pureté de l’air. Là, comme partout, vous le reconnaîtrez, sous tous ses déguisements, à sa phraséologie, à ses opinions. Vous allez par une voiture publique à Meaux, Melun, Orléans, vous trouvez en face de vous un homme bien couvert qui jette sur vous un regard défiant : vous vous épuisez en conjectures sur ce particulier d’abord taciturne. Est-ce un avoué ? est-ce un nouveau pair de France ? est-ce un bureaucrate ? Une femme souffrante dit qu’elle n’est pas encore remise du choléra. La conversation s’engage. L’inconnu prend la parole.

Môsieu… Tout est dit, l’épicier se déclare. Un épicier ne prononce ni monsieur, ce qui est affecté, ni msieu, ce qui semble infiniment méprisant ; il a trouvé son triomphant môsieu, qui est entre le respect et la protection, exprime sa considération et donne à sa personne une saveur merveilleuse. – Môsieu, vous dira-t-il, pendant le choléra, les trois plus grands médecins, Dupuytren, Broussais et môsieu Magendie, ont traité leurs malades par des remèdes différents ; tous sont morts, ou à peu près. Ils n’ont pas su ce qu’est le choléra ; mais le choléra, c’est une maladie dont on meurt. Ceux que j’ai vus se portaient déjà mal. Ce moment-là, môsieu, a fait bien du mal au commerce.

Vous le sondez alors sur la politique. Sa politique se réduit à ceci : « Môsieu, il paraît que les ministres ne savent ce qu’ils font ! On a beau les changer, c’est toujours la même chose. Il n’y avait que sous l’empereur où ils allaient bien. Mais aussi, quel homme ! En le perdant, la France a bien perdu. Et dire qu’on ne l’a pas soutenu ! » Vous découvrez alors chez l’épicier des opinions religieuses extrêmement répréhensibles. Les chansons de Béranger sont son Évangile. Oui, ces détestables refrains frelatés de politique ont fait un mal dont l’épicerie se ressentira longtemps. Il se passera peut-être une centaine d’années avant qu’un épicier de Paris, ceux de la province sont un peu moins atteints de la chanson, entre dans le Paradis. Peut-être son envie d’être Français l’entraîne-t-elle trop loin. Dieu le jugera.

Si le voyage était court, si l’épicier ne parlait pas, cas rare, vous le reconnaîtriez à sa manière de se moucher. Il met un coin de son mouchoir entre ses lèvres, le relève au centre par un mouvement de balançoire, s’empoigne magistralement le nez et sonne une fanfare à rendre jaloux un cornet à piston.

Quelques-uns de ces gens qui ont la manie de tout creuser signalent un grand inconvénient à l’épicier : il se retire, disent-ils. Une fois retiré, personne ne lui voit aucune utilité. Que fait-il ? que devient-il ? il est sans intérêt, sans physionomie. Les défenseurs de cette classe de citoyens estimables ont répondu que généralement le fils de l’épicier devient notaire ou avoué, jamais ni peintre ni journaliste, ce qui l’autorise à dire avec orgueil : J’ai payé ma dette au pays. Quand un épicier n’a pas de fils, il a un successeur auquel il s’intéresse ; il l’encourage, il vient voir le montant des ventes journalières et les compare avec celles de son temps ; il lui prête de l’argent : il tient encore à l’épicerie par le fil de l’escompte. Qui ne connaît la touchante anecdote sur la nostalgie du comptoir à laquelle il est sujet ?

Un épicier de la vieille roche, lequel, trente ans durant, avait respiré les mille odeurs de son plancher, descendu le fleuve de la vie en compagnie de myriades de harengs et voyagé côte à côte avec une infinité de morues, balayé la boue périodique de cent pratiques matinales et manié de bons gros sous bien gras ; il vent son fonds, cet homme riche au-delà de ses désirs, ayant enterré son épouse dans un bon petit terrain à perpétuité, tout bien en règle, quittance de la ville au carton des papiers de famille ; il se promène les premiers jours dans Paris en bourgeois ; il regarde jouer aux dominos, il va même au spectacle. Mais il avait, dit-il, des inquiétudes. Il s’arrêtait devant les boutiques d’épiceries, il les flairait, il écoutait le bruit du pilon dans le mortier. Malgré lui cette pensée : Tu as été pourtant tout cela ! lui résonnait dans l’oreille, à l’aspect d’un épicier amené sur le pas de sa porte par l’état du ciel. Soumis au magnétisme des épices, il venait visiter son successeur. L’épicerie allait. Notre homme revenait le coeur gros. Il était tout chose, dit-il à Broussais en le consultant sur sa maladie. Broussais ordonna les voyages, sans indiquer positivement la Suisse ou l’Italie. Après quelques excursions lointaines tentées sans succès à Saint-Germain, Montmorency, Vincennes, le pauvre épicier dépérissant toujours, n’y tint plus ; il rentra dans sa boutique comme le pigeon de La Fontaine à son nid, en disant son grand proverbe : Je suis comme le lièvre, je meurs où je m’attache ! Il obtint de son successeur la grâce de faire des cornets dans un coin, la faveur de le remplacer au comptoir. Son oeil, déjà devenu semblable à celui d’un poisson cuit, s’alluma des lueurs du plaisir. Le soir, au café du coin, il blâme la tendance de l’épicerie au charlatanisme de l’Annonce, et demande à quoi sert d’exposer les brillantes machines qui broient le cacao.

Plusieurs épiciers, des têtes fortes, deviennent maires de quelque commune, et jettent sur les campagnes un reflet de la civilisation parisienne. Ceux-là commencent alors à ouvrir le Voltaire ou le Rousseau qu’ils ont acheté, mais ils meurent à la page 17 de la notice. Toujours utiles à leur pays, ils ont fait réparer un abreuvoir, ils ont, en réduisant les appointements du curé, contenu les envahissements du clergé. Quelques-uns s’élèvent jusqu’à écrire leurs vues au Constitutionnel, dont ils attendent vainement la réponse ; d’autres provoquent des pétitions contre l’esclavage des nègres et contre la peine de mort.

Je ne fais qu’un reproche à l’épicier : il se trouve en trop grande quantité. Certes il en conviendra lui-même, il est commun. Quelques moralistes, qui l’ont observé sous la latitude de Paris, prétendent que les qualités qui le distinguent se tournent en vices dès qu’il devient propriétaire. Il contracte alors, dit-on, une légère teinte de férocité, cultive le commandement, l’assignation, la mise en demeure, et perd de son agrément. Je ne contredirai pas ces accusations, fondées, peut-être, sur le temps critique de l’épicier. Mais consultez les diverses espèces d’hommes, étudiez leurs bizarreries, et demandez-vous ce qu’il y a de complet dans cette vallée de misères. Soyons indulgents envers les épiciers ! D’ailleurs où en serions-nous s’ils étaient parfaits ? il faudrait les adorer, leur confier les rênes de l’état, au char duquel ils se sont courageusement attelés. De grâce, ricaneurs auxquels ce mémoire est adressé, laissez-les-y, ne tourmentez pas trop ces intéressants bipèdes : n’avez-vous pas assez du gouvernement, des livres nouveaux et des vaudevilles ?Portrait photographique en noir et blanc d'un homme moustachu portant chemise blanche ouverte, main droite sur le cœur.

                                   DE BALZAC.

Source : BALZAC,  Honoré de (1799-1850) : L’épicier, (1840).

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