Par L. Aubourg
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Bourg du département du Calvados, arrondissement et à neuf kilomètres de Bayeux, canton et à dix kilomètres O. N. O. de Ryes ; à trente-six kilomètres de Caen.
Situé dans une infractuosité de hautes falaises bordant la Manche entre celle du Castel à l’Est, et celle de Huppain à l’Ouest.
Son port, outre ses nombreuses barques de pêche, reçoit aussi quelques navires d’un assez fort tonnage destinés pour la plupart à alimenter le commerce de M. Vardon, maire de la commune qui, en plus de la vente des charbons en gros, possède une importante scierie mécanique et plusieurs barques pontées.
Son adjoint, M. Candide Marie, ainsi que M. Lefournier sont également propriétaires de nombreuses barques. Ces trois Messieurs qui occupent un très nombreux personnel de marins et d’ouvriers sont, à bon droit, réputés être les bienfaiteurs de la commune.
Quelques côtres de guerre, en croisière de surveillance dans la Manche, viennent aussi parfois faire une escale de deux à trois jours.
Le recensement de 1864 accusait huit cent soixante-dix habitants, celui de 1891 donne douze cent soixante-douze.
Cet accroissement, qui a été suivi par celui du matériel de pêche dont l’importance augmente chaque année, a été en partie fourni par des familles de pêcheurs venues soit de Grandcamp, qui n’a qu’une rade foraine, soit d’Arromanches, d’Asnelles et de Ver, lieux de pêche délaissés par les barques de fort tonnage.
Port-en-Bessin qui est en effet doté d’un avant-port et de deux bassins de refuge a encore à son actif trois belles corderies, des ateliers de voilerie et deux chantiers de construction dirigés par MM. Langlois et Paris, qui fournissent de belles barques pontées et non pontées, aussi solides qu’élégantes, ainsi qu’une jolie poissonnerie couverte.
Le bourg est coupé en deux par les bassins ; la partie la plus importante est à l’Ouest. – A l’Est se trouve le Pollet, ainsi dénommé pour rappeler sans doute le Pollet de Dieppe, à peu près placé dans les mêmes conditions, tous les deux peuplés exclusivement de familles de pêcheurs.
Port et son annexe sont reliés par un pont tournant établi entre l’avant-port et le premier bassin.
Deux feux fixes, de six mille de portée, sont situés dans la falaise à l’ouest du bourg, l’un en amont, à quarante mètres de hauteur, l’autre en aval, à vingt-huit mètres.
Un poste sémaphorique est installé plus à l’Ouest au sommet de cette même falaise.
Au dessus du Pollet, et aux deux tiers de la falaise, on voit une vieille tour ronde construite en 1694, sur la proposition de Vauban, et qui reçut du canon pour protéger les bâtiments poursuivis par les corsaires .
L’ancienne église, de petite dimension, située à l’entrée du bourg, sur la route de Bayeux, édifiée du XIIe siècle au commencement du XIVe, a été dernièrement abattue ; son portail était surmonté d’un campanile contenant plusieurs cloches d’une bonne tonalité et s’accordant bien.
La nouvelle église, construite du même côté de la route et plus près du bourg, est maintenant livrée au culte ; elle est de vaste dimension et fort jolie.
Les souscriptions pour l’exécution de cet édifice ont été consenties par de riches donateurs et par les pêcheurs qui ont demandé qu’une retenue hebdomadaire soit faite sur le produit de la vente de leur poisson.
Port est doté d’une très bonne eau potable. Les travaux d’adduction et de canalisation de cette eau, qui a été captée à deux kilomètres en contre-haut de la partie principale du bourg, ont été dirigés par feu l’honorable M. Verrine, alors ingénieur municipal à Caen ; huit à neuf bornes-fontaines la distribuent et une fontaine à sujet et à plusieurs jets, monumentale pour le pays, a été édifiée près la poissonnerie, au centre d’une vasque en granit, de grande dimension, où les femmes viennent laver leurs paniers et leurs corbeilles à poisson.
Le linge est lavé à de nombreuses sources, appelées droues, situées à l’Est de Port, au bord de la mer et presque au pied des hautes falaises.
La mer, qui se retire jusqu’à quatre cents mètres laisse à découvert de grands bancs de galets, recouverts de goëmons et de pierres plates. La partie du rivage attenante aux falaises est seule recouverte de sable et c’est sur leur emplacement et sur une largeur de cinquante à soixante mètres que viennent sourdre ces droues qui font le bonheur des ménagères.
Quand la mer baisse, elles guettent le moment où leurs pierres individuelles seront découvertes et, cinq minutes après, quand la salure des eaux a disparu par l’apparition des droues, elles s’agenouillent, font dans le sable, avec leur battoir, un large trou qui s’emplit vite d’eau douce et se mettent au travail. Ne vous amusez pas à les compter ; les galets remplaceraient à votre préjudice les trognons de choux des marchandes des halles.
L’apparition de ces droues et le lavage du linge au bord de mer étonne l’étranger au pays, impressionné par l’heureux résultat de ce phénomène hydrographique, mentionné pourtant dans la géographie du département.
Plusieurs d’entr’elles, très importantes, prennent jour à l’extrémité des bassins et forment pendant la saison des pluies, des tourbillons ayant une amplitude très développée.
En voici l’explication ; l’Aure, qui prend sa source dans les collines de Caumont et passe à Bayeux, reçoit à dix kilomètres en aval de cette ville, à Maisons, les eaux de la Dromme, puis se perd immédiatement dans les quatre fosses du Soucy, quatre trous remplis d’herbes, de buissons, d’arbres et percés de crevasses par lesquelles s’enfuient les eaux par des bétories, petites crevasses « où les eaux se perdent sans bruit avec un léger mouvement circulaire » pour reparaître, après un parcours souterrain d’environ trois kilomètres à Port, où elles forment les droues.
La rivière disparaît ainsi sous terre, entièrement plus de trois quarts de l’année, en partie seulement pendant l’époque des grandes pluies. Les eaux qui ne peuvent alors être absorbées par les quatre fosses forment un vaste lac.
Une partie de ces ondes perdues reparaît à sept cent quatre-vingts mètres en ligne droite de la petite fosse du Soucy pour former l’Aure inférieure, large à son début de douze mètres avec un mètre de profondeur, nouveau cours d’eau qui se jette dans le fleuve côtier la Vire.
Cette nouvelle rivière coule à son début pendant trois cent quatre-vingt-dix-sept mètres puis disparaît pendant deux cent trente-huit pour reparaître définitivement ensuite.
Pareille disposition sous terre se produit dans le département pour la Muance, affluent de la Dives qui, prenant sa source à Grainville-Lengannerie, disparaît presque aussitôt pour ressourdre à Saint-Sylvain, après un parcours de huit kilomètres.
Il est facile de se rendre un compte approximatif du volume d’eau absorbé par les fosses, l’Aure supérieure ayant un parcours de quarante kilomètres et la Dromme, soixante ; ces deux rivières recevant de nombreux affluents.
Les quatre fosses sont nommées la Tourneresse, (quarante-cinq mètres sur quarante), la Grippesulais, la Grande et la Petite-Fosse.
Port posséde une brigade de gendarmerie à pied, un syndicat maritime ressortissant du Commissariat de Caen, une perception et un bureau de douanes ; trente-trois grandes barques de pêche, pontées ; quarante-neuf petites et trois cents marins et anciens marins, chaque grande barque ayant un équipage de six hommes et les petites de un à deux.
La pêche au congre, dans la belle saison, occupe par chaque barque pontée et son annexe un équipage de seize à vingt hommes.
Correspondance avec Bayeux, par les omnibus de la compagnie Méry.
La commune est encore pourvue de deux écoles communales ; celle des filles, dirigée depuis plus de vingt ans par une soeur d’un rare mérite. Les instituteurs laïques ont aussi fourni d’excellents maîtres ; l’un d’eux occupe la fonction très importante de bibliothécaire de la ville, à Lisieux. Un autre établissement, servant d’école maternelle, a été créé en 1890, sur l’initiative de M. le comte Foy, gendre de M. le baron Gérard. Il est inutile d’insister sur la valeur de ces deux Messieurs, leurs noms étant toujours cités à chaque production d’une oeuvre de charité ou d’utilité publique.
Les hôtels d’Europe et du Lion-d’Or sont très confortables ; plusieurs autres établissements secondaires sont aussi recherchés pour la modicité de leurs prix.
Les rue du bourg sont courtes et étroites ; quelques unes, aux pentes rapides, dirigées des collines avoisinantes vers les quais qui occupent le fond de la vallée, (thalweg).
Les bassins sont contournés par une large voie, très animée, bien entretenue et bordée de belles maisons. Sur la partie Ouest, attenante à Port, se tient, pendant plusieurs dimanches après la moisson, un important marché et des jeux de toutes sortes.
Des théâtres et des chevaux de bois sont installés sur l’Epi, large emplacement réservé à l’Est, au bord de la mer, entre l’avant-port et le Pollet. A l’extrémité du deuxième bassin commence un délicieux vallon dont la végétation luxuriante réjouit les promeneurs qui recherchent l’ombre et la fraîcheur.
L’avant-port et ses jetées fournissent une très jolie promenade ; on doit aux extrémités se retourner pour voir le joli panorama de Port, encadré de belles collines, et le littoral bordé de hautes falaises du plus bel effet.
Le spectacle est imposant, le matin surtout, où de nombreux pêcheurs des deux sexes, revenant de la pêche à pied, sont à l’horizon grandis par un mirage très prononcé.
Le touriste qui désire recevoir toutes les impressions d’un voyage d’agrément doit comprendre Port dans son itinéraire.
En effet, après avoir visité Trouville, Luc, Saint-Aubin et Arromanches, leurs belles plages sablonneuses, leurs casinos et leurs salles de jeux, il a besoin, pour reposer ses sens, de voir une nature plus agreste et une population vigoureuse. Ses poumons réclament aussi une brise plus intense et imprégnée des âcres senteurs des varechs.
Port lui fournira ce qu’il désire.
Laissant de côté les nombreuses petites barques de pêche qui entrent et sortent à chaque marée, occupons-nous de ses barques pontées, de leur rôle et du mouvement que leur arrivée et leur départ donne au pays.
Pendant les grands jours d’été, elles sortent pour un nombre de jours indéterminé et rentrent séparément. Les unes vont jusqu’au Hâvre, les autres contournent la presqu’île du Cotentin, pour atteindre leur point objectif, le passage de la Déroute, situé dans la zone des îles Anglo-Normandes. Toutes font escale dans différents ports pour vendre leur poisson et se ravitailler, puis elles font une nouvelle cargaison pour rentrer.
Les barques qui font en cette saison la pêche au congre vont souvent au droit à toucher les eaux anglaises.
Cette saison des grandes sorties est de courte durée ; le reste de l’année les barques, profitant de la marée, rentrent le samedi pour repartir le lundi. Les navires arrivent presque tous en même temps ; gare au retardataire qui court le risque de se mettre au plein, c’est-à-dire d’échouer dans l’avant-port. Il peut échouer sur un banc de sable et, s’il rentre de nuit et qu’il mouille sur un banc de vase, son poisson prendra mauvais goût et la vente en sera moins facile, mais ce dernier cas est très rare.
Les quais sont très animés le samedi ; les charpentiers, les cordiers, les voiliers et les calfats se rendent à bord pour faire les réparations urgentes. Les marins étendent leurs filets sur les quais et refont, en chantant, et avec une dextérité surprenante les mailles désagrégées. Les rechanges sont faites avec une promptitude remarquable.
Les barques sont pavoisées dès le dimanche matin ; les matelots endimanchés se rendent à la messe. L’ancienne église était tellement exigue qu’une partie des assistants devait se tenir en dehors, formant queue jusqu’à la porte du cimetière qui contournait l’édifice. L’ampleur de la nouvelle a fait disparaître ce grave inconvénient.
Après le grand repas de midi, repas de famille, patriarcal et le plus important de la semaine, repos, promenade, participation aux jeux de toutes sortes et réunion aux cafés Tabourel et Dubosq pour se voir, parler et discuter les intérêts de la pêche, puis dislocation et éparpillement dans les autres cafés où les femmes vont souvent le soir redemander avec insistance leurs maris et leurs enfants.
Le lundi, appareillage à la marée ; toutes les barques pontées, aptes à prendre la mer, sortent des bassins en se suivant presque sans interruption. Les femmes qui ont déjà porté à bord, le cidre et les aliments pour la semaine, se rangent sur les cordes élongées qu’elles halent avec un ensemble parfait pendant qu’à bord les marins exécutent leur manoeuvre avec facilité.
Les barques gagnent successivement l’avant-port en le contournant pour prendre le vent ; les voiles larguées faseyent puis s’enflent, le coup de barre est habilement donné et chaque navire prend successivement la mer. A Dieu, va ! Les femmes rentrent avec la conviction de toujours revoir ceux qui leur sont chers. Leur espoir n’est jamais déçu car les barques sont solides, et les marins habiles et disciplinés.
Rendez-vous, après leur départ, à l’extrémité des jetées et vous verrez pendant longtemps au large les blanches voiles de la petite escadrille, les barques la composant paraissant se suivre avec un ensemble parfait, la dislocation ne se faisant qu’à regret.
Les anciens marins, donnant un dernier coup d’oeil, interrogent l’horizon, constatent la direction du vent, pronostiquant les diverses chances de la sortie et regagnent tristement leurs foyers pendant que deux ou trois vieux papas Loulou aux bonnets multicolores, paniers sur le dos et munis de leurs crochets et de leurs inséparables brûle-gueule, attendent un retrait suffisant des eaux pour aller sur les rochers et dans leurs cavités pêcher quelques anguilles. Heureux, s’ils tombent sur un congre qui, ainsi pris, est de bonne qualité et toujours bien vendu.
Les matelots Portais sont dignes des plus grands éloges ; leur existence n’est faite que de privations, mais ils sont soutenus par la Foi, qui leur donne l’amour de la famille, le respect des anciens et le mépris du danger.
Les actes de dévouement sont nombreux ; beaucoup de marins, jeunes et vieux, sont titulaires d’une ou de plusieurs médailles de sauvetage et de témoignages officiels de satisfaction.
Les médailles qui, le dimanche, ont orné leurs poitrines sont sous semaine replacées auprès des parchemins encadrés pour rappeler à la famille le chef absent, en train de gagner le pain quotidien et le loyer de la maison.
Que dire encore de Port-en-Bessin, dont la description semble être terminée. On peut, à la bibliothèque publique de Caen, consulter le recueil maritime des ports de la France, édité par l’Imprimerie nationale en 1876, sous la direction du Ministère des Travaux publics, Tome II. – du Hâvre au Becquet, pages 495 à 503. Historique du pays. – J’en fais ci-après et en copiant une relation très succinte pour servir à l’intelligence du lecteur :
« La station navale de Port-en-Bessin remonte à une date très éloignée ; les Romains y faisaient mouiller leurs galères. Les barbares qui fondèrent Bayeux y débarquèrent, Rollon, avec ses barques Normandes, y aborda en huit cent cinquante. – Cent cinquante ans plus tard, Odon, évêque de Bayeux, y fit construire quarante navires qu’il donna à son frère, Guillaume de Normandie, lors de la conquête de l’Angleterre.
Le plus ancien document où il soit fait mention de Port-en-Bessin est une charte de mil quatre-vingt-seize qui le désigne sous le nom de Portus Piscatorum. On l’appela plus tard Portus Bajocassinus.
Port faisait partie des anciens domaines des évêques de Bayeux. – En 1475, Louis d’Harcourt, cinquante-neuvième évêque de Bayeux, fit couper la digue de galets et creuser un bassin de deux cents toises de long et quarante de large. Ces travaux furent anéantis au XVIIe siècle par une tempête effroyable. De nombreuses démarches furent depuis tentées, des pétitions signées. Rien n’y fit et Port resta longtemps sans abri. »
Enfin, une loi du seize juillet 1845 classa Port-en-Bessin comme port de refuge et affecta neuf cent mille francs aux travaux qui furent immédiatement attaqués.
Avec les difficultés survenues et les ouvrages complémentaires prescrits, l’avant-port revient à 2.335.578 fr. 64 c.
Un décret du trois janvier 1875 a déclaré d’utilité publique l’exécution d’un bassin d’échouage. Ces travaux sont depuis longtemps terminés.
La situation topographique de Port-en-Bessin lui assure un bel avenir. A l’Est du territoire de la commune et à environ deux kilomètres, on voit une belle vallée située entre les hautes falaises bordant la mer et les collines de Commes, ayant pour point culminant le Mont-Cavalier, également nommé Mont-Escures ou Mont-de-César, ancien camp romain, où l’on jouit d’une belle vue s’étendant sur tout le pourtour de l’horizon et vers le Sud jusqu’à dix lieues.
Cette vallée est en partie placée en contre-bas du niveau de la mer, et les falaises la bordant présentent au Nord une immense coupure nommée la Goulette. Ces deux particularités ont, à différentes époques, appelé l’attention des ingénieurs qui ont démontré la possibilité d’y établir un grand port de refuge pour les flottes de guerre, la France en étant dépourvue de Cherbourg au détroit du Pas-de-Calais. Plusieurs projets ont déjà échoué. Enfin une compagnie va tenter d’aboutir ; elle s’est constituée au capital de plusieurs millions.
Son but est de creuser dans cette vallée de grands bassins, d’y construire d’importants docks et de faire les travaux nécessaires pour assurer l’entrée et la sécurité de ce nouvel établissement qui serait relié aux chemins de fer de l’Ouest par un embranchement allant de Vire à Port.
La question du chemin de fer à voie réduite à diriger sur Bayeux serait quand même maintenue et un vaste horizon commercial s’ouvrirait pour toute la contrée.
C’est un souhait à formuler en faveur de la vaillante population de Port-en-Bessin.
Caen, avril 1894.
Source AUBOURG, L. : Notice sur Port-en-Bessin.- Caen : Imprimerie-Papeterie E. Lanier, 1-3 rue Guillaume, 1894.- 16 p. ; 18 cm.