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Le Bourg des Moustiers en Bretagne

Posté par francesca7 le 11 février 2014

 

280px-Juigné-des-Moutiers_-_rue_du_bourgLe bourg des Moustiers, mieux que Bourgneuf pourtant plus avancé dans le sud, donne l’avant-goût de ces villages vendéens blancs et roses, aux toits serrés autour d’un petit clocher ancien à flèche d’ardoise. La place, devant l’église, agrandie exagérément aux dépens de la cure, à seule fin d’assurer le triomphe des principes républicains, conserve encore – pour combien de temps ? – un caractère puéril et noble grâce à ses arbres et aux façades endimanchées. Un beau retable du XVIIe siècle, animé, bistourné, colorié, dans la manière de ceux que l’on voit si fréquemment en Bretagne, – Lampaul, Guimiliau, Saint-Thégonec, – illustre richement l’abside de l’église sous une voûte bleue semée d’étoiles.

Mais le chef-d’oeuvre des bourgs maraîchins est Bouin, disposé en oasis sur le marais, avec ses clochetons qui montrent les cornes par-dessus un bouquet de charmes.

Pour mettre de l’ordre dans le circuit, prenons la route où nous l’avons laissée à la sortie de Bourgneuf, dans son banc d’huîtres fossiles. Elle court vers Bouin, puis vers Beauvoir-sur-Mer d’un trait à peu près droit, soulignant le littoral à deux ou trois kilomètres d’intervalle, sans d’ailleurs qu’on puisse le soupçonner. La mer, dans ce polder saumâtre, à peine arraché aux entrailles de l’Océan et encore tout engluée de ses vases, est toujours imprévue. On marche à son niveau, plus bas les jours d’équinoxe, derrière des digues qui contiennent malaisément son humeur. On la sent, on la respire, on la voit dans le sel, le nuage, la mouette, l’anguille, dans ces crabes avides qui hantent les étiers gras, et on ne peut la saisir, vrai jeu de colin-maillard. Puis un écart vous la découvre soudain, immense, d’un bloc, telle qu’elle vit au fond de la baie, livide, souillée, hachée de vagues courtes, ce clapotis sombre en accent circonflexe que les Hollandais ont peint, autour de leurs barques à livarde, avec tant d’exactitude.

A Beauvoir deux chemins, l’un tournant vers l’île de Noirmoutier, que l’on peut atteindre, à mer basse, par le passage du Gois, l’autre poursuivant du côté de Fromentine où commencent les sables du pays de Monts, maintenus par la pinède jusqu’aux approches de Croix-de-Vie. Une marge de verdure borde désormais la côte, simple trait coloré, tracé par la baguette des forestiers pour assigner sa limite à l’Océan qui, libéré de l’enclave de la baie, est redevenu l’Atlantique glauque, chassé de l’ouest sans répit, houle après houle. La route passe sur le front des pins avec tant d’autorité que pas un seul ne songe à sortir du rang. Ils demeurent chez eux, à droite, dans les dunes. Le marais s’étend à gauche, mais moins dépouillé depuis la Barre-de-Monts où vibrent les premiers peupliers blancs. L’écran des bois propage un calme bienfaisant. Favorisé par l’eau du sol, la végétation repart en couche épaisse, d’un vert suintant. Des petits ponts en dos d’âne franchissent les douves et, du haut de leur échine, l’oeil saisit au vol le scintillement clair des innombrables canaux. Discrète, à demi enfuie, la maison, qui porte le nom de bourrine, est peu visible. Les maçons la bâtissent avec cette terre du marais, pâteuse comme la glaise, grise comme la cendre, féconde comme l’engrais, qui ne cède qu’à la fré, pelle étroite et longue, semblable à une curette. On passe les murs au lait de chaux. On ouvre une porte, une lucarne. On coiffe le tout d’un chaume compact qui tombe à moins de deux mètres du sol et on plante un rosier près du seuil.

Il faut descendre par Notre-Dame-de-Monts, Saint-Jean-de-Monts, jusqu’au Pissot pour remonter vers Bouin par la belle route du Perrier, amorcée entre deux haies de peupliers splendides qui rafraîchissent l’atmosphère, brisent le soleil et concentrent en même temps, à cette croisée de chemins chargée de foins engrangés, une odeur chaude comme à l’aisselle d’une blonde. Les rouliers boivent au tournebride, la paille jonche le sol, des régiments de poules barrent la route. Même l’été les roseaux et les aulnes éclatent de verdure. Au second pas dans la prairie l’eau poisse aux semelles, vous happe. Il semble, à s’enfoncer dans les champs, que la terre flotte et va sombrer. Elle sombre. Voici l’hiver. Le marais n’est plus qu’une nappe froide anéantie sous la foulée sans fin des escadrons du suroit.

Jusqu’à Saint-Gervais, seul point de la contrée où l’écorce terrestre fait le gros dos le temps d’offrir une vue cavalière du polder, le charme mélancolique n’est point rompu. En traversant le Perrier, Sallertaine, Saint-Urbain, on retrouve, sur les clochers, le chaperon d’ardoises pointu, la maison à croupeton sommée d’une cheminée imposante comme un grenadier de son bonnet à poil, les villages en choux-crème qu’on mangerait, les barges de paille carapaçonnées de tresses, les mulons de sel et les tas de bousas séchés qui remplacent le bois sous le trépied. La propreté vendéenne est merveille ! Chaque jour est fête pour la bourrine. Modeste mais non pas misérable, très près de la vie primitive, simple, rude, elle a toujours l’air de revenir de la lessive. C’est une tradition de blanchir au moins une fois l’an ou de passer des enduits légers, roses, gris ou jaunes, sur le crépi. Les volets sont nets, les briques peintes et les tuiles d’un ton unique, tendre, languide, un ton de géranium amenuisé jusqu’à l’insaisissable par le soleil et les brouillards.

La rue des Salorges, à la sortie de Bouin, avec ses maisonnettes toutes semblables, toutes coloriées, toutes appétissantes est le modèle du genre. Le coeur pâme dans cette imagerie et vous éprouvez soudain une grosse envie de vous arrêter, d’entrer dans une de ces demeures, de vous asseoir entre la huche et le vaisselier et de ne plus jamais repartir. La terre battue est molle aux pieds, les solives fumées consolantes, le lit profond. Ah ! que vous allez bien dormir ! Vous écoutez ? Le silence… Vous regardez ! Un rayon meurt, une fleur penche, l’âtre soupire… Comme la vie est loin, comme votre âme s’évase, comme vos bras pèsent ! Les ruelles sont blanches alentour comme des communiantes, l’hôpital, précédé d’une demi-douzaine d’ormeaux, a des façons de béguinage sous sa coiffe à l’ancienne mode, les moulins tournent sur le champ de foire, quatre moulins minces, hauts comme des phares, pareils à de grands vieillards secs qui parlent à l’aide de signes un langage inconnu. Irez-vous boire ? Les cabarets portent l’enseigne de La Providence ou de La Grâce de Dieu et vous n’avez plus soif que du ciel. Près de l’église une bonne femme vend des chaussons aux pommes, dodus, lourds de compote, dont la pâte sent le beurre, le froment, et, à l’entrée du bourg, il  y a une treille miraculeuse qui produira des raisins jusqu’au coeur d’octobre.

Une jeune fille chante en tirant l’aiguille, dans la boutique du boulanger : profil arrondi, cheveux noirs lissés, prunelle en velours. Elle patoise un peu, mais je démêle, en prêtant l’oreille, un couplet surpris jadis aux lèvres de ma mère :

    Dans le jardin de ma tante il y a quatre coins.
Dans le premier coin il y a un jasmin,
Je vous aime d’un amour sans fin.
Dans le second coin il y a une rose,
Je voudrais vous embrasser mais je n’ose.
Dans le troisième il y a un oeillet,
Dites-moi tout bas votre secret.
Dans le quatrième est un pavot,
Ce que vous dites bas, dites-le haut

Dans une auberge de Bois-de-Céné également, devant une pauvre limonade, j’ai éprouvé cette douce fascination du silence, de la blancheur et de ces vieilles choses ignorantes qui ont gardé leur premier sourire. Le chêne des tables luisait profondément autour du billard couvert d’une housse en cretonne. Des lampes de cuivre étincelaient au plafond et les verres dans les placards d’angle. Entre les rideaux frais on distinguait, d’un côté, l’église courtaude derrière ses ifs, de l’autre une cuisine dorée où travaillait la patronne. Un parfum de pomme, de fumée, d’encaustique, auquel se mêlait l’odeur terreuse de carreaux trop souvent lavés et qui ne sèchent point, collait aux murs de la maison. Seul l’horloge du clocher bougeait, tous les quarts d’heure, mais on finissait par ne plus l’entendre. Deux paysans s’attablèrent et révèrent longtemps sans mot dire, en trinquant. Ils m’avaient salué avec courtoisie, comme le font encore les anciens – écho qui expire ! – le long des routes vendéennes.

Je vous jure qu’il faut un effort pour reprendre le bâton quand cette présence du vide vous a frôlé ! Ne m’avez-vous pas dit, mon cher Sageret, que Bouin est l’unique lieu du monde où vous avez dormi, parfaitement dormi, de ce grand sommeil qui est l’image de la mort ?

Compensation : la route est vivante. Bétail, volaille, dindons, canards, goélands, moulins, nuages et vent, tout s’agite à l’entour de son ruban étroit qui sinue au travers des pacages et des bossis ensemencés de fèves. Le vent surtout, ce vent du marais, prompt et jamais las, trempé, sauri, gâté par le relent des vases en dépit des bouffées toniques de l’étable et du foin, rampe ou galope jour et nuit au ras des herbes. Cette terre basse n’est pour lui que le prolongement de la mer. Nul obstacle, nul repli, pas même l’ondulation des houles. Il arrive en pleine force, en pleine lancée : il fauche. Dès novembre, aux premiers crachins, il commence de battre la bourrine-champignon, où l’homme se clapit près d’un feu de bouses, tandis que l’eau sournoise monte inexorablement, les deux complices se rejoignent sous la nue bouchée qui couvre de ses brumes leur tyrannie sans pitié. Je me souviens que la femme du peintre Milcendeau, exilée sous son chaume de Soullans, disait les larmes que le hurlement incessant de l’hiver arrachait à ses nerfs brisés.

Le Bourg des Moustiers en Bretagne dans Bretagne 220px-Juign%C3%A9-des-Moutiers_-_prieur%C3%A9_de_la_Primaudi%C3%A8reAu soleil de juin, c’est une fête de voir les troupeaux bien nourris, grands boeufs pâles, vaches au mufle huileux, disposer, sur les fonds verts, la masse décorative de leurs formes graves. L’heure du lait, le soir, les groupe aux échaliers près des bidons qui attendent. Les filles portent les sceaux crémeux, bras nus et la crinière coulée sur la nuque dans une résille. Les moutons font tache de-ci, de-là ; les poules s’affairent, bien campées, l’oeil vif ; les canards bâfrent, culs-de-plomb qui tranchent de l’aventurier en jouant de la corne. Mais ils ne feront jamais qu’un voyage au marché de Saint-Jean-de-Monts, de Challans ou de Machecoul, les pattes liées au fond d’un cageot, et l’âne en rit qui les conduira.

Lui, du moins, il engraisse. Bête de misère dans les régions tondues, l’âne tient au Pays de Retz sa prébende. Le poil frais, l’oreille vive, agile et bonhomme, il hante les fermes, les grèves, les foires, les chemins. On le voit paître les fossés en frétillant de la queue, traîner des charges de bousas, des montagnes de paille de fèves et porter le sel gris, tantôt poussé par un paysan en chapeau maraîchin, tantôt conduit par une femme abritée sous la coiffe en anse de panier qu’on nomme quinchenotte. Il est à l’échelle des maisons et sa fine couleur s’accorde naturellement aux pastels du paysage. Si j’avais à doter le marais d’armoiries parlantes, je choisirais, pour le représenter, l’eau, le nuage et l’âne. C’est un malin, en dépit de sa réputation, et un sage. J’ai eu naguère une bourrique qui n’avait rien de plus pressé que de se rouler dans la poussière chaque fois qu’on lui passait l’étrille. Elle m’apprit ainsi à mépriser les vanités mondaines dont le cheval et ceux qui le montent sont tout farcis.

Petit à petit, d’ailleurs, l’âne cède le pas à l’automobile et c’est dommage. M. Guilloux, l’historien du marais breton-vendéen, nous apprend que jadis, du XVe au XVIIIe siècle, la baie de Bourgneuf fournissait de sel une bonne moitié du monde civilisé. Des flottes de la Hanse le venaient charger en l’île de Bouin, tandis qu’huguenots et papistes argumentaient à coups de rapières, aux entours de Beauvoir, sur la façon correcte de gagner le ciel. On disait, en Allemagne, le sel de la Baye, sans plus, et il faisait prime. Mais la vase envahissait les côtes, les salines. Des siècles de lutte n’empêchèrent pas la défaite. On dut planter où la mer cristallisait. Le marais salant devint le marais gât, en culture, et la fève, le blé, le foin éliminèrent lentement le sel. Il n’est plus aujourd’hui qu’une ressource médiocre en comparaison des céréales, de l’élevage. Les nourrisseurs de Paris écument les marchés : volailles grasses, prés-salés, veaux laiteux. Et la mécanique, qui vous aplatit proprement un poulet sur le macadam, chasse à son tour notre lambin de bourricot.

J’ai remarqué pourtant que cette richesse d’après guerre avait moins atteint le pittoresque qu’on ne l’a dit, en Bretagne comme en Vendée. Bien des paysans de la vieille Armorique ont profité de l’argent pour remonter leur garde-robe en veste de velours, en gilets brodés, en tabliers de soie. Au marais on bâtit toujours la bourrine en regard des murs de pierre. Et, ma foi, j’ai beau y regarder de près, je retrouve encore intacte la nature et les hommes qu’ont peints Lepère et Milcendeau.

Le premier avait choisi le marais par élection, pour s’y recueillir quelques mois chaque année, le second tenait au sol par ses ancêtres, et il y a entre eux la différence du sang comme entre demi-frères. Il faudrait ignorer la maîtrise de Lepère, sûr de ses moyens jusqu’à éblouir, son intelligence, sa sensibilité, pour douter de la façon admirable dont il a pu interpréter les massifs d’arbres au bord des routes, – oh ! le beau souvenir des frondaisons de Watteau ! – la plaine submergée où le maraîchin pousse la yole sous les tétards, le hameau transi, la nue convulsive, le marché grouillant. Le drame de la terre et de l’eau où se débat l’homme, ce monde mouvant, dilué, sans fond, sur quoi se dressent des troncs cornus, des baliveaux instables et une volonté de vivre, il en a pénétré et rendu la grandeur tragique. Et il a été touché par la lumière aussi, cette lumière moelleuse, à facettes, qui réserve à ce lopin de boue une richesse incomparable.

Mais dans sa Bièvre, dans ses Quais de la Seine, dans sa Normandie, dans toute son oeuvre, je sens la même acuité, les mêmes raffinements de métier, le même oeil. Milcendeau possédait deux regards. En Vendée, un nouveau génie l’habite. Il n’est plus uniquement l’artiste qui met son savoir et ses dons au service d’un sujet qui l’émeut. Il est visionnaire. Ses morts, des paysans à bourrine, parlent en lui. Le marais, sous ses crayons ou son pinceau, devient religieux. Aucun effet, aucune déformation de style, mais une vérité grave jusqu’au recueillement, profonde jusqu’à l’angoisse.

Lui seul a crayonné, avec la naïveté savante d’un Clouet qui va d’emblée aux traits essentiels, le maraîchin rasé, plissé, tanné, coiffé d’un chapeau rond, vêtu d’un frac en forme de boléro et d’un pantalon collant à pleines fesses. Lui seul a fixé dans des gouaches, des dessins parfaits et sans détours, l’âme chaude, contenue, des filles à cheveux plats, brunes sanguines aux lèvres estompées, aux beaux yeux sombres, au menton court. S’il aimait la mutilation des vieux visages, le printemps craintif des adolescentes rustiques n’a pas manqué de l’attirer. Il y a dans ses horizons gris une fatalité qui fait mal. Ses toits de chaume ne posent pas, ils souffrent. Ses intérieurs fascinent. Milcendeau prend le marais et nous ouvre son coeur. Passant ailleurs, il est ici de la famille. Et s’il a rapporté d’Espagne une oeuvre lucide, c’est que le maraîchin rappelle dans ses traits, sa vêture, les paysans du Léon dont il serait, dit-on, un descendant émigré.

Chacun va où son démon le pousse et il n’est pas vrai de prétendre que l’artiste fait ce qu’il veut. Ces quelques lieues carrées où le Pays de Retz s’ajuste au Pays de Monts, ont inspiré des peintres diversement. Peské a pris l’arbre en bûcheron, en poète. Antral a pris l’eau et les signes primitifs d’une nature élémentaire.

chapelle5_200x600 dans VILLAGES de FRANCEJ’ai découvert Antral au bourg des Moustiers, dans la maison de la mère Pinson, un beau matin qu’une brise vinaigrée enfilait la ruelle. Il venait de Nantes : escale au port, aux rues chaudes, tordues, fades, lumineuses, musicales. La Loire et le lac de Grand-Lieu l’avaient préparé à ces horizons déserts que hachurent, au premier plan, un jonc maigre, des osiers, et il tenait de la mer la révélation des cieux dramatiques. Il ne fut pas longtemps à prêter l’oreille pour entendre la langue du Pays de Retz, les sables pâles comme un champ d’avoine, les vasières opalines, la baie lourde, bilieuse, arrondie dans un beau mouvement circulaire, les étiers taillés dans une terre pourrie – le Collet, les Brochets, l’Époids, – où christe-marine, algue, pourpier sucent leur vie côte à côte et qu’un balisage de perches rustiques prolonge dans le large, les douves des salines, croûtées comme un visage malade, les poteaux du télégraphe si hauts sur la plaine, les coiffes blanches, les maisons blanches, le vent…

Un soir de septembre, ces soirs si grands chez nous où les nuages s’arrêtent, échafaudent leurs masses et s’ouvrent tout à coup dans un éclatement pourpre, j’ai quitté Antral. Il emportait dans ses cartons ce pays où nous avions roulé ensemble, où il ne reviendra peut-être jamais. Je me suis retrouvé seul sur la route, avec la chaleur mélancolique d’une forte poignée de main et cette pesanteur de l’âme qui suit les évasions exaltées. Le crépuscule couvait encore des braises rouges dans ses cendres soufrées. Un phare s’alluma : le Pilier qui me fait signe du côté de l’aventure depuis tantôt quarante ans. Je vis la mer, molle et passionnée comme une phrase de Chopin, musique fanée qui vous brise… Ah ! que cette terre que je traîne aux semelles me parut pesante, en rentrant !

 

Extrait de ELDER, Marcel Tendron pseud. Marc (1884-1934) : Pays de Retz.- Paris : Emile-Paul, 1928.- 99 p.-1 f. de pl. en front. : couv. ill. ; 20 cm. - (Portrait de la France ; 21).

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L’Observatoire de la Lanterne de Rochecorbon

Posté par francesca7 le 11 février 2014

 

 (D’après « Pages oubliées, légendes et traditions », paru en 1909)

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Dans l’ancien Comté de Touraine, au début du XXe siècle, Gaston Bonnery se laisse emporter par la beauté majestueuse de la Lanterne de Rochecorbon, aux environs de Tours, qu’il décrit comme un joyau, une tour svelte, de peu d’épaisseur, faisant partie jadis d’une fortification moyenâgeuse et qui comme une aiguille s’élance hardiment dans l’espace, tantôt brûlée par le soleil, tantôt lavée par les pluies, mais bravant toujours les intempéries des saisons et les insultes des siècles

Elle sollicite l’intérêt du touriste, aussi bien que l’attention de l’archéologue, écrit-il. Son origine remonte, en effet, à l’un de ces personnages qui illustrèrent le Comté de Touraine avant sa réunion à la couronne, sous Philippe-Auguste, c’est-à-dire, à cette noblesse qui avec le sang transmettait en l’héritage la foi, le courage et l’honneur. On raconte que Corbon, sire des Roches, qui vivait au seuil du XIe siècle, et dont la famille s’illustra par les actions d’éclat dans les Croisades, lui aurait donné son propre nom, de là sa transposition sous le vocable de Rochecorbon.

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Lanterne de Rochecorbon

 

Ce fut aussi un Corbon qui employa, l’un des premiers chevaliers, dans ses chartes, la fameuse formule de : « Par la grâce de Dieu », alors réservée aux Princes du sang. C’est à Robert, Seigneur de Brenne, l’un de ses descendants, au commencement du XIIIe siècle, que la légende fait remonter la tour d’observation construite en ce lieu stratégique, tour qui n’a été l’objet d’aucun travail bien sérieux.

Un jour que ce jeune Chevalier rentrait d’une longue chevauchée, il aperçut un aigle dirigeant son vol vers le manoir de ses ancêtres, il banda son arc et abattit l’oiseau. A l’endroit ou tomba sa flèche, Robert fit élever judicieusement une tour fanal à l’extrémité du roc qui formait falaise et surplombait la vallée. L’architecte, avec un art prodigieux, avait su mettre à contribution le rocher où la sape et la mine y paraissaient impossible. Ce n’est ni un nid d’aigle, ni un repaire de brigands, mais un asile d’un pittoresque, saisissant qui domine la Loire, semant ça et là ses nombreux bancs de sable d’or.

De cet observatoire, les compagnons de guerre du baron d’Amboise, à la lueur tremblotante de l’immense fanal encensant le ciel, lui envoyèrent chaque jour par les airs les nouvelles du Comté. Le manoir féodal de la baronnie de Rochecorbon qui se dressait sur le haut du plateau, ne comporte pas une description qui serait aussi malaisée que superflue ; car il est tombé comme sont tombés tant de châteaux moyenâgeux dans un de ces drames politiques où les féodaux dévoués à leur suzerain luttaient les uns contre les autres pour se disputer le pouvoir, luttes qui nous sont parvenues par la tradition et les récits des chroniqueurs. Il est certain que les armes étaient la grande jurisprudence des temps, l’arbitraire et la force se mêlèrent à tout.

Les derniers possesseurs furent les seigneurs de Maillé et de Luynes, dont la mémoire est restée vivace dans nos annales tourangelles, mais dont l’historique et l’illustre généalogie ne saurait entrer dans ce cadre. De cette terre seigneuriale où les invités se donnaient rendez-vous, le bruissement des vents du ciel rend seul un gémissement sourd, comme la plainte vaine du passé sur des splendeurs disparues. Aujourd’hui tout est vide et silencieux. Sur ces hauteurs où des feux brûlaient naguère, viennent se reposer des hôtes éphémères, des oiseaux nocturnes troublant seuls de leurs appels lugubres, ou de leurs roulades mystérieuses la paix de la nuit ; ils aiguisent leur bec, dévorent d’innocentes victimes dont les ossements dépouillés de leur chair tombent à l’intérieur de la cheminée, comme en un immense charnier dissimulé sous une épaisse chevelure d’arbustes épineux.

Rien de mélancolique hélas ! comme le souvenir d’une grandeur déchue, ensevelie dans la poussière des ruines : sous la rafale du vent qui passe, on dit que comme le cerf altéré soupire après les sources d’eau, les âmes des défunts affranchis des biens terrestres y tiennent leur cour ainsi qu’autrefois, et disparaissent légères et gracieuses dans un arc-en-ciel dont la courbe aérienne forme un pont diaphane et radieux entre le ciel et la terre.

Vue d’en bas, la lanterne de Rochecorbon semble être taillée dans un même bloc qui s’effrite sans cesse, n’offrant plus au regard fasciné que les assises de quelques gros murs démantelés. Un sentier en lacet permet de monter au faîte du plateau, d’où l’on accède facilement à la base de la tour. Tout a été saccagé, pillé, incendié ; les matériaux épargnés ont été utilisés dans l’étendue du pays, et cependant tout rayonne de souvenirs et il circule toujours les histoires légendaires des hautes promesses des anciens maîtres de cette demeure, jadis inaccessible aux manants, et que nous, voyageurs, nous visitons avec une admiration et un respect avertis.

Ces ruines rappellent tant de noms écrits dans nos annales et réveillent tant d’échos de gloires et de malheurs. De ce lieu, on contemple le moutonnement des coteaux du Cher, sur lesquels s’étagent les silhouettes blanches de nombreuses villas, pendant qu’à travers la brume transparente se profilent les reflets lumineux de la croix des tours de la cathédrale Saint-Gatien, croix qui est le plus auguste de tous les étendards ; puis la pesante coupole de la Basilique, servant de gigantesque piédestal à la statue de Saint-Martin, autour de laquelle d’antiques tours carrées servent encore de sentinelles d’honneur, tours qui ont abdiqué le nom sous l’invocation duquel elles étaient placées jadis, pour prendre les noms bien bourgeois de Tours de Charlemagne et de l’Horloge ; le campanile de l’Hôtel de Ville lançant dans les airs sa flèche svelte et gracieuse, tout en projetant des rayons d’or sur les cimes verdoyantes des arbres centenaires qui lui font un mouvant rempart.

Plus loin encore, dans la trouée fugitive et endiguée qui livre passage au fleuve de la Loire, se déroulant comme un ruban d’acier, le monument énigmatique de la Pile Cinq-Mars. A nos pieds le soleil tombe languissamment sur la plaine féconde de la Ville-aux-Dames, petite bourgade qui doit son nom à un ancien monastère de femmes, dépendant de l’abbaye de Saint-Loup. Près la voie ferrée s’élève une petite chapelle à Notre-Dame-de-Prompts-Secours, rappelant une antique vierge vénérée jadis par des bergers, sous le nom irrévérencieux de Notre-Dame-des-Crottes.

Quoiqu’il en soit, les âmes tristes y trouvent du soulagement, et les esprits fatigués un attrait à la componction. Le petit village de Rochecorbon même se déploie le long de la chaussée ensoleillée, que longe un tramway à vapeur. Le temps passe vite en cette jolie vallée où la puissance divine a largement ouvert sa main. Que le soleil se lève ou qu’il éclaire le monde, qu’il soit a moitié de sa course ou à son déclin, l’aspect du paysage est toujours splendide. La nuit venue, les étoiles radieuses montrent le chemin des cieux. Celui qui veut réellement reposer son âme n’a qu’à laisser sa vue errer au delà des astres ; là, seulement existe une paix immuable. Etudiant les rapports mystérieux qui unissent l’homme à celui qui l’a créé, il pourra écouter la douce harmonie du langage que Dieu parle à son coeur. Il n’y a que les grandes scènes de la nature pour élever l’âme jusqu’à l’immensité et l’Infini de Dieu.

 

 

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Pays de Retz par Marc Elder

Posté par francesca7 le 11 février 2014

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PdR_carteUNE route passe sur la crête, à cent mètres du littoral, joignant d’un trait presque droit Pornic à Bourgneuf-en-Retz. Soulignons-la de vert comme sur une carte Michelin. Son cours champêtre, varié par des échappées sur l’Océan, ne manque pas de pittoresque. On y voit les clochers du Clion, des Moustiers, fins comme pointe d’oignon monté en graine, la chapelle de Prigny à croupeton sous son orme, un horizon divers qui propose des jeux d’esprit sous la forme de mirages dont il faut deviner le sens. Pour moi, j’y vois ma jeunesse. Elle est éparse dans le paysage ainsi que la lumière insaisissable. A l’inverse des guides, qui recommandent les merveilles inconnues, je souligne cette route parce qu’elle m’est si familière que j’y puis circuler les yeux fermés, comme on circule dans l’insomnie au travers de sa conscience.

Rarement nous déplions cette carte que nous portons au fond du coeur. Elle est trop près, trop en nous pour que nous ne l’oubliions pas. La quiétude journalière n’a pas besoin de pilote : l’habitude mène la barque. Au large seulement, on ouvre le grand routier et l’oeil s’arrête à rêver de la terre natale, sous le contraste d’un ciel étranger. Ce n’est pas une géographie savante que la nôtre, irriguée et coloriée comme une planche anatomique ! C’est une humble carte, informe, tremblante, à la manière des levées anciennes, avec des images parlantes. Un enfant, un adolescent, un homme s’y manifeste. C’est nous-mêmes. Il semble que tout le pays ne soit autre chose qu’une lente histoire, sans souci des bornes, des reliefs ou de la ligne de partage des eaux. Sur la mer des petits bateaux, des poissons ; dans la rivière des baigneurs ; un chasseur sous bois et, derrière cette haie, des amoureux qui s’enlacent… Plus on regarde, plus les scènes se multiplient. La maison, l’église, le chêne se confondent avec le personnage, avec les soupirs, le rire, les larmes. Tout se trouble, tout se meut. Est-ce de la chair ? Est-ce de la terre ? Et ce nom qui nous sonne à l’oreille, le nom du pays, notre pays, ne mêle-t-il pas l’un à l’autre ?… Voilà : avec les ancêtres, revenants que je découvre d’année en année sous le voile d’une personnalité fallacieuse, je cache aussi un bloc de la machine ronde. Tout ce qui n’est pas eux, en moi, est poussière, la poussière de ce sol qui m’a permis de me dresser, fantôme de boue éphémère, pour le chérir. Immense ? Non ! Rien qu’un atome, une région qu’un oeil embrasse, à la mesure de nos faibles sentiments. Mais je crois bien que, sans le fait du prince, la patrie n’aurait pas été au-delà.

Depuis l’âge le plus tendre l’été me ramène au Pays de Retz.

Je m’arrête parfois sur cette route de Bourgneuf, un peu au-delà de la Bernerie, au lieu dit le Chambaraud. Il y a là une vigne, un cellier, gloire d’un ancien voilier qui les fonda naguère. Cet homme était court et portait, sur une barbe blanche, un visage qui avait l’air d’un soleil couchant sur la neige. Le vin blanc, qu’il caressait, lui ménagea, non sans prévenir, une congestion radicale. Il finit dans le faste d’un petit bourgeois glorieux et renté, ajoutant aux assises d’une propriété réputée les agréments du yachting et de l’auto. Il disait :

– Mes vignes, mon matelot, ma voiture. […]

A la vérité, les limites du Pays de Retz sont assez difficiles à définir, et l’ancien duché de Retz, qui s’accrut, à la fin du XVIe siècle, des communes de Vue et de Prigny, présentait une figure moins dense, des contours plus sinueux que ceux que je propose à la commodité du voyageur. Je prends conseil de mes souvenirs, non des archives, et il importe peu à la couleur du ciel ou de l’eau, a l’odeur substantielle du vent de mer que mes bornes soient imprécises. Je cherche ma trace, point une frontière. Pourtant je ne crois pas trop désobliger la géographie ni la tradition en désignant d’un bloc, sous le nom de Pays de Retz, ce musoir de terres basses, disposé à l’ouest du lac de Grand-Lieu, entre l’estuaire de la Loire et la baie de Bourgneuf.

Mais si je me retourne vers l’orient, sur cette butte de Chambaraud qui met à mes pieds l’offrande souriante de la mer, je vois le marais naître aux dernières ondulations des vignes, fuir et se perdre à l’infini dans ce fond de brumes tendres où les éléments se confondent. Les bourgs y marquent des îlots balisés par un clocher, les fermes, dispersées loin à loin, des traits roses, et les mulons de sel des points blancs. Là, dans les sables, le polder, commence la Vendée rase et sans fard, toute en eau et en ciel. Par delà Beauvoir, ombre de village sur une ombre d’horizon, j’imagine la pinède littorale où vient mourir un océan vert, Noirmoutiers articulé au goulet de Fromentine et l’île d’Yeu l’Invisible, qui n’est, pour les côtiers, qu’une flamme dans la nuit.

Toute cette contrée, étendue de Bourgneuf à Croix-de-Vie, excède mon sujet et dément mon titre. Nous sommes ici dans le Pays de Monts, mais il n’importe ! C’est le hors-d’oeuvre qui sauve parfois le rôt, et cette étrange région, où la Bretagne convulsée vient expirer dans la plaine, obsède bien trop ma mémoire pour que je la délaisse. Il en est des pays comme des hommes : les plus accidentés nous amusent, mais ce sont ceux dont l’âme se cache sous l’indifférence qui nous retiennent.

QUAND j’arrivais à Nantes, le premier août, la maison était sur le départ. Ma mère, qui attachait un prix incomparable à ses devoirs de maîtresse de maison, bouleversait l’appartement depuis une bonne quinzaine. Non seulement les housses couvraient les meubles du salon, le piano et les chaises de tapisserie que nous devions aux « doigts de fée » de mes tantes, mais encore tous les rideaux, toutes les tentures, tous les tapis étaient enlevés, battus, rangés entre des journaux frais, l’encre d’imprimerie ayant, paraît-il, la vertu d’écarter les mites. Dans le vestibule les malles attendaient que l’on voulût bien les retourner pour la cinquième ou sixième fois, afin de rechercher une savonnette ou un ruban dont on avait perdu la trace, et deux jours avant de prendre le train, on imposait au chat le régime sec afin qu’il ne s’oubliât pas dans son panier.

En deux heures de chemin de fer nous étions à la mer.

téléchargement (11)Elle s’annonce dès la gare de Bourgneuf-en-Retz par un brusque changement de décor, la campagne bocagère cédant soudain au marais. Une dernière haie, une dernière tache d’ajonc ou de bruyère, un dernier chêne, et la terre, rompant ses bornes habituelles, déferle à plat jusqu’à l’horizon où se meut l’ondulation grise de l’Océan. Hâlée, gercée, roussie, elle prend l’aspect d’un vieux paillasson sur lequel pousserait, par miracle, la fleur rose d’un toit, la fleur blanche d’un mulon de sel. Le train côtoie les salines, à peine trempées encore d’une eau pâteuse dont l’évaporation quotidienne amasse des croûtes sombres sur le pourtour. Le jonc monte des douves, aigu, acide. La vase des bossis craque au soleil comme poterie au four. La mer se rapproche, blonde et pâle, au point de toucher la ligne devant l’église des Moustiers, parmi ces sables fuyants où des vignes rachitiques agonisent.

La Bernerie n’était point encore devenue, à l’époque, cette aimable station balnéaire où la démocratie retrempe, aux souffles marins, le cuir d’innombrables chérubins promis à l’héroïsme guerrier que la République, une et indivisible, réserve à ses enfants. Aucun moniteur sur la plage, rempilé de Joinville, pour redresser les échines vacillantes, calmer les fièvres alcooliques sous le regard attendri d’une aïeule charnue. Point de fanfares, les jours de fête, pour égayer l’espadrille, achalander le bistrot, la jupe courte et le maillot de bain. Quelques familles vivaient seules, à la bonne franquette, parmi les naturels, et si le village avait déjà perdu tout caractère, il conservait du moins la fraîcheur âpre d’un rivage de France encore pur.

Le retraité de la marine ou des douanes, espèce quasi disparue sur le continent et qu’on ne retrouve plus guère que dans les îles, tenait le haut bout de la population. Les uns achevaient de gagner leurs invalides à l’aide d’une barque mouillée en belle rade, dont ils rafraîchissaient les couleurs à longueur d’année ; les autres cultivaient l’oeillet d’Inde et la pomme de terre – cette pomme de terre des sables si légère, si savoureuse, – entre deux rangées de coquilles Saint-Jacques. Chaque jour on les voyait à la côte, la vareuse nette, le sabot luisant et le béret sur l’oeil, faire le gros dos sous le soleil. Une fois le temps, l’un d’eux, en appétit de friture, plongeait un carrelet dans l’eau. La pipe, les nuages, la marée, les vents remplissaient leur journée avec les souvenirs des longs cours autour de la planète qu’ils roulaient dans leurs doigts comme un joujou. Le gabier Bardeau avait perdu un doigt à Iquique, Poussepain rapporté la gale de Macao et maître Dixneuf abandonné ses dents aux îles de Kerguelen, faute d’un citron pour juguler le scorbut.

Comment ma grand’mère fut-elle conduite à l’achat d’une petite maison à La Bernerie, je l’ignore ! Les affaires de ma grand’mère n’étaient jamais simples et j’ai ouï dire qu’il y eut aussi là des micmacs singuliers. Elle vécut dans la chicane, hantant la basoche et le tribunal dont elle se fit expulser, certain jour, par la maréchaussée, traquant ses locataires, ses amis, ses enfants, menant la procédure tambour battant contre le diable même, et spéculant à la sourde en compagnie d’aigrefins qui lui escamotèrent jusqu’à son dernier liard. Elle avait quatre-vingt-six ans quand elle mourut, ruinée sans le voir, mais furieuse encore de laisser à son sang quelques pierres. Sur son lit de mort elle avait conservé ce menton têtu, fiché comme un clou au bas du visage, son grand nez courbe, hautain, rapace, son front chimérique. Quand la camarde se présenta, elle lui fit un procès et plaida avec tant de fureur qu’on fut obligé de l’isoler. Elle perdit : elle perdait toujours !

La maison, un toit de paysan, s’adossait à une ferme au sommet d’une falaise. Un mur et un puits mitoyens servirent à mettre les avocats en branle : tout allait bien. Nous étions placés exactement au point où la côte rocheuse de la Haute Bretagne se perd, par une transition schisteuse, dans les sables qui enveloppent le littoral, presque sans interruption, jusqu’aux marches du pays basque. Les jours de grande marée, les vagues limoneuses battent encore là contre une frontière qu’elles achèvent de démanteler avec la complicité traîtresse des eaux de pluie. […]

Ce Pays de Retz n’est-ce pas, au fond, pour moi, des aubes et des crépuscules, aubes des départs radieux où le corps s’enivre de son sang, de ses muscles, crépuscules symphoniques où l’on n’est plus qu’une âme éparse ? Le soleil, ballon de cuivre qui rompt ses amarres, m’a souvent surpris au large, la barre en main, et regardant naître la terre à la lisière de l’écume virginale ! Sur Pornic, la côte s’élève, fait front. Les falaises de Gourmalon, de la Birochère, de la Rinais, marquées de bois et de moulins à vent, composent le massif central qui s’abaisse, vers l’ouest, jusqu’aux éboulis de la pointe Saint-Gildas, vers l’est jusqu’au marais de Bouin dont la courbe heureuse cerne la baie et rejoint le trait pur de Noirmoutier, l’île du sel. Le paysage n’a point de pittoresque bavard : il est sobre, presque effacé. Par son trait mince, où je retrouve la sûreté de pinceau d’un Hokousaï, par sa lumière frisée il me touche sans que j’aie besoin d’évoquer, par delà, les traces de l’homme. L’île fond dans la brume, blonde et bleue par temps calme, lavée à l’encre de Chine les jours d’orage. La mer se dépouille, verdit à mesure qu’on approche du Pilier qui guinde sur l’horizon le double signal de ses tours. […]La mer, la douce mer, la mer où l’on est seul, orgueilleusement seul, quel refuge ! Il y a une délectation morose et triomphante à s’y perdre hors de l’homme, cette délectation même qu’un Foucault demandait avidement au Hoggar et que tempèrent ici la féerie mobile du paysage, l’obligation constante de surveiller l’horizon. Le vent qui vient du sud est lourd, collant de mille ventouses ; le noroit brandit des lanières cinglantes qui sifflent haut ; les brises de l’est sont folles et, sautant par moment l’obstacle des falaises, assaillent traîtreusement les barques sans défense. Souffles divers, aspects nouveaux. Le visage sensible de l’eau écoute le ciel et se meut à sa voix comme un somnambule.

Une à une, j’ai appris les roches de la baie avec Eustache, depuis les platures écumeuses de la Couronnée, d’où l’on découvre les limons de la Loire, jusqu’aux bancs du Ringeaud, sous le clocher de Bouin. Pendant des années, il n’y a eut pas de jour d’été que nous n’employâmes à pêcher au tramail, à la balance, à la ligne, au haveneau. C’est dans les herbiers de Noirmoutier, sur les beaux fonds de sable clair, en eau vive, devant ce décor du Bois de la Chaise – blocs erratiques, chênes et pins, – qui semble emprunté au cap Brun, que l’on capture le noble rouget dont la chair, grillée entre deux feuilles de vigne, dégage un délicieux parfum de noisette. Le homard, le tourteau, l’araignée préfèrent les antres lointains du Sécé où se déroulent, dans un cristal d’aquarium, les longues laminaires gaufrées, tandis que le petit crabe nageant, au goût poivré, se tient plus à terre, dans les parages de la Préoire ou du Caillou. La crevette se déplace, hantant le littoral lorsque la mer s’endort aux brises d’amont. La sole, au contraire, attend la bourrasque pour dégîter. Et le maquereau, arc-en-ciel brisé issu des vagues, se chasse à l’hameçon au voisinage des sardiniers multicolores. Le Pays de Retz complétait l’enseignement de la Bretagne mouillée, pierreuse, et si charmante dans ses bocages discrets disposés le long des rivières. Le Morbihan est sans faconde comme le marais vendéen sans oeillade. Cette « presqu’île du vin rose et des moulins à vent », comme vous l’avez baptisée, mon ami Paul Fort, ne se met point en frais pour raccrocher. Son paysage rabougri, sans lyrisme, n’a guère que la confidence des chemins creux pour vous séduire, et sur le désert du polder il n’y a que le ciel. Mais comme ces créatures sans fard, sans splendeur, un peu ternes, un peu moroses, troublantes cependant, et auxquelles il faut arracher le secret, le pays vous prend à la longue et vous retient. On y est bien seul vis-à-vis de soi-même. Aucune fantaisie à portée de la main pour distraire la méditation qui s’amorce. Harmonieuse et lointaine, une géométrie tempère, à nos yeux barbares, la fureur d’agir. La bravade téléchargement (10)de ma jeunesse s’abîme dans les mirages et les eaux immobiles renvoient obstinément mon visage. Je l’y découvre encore en me penchant sur elles, imberbe et passionné.

Source : extrait de  ELDER, Marcel Tendron pseud. Marc (1884-1934) : Pays de Retz.- Paris : Emile-Paul, 1928.- 99 p.-1 f. de pl. en front. : couv. ill. ; 20 cm. - (Portrait de la France ; 21).

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