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LE MARCHAND DE PEAUX DE LAPIN

Posté par francesca7 le 8 février 2014

 

 

31D’antan dans les campagnes, dans les bourgades, on voyait passer des « Marchands de peaux de lapin », qui achetaient les fameuses peaux de lapin aux campagnards, ces derniers les élevaient pour leur consommation personnelle et celle de leur famille. Les lapins, étaient tués et mangés, on gardait précieusement leur pelage que l’on faisait séché. 

Dans les années 1950-1955, il n’y avait pas de supermarchés pour acheter les volailles, on élevait soi-même, les animaux dans la basse-cour, tels les pigeons, les poules, les coqs, les canards, les oies, les cailles, les pintades, les dindons, les lapins. C’était souvent une volaille ou un lapin qui faisait, le repas du dimanche. Quand on tuait un lapin, il était dépeçait et on faisait sécher sa peau.  

Pour se faire la peau du lapin était retournée, poils au dedans, et on la suspendait à l’abri, dans une grange ou un atelier, afin que la peau, soit bien sèche, pour bien la détendre et pour qu’elle soit plus grande, elle était mise sur une fourche réalisée avec des branches de noisetier. Quand le marchand de peaux de lapin faisait sa tournée, on lui vendait les peaux, pour quelques francs de l’époque, le marchand de peaux de lapins, payait en fonction de la beauté du poil, et du nombre de peaux. C’est un souvenir d’enfance, mais je me rappelle que les peaux de lapins blancs étaient achetées plus chères, car elles étaient plus rares et plus belles.. Le marchand de peaux de lapins achetait aussi la peau d’autres animaux, telles les peaux de chèvres, de moutons, de taupes, etc…Ces marchands, annonçaient leur arrivée, en criant dans les rues, « Peaux d’lapins Peaux »… peau de lapins …cela d’ une voie forte et tonitruante. Ce dont, je me souviens aussi, c’est que ce marchand, avait une charrette tirée par un petitcheval, les peaux de lapins étaient suspendues, après achat, tout au long de cette carriole, à la vue de tous. Les marchands de peaux de lapins faisaient aussi le négoce de vieux papier, notamment les vieux journaux les vieux chiffons et la ferraille. Mais le marchand de peau de lapin, qui était un marchand ambulant, en faisait lui-même commerce, il allait ensuite revendre ces peaux ramassées à droite et à gauche, à des tanneurs, afin que ces derniers les travaillent et en fassent de belles vestes, de beaux manteaux ou des bonnets pour l’hiver. Dans ledépartement du Nord-Pas de Calais, c’était souvent les femmes qui ne travaillaient pas qui attendaient avec impatience, « el marchand d’piaux d’lapin », pour se faire quelques sous de plus. A cette époque, il y avait déjà le recyclage !!! quoique les jeunes puissent penser.

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LES MARCHANDS D’HABITS

Posté par francesca7 le 8 février 2014

 

(D’après Tableau de Paris, paru en 1782)

téléchargement (2)Le marchand d’habits est un industriel adroit et retors, qui parcourt incessamment les rues pour acheter les vieux vêtements, les vieux souliers, les vieux chapeaux, même les neufs si l’occasion s’en présente, sans excepter les cannes, les schakos, les épaulettes et les parapluies.

Il y a deux classes de marchands d’habits ; il y en a même d’avantage ; mais je le réduis à deux pour simplifier : les plébéiens et les aristocrates. Les premiers se recrutent parmi les rares individus de la race intelligente et tenace des Auvergnats, qui ne sont point entrés dans la corporation des charbonniers et des porteurs d’eau. Ils sont sales ; ils professent un dédain complet pour la mode et le luxe scandaleux du costume ; ils font leur ronde en chapeaux roux et défoncés, en paletots gras, ou même en blouse d’une teinte équivoque. La femme exerce la même profession que le mari, et son cri a quelque chose d’aigre et de résigné qui m’a toujours fait penser à la voix de quelque chouette mélancolique. Le couple s’avance d’un pas lent et pénible, les épaules courbées sous un long sac grisâtre, où s’entassent pêle-mêle les débris les plus divers. Il a sa clientèle toute faite dans les mansardes et les bouges garnis.

Les seconds s’adressent à un public plus relevé, surtout aux étudiants. Ceux-là sont « fashionables », coquets même, surtout quand ils sont jolis garçons, et ils le sont quelques fois : j’en ai vu. Ils portent le chapeau sur l’oreille, ils ont des moustaches gommées et des favoris en côtelette ; ils se parent des plus voyantes dépouilles de la veille, qu’ils revendent le lendemain, surtout des pantalons à larges carreaux, que, par un trait général et caractéristique, ils affectionnent tous, à l’instar des marchands de contremarques. S’il n’avait sur l’épaule gauche un trophée de gilets et de redingotes qu’il drape avec prétention, on prendrait cet industriel pour un jeune premier des Délassements qui parade dans la rue, ou pour un garçon de restaurant qui, un jour de sortie, fait le joli cœur dans un quartier éloigné de son établissement.

Mais non, le marchand d’habits a dans sa démarche, dans sa pose, dans ses airs de tête, dans l’expression de sa physionomie aussi bien que dans l’accent particulier de son organe, un cachet qui n’appartient qu’à lui et le fait reconnaître au premier coup d’œil.

Lorsqu’on l’envisage avec tant soit peu d’imagination, le marchand d’habits est une figure d’un symbolisme effrayant. Dans le secret de l’intimité, son masque facial doit avoir le ricanement railleur et dédaigneux de Méphistophélès. Il a vu de si près la misère en gants paille ; il a tant palpé de bottines vernies sans semelles et de belles redingotes retournées ; il a entassé sur son épaule et jeté dans son panier la défroque de tant d’illustres personnages, l’habit doré du ministre de l’an dernier, le pantalon trop étroit du dandy qui prend du ventre, les riches épaulettes du chef de bataillon de la garde nationale retombé au rang de sergent-major, l’avant-dernier gilet du bohème dont le roman vient d’être refusé sur toute la ligne, qu’un peu de scepticisme lui est bien permis. Et ils poursuit sa route, le philosophe cynique, riant dans sa barbe et répétant sa mélopée moqueuse et lugubre : « Vieux habits ! vieux galons ! »

Mais toute sa philosophie ne l’empêche point d’être un homme pratique avant tout. Il faut le voir à l’œuvre, palpant et soupesant un paletot, découvrant les moindres taches dans les replis les plus inaccessibles, inventant des trous où il n’y en a pas, tandis qu’il s’exclame en monosyllabes plaintifs et hoche la tête d’un air désolé. Il parvient ainsi à vous plonger dans la consternation : découragé d’avance, vous lui demandez timidement le tiers de ce que vous aviez rêvé d’abord, et il vous offre le quart de ce que vous lui demandez. D’autres vous en offriraient le dixième peut-être ; vous passez donc sous les Fourches Caudines, et le marchands d’habits, toujours ricanant dans sa barbe, s’en va redire ailleurs son refrain, que vous entendez comme une raillerie monter jusqu’à votre fenêtre : « Vieux habits ! vieux galons ! »

Du reste, gai, jovial, prompt à la riposte, mais sans jamais blesser une pratique, il supporte avec une inaltérable belle humeur les farces et les sobriquets dont toutes les Facultés l’accablent à l’envi. On le traite de voleur, et il ne cherche pas à s’en défendre, sachant bien que c’est vrai ; mais il exploite ses clients en les laissant rire, et en riant lui-même de l’innocent triomphe qu’il leur abandonne, car il a la vengeance entre ces mains.

Telle est la providence vivante du quartier latin. Voilà le mont-de-piété ambulant auquel l’étudiant peut, sans se déranger, accrocher sa garde-robe et même sa montre, car la plupart des marchands d’habits achètent tout ce qui se vend et peut se revendre. Il est vrai que ce mont-de-piété, comme l’avare Achéron, ne lâche point sa proie ; mais l’étudiant y tient peu, et pourvu qu’il ait le droit de vendre, il se passe du droit de racheter.

Il y a aussi le marchand d’habits en boutique : c’est généralement un type effacé. Je signale pourtant à l’attention des amateurs, Blancard, le marchand d’habits illustré, comme il s’intitule, de la rue de l’Ecole de médecine. Cet industriel facétieux, cachant sa ruse normande sous une faconde gasconne, a toujours à sa devanture un riche assortiment d’étiquettes en prose et en vers, dont quelques-unes sont des modèles accomplis d’éloquence burlesque et gouailleuse.

Blancard s’y moque du public, et quelquefois de lui-même, avec une désinvolture et une belle humeur dont la fantaisie de son orthographe accroît encore le charme, et il a une manière tout à fait réjouissante de mettre la main sur son cœur et de donner sa parole d’honneur (de marchand d’habits). Je ne sais s’il vend beaucoup, mais on s’arrête à son étalage, on le lit et le savoure, et cela le console, car Blancard me fait l’effet d’un artiste déclassé, que dévore l’amour de la gloire.

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Ce que les Aveugles Voient

Posté par francesca7 le 8 février 2014

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On considère ordinairement l’aveugle comme un être inférieur, borné, inutile à la société, fatalement voué à la mendicité s’il est pauvre, à l’oisiveté s’il est riche, dans les deux cas, à l’ignorance. C’est là une profonde erreur.

Les aveugles ont une foule de jouissances dues à la finesse de leur ouïe qui leur permet d’être excellents musiciens, et de perceptions délicates dues au toucher qui leur permet de lire, d’écrire et de se rendre compte de bien des choses mystérieuses que nous ne soupçonnons pas. L’histoire de ces sensations est pleine de merveilles inconnues des « clairvoyants » et comme la clef d’un nouveau monde.

Depuis cent ans, grâce à Valentin Haüy, le fondateur de l’éducation des aveugles, grâce à Louis Braille, l’inventeur de l’écriture des aveugles, et spécialement, depuis quelques années, grâce à l’Association Valentin Haüy, des milliers d’aveugles sont instruits, pourvus d’une profession et gagnent leur vie par leur travail. Pour que cette œuvre remplisse complètement son but, qui est d’arracher tous les aveugles à la mendicité, il suffira que tous ceux qui ont des yeux pensent quelquefois à ceux qui n’en ont pas.

°°°

LA CÉCITÉ ! quelles privations elle implique ! 

Ne plus pouvoir se conduire, quelle calamité ! Ne pas voir la nature, quelles ténèbres ! Être incapable de lire et d’écrire, quel silence et quel cachot !

« Par la lecture, le sourd peut vivre en communication constante avec la pensée humaine tout entière, historiens, poètes, philosophes, artistes. L’aveugle dépend de tout et de tous : c’est le mendiant par excellence, c’est le prisonnier suprême ! »

Ainsi s’exprimait une fois le célèbre compositeur Gounod, à qui l’on demandait s’il aimerait mieux être sourd ou aveugle. Et l’on voit que, même pour ce grand musicien éprouvant tant de jouissances par l’oreille, la surdité ne semblait pas un malheur comparable à la cécité.

Cependant on remarque souvent que les sourds sont tristes et que les aveugles sont gais, et non seulement gais, mais bavards, curieux de toutes choses, amateurs de voyages, aimant à « voir du pays ». On leur entend dire : « J’ai vu [t]elle personne… », ou bien : « telle personne a l’air bon, l’air bien vieilli…. » « Cet enfant a bien grandi…. Quelle bellemaison, quel beau soleil ! Quelles jolies fleurs » ! Que signifient, dans leur bouche, toutes ces expressions ?

Par quels moyens perçoivent-ils tant de choses ? Qu’est-ce que voient les aveugles ?

*
* *

Voici quelques exemples d’aveugles fameux qui semblent démentir l’opinion qu’on a sur l’infériorité de ces emmurés, comme les a éloquemment appelés M. Lucien Descaves. Sans parler d’Homère et de Milton, qui étaient aveugles tous les deux, et dont l’un récitait ses chants, et l’autre dictait ses poèmes à ses filles, on a connu à l’Université de Cambridge un professeur de mathématiques aveugle, Nicolas Saunderson. Et, chose curieuse, il professait des lois de l’optique, exposant la nature de la lumière et des couleurs, expliquant la théorie de la vision, traitant de la marche des rayons lumineux à travers les lentilles.

Plus récemment, les Anglais ont choisi pour diriger le ministère des postes et télégraphes un aveugle, M. Fawcett, qui est mort depuis à Cambridge en 1884. A vingt-cinq ans, il entrait dans la carrière politique, lorsqu’un accident de chasse lui fit perdre la vue.

Dans une conférence électorale qu’il fit à Brighton, en 1864, il dit : « L’accident qui m’a ôté la vue m’est arrivé il y a cinq ans seulement. Je chassais les perdrix. Deux coups de fusil, partis par malheur de l’arme d’un camarade, me frappèrent au visage. Chaque œil fut atteint, et le résultat, vous le voyez. Je me rappelle parfaitement ce moment. C’était par un splendide après-midi d’automne, et je me tenais là, debout, contemplant avec ravissement une des plus riantes vallées de l’Angleterre. Ce décor s’illuminait de tout l’éclat d’un soleil d’automne. Je compris que toutes ces beautés de la nature s’étaient évanouies dans une nuit qu’aucune adresse humaine ne pourrait éclairer. C’était un coup terrible pour un homme, mais, en dix minutes, je fus maître de moi et résolu à braver toutes les difficultés avec courage et résolution. Je me décidai à faire, autant que possible, ce que j’avais fait jusque-là et à donner à ma vie future le même but, les mêmes espérances et les mêmes aspirations. Cette résolution ne m’a jamais quitté. »

Pendant les loisirs que lui laissait sa charge, M. Fawcett montait à cheval, patinait, pêchait le saumon tout comme un autre, et le bonheur voulut qu’il ne lui arrivât jamais de grave accident durant ces imprudentes récréations. Comme ministre des postes, il était très attentif, bien qu’aveugle, avait « l’œil à tout », et a laissé à ses subordonnés le souvenir d’un fonctionnaire très « regardant ».

Mais un exemple encore bien plus étonnant de ce qu’on peut faire sans les yeux devait être fourni, dans ce pays, par l’aveugle américain Campbell, qui est monté au sommet du Mont-Blanc. M. Campbell, aujourd’hui directeur du magnifique « Royal Normal College » pour les aveugles de Londres, est né en 1834, dans le comté de Franklin en Tennesse. Son père était un farmer, ardent abolitionniste. L’enfant avait trois ans et demi, quand, blessé à l’œil par une épine d’acacia, il devint aveugle. Il fut élevé à Nashville, apprit la musique et devint lui-même professeur.

Image illustrative de l'article BrailleDès lors, il se dévoua aux enfants aveugles de sa contrée. Puis il vint à Londres, fonder son collège. Mais comme, lorsqu’il parlait des capacités physiques et intellectuelles des aveugles, il trouvait beaucoup d’incrédules, il voulut frapper un grand coup sur les imaginations britanniques. Accompagné de son fils et de plusieurs guides, il fit une chose considéré comme difficile aux voyants, impossible aux aveugles. Il tenta l’ascension du Mont-Blanc. Il réussit à souhait. Toute la presse anglaise l’acclama. Son œuvre était définitivement fondée.

M. Campbell est-il une exception ? Non. Au collège qu’il a fondé à Londres, et où les exercices physiques sont dirigés par son fils, M. Guy Campbell, un distingué sportsman, on voit des aveugles faire de la gymnastique, patiner, aller en traîneau apprendre à nager, ramer, monter à vélocipèdes par bandes de dix ou douze et faire ainsi des centaines de kilomètres à travers l’Angleterre étonnée.

En France, cet exemple a été suivi. Au mois de septembre 1888, trois aveugles, tous trois professeurs à l’Institution nationale des jeunes aveugles de Paris, MM. Syme, Vielhomme et Guilbeau, faisaient l’ascension de Champrousse, en Dauphiné, accompagnés de trois guides.

A l’Institution nationale de Paris, les élèves font également du tricycle.

Ces différents faits attestés par de nombreux témoins – des témoins oculaires – sont surprenants. Mais on admet encore qu’il puisse exister des « alpinistes » aveugles. Ce qu’on n’admet point sans protestation, c’est qu’il ait pu exister des sculpteurs aveugles. Cela est pourtant. Un de nos meilleurs « animaliers », Vidal, était tout à fait privé de la vue. Cela ne l’empêcha pas de modeler de petits chefs-d’œuvre : le Cerf blessé, le Lion, le Taureau. Vif, preste, alerte, Vidal était constamment entouré d’animaux : il les touchait, les caressait, les examinait longuement dans toutes sortes de poses, puis saisissait sa terre, et se mettait à modeler. Lorsqu’il étudiait les jambes d’un cheval, par exemple, il s’agenouillait auprès de son modèle, lui parlant sans cesse, le flattant, afin que l’animal ne bougeât pas, et il le tâtait, en disant : « Vois, j’examine tes jambes…, ne bouge pas, j’ai besoin de regarder ton encolure….  Mon ami cheval, tiens-toi tranquille ou je vais manquer ton portrait ! »

Lorsqu’il s’agissait d’une bête féroce, l’étude d’après nature était plus difficile à réaliser. Vidal s’inspirait alors d’œuvres d’art précédentes, de squelettes, de têtes empaillées. Un jour, cependant, comme il avait imaginé de sculpter un lion, il sentit qu’il ne pourrait y parvenir sans recourir au modèle vivant. Il n’hésita pas devant une entrevue dangereuse et entra dans la cage d’un de ces animaux, accompagné d’un dompteur. Longuement, attentivement, en artiste, il caressa le lion, jusqu’à ce qu’il se fût rendu maître de son anatomie. En sortant, il fit le Lion rugissant qui est un de ses plus étonnants morceaux.

Quand il était dans son atelier en train de travailler, on n’aurait pas dit qu’il fût aveugle. Seulement, de temps en temps, lorsqu’il voulait juger de l’ensemble, il se reculait et regardait son œuvre avec ses deux mains étendues, dont les dix doigts semblaient autant d’yeux….

C’est qu’en effet, les doigts sont les yeux de l’aveugle. « La vue, a-t-on dit, est un toucher de loin. » De même, le toucher est une vue de près. Nous sommes volontiers portés à croire que la vue seule nous fait connaître les choses qui nous entourent : c’est une erreur. Plongez un bâton à moitié de sa longueur dans l’eau : vous le verrez tout cassé ; mais, en mettant votre main dans l’eau et en suivant le bâton, vous sentirez qu’il est droit, bien qu’aux yeux il paraisse tordu.

Quand l’eau courbe un bâton, ma raison le redresse,

                                                
a dit le Fabuliste. Mais ce n’est pas la raison qui l’a redressé : c’est le toucher.

Dans la connaissance que nous avons des choses, le toucher a une part beaucoup plus grande que nous le supposons. Tant que nous n’avons pas touché une chose, nous ne la connaissons pas. C’est pour cela que les petits enfants sont des touche-à-tout. La preuve nous en est donnée chaque fois qu’un miracle de la science rend la vue à un aveugle. Ces choses-là arrivent quelquefois, et alors le plus extraordinaire, ce n’est pas que l’aveugle voit, mais c’est que, dans les premiers jours, il ne sait que faire de sa vue.

Un médecin qui a assisté à la guérison d’une paysanne aveugle de dix-sept ans, Despa Christea, à Bucarest, dit : « J’étais présent quand les parents sont venus voir l’enfant après l’opération, et j’ai assisté au spectacle le plus extraordinaire qu’il fût possible de voir. La malade a regardé fixement son père, puis elle a tâté le visage de sa mère pour s’assurer de la forme de sa figure. Elle a regardé leurs vêtements, nommant les couleurs de chaque partie du costume. Elle tenait sa mère par la main, comme si elle avait peur de perdre des yeux un être qu’elle aimait et avec qui elle vivait depuis sa plus tendre enfance et qu’elle voyait pour la première fois…. »

Un autre aveugle guéri subitement, Nicolas Joan, âgé de vingt-cinq ans, avoua n’avoir pu reconnaître ses anciens amis jusqu’au moment où il entendit leurs voix. Du temps où il était aveugle, il s’en allait seul, par les rues, se rendait sans difficulté dans tous les quartiers de la ville. Quand il lui fut possible de se servir de ses yeux, il s’égara d’abord et fut obligé de demander son chemin. Les objets les plus familiers dont il se servait journellement lui paraissaient inconnus. Il voyait bien une forme, une couleur, mais n’imaginait pas que cela représentât telle ou telle chose. On lui présentait une cuiller en lui demandant :

« Voyez-vous cela ?

– Oui.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Attendez. Donnez-le-moi. »

Il fermait les yeux, prenait l’objet, le tâtait, puis aussitôt :

« C’est une cuiller, » disait-il.

Tel est l’homme quand on le replace brusquement dans l’état où il était en venant au monde, ouvrant les yeux pour la première fois devant les mille objets qui l’entourent. La vue lui servira plus tard à les reconnaître de loin, mais il ne les connaît bien pour la première fois que par le toucher.

Donc le toucher a une immense importance. Or, les aveugles conservent ce sens du toucher. Ils l’ont même à un point beaucoup plus affiné que les « clairvoyants ». L’aveugle Saunderson distinguait, en les touchant, les médailles fausses des vraies.

                Quand l’œil du corps s’éteint, l’œil de l’esprit s’allume,

a dit Victor Hugo. C’est exagéré comme toutes les métaphores ; mais ce qui est vrai, c’est que la « vue » des yeux s’éteignant, la « vue » des autres sens s’affine. L’ouïe devient plus sensible, le tact plus délicat, l’odorat plus compréhensif.

*
* *

Ce que les Aveugles Voient dans FONDATEURS - PATRIMOINE Ben_underwoodAinsi s’expliquent les prodiges que réalisent les aveugles et aussi les jouissances qu’ils trouvent encore à la vie. Puisqu’ils ont l’oreille plus exercée, ils apprécient davantage l’harmonie des sons ; puisqu’ils ont l’odorat plus sensible, ils respirent mieux les parfums, comme ils entendent mieux les sons. De là, des sources nombreuses de renseignements et de plaisirs que nous connaissons mal. Voilà pourquoi les aveugles aiment à voyager, à gravir les montagnes, à visiter des villes nouvelles. Au premier abord, il semble que tout pour eux doit se ressembler. La nuit ressemble partout à la nuit. Il n’en est rien.

Comme le dit M. Maurice de la Sizeranne dans son livre : Les aveugles par un aveugle, « le toucher n’est pas localisé dans la main ; il est répandu sur tout le corps. Même à travers le soulier, le pied distingue le genre de sol qu’il foule. Bouchez les oreilles à un aveugle attentif, et il saura très bien s’il marche sur du pavé plat ou pointu (italien, languedocien ou parisien), sur du grès ou sur du bois, sur du macadam ou de l’asphalte, s’il passe sur une plaque d’égout, s’il est sur un sentier battu, dans une terre labourée ou sur un chaume.

« Les odeurs aussi sont bien différentes et bien caractéristiques : la viande fraîche, la pommade, le tabac mouillé, le cuir frais, le poisson, le foin, les plantes pharmaceutiques, les coulis aux truffes, le papier nouvellement imprimé, les fleurs, que sais-je encore ! ont des parfums très divers qui permettent de savoir, sans l’ombre d’un doute, si l’on passe devant un boucher, un coiffeur, un marchand de tabac ou de souliers ; si on longe de grandes halles ou un quartier de cavalerie ; si le soupirail qui vous envoie ses bouffées en pleine figure aère la cave d’un pharmacien ou la savante officine d’un Chevet ; si vous êtes en face de la vendeuse de journaux chantée par Coppée, ou de la bouquetière du coin ».

De cette sorte un aveugle peut se conduire seul dans les rues d’une grande ville.

« A tous les renseignements que donnent le toucher et l’odorat se joignent ceux apportés par l’ouïe : Ici, c’est la cloche d’un couvent, là l’horloge d’une église, d’un hôpital ; ailleurs, un menuisier, un tailleur de pierres, une maison en construction. Tout est remarqué, associé et mis à profit. Tout cela est pour la ville ou le village ; mais, en pleine campagne, la nature prend soin de donner à l’aveugle bien des indications, bien des jouissances qui sont autant de jalons pour sa route. Ici, c’est un mouvement de terrain, une ornière, un passage rocailleux ou sablonneux, une clairière tapissée de gazon, de mousse, d’aiguilles de pin ; là, c’est un bois résineux, un pré, une meule de foin, une touffe de genêts ou de fleurs sauvages ; ailleurs, ce sera les chuchotements d’un ruisseau, le bruit des arbres ou des arbustes. Le lilas et le chêne ne disent pas la même chose lorsque le vent passe ; ils ne frissonnent pas de la même manière en mai et en octobre. Autres sont les oiseaux qu’on entend, lorsqu’on est assis au pied d’un vieil orme, au milieu d’un grand bois ou sur la berge de la rivière qui traverse la prairie…. »

Tout ce que les aveugles devinent, c’est donc par l’ouïe, le toucher et l’odorat. Si ces sens leur manquent ou sont affaiblis, ils ne perçoivent plus rien. Ainsi, en bateau à vapeur ou en wagon, ils ne voient rien : l’odeur de la fumée de charbon, le bruit du train sont de perpétuels matelas entre eux et la nature ; de même, si leur épiderme est momentanément insensibilisé. Un aveugle américain qui est grand négociant, et qui se conduit dans la vie avec une singulière aisance, M. Hendrickson dit : « Une fois ayant été piqué par une abeille, je fus un instant étourdi, vraiment « aveugle », ne pouvant plus rien percevoir, ni distinguer ». Ainsi, pour un aveugle, l’obscurité ce n’est pas l’obscurité : c’est le bruit ou la douleur.

Leur façon de voir est donc de comparer leurs sensations avec les nôtres.

Écoutons un aveugle, M. Guilbeau, décrire une jeune femme qu’il a rencontrée en voyage : « Son regard, il me semblait le sentir quand elle m’interrogeait. Sa voix de méridionale, bien timbrée, avait des sonorités de loriot. Son rire faisait comme une roulade de pinson. La note dominante était l’o, ce qui indique la bonté et la franchise. Avait-elle vingt-cinq ans, avait-elle trente ans ? Je ne saurais le dire. La voix ne donne que des approximations d’âge. »

On comprend maintenant comment une femme aveugle, Mme Galeron de Calonne, poète de grand talent et de grand cœur, a pu écrire sur elle-même, sur ses joies d’aveugle et sur sa vie, ces vers délicieux :

            QU’IMPORTE !

                    A mon mari.

Je ne te vois plus, soleil qui flamboies,
Pourtant des jours gris je sens la pâleur,
J’en ai la tristesse ; il me faut tes joies.
Je ne te vois plus, soleil qui flamboies,
    Mais j’ai ta chaleur.

Je ne la vois pas, la splendeur des roses,
Mais le ciel a fait la part de chacun.
Qu’importe l’éclat ? J’ai l’âme des choses.
Je ne la vois pas, la splendeur des roses,
    Mais j’ai leur parfum.

Je ne le vois pas, ton regard qui m’aime.
Lorsque je le sens sur moi se poser.
Qu’importe ! Un regret serait un blasphème !
Je ne le vois pas, ton regard qui m’aime,
    Mais j’ai ton baiser….

Sentez-vous après ces vers, pourquoi les aveugles semblent gais quand les sourds paraissent généralement tristes ? C’est qu’au moment où l’on parle à un aveugle, on s’adresse au sens qui est éveillé en lui : à ce moment-là, il voit. Au contraire, quand on parle à un sourd, on lui rappelle davantage son infirmité.

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Comment peut-on rendre ainsi une ombre de bonheur à l’aveugle ? Comment arrive-t-on à d’aussi surprenants résultats ? Tout simplement en se servant des facultés précieuses que nous venons de décrire. Puisque les aveugles ont le toucher très délicat, pourquoi ne les ferait-on pas lire sur des lettres figurées en relief, s’est demandé, en 1784, Valentin Haüy, le frère de l’abbé Haüy, en rencontrant un aveugle intelligent qui en était réduit à mendier son pain. Et il inventa l’impression en relief. Plus tard, en 1829, un aveugle français, Louis Braille, imagina un alphabet conventionnel formé de points, qui porte son nom, et qui, aujourd’hui, est adopté dans le monde entier. Avec six points au plus, diversement placés, on figure toutes les lettres de l’alphabet, toutes les notations musicales.

On écrit, selon ce système, toutes les poésies de Victor Hugo, tout le Parsifal de Wagner. L’aveugle, en promenant ses deux mains sur ces gros livres piqués de points en relief, se met en communication avec la pensée écrite et la musique écrite de toute l’Humanité. Aujourd’hui, la bibliothèque Braille fondée par M. Maurice de la Sizeranne ne compte pas moins de 4000 volumes ainsi écrits en relief.

De même, puisque l’aveugle a l’oreille très exercée, pourquoi ne pas lui apprendre sérieusement la musique ? Le même Valentin Haüy passait, en 1771, dans une foire. Il vit là dix aveugles affublés de robes et de bonnets à oreilles d’ânes et le nez chaussé de grosses lunettes de carton sans verre, placés devant des pupitres, chantant et jouant du violon. Cette indécente parodie indigna Valentin Haüy, et il jura, ce jour-là, d’arriver à transformer cette fiction en une réalité.

En effet, l’Institution des jeunes aveugles fondée par lui, et établie aujourd’hui, 56, boulevard des Invalides, forme, après cent ans de progrès, des musiciens de premier ordre. Là, les aveugles apprennent tout ce qui concerne l’art musical. Il y a des classes d’orgue, de piano, de tous les instruments d’orchestre ; on enseigne aussi la théorie de la musique, fugue et contrepoint. Bien des fois, les jeunes aveugles sortis de cette institution ont remporté les premiers prix du Conservatoire, et, en ce moment, plusieurs des principales églises de Paris possèdent des aveugles comme organistes : M. Marty à Saint-François-Xavier, M. Mahaut à Saint-Vincent de Paul, M. Dantot à Saint-Etienne-du-Mont, M. Vierne, organiste suppléant à Saint-Sulpice. Une jeune fille, Mlle Boulay, professeur aveugle à cette institution, a remporté les premiers prix d’orgue, d’harmonie et de fugue au Conservatoire. Sous l’intelligente direction du chef de cet établissement de l’Etat, M. Émile Martin, l’Institution des jeunes aveugles est parvenue à un haut degré de perfection.

Une fois instruit, l’aveugle peut gagner sa vie par son travail, soit comme musicien, organiste, professeur de musique, accordeur de pianos, soit comme ouvrier, filetier, brossier, rempailleur de chaises. On compte actuellement en France plusieurs centaines d’aveugles qui se suffisent entièrement par leur industrie. On ne rencontre plus ces bandes d’aveugles allant par les chemins, comme ceux que Breughel le Vieux a peints dans la Parabola dei Ciechi, ou comme on en trouve encore au Soudan et à Pékin ; mais on rencontre des aveugles travailleurs autant que des mendiants.

Les métiers que peuvent exercer les aveugles sont relativement nombreux et quelques-uns assez bizarres. Au Japon, tous les aveugles sont masseurs, tous les masseurs sont aveugles, en sorte qu’on demande indifféremment « l’aveugle » ou « le masseur » ! Au Caire, ils récitent le Coran, accroupis devant le lit funèbre des grands personnages.

On cite un aveugle, à Évian, qui est marchand de journaux. Au toucher, il distingue un Intransigeant d’une Libre Parole et une Autorité d’un Temps. Jamais il ne tendrait à un acheteur radical la Gazette de France : cet aveugle, en vérité, distingue les couleurs….

Lorsque les ouvriers ou les artistes aveugles ont quelque loisir, ils s’amusent comme nous, à peu près aux mêmes jeux. Ils jouent aux cartes avec des cartons piqués de points en relief, aux échecs avec des pièces qui s’enfoncent par le pied dans les casiers, afin que les mains puissent se promener sur elles sans les renverser. Ils jouent même aux boules et au billard. Un clairvoyant frappe deux bâtons l’un contre l’autre ou un timbre juste au-dessus de la boule qu’il s’agit d’atteindre et l’aveugle, guidé par le son, projette assez exactement sa bille au but. Mais ce qu’ils préfèrent surtout, dans les écoles d’aveugles, c’est jouer la comédie. A l’institution de Paris, on a vu les jeunes filles aveugles jouer avec beaucoup d’entrain le Menuet de l’impératrice, opéra-comique en un acte et à sept personnages.

images (7)L’aveugle une fois instruit et pourvu d’un métier, il faut trouver un débouché à son travail. C’est dans ce but qu’a été fondée l’Association Valentin Haüy pour le bien des aveugles, dont le président est M. François Coppée, de l’Académie française, et le secrétaire général M. Maurice de la Sizeranne, qui, étant aveugle lui-même, connaît mieux que personne les besoins des aveugles.

Cette association, qui compte déjà 7 000 membres répandus dans toute la France, a pour but de venir en aide aux 40 000 aveugles français, et elle obtient d’excellents résultats. Dans la maison qu’elle occupe, 31, avenue de Breteuil, à Paris, et qui est réellement la Maison des aveugles, il y a un musée de toutes les inventions faites pour l’instruction des aveugles et de tous les objets fabriqués par eux. Il contient 100 appareils à écrire différents et 150 cartes de géographie en relief.

Là est aussi la bibliothèque Braille, alimentée par le zèle de 250 copistes et contenant 4000volumes en points saillants, dont 1 100 environ sont couramment en circulation, non seulement à Paris, mais en province, où 18 dépôts fonctionnent régulièrement pour permettre aux aveugles instruits de toute la France de lire ce qui paraît d’intéressant dans la littérature. Là enfin, on s’occupe de trouver des écoles pour les enfants, du travail pour les adultes, des asiles pour les vieillards. Dans la seule année 1898, l’Association Valentin Haüy s’est occupée de 1 526 aveugles, a entretenu 26 pensionnaires adultes dans les ateliers, aidé de 371 vieillards, obtenu pour les aveugles voyageant pour accorder des pianos 539 permis de chemin de fer, aidé enfin 140 travailleurs, musiciens ou ouvriers dans leur carrière.

Pour que cette Œuvre remplisse complètement son but, qui est d’arracher l’aveugle à la mendicité, il suffira que tous ceux qui ont des yeux pensent quelquefois à ceux qui n’en ont pas !

Terminons par un souvenir historique et par une application à l’heure présente. Un vieux chroniqueur raconte que dans le Paris du moyen âge, où les quinquets étaient rares et point vite allumés, les brouillards subits étaient des calamités publiques. Ils transformaient le jour en nuit. Alors les pensionnaires des Quinze-Vingts, pour qui l’obscurité était « règlement ordinaire », devenaient fort utiles aux « clairvoyants ». Habitués à tous les tours et détours des rues, ils les guidaient à travers la Grand’Ville aussi sûrement qu’en plein jour un clairvoyant guide un aveugle.

Aujourd’hui, le gaz et l’électricité nous épargnent ces étranges secours. Mais, qui sait si, dans le domaine infini de l’intelligence et du cœur, les aveugles ne pourraient pas nous guider encore ? Qui sait si, en observant tout ce que font ces hommes privés de la vue, mais doués de volonté et de persévérance, nous ne pourrions pas apprendre beaucoup, et profiter davantage des forces latentes qui ont été déposées en nous !

consultez l’original : http://www.bmlisieux.com/curiosa/cecite.pdf

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