Le mythe de Merlin l’enchanteur
Posté par francesca7 le 22 janvier 2014
Figure centrale de la mythologie et du folklore celte, Merlin est un héros protéen dont le personnage fut l’objet d’une intense et prolifique littérature du Moyen Âge à nos jours. Devenu le paternel « enchanteur » au chapeau pointu sous les traits de Walt Disney, il apparaît dans les récits médiévaux tant comme un prophète christique amenant la création de la Table ronde et la Quête du Graal que comme personnage obscur, un antéchrist, fils d’un démon et d’une vierge et considéré comme un sauvage vivant en communion avec la nature et les animaux. Mais c’est aussi cet amoureux fou de la fée Viviane, lui apprenant comment l’emprisonner, allégorie du poète et de son amour impossible magnifiés par Apollinaire dans L’Enchanteur pourrissant.
Merlin l’enchanteur : un mythe prolifique
Le mythe de Merlin connut de très nombreuses variations et évolutions tout au long du Moyen Âge, rendant ainsi le personnage particulièrement difficile à cerner. Merlin est avant tout attesté dans la tradition celtique galloise où il apparaît sous la forme de Myrddin à travers quelques poèmes évoquant aux Vème et VIème siècles un fou, sauvage et misérable, vivant à l’écart du monde dans de lointaines forêts calédoniennes. Nous le retrouvons également dans la littérature écossaise et irlandaise dans un rôle analogue, vivant invisible dans les arbres.
L’introduction du personnage de Merlin dans le cycle arthurien intervient dans la première moitié du XIIe siècle avec trois écrits latins de Geoffroy de Monmouth : les Prophétiae Merlini (Les prophéties de Merlin, vers 1135), l’Historia regum Britanniae (L’histoire des rois de Bretagne, avant 1140), et la Vita Merlini (La vie de Merlin, vers 1145), donnant au prophète une véritable biographie avant tout liée à une optique politique, celle pour les Normands de s’appuyer sur les Celtes contre les Saxons.
Cet héritage est alors remanié par de nombreux auteurs, citons en particulier le clerc anglo-romand Wace ainsi que le poète franc-comtois Robert de Boron qui christianise fortement le personnage de Merlin dans sa trilogie sur le Graal.
Nous retrouvons ensuite un Merlin bien différend dans Le Lancelot en prose (anonyme, vers 1215) également appelé la « vulgate » arthurienne car il s’agit de la version la plus diffusée durant le Moyen âge de la légende arthurienne ainsi que dans la Suite vulgate (vers 1220) ou encore la Suite Post Vulgate (vers 1230). Ces textes abordent principalement le personnage de Merlin à travers ses relations avec la fée Viviane. Le personnage de l’enchanteur apparaît ainsi particulièrement protéiforme selon les différents auteurs s’attachant à son mythe. Revenons sur quelques uns de ses traits fondamentaux.
De l’antéchrist au prophète du Graal
À l’inverse du Christ, issu d’une vierge et de Dieu, Merlin est né d’une vierge et d’un incube (l’équivalent masculin de la succube), il est un antéchrist. Son apparence confirme son origine diabolique : Merlin est très velu et poilu, doté une perspicacité surnaturelle et capable de prodiges. Pour autant, dans les écrits de Robert de Boron, seul son corps représente le Diable. L’âme de Merlin, grâce à la piété de sa mère, semble acquise à Dieu d’autant qu’il
est baptisé. Le personnage de Merlin symbolise alors le conflit entre le Diable et Dieu, montrant au final le triomphe de Dieu. A contrario, dans le Lancelot en prose, Merlin penche du côté démoniaque, non baptisé, il apparaît comme fourbe et déloyal alors que sa mère prît du plaisir lors de la venue du démon.
Il n’en demeure pas moins que Merlin, grâce à ses pouvoirs prophétiques se retrouve à conseiller les rois de Bretagne. Nous pensons tout naturellement à Arthur que Merlin guide dans la création de la Table ronde et dans la Quête du Graal mais également à ces prédécesseurs Uter et Uterpandragon. Merlin assure ainsi la naissance d’Arthur par ses enchantements en donnant à Uterpandragon les traits du duc de Cornouailles afin d’approcher la duchesse. Cette figure du devin, conseiller du roi, s’inscrit dans la représentation médiévale du bouffon ou du barde guidant et distrayant le roi mais Merlin l’accompagne également par son statut de druide comme stratège et guerrier au combat. Son don de prophétie lui permettra par ailleurs de connaître sa propre fin liée à l’amour.
Le poète victime de l’amour
Les sentiments amoureux de Merlin apparaissent dans la seconde partie du récit du Lancelot en prose où l’enchanteur tombe amoureux de la fée Viviane. Il lui apprend ses secrets tout en sachant que Viviane se retournera contre lui en l’enfermant dans une grotte où il mourut. Il s’agissait pour elle de se venger de l’atteinte à sa virginité, la fée devenant alors un avatar évhémériste de la déesse Diane, chasseresse chaste.
Dans la Suite Vulgate, l’auteur rapporte les détails de l’emprisonnement de Merlin dans la continuité du récit de Robert de Boron en intégrant les différentes étapes amoureuses entre Viviane et Merlin. Elle rencontre Merlin dans sa jeunesse sous le signe de la courtoisie et du merveilleux. Le récit s’encre dans un schéma très courant de l’amour courtois et des troubadours : celui de la prison d’amour avec l’amant prisonnier de la dame. Merlin est cette fois enfermé pour l’éternité dans une tour et non dans une caverne pour y mourir. Sa mort est ainsi euphémisée et représentée comme plus lumineuse. Merlin n’apparaitra plus que dans une ultime vision sous forme de fumée au chevalier Gauvain.
Représentant ainsi le brouillard druidique, la fumée matérialisant sa voix, lui n’est plus qu’un simple souffle d’air.
Vers 1230 apparaît une réécriture sombre et macabre de la fin de Merlin. Il s’agit de la Suite Post Vulgate. Ce texte présente la haine de Viviane envers Merlin dont le côté diabolique est mis en avant et dont il faut se débarrasser. Viviane apparaît comme une traitresse se jouant de l’amoureux naïf. Le personnage de Merlin est alors progressivement détruit : perdant peu à peu son intelligence et sa mémoire, Merlin agonisant est jeté dans un tombeau sous terre, puni de son désir coupable comme le fut Actéon face à Diane.
Un personnage énigmatique
Ainsi, Merlin demeure un personnage énigmatique auquel se mélangent de nombreuses et différentes traditions médiévales. Du sorcier maléfique à l’enchanteur bienveillant, du fou au prophète, du guerrier au poète, les multiples facettes de ce personnage lui assurèrent une considérable fortune littéraire dès le XIIIe siècle dans tout l’Occident médiéval où il devint parfois un procédé littéraire pour attirer l’attention du lecteur mais également au XIXème siècle auprès des écrivains allemands et au XXème siècle en France avec Apollinaire, Aragon, Cocteau, Barjavel, , et bien d’autres, contribuant ainsi à perpétrer son mythe.
Textes médiévaux :
- Robert de Boron, Merlin : roman du XIIIe siècle, Paris, Flammarion, 1994. (traduction)
- Geoffroy de Monmouth, La vie de Merlin, Climats, 1996. (traduction)
- Le livre du Graal, Daniel Poirion et Philippe Walter (dir.), Paris, Gallimard, Pléiade, 3 volumes (Estoire, Merlin, Suite Vulgate, Lancelot, Queste, Mort Artu). (texte original et traduction)
Textes modernes
- Guillaume Apollinaire, L’Enchanteur pourrissant, Paris, Flammarion, 1972.
- René Barjavel, L’Enchanteur, Paris, Gallimard, 1987.
Bibliographie
- Michel Zink, Littérature française du Moyen Âge, Paris, PUF, 1994.
- Paul Zumthor, Merlin le prophète : un thème de la littérature polémique, de l’historiographie et des romans, Lausanne, 1943.
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