le Gruyère de Comté
Posté par francesca7 le 19 janvier 2014
Le comté (ou gruyère de Comté) est né en des temps où la rudesse des longs hivers obligeait les hommes à penser collectivement leur subsistance ; en premier lieu, il convenait de pouvoir stocker le lait abondant en été afin d’en avoir profit durant l’hiver. La fabrication de grands fromages secs et durs permettait également de pouvoir les faire voyager plus facilement et de les vendre. Pour cette production, 500 litres de lait sont nécessaires. C’est cette raison qui poussa les producteurs de lait à se fédérer. Il fallait en effet le lait de plusieurs troupeaux pour faire un seul fromage. Mettant en commun leur produit pour le faire fructifier, ces coopératives prirent le nom de fruitière. Les valeurs de solidarité véhiculées par ces fruitières ont survécu à huit siècles de production.
La fabrication de grands fromages est attestée dès les xiie et xiiie siècles dans des fructeries. Dès 1264-1280, une production fromagère est signalée à Déservillers et Levier ; ce fromage est appelé vachelin, par opposition au fromage chevrotin élaboré avec du lait de chèvre. En 1380, des fromages de grande taille confirment l’importance des fruitières sans lesquelles la quantité de lait nécessaire ne pourrait être réunie. La fabrication du comté actuel dérive de la recette du gruyère et a été introduite vers le début du xviiie siècle en Franche-Comté, comme dans le Jura vaudois, par des fromagers originaires de la Gruyère.
À la fin du xvie siècle, des rouliers partent à l’automne livrer le surplus de fromage notamment vers Lyon. Lors de la guerre de Dix Ans, la Franche-Comté se dépeuple (massacres, épidémie de peste, fuite vers la Suisse…). Vers 1678, le retour des expatriés accompagnés de Suisses apporte l’usage de la caillette de veau pour faire cailler le lait. Auparavant, le caillage devait se faire à l’aide de plantes ou de lactosérum.
Au xviiie siècle, la demande fait augmenter la production. Des fruitières sont donc ouvertes dans les zones moins montagneuses. Leur nombre s’élève à 700.
Au cours du xixe siècle, l’avènement du chemin de fer permet de vendre à de plus grandes distances, tandis que le prix du blé chute à cause de l’arrivée de blés de la plaine. Ces deux phénomènes favorisent la mise en valeur des herbages. À la fin du siècle, près de 1 800 fruitières produisent du gruyère de Comté. À cette époque de grands changement interviennent. Les bâtiments de transformation sont modernisés, avec des outils de production performants. Ces investissements créent des regroupements et en 1914, il ne reste que 500 fruitières. Durant la première guerre mondiale, les hommes mobilisés sont remplacés par des Suisses.
Durant le xxe siècle, la production continue sa modernisation et les regroupements se poursuivent. En 2005, 175 transformateurs se partageaient la production : 138 coopératives et 37 industriels.
En janvier 1958, le comté est le premier fromage français à recevoir une appellation d’origine contrôlée (AOC). Cette appellation garantit le respect d’un ensemble de critères concernant les procédés traditionnels d’élevage, de fabrication et d’affinage. Ces critères se durciront progressivement (décrets du 14 janvier 1958, du 17 juillet 1958, du 30 mars 1976, du 7 décembre 1979, du 29 décembre 1986, du 30 décembre 1998, du 11 mai 2007).
L’appellation d’origine contrôlée comté est régie par un décret dont la dernière version date du 11 mai 2007. Ce texte réglementaire est une règle commune que se sont imposés les producteurs de comté. Ces règles reprennent des usages anciens qui ont créé la notoriété du comté. Le respect de ce décret est une des conditions préalables à la fabrication et à la vente de fromage portant le nom de « comté ». L’aire d’appellation couvre des parties de cinq départements : l’Ain, le Doubs, le Jura, la Saône-et-Loire et la Haute-Savoie. Même si ce fromage est majoritairement produit dans la région Franche-Comté, il est aussi produit en Bourgogne (Saône-et-Loire) et en Rhône-Alpes (Ain et Haute-Savoie).
À son arrivée à l’unité de production, le lait est stocké dans de grands réservoirs réfrigérés, afin de mélanger les laits collectés dans plusieurs exploitations agricoles. Le comté fermier n’existe pas1 ; un fromage est fermier quand il est fabriqué avec le lait d’une seule ferme.
Une fois assemblé, le lait est tiédi et partiellement écrémé (étape dite de maturation). La température ne peut pas être portée au delà de 40 °C (sinon, le lait ne serait plus cru). Le fromager ajoute quelques centilitres de présure naturelle, issue de la caillette de veau) Elle transforme le lait en un bloc compact, le caillé, par clivage d’une protéine spécifique du lait responsable de son maintien à l’état liquide sous l’action de la chymosine, une enzyme naturellement présente dans la présure. Il est aussi ensemencé en levain de type thermophile, en majeure partie des lactobacilles. Seule la présure et des cultures sélectionnées de ferments sont autorisées. Tout autre additif est interdit par décret1.
Le fromager découpe ensuite ce bloc de caillé en grains de plus en plus fins, de manière à faire sortir le sérum ; les grains sont brassés et chauffés à partir de 53 °C jusqu’à 56 °C pendant 30 minutes, puis on procède encore à 30 minutes de brassage à cette température (on utilise l’expression « sécher le grain »).
Les cuves destinées à cette opération doivent être obligatoirement en cuivre et leur capacité ne doit pas dépasser 5 000 litres. Dans chaque atelier, il doit y avoir au moins deux cuves et le nombre de cuves est limité à cinq cuves par fromager. Ces conditions sont destinées à permettre aux opérateurs de pratiquer correctement toutes les opérations du caillage. Chaque cuve ne peut servir que trois fois en 24 heures. Entre deux cuvées, elle doit être brossée, lavée et rincée.
Le caillé est ensuite soutiré puis déversé dans des moules. L’ajout de la plaque de caséine de marquage se fait à ce stade de fabrication. Les fruitières modernes utilisent pour cela un groupe sous vide, pour remplir conjointement jusqu’à dix moules. Il reste du lactosérum (ou petit-lait) dans la cuve. Sous-produit de l’industrie laitière, il était autrefois donné aux cochons11. Sa richesse en calcium et son acidité étaient recherchés. Il constituait le liquide de la soupe, épaissie avec de la farine, des pommes de terre, des châtaignes…
Le caillé est ensuite pressé. Le décret d’appellation précise que la pression exercée doit être d’au moins 100 g/cm2 et durer au moins 6 heures1. Démoulés, les fromages, blancs et souples, partent à l’affinage.
Le fromage subit un long séjour en cave de préaffinage au sein de la fruitière, puis d’affinage éventuellement dans d’immense caves regroupant la production de nombreuses fruitières. À ce stade, le fromage a déjà sa forme définitive et peut porter le nom de meule.
L’affinage débute par le salage. Il peut se faire par trempage en saumure ou salage au sel sec sur les deux faces et le talon. Dans les 36 heures, il est frotté avec de la morge. (levain constitué de bactéries qui vont former la croûte en conférant au fromage une partie de ses arômes) La maturation se fait en caves froides (10 à 15 °C) et avec un taux d’hygrométrie supérieur à 90 %. Le fromage est posé directement sur une planche d’épicéa. Au cours de cette longue maturation, il fait l’objet de soins attentifs (frotté et salé régulièrement), permettant à des réactions de protéolyse, de lipolyse et de fermentation de déclencher le développement organoleptique qui s’opère ainsi naturellement au fil des mois. Sa maturation est au minimum de 4 mois1, mais elle est souvent de 8 à 10 mois, voire plus 18-24 mois. Les comtés peuvent atteindre un affinage de 36 mois.
L’affinage est surveillé attentivement par l’opérateur. Il dispose d’un petit marteau ; le son rendu par le fromage est révélateur du stade d’affinage. Pour contrôler ce vieillissement, l’affineur utilise une sonde creuse. Il prélève un fin cylindre de fromage pour en évaluer la couleur, les arômes, éventuellement le goût. Après cette opération, il remet en place le prélèvement de comté dans la meule. Cette surveillance est capitale : en début d’affinage, la durée de cette phase n’est pas prédéterminée. Elle se fait en fonction de l’évolution de chaque meule.
Le comté est élaboré artisanalement dans plus de 190 petites fromageries de village, les « fruitières », le plus souvent des coopératives qui collectent chaque jour le lait des fermes alentour. Le mot fruitière vient du latin fructus, lieu où les paysans mettaient en commun le fruit de leur travail. Sans cette mise en commun, cette forme de solidarité, jamais des fromages nécessitant450 litres de lait ne pourraient être fabriqués dans des régions où la majorité des exploitations est de type familiale. Si aujourd’hui celles-ci pourraient se le permettre (un quota moyen de300 000 litres par an permettrait la fabrication d’environ deux meules par jour), la tradition séculaire des fruitières est restée, gardant ainsi beaucoup de typicité quand, deux fois par jour, les paysans amènent leur production dans des « bouilles à lait » attelées à leur voiture ou tracteur. C’est un camion-citerne qui fait la tournée dans les fermes les plus éloignées du village.
Les meules de comté sont marquées afin d’en assurer la traçabilité : on peut retrouver pour chaque fromage la fromagerie d’origine ainsi que le numéro de lot, c’est-à-dire la cuve et le jour de fabrication, qui donneront des fromages identiques entre eux.
Chaque meule de comté fait l’objet d’une notation sur 20 points. Cette notation sanctionne le goût mais aussi l’aspect physique de la meule. Les meules qui obtiennent une note supérieure à15 points reçoivent une bande verte. Les meules qui obtiennent une note comprise entre 12 et 15 points reçoivent une bande brune ; elle peut sanctionner un léger défaut d’aspect sur un fromage par ailleurs excellent.
Les meules qui n’atteignent pas la note de 12 sont quant à elles retirées des lots « comté » et destinées à la fabrication de fromages fondus (tels que La vache qui rit, le Kiri, et autres produits de l’usine du Groupe Bel à Lons-le-Saunier).
Vert ou brun, tous les deux sont d’authentiques comtés dont l’âge minimum est de 4 mois.
La couleur verte de la bande indique une note supérieure à 15
La couleur brune :une note entre 12 et 15
La production totale est de 43 000 tonnes en 1997 à 51 000 tonnes tonnes en 2006 produites artisanalement dans 190 fruitières. Après une longue période de croissance, la production de 2008 est attendue en baisse à cause d’un manque de lait.
C’est un aliment riche en phosphore, en calcium, en potassium et en protéines. Sa période de dégustation optimale s’étale de juillet à septembre après un affinage de 8 à 12 mois, mais il est aussi excellent de juin à décembre. Les comtés fabriqués à partir de lait produit en hiver seront plus secs et plus forts que ceux produits à partir de lait produit au printemps, où le lait est plus gras et plus fruité. Cela dépend de l’alimentation des vaches : du foin en hiver, de l’herbe et des fleurs variées au printemps.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.