L’ex-prostituée la Païva
Posté par francesca7 le 11 janvier 2014
inaugure fastueusement son hôtel sur les Champs-Élysées
La petite juive moscovite, ex-prostituée, demi-mondaine et cousine de Bismarck par alliance, inaugure une demeure aussi chargée qu’elle est fardée.
Depuis plusieurs semaines, le Tout-Paris ne parle que de ça : le palais érigé sur les Champs-Élysées par « la Païva », cette aventurière qui s’est fait épouser par le richissime cousin de Bismarck. Le 31 mai 1867, elle pend la crémaillère. Il faut absolument en être. Écrivains, journalistes, aristocrates, hommes du monde et du demi-monde se bousculent devant la grille d’entrée. Jack Lang arrive dans la foulée des frères Goncourt. Tous s’extasient en découvrant le luxe tapageur de l’hôtel particulier de style Renaissance italienne conçu par l’architecte Pierre Magnin. Le mauvais goût de la décoration confine au génie. Valérie Damidot a trouvé son maître…
« Un Louvre du c… »
La Païva, 48 ans, accueille ses invités en haut d’un immense escalier en onyx jaune, unique au monde, gardé par une statue en marbre représentant Virgile. À l’intérieur, ce n’est que luxe et volupté, digne d’une ancienne cocotte. Chacun s’extasie sur la salle de bains de style mauresque, dont la pièce maîtresse est une baignoire taillée dans un bloc d’onyx jaune (encore !) de 900 kilos. Les robinets sont, forcément, en or incrusté de pierres précieuses. Une deuxième baignoire en argent est dotée d’un troisième robinet pour faire couler… lait ou champagne. Chaque pièce est surchargée en peintures, sculptures et fresques. Dans leur journal, les frères Goncourt dénoncent un « Louvre du c… » avec « ces peintures faites et encore à faire, destinées à figurer la fortune de la courtisane, commençant à Cléopâtre et finissant à la maîtresse de la maison aumônant des égyptiaques ». Ils dénoncent encore « la surcharge de son mauvais goût Renaissance ».
C’est l’heure pour les invités de passer à table. La méchanceté des deux frères trace un joli portrait de leur hôtesse : « Je la regarde, je l’étudie. Une chair blanche, de beaux bras et de belles épaules se montrant par-derrière jusqu’aux reins, et le roux des aisselles apparaissant sous le relâchement des épaulettes ; de gros yeux ronds ; un nez en poire avec un méplat kalmouk au bout, un nez aux ailes lourdes ; la bouche sans inflexion, une ligne droite, couleur de fard, dans la figure toute blanche de poudre de riz. Là-dedans des rides, que la lumière, dans ce blanc, fait paraître noires, et, de chaque côté de la bouche, un creux en forme de fer à cheval, qui se rejoint sous le menton qu’il coupe d’un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d’une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans et qui prend, par instants, je ne sais quoi de terrible d’une morte fardée. »
Rousse incendiaire
Cette femme qui assomme Paris sous un luxe indécent est née en 1819 à Moscou dans une misérable famille juive d’origine polonaise. Elle s’appelle alors Esther Lachmann. À 17 ans, ses parents lui font épouser Antoine Villoing, un petit tailleur français installé en Russie. Le temps de lui faire un enfant, elle l’abandonne pour suivre un amant jusqu’à Paris. Sur les conseils de sa copine de trottoir Zahia, elle prend le nom de Thérèse. Ambitieuse, elle se taille une excellente réputation de prostituée, à l’ombre de l’église de Notre-Dame-de-Lorette. Sa chance, c’est d’être remarquée par le célèbre pianiste Henri Herz, qui tombe raide dingue de cette rousse incendiaire. Il lui loue un appartement, l’habille, la couvre de bijoux. Il lui fait rencontrer Liszt, Wagner, Théophile Gautier, Émile de Girardin. Le gratin culturel de l’époque. L’hétaïre et le pianiste ont bientôt une petite fille dont ils se débarrassent rapidement chez les parents d’Herz.
Pour poursuivre son ascension mondaine, Thérèse abandonne son pianiste pour se rendre à Londres, où elle croque les nobles anglais avec l’appétit d’une Carla du temps de sa splendeur. À 30 ans, elle regagne Paris pour épouser, trois ans plus tard, Albino-Francesco, marquis Araújo de Païva, son mari de Moscou ayant eu la bonne idée de mourir entre-temps. Du marquis, elle garde le titre, mais pas l’homme. Elle enchaîne alors les amants fortunés qu’elle s’ingénie à mettre sur la paille avec leur consentement extasié. Elle remplit à merveille son rôle de demi-mondaine. Elle atteint son Graal en se faisant épouser par le comte Guido Henckel von Donnersmarck, cousin de Bismarck et propriétaire de nombreuses mines.
La voilà devenue suffisamment riche pour tenir la promesse qu’elle s’était faite quelques années auparavant. Celle de se bâtir « la plus belle maison de Paris » à l’endroit où un de ses amants de passage l’avait jetée de son fiacre. C’est chose faite pour 10 millions de francs-or. Une véritable fortune pour l’époque. L’hôtel existe toujours au 25, avenue des Champs-Élysées.
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