L’INTELLIGENCE DE L’OIE, SON CARACTÈRE ET SES VERTUS
Posté par francesca7 le 26 décembre 2013
Pourquoi dit-on : bête comme une oie ? Rien n’est plus injuste que cette expression proverbiale. L’oie surpasse, au contraire, en intelligence la plupart des autres oiseaux domestiques ; elle ne cherche querelle à aucun d’eux, ni à personne ; elle a l’instinct éminemment sociable et docile ; elle est enfin, comme l’a dit Buffon, « dans le peuple de la basse-cour, un habitant de distinction. »
Quand on la conduit au pâturage, un seul gardien suffit pour toutes les oies du village ; le matin, il les réunit au son de son cornet, et quand il les ramène à l’heure où le jour tombe, chaque bande sait bien retrouver son logis . Une oie qu’on emporte dans un panier bien fermé, bien enveloppé, vers une nouvelle habitation, sait parfaitement s’orienter et revenir chez son ancien maître, en dépit des précautions qu’on a prises pour l’empêcher de reconnaître son chemin.
Ni le temps, ni la distance ne lui font perdre le souvenir de ce maître, de sa demeure et de ses bons procédés. Le savant docteur Sanchez raconte que, revenant d’Azof, dans l’automne de 1736, et voyageant à petites journées sur les bords du Don, il prenait gîte, chaque nuit, dans des villages de Cosaques. Tous les jours, au coucher du soleil, des troupes d’oies, arrivant des contrées septentrionales les plus éloignées où elles avaient vécu tout l’été à l’état sauvage, venaient s’abattre dans les habitations qui les avaient reçues et hébergées l’hiver précédent. Elles amenaient avec elles toute leur progéniture de l’année. « J’eus constamment ce spectacle, chaque soir, durant trois semaines, dit-il ; l’air était rempli d’une infinité d’oies, qu’on voyait se partager en bandes. Les filles et les femmes, chacune à la porte de leur maison, les regardant, se disaient : Voilà mes oies, voilà les oies d’un tel ; et chacune de ces bandes mettait, en effet, pied à terre dans la cour où elle avait passé l’hiver précédent. »
Chez l’oie, le sentiment de l’amour maternel est développé au plus haut degré. Quoiqu’elle ne doive faire qu’une ponte par an, elle en fait une seconde si ses oeufs lui sont enlevés, et parfois même une troisième. Elle couve si assidûment qu’elle en oublie le boire et le manger. « Elle conduit ses petits avec une sollicitude affectueuse, leur indique avec tendresse et empressement la nourriture de choix, les rappelle au moindre danger et montre une véritable intrépidité quand il s’agit de les défendre contre les oiseaux de proie ou contre toute agression étrangère » Parmi ces bonnes bêtes, pas de mères dénaturées, jamais de petits abandonnés, tandis que chez d’autres bipèdes, les hospices d’enfants-trouvés sont toujours insuffisants.
Nulle sentinelle n’est plus sûre et plus vigilante. Vous ne verrez jamais plusieurs oies réunies dormir toutes à la fois : il y en a toujours une qui, le cou tendu, la tête en l’air, examine, écoute, veille et jette, à la moindre apparence de danger, le cri d’alarme. Une acclamation générale y répond, et le salut de tous est assuré. On a vu des gardes nationaux s’endormir dans une guérite. Jamais une oie en faction n’a commis cette énormité. Aussi, les rondes de jour et de nuit sont-elles inconnues parmi les palmipèdes, tandis qu’elles sont indispensables pour assurer l’insomnie réglementaire de la garde civique et même des meilleures troupes !
L’oie a sur les soldats un autre avantage. Les étapes de ceux-ci ne dépassent guère sept à huit lieues par jour ; l’oie domestique, malgré la lenteur apparente de sa marche, en fait, à pied, jusqu’à douze ou quinze, et même davantage, sans avoir l’air de se presser ; c’est ce qu’atteste Salerne, dans son Histoire des Oiseaux .
Tous les naturalistes anciens et modernes ont rendu hommage à la sobriété de l’oie. « Les bonnes ménagères, disait Belon, au XVIe siècle, sachant bien que la nourriture des oies est de moult grand profit, en font une grande estime pour ce qu’elles ne font aucune dépense. » Beaucoup de profit et peu de dépense ! O Harpagon ! combien tu devais en avoir dans ta basse-cour ! O fainéants, qui dépensez beaucoup et ne produisez rien… rougissez ! et n’ayez pas la présomption de vous comparer à l’utile animal, que vous poursuivez aussi de vos sarcasmes !
L’oie est d’une propreté recherchée. Sa toilette n’est pourtant pas compliquée : une petite vésicule de graisse, placée près de la queue, suffit à lustrer tout son plumage ; mais c’est bien d’elle que l’on peut dire, avec le poète latin : Simplex munditiis ! Quelle petite-maîtresse, avec son blanc et son rouge sur les joues, son noir autour des yeux (on revient, hélas ! à ces affreux badigeonnages), avec tous ses cosmétiques, toutes ses pâtes, toutes ses odeurs et tous ses bains parfumés, enfin, avec tout son mundus muliebris, je veux dire avec tout son matériel de toilette et ses atours, approchera jamais de la blancheur irréprochable, simple, unie, virginale et surtout inodore de la robe de notre aimable oiseau ?
Ces détails de coquetterie nous conduisent naturellement à expliquer, ce que l’on entend par la petite oie. Au propre, ce sont les ailerons, le cou, le foie, enfin ce qu’on appelle en langage vulgaire les abatis. Au figuré, ce sont les rubans, les gants et les menus accessoires d’un habillement. « Que vous semble de ma petite oie ? » demande le marquis de Mascarille à Cathos et à Madelon, « la trouvez-vous congruente à l’habit ? » Et, pour répondre lui-même à sa question, il vante aux précieuses ridicules la richesse de ses plumes, l’élégance de ses rubans et de ses canons. Il les invite même à « attacher la réflexion de leur odorat » sur ses gants et jusque sur la poudre de sa perruque. Cette expression « la petite oie » avait aussi une signification dans le vocabulaire de la galanterie ; mais cette acception est tout-à-fait tombée en désuétude. Quel plus bel hommage pouvait-on rendre, cependant, à la pureté du sentiment des oies que de donner leur nom aux « faveurs légères » par allusion, sans doute, aux gracieuses caresses que se prodiguent nos chers oiseaux dans leurs innocentes tendresses ?
L’oie a le coeur tendre, je viens d’en convenir ; mais il ne faut pas croire qu’elle s’abandonne pour cela aux égarements et aux entraînements instantanés des sens ! Ses moeurs sont pures. Tous ceux qui ont eu le bonheur de fréquenter les bêtes, savent qu’elle connaît la pudeur et ne s’écarte point des lois de la décence. Jamais on ne l’a vue suivre, à cet égard, les déplorables exemples des gallinacées. Ne craignez pas non plus que son heureux vainqueur célèbre impudemment ses succès, comme le coq, par ses chants de victoire ! Non ! Les amours de l’oie sont essentiellement honnêtes et discrètes. Les oies du frère Philippe pourraient-elles toutes en dire autant ?
Si l’amour est commun à tous les hommes et à toutes les bêtes, il n’en est pas de même de la reconnaissance et de l’amitié, sentiments plus élevés et qui n’appartiennent qu’aux espèces d’élite. O ma bonne oie !
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille….
Oui, tu mériterais, comme Arcas, d’entendre ces paroles du Roi des rois, car tu es, comme lui, fidèle et dévouée. N’en riez pas, Messieurs : l’oie s’attache à son maître, le reconnaît, accourt au son de sa voix, lui témoigne sa joie de le revoir après quelques heures d’absence et le suit comme un chien. « Elle est capable, dit Buffon, d’un attachement personnel très-vif et très-fort, et même d’une amitié passionnée qui la fait languir et dépérir loin de celui qu’elle a choisi pour l’objet de son affection. » En veut-on un exemple ? Le voici : Le concierge du château de Ris, appartenant à M. Anisson-Duperron, avait sauvé des dangers d’un combat inégal, un jars (oie mâle), qui s’en montra profondément reconnaissant. Du plus loin qu’il apercevait son libérateur, Jacquot (c’était le nom du jars) accourait à lui, tendait son cou pour solliciter une caresse et s’en montrait joyeux dès qu’on la lui avait accordée. Le concierge, se rendant un jour aux bois d’Orangis, avait enfermé l’oiseau dans le parc. Jacquot parvint à passer par-dessus les murs, rejoignit son ami qui avait déjà parcouru plus d’un kilomètre, le suivit partie à pied, partie au vol, depuis dix heures du matin jusqu’à huit heures du soir, dans toutes les allées du bois, et dès lors ne voulut plus le quitter, l’accompagnant partout, au point d’en devenir importun, et d’aller, un jour, le rejoindre jusque dans l’église ; puis, un autre jour, dans la chambre de M. le curé où Jacquot, en retrouvant son maître, jeta un cri de joie si bruyant qu’il fit grand peur au pauvre pasteur.
« Je m’afflige, dit une notice du brave concierge, quand je pense que c’est moi qui ai rompu une si belle amitié… Le pauvre Jacquot croyait être libre dans les appartements les plus honnêtes comme dans le sien, et après plusieurs accidents de ce genre, on me l’enferma et je ne le vis plus ; mais son inquiétude a duré plus d’un an, et il en a perdu la vie de chagrin. Il est devenu sec comme un morceau de bois, et l’on m’a caché sa mort jusqu’à plus de deux mois après qu’il a été défunt… Il est mort dans la troisième année de son règne d’amitié ; il avait en tout sept ans et deux mois . »
Je pourrais citer d’autres preuves de l’intelligence et de la bonté des oies.
« Le docteur Jonathan Franklin a vu une oie d’Écosse qui suivait son maître comme le chien le plus fidèle, et qui le reconnaissait toujours, quelque travestissement qu’il prît.
Une autre oie (et le fait est plus touchant encore) se voua au service de sa pauvre vieille maîtresse, devenue aveugle, au point de la tirer par la robe avec son bec, pour la conduire sûrement partout où elle voulait aller. C’était en Allemagne. Un jour, dit Franklin, le pasteur alla rendre visite à la dame, qui était sortie ; mais il trouva la fille et lui témoigna quelque surprise de ce qu’elle laissait sa mère s’aventurer ainsi toute seule. – Ah ! Monsieur, répondit-elle, nous ne craignons rien ; ma mère n’est pas seule, puisque le jars est avec elle ! – Les dimanches, l’oiseau conduisait l’aveugle à l’église, puis se retirait dans le cimetière pour brouter l’herbe en attendant l’issue du service divin. »
Qu’on m’aille soutenir, après un tel récit,
Que ces bêtes n’ont point d’esprit !
Mais alors, encore une fois, pourquoi dit-on bête comme une oie ? Serait-ce, par hasard, parce qu’elle se dandine un peu en marchant ? Mais le canard, plus bas sur pattes, se dandine bien davantage !….. Et puis, après tout, le dandinement de l’oie n’est pas absolument dépourvu de grâce. Le plus élégant écrivain du siècle dernier a mis au nombre des caractères qui constituent la distinction de cet oiseau « sa contenance, son port droit, sa démarche grave . »
Le dandinement appartient, parmi les hommes, à presque tous les gros personnages. Il contribue à leur donner un air d’importance et de gravité en rapport avec leurs fonctions, et peut-être ne faut-il pas chercher d’autre raison du nom de Dandin, donné par Racine à toute une dynastie de respectables magistrats :
Regarde dans ma chambre et dans ma garde-robe,
Les portraits des Dandins ; tous ont porté la robe ! .
Plus vous monterez les degrés de l’échelle sociale, plus vous serez frappés de la vérité de l’observation que je viens de vous soumettre. Et s’il vous est jamais arrivé de vous trouver sur le passage d’un roi très-puissant, vous avez dû remarquer qu’il ne marchait pas autrement. Je suis même persuadé qu’à sa cour, le dandinement devait être de très-bon goût, et qu’il n’était pas de courtisan, si maigre fût-il, qui ne marchât en écartant les jambes, et en portant alternativement à droite et à gauche le poids de son corps. Là, tous les gens bien pensant se dandinaient indubitablement, et la démarche sui generis, qu’on reproche chez nous aux palmipèdes, y serait restée en honneur si tous les rois avaient la même corpulence. Malheureusement, il en est des souverains comme des jours de la semaine ; ils se succèdent et ne se ressemblent pas : les uns sont gras, les autres sont maigres, en sorte que la mode la plus élégante n’a le temps de se fixer nulle part…..
Mais encore un coup, me dira-t-on, vous n’avez pas résolu la question posée en tête de ce chapitre : Pourquoi dit-on bête comme une oie ?… – Pourquoi ?… Messieurs, je l’ignore absolument, et si quelqu’un de vous le sait, il me fera plaisir de me l’apprendre.
Source : BATAILLARD, Ch. : L’Oie réhabilitée.- Caen : F. Le Blanc-Hardel, 1865.- 40 p. ; 22,5 cm.- (Extrait des Mémoires de l’Académie impériale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen).
Très bel article, j’ai la chance de vivre une belle histoire d’amour et d’amitié pure et sincère avec une oie.
Je suis vraiment surprise de découvrir leur intelligence leur mémoire et leur caractère.
Elles n’ont rien à envier aux chiens et aux chats point de intelligence et élans d’affection.
C’est un super animal en tout cas moi j’adore.