Le fromage au lait cru à travers les époques
Posté par francesca7 le 19 décembre 2013
Pendant 20 siècles, le seul lait disponible était le «lait cru ». Le lait cru est le lait à son état le plus naturel. Il n’est pas chauffé avant transformation et doit être utilisé dans les 12 heures qui suivent la traite.
Il peut attendre 24 heures à condition d’être réfrigéré immédiatement à 4°C. Le lait cru, qui contient des bactéries naturelles, donne au fromage des parfums variés et raffinés, et une texture recherchée. La plupart des fromages fermiers sont au lait cru, dont l’emploi est d’ailleurs obligatoire pour l’obtention de nombreuses AOC.
Travailler au lait cru implique que l’on transforme vite après la traite ; cela reste donc l’apanage des fermes ou des ateliers artisanaux.
Les constituants du lait sont identiques pour toutes les espèces animales qui en produisent, mais il existe des différences de proportions. Ainsi, le lait de vache contient en moyenne 87% d’eau et 13% de matières sèches, c’est-à-dire d’éléments nutritifs. Ce rapport est à peu prés le même pour le lait de chèvre. En revanche, le lait de brebis est plus riche, puisqu’il comporte près de 20% de matières sèches.
Si le lait est collecté sur un grand rayon de ramassage, la pasteurisation devient obligatoire, pour d’évidentes et réelles raisons sanitaires. Le lait est alors pasteurisé.
La pasteurisation consiste à chauffer le lait à une température donnée pendant un temps donné (environ 72°C pendant 15 secondes), puis de le refroidir rapidement. Elle permet de détruire la majeure partie des bactéries et des agents pathogènes. De cette manière, la pasteurisation permet de prolonger la durée de vie du fromage: il se conserve plus longtemps, mais il perd tant en typicité qu’en qualités physico-chimiques et organoleptiques.
On détruit alors toutes les flores spécifiques, celles qui apportent justement au fromage le goût de son terroir.
A tort, l’industrie laitière et surtout sa publicité, affirme depuis longtemps que le goût des consommateurs change et qu’ils préfèrent «a cheese with a mildflavour», «un fromage doux». Dans le monde médiatique et plein de mensonges dans lequel nous sommes contraints de vivre, ce mensonge-là est l’un des plus «hénaurmes» qui soit. Toutes les observations de consommateurs montrent qu’un fromage à l’arôme développé est un régal, un produit délicieux qui a plus de succès qu’un fromage sans arôme.
Les qualités sensorielles, nutritionnelles et hygiéniques des produits laitiers dépendent de nombreux facteurs : l’animal (race, stade physiologique, état sanitaire), le milieu (saison, alimentation) ainsi que les procédés de traitement et de transformation du lait après la traite.
Les résultats obtenus depuis une dizaine d’années démontrent que l’animal et la nature de son alimentation ont un effet sensible sur les caractéristiques sensorielles des fromages affinés. Ces facteurs sont plus ou moins liés au milieu physique. C’est le cas de la nature des rations : certains fourrages ne peuvent être cultivés en altitude. A l’inverse, certaines compositions de prairies ne se rencontrent qu’en montagne. Les chercheurs de l’INRA ont montré que le mode de conservation et la composition floristique des fourrages peuvent modifier de manière significative les caractéristiques sensorielles des fromages. Ainsi, des fromages issus de lait d’ensilage d’herbe sont plus jaunes que des fromages issus de lait de foin. Par ailleurs, une ration hivernale de montagne, à base d’ensilage d’herbe et de foin de prairie naturelle conduit à un fromage moins ferme, moins jaune et moins « typé » qu’un fromage issu du même troupeau pâturant de l’herbe verte au printemps.
L’orientation ou l’altitude d’un alpage, qui se traduit par des compositions floristiques très variées conduit à des différences de texture et de flaveur des fromages. Si les écarts les plus importants opposent les prairies de plaine à celles de montagne, il existe aussi une variabilité au sein des pelouses d’alpage. La texture des fromages est plus cohésive, élastique et déformable en plaine qu’en montagne.
L’effet de l’alimentation sur les caractéristiques sensorielles des fromages peut être direct, dû à des molécules présentes en quantités variables dans les aliments : c’est le cas de la couleur qui dépend de la teneur en carotènes du lait, elle-même liée à la teneur en carotènes des fourrages. Celle-ci peut varier de 1 à 10 selon le type et le mode de conservation du fourrage : l’ensilage de maïs est très pauvre en carotènes contrairement à l’herbe verte. Le séchage et la conservation de l’herbe entraînent une diminution des teneurs en carotènes d’autant plus importante que l’exposition à la lumière a été plus longue et intense.
Certaines molécules spécifiques du monde végétal ont des propriétés odorantes reconnues. Il s’agit en particulier des terpènes (par exemple, le pinène a une odeur de pin). Les terpènes sont beaucoup plus abondantes chez certaines espèces végétales, telles que les dicotylédones (achillée millefeuille, fenouil des alpes…). L’introduction de ces espèces dans la ration des vaches se traduit par une présence accrue de ces composés dans le lait et les fromages. Cependant, cette augmentation de leur teneur dans les fromages ne semble pas suffisante pour s’accompagner d’effet direct important sur la flaveur.
L’effet de l’alimentation peut aussi être indirect : en modifiant fortement les teneurs et la composition des macro-éléments du lait, en particulier les matières grasses, l’alimentation conduit à des différences de texture des produits laitiers. Elle peut aussi modifier la teneur en certaines enzymes protéolytiques du lait, telle que la plasmine, qui, durant l’affinage, ont une activité importante et modifient le goût et la texture des produits finaux. Enfin, il est possible que certains composés issus de l’alimentation, les terpènes par exemple, modifient les activités des micro-organismes responsables de la transformation du lait en fromage et donc des caractéristiques sensorielles dufromage.
L’alimentation des animaux est un levier d’action souple et rapide sur un nombre élevé de composés, pouvant avoir des répercussions importantes sur les caractéristiques sensorielles mais aussi nutritionnelles ou hygiéniques du lait et du fromage.
Certaines différences de texture observées avec des animaux de génotypes différents apparaissent dès la coagulation du lait. C’est le cas en particulier des différences liées au variant C de la caséine beta; ce dernier conduisant à des micelles de caséines de plus grand diamètre, plus pauvres en calcium qui, lors de la coagulation par la présure, ont un comportement atypique se traduisant par l’obtention d’un caillé moins ferme et des pertes de matières grasses importantes dans le lactosérum. Ces observations expliquent que les fromages issus de ce variant soient moins gras, plus fermes et moins élastiques. Le polymorphisme des lactoprotéines se traduit aussi par une modification dans la séquence des acides aminés qui peut affecter la cinétique et les produits de protéolyse des caséines et engendrer ainsi des modifications supplémentaires de la texture, de la saveur ou de l’arôme des fromages.
Des variations dans la concentration de certains composés synthétisés par l’animal selon la nature de son alimentation permettent également d’expliquer une partie des différences observées. Il s’agit en particulier de la composition de la matière grasse du lait (longueur de la chaîne carbonée et degré d’insaturation) fortement dépendante de l’alimentation des animaux et qui explique en partie les différences de texture relevées entre les fromages de plaine et de montagne. Il s’agit également d’enzymes comme la plasmine qui sont impliquées dans les processus biochimiques de l’affinage des fromages, en particulier à pâte pressée cuite. Une partie des différences de texture et de flaveur sont à relier à l’activité de la plasmine, très variable d’une situation à l’autre. L’augmentation de la teneur du lait en plasmine pourrait être due à une augmentation de la perméabilité cellulaire du tissu mammaire sous l’effet de l’ingestion de certaines espèces particulières (Renonculacées), présentes uniquement dans certains types de prairies. Par ailleurs, la composition du lait en acides gras est différente entre pâturages de plaine et de montagne.
Ces résultats constituent pour les filières fromagères, et en particulier pour les filières de fromages d’AOC, une démonstration de l’existence d’un lien entre les caractéristiques sensorielles du produit et quelques-unes des composantes du terroir. Ce sont également des éléments objectifs importants pour réfléchir à l’évolution des cahiers des charges en matière de conditions de production du lait. Ils renvoient aux mesures à mettre en œuvre pour faire évoluer ou maintenir certaines caractéristiques spécifiques des conditions de production (par exemple le maintien de la biodiversité des prairies) afin que le fromage reflète au mieux l’originalité et la richesse du territoire où il est produit. Cette approche analytique est fondamentale pour mettre en évidence et comprendre les effets, mais à terme, il faudra également mieux resituer ces facteurs dans les effets globaux des systèmes de production du lait, dans la mesure où, en pratique, les facteurs étudiés ne sont pas indépendants d’autres facteurs qui pourraient interagir à l’échelle de l’exploitation (niveau de production des animaux, etc.). Les conséquences des différentes pratiques de production sur la pérennité des exploitations et des filières doivent également être évaluées.
Il est vraisemblable que certaines technologies fromagères soient plus aptes à exprimer l’effet des facteurs d’amont que d’autres et que des pratiques fromagères telles que l’écrémage partiel, la pasteurisation ou encore des paramètres technologiques jouant un rôle sur les cinétiques d’acidification ou d’égouttage puissent masquer partiellement des effets des facteurs d’amont.
Une étude menée par l’INRA en 1995 etportant sur la comparaison de fromages expérimentaux de type pâte pressée cuite (technologie du Comté) fabriqués en parallèle à partir de lait cru et de lait pasteurisé a montré, après quatre mois d’affinage, des différences significatives entre les deux populations de fromages. Les deux phénomènes biochimiques majeurs rencontrés au cours de l’affinage de ce type de fromage étaient réduits de 15% et 80% dans les fromages au pasteurisé, respectivement pour la protéolyse fine et la fermentation propionique. Une baisse de l’intensité du goût, de la typicité, de l’acide-piquant ainsi qu’une augmentation de l’amertume et du mauvais goût ont également été observées dans ces fromages.
Les effets de la microflore du lait et de l’alimentation des vaches ont également été étudiés sur des fromages à pâte pressée non cuite (type Cantal) fabriqués à partir de lait cru ou pasteurisé, issu de vaches, soit alimentées en prairie naturelle très diversifiée soit, recevant 35% de foin de prairie naturelle et 65% de concentrés. Après quatre mois d’affinage, l’intensité de l’arôme et sa diversité étaient plus marquées dans les fromages au lait cru que dans les fromages au lait pasteurisé. La diversité aromatique liée à l’alimentation des vaches disparaissait dans les fromages au lait pasteurisé.
Conclusion
En résumé : La comparaison de fromages expérimentaux fabriqués à partir de lait cru, lait pasteurisé (72°C-30 s) ou microfiltré (épuration du lait écrémé à 35°C, avec pasteurisation de la crème) a mis en évidence le rôle prépondérant de la microflore naturelle du lait cru sur la qualité finale des fromages. L’élimination de la microflore indigène du lait entraîne une diminution des processus biochimiques (protéolyse fine, fermentation) et de l’intensité aromatique des fromages.
Source : http://androuet.com/Le%20lait%20et%20le%20fromage-8-1-guide-fromage.html
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