COUP D’OEIL SUR LE PANORAMA DE LA TOUR EIFFEL AU 19ème siècle
Posté par francesca7 le 24 novembre 2013
(D’après Guide officiel de la Tour Eiffel, paru en 1893)
L’ascensionniste fera bien de commenter la visite du premier étage par une promenade sur les galeries extérieures. Le tour de ces galeries mesure 282m,76 de longueur, chaque côté ayant 70m,69. C’est donc une grande et belle promenade.
Si le visiteur est arrivé, par exemple, par la pile Ouest, il fera bien de commencer par la galerie qui fait face au pont d’Iéna et au Trocadéro, c’est le nouveau Paris, spacieux, élégant, borné par le Bois de Boulogne qui s’étend devant lui au second plan.
Passant à la galerie qui fait face à l’esplanade des Invalides, le visiteur aura sous les yeux le panorama du vrai Paris, du cœur de la Cité, avec les silhouettes imposantes des vieux monuments, et Montmartre au fond. La Madeleine, l’Opéra, Saint-Augustin, le Palais de l’Industrie, la place de la Concorde, le Louvre, la Tour Saint-Jacques, Notre-Dame, etc., se trouvent dans cette partie du panorama que traverse le cours de la Seine animé par des centaines de bateaux.
La galerie suivante – côté École militaire – embrasse le Champ de Mars tout entier, qui apparaît comme un magnifique plan en relief. Ce coup d’œil est merveilleux. Le dôme des invalides apparaît derrière celui des Beaux-Arts, avec Saint-Sulpice et le Panthéon plus à gauche. Peu de monuments au delà de l’École militaire : mais on a les Palais de l’Exposition à ses pieds, et cela suffit.
La quatrième galerie fait face à Grenelle. Et ce n’est pas le plus vilain côté des panoramas. Non par le nombre des monuments (il n’y en a pas), mais par la beauté pittoresque de ce côté de Paris. C’est le côté des couchers du soleil – et l’un sait que Paris a le privilège des plus beaux couchers de soleil.
Premier étage. Pourtour :
La Seine coupe ce panorama en deux parties bien distinctes. Sur sa rive droite, les riants coteaux de Passy ; sur la rive gauche, la noire ville des usines de Grenelle et de Javel. Le contraste est saisissant. La Seine est superbe de ce côté, toujours lumineuse. Elle est coupée dans sa longueur par cette singulière île des Cygnes, longue, étroite et régulière comme un ruban. C’est là, que s’élève la statue de la Liberté éclairant le monde, de Bartholdi. Au fond, le beau viaduc du Point-du-Jour fait tableau. A gauche, du côté de Meudon, l’on voit presque tous les jours s’élever des ballons. Ce sont les expériences d’aérostation militaire qui se font là-bas.
En route pour le second étage :
Si vous voulez monter au second étage en ascenseur, c’est l’ascenseur Otis qui vous y élèvera en une petite minute. A peine le temps de constater que les treillis de fer sont plus sveltes, plus espacés, et que le constructeur a allégé le poids à mesure que l’édifice s’élevait.
Si vous voulez vraiment jouir d’un coup d’œil merveilleux, de la transformation des choses ; si vous voulez savourer les impressions que vous donne cette admirable ascension, c’est à pied qu’il faut la faire, du moins, de temps à autre. Dans ce cas, il faut rejoindre l’escalier héliçoïdal de la pile Nord ou Sud consacré à la montée. Le bureau des tickets est derrière l’escalier. La montée est curieuse. Par exemple, arrêtez-vous vers la 160° marche, pour voir un des plus jolis mor-ceaux de Paris découpé par les entretoises. Le cadre est largement ouvert. L’on voit de Montmartre au Panthéon, Montmartre donne le sentiment de son altitude ; il se découpe encore sur le ciel au-dessus de l’horizon.
Si vous regardez au-dessous de vous, vous ne voyez que zinc et verre. Ce sont les toitures rondes des restaurants et des loggias des galeries extérieures du premier étage. Du milieu de ces couvertures brillantes, vous voyez sortir la pile Ouest. On perd le sentiment de l’élévation oit l’on se trouve et jusqu’au souvenir des pieds de le Tour, qui vont du sol au premier étage. Toute cette colossale construction du bas n’est plus appréciable, ayant disparu. Il semble que le premier étage soit un point de départ nouveau. Pour l’ascensionniste placé entre le premier étage et le second, la Tour semble partir du premier comme d’un sol nouveau.
Le second étage :
Sur cette seconde plate-forme l’emplacement se rétrécit, mais se compense largement par l’étendue du coup d’œil panoramique. Les choses de la terre deviennent minuscules, et, chose étrange, aucun vertige, aucune trépidation ou oscillation ne vous communique la sensation de la hauteur.
Un bar-brasserie (où l’on peut luncher excellemment), un photographe (avec son atelier aérien de pose), divers kiosques de vente de souvenirs y sont installés. On y trouve aussi un abri vitré, avec bureau pour la correspondance, des water-closets, etc.
Impressions d’un Piéton :
Pour pouvoir donner des impressions justes, j’ai plusieurs fois fait l’ascension du second au troisième par l’escalier. C’est en décrivant les impressions ressenties durant ces ascensions faites à pied que je serai le meilleur guide et conseiller pour les voyageurs de l’ascenseur.
L’escalier est héliçoidal ; il n’est pas livré au public. La distance qui sépare le second étage du plancher intermédiaire est de 80m,60. L’horizon s’étend démesu-rément. Ce ne sont, de toutes parts, que des tableaux merveilleux découpés par les treillis. Un album de vues variées à l’infini, dans d’innombrables cadres. Le fer n’est plus du tout gênant comme au-dessous. Les entretoises sont d’une légèreté extrême, et, dans les jours énormes dessinés entre ces croix de Saint-André, les fragments du panorama sont bizarrement découpés, comme des panneaux japonais.
Je m’arrête à mi-chemin, entre le second étage et le plancher intermédiaire, à peu près à 460 mètres de hauteur. Le Mont-Valérien et Montmartre perdent de leur hauteur, leurs sommets affleurent l’horizon. Au delà apparaissent déjà des coteaux jusqu’ici invisibles, des terres nouvelles.
Un phénomène curieux se produit, qui va en augmentant à mesure que l’on s’élève. Tandis que les choses éloignées semblent se rapprocher, celles qui sont au pied de la Tour semblent s’éloigner. Le Point-du-Jour, les panaches de fumée des chemins de fer de Versailles et de Ceinture paraissent plus près, et le Trocadéro plus éloigné. On distingue encore le bruit des voitures. Quelques martinets tournent autour de la Tour, un peu plus haut que le point où je me trouve, inquiets. Pensez donc ! un profane dans le monde des oiseaux !
Le Plancher intermédiaire :
Je reprends ma course. Me voici au plancher intermédiaire. Juste à 200 mètres du sol. C’est ici que les deux cabines do l’ascenseur Edoux échangent leurs voyageurs. Celle qui s’élève du second étage arrivera là, sous la même action mécanique et en même temps que celle qui descendra du troisième. A la rencontre, elles boucheront les deux trous béants que je vois ; et leurs planchers ne feront qu’un avec celui du balcon placé entre elles. Le balcon est divisé en deux parties. Sur l’une déboucheront les ascensionnistes de la cabine « montante » ; de l’autre sortiront les « descendants ». Si bien que chacune se remplira de ce qui sortira de l’autre.
Tout autour, une assez spacieuse terrasse où les ascensionnistes pourront faire une petite station de curiosité, entre deux trains, c’est le cas de le dire. L’ascenseur Edoux, logé entre trois montants qui portent les pistons, les câbles, les glissières et les tuyaux, est orienté de façon à avoir une cabine nord dans la direction de l’Arc de Triomphe et une cabine sud vers Grenelle. La cabine nord fait l’ascension supérieure du plancher intermédiaire au troisième, et la cabine sud fait le service inférieur. Ces cabines sont très vastes.
Du plancher, la vue est magnifique. On est plus près des fers de la Tour, et les découpures dans le panorama sont plus larges. Pauvre Montmartre ! pauvre Mont-Valérien ! L’horizon les dépasse maintenant, les submerge. Leurs silhouettes n’ont plus aucun commerce avec le ciel. Elles se détachent minablement sur les terres d’au delà. Des pays nouveaux sont visibles. Du Plancher intermédiaire au sommet. Quatrième étape. Encore 90 mètres ! Allons ! Je m’aperçois que la carcasse de fer se rapproche de l’axe, L’ascenseur Edoux finira par remplir l’ossature et par affleurer les entretoises. C’est que la Tour s’amincit notablement.
On voudrait s’arrêter à chaque marche, tant il y a de belles choses et de surprises tout autour de la Tour. L’École Militaire surgit. peu à peu derrière le masque de fer et de verre derrière lequel on l’a cachée, et le puits de Grenelle se dégage tout entier. Je vois les cava-liers manœuvrer dans les cours des grandes casernes ; mais si petits, si petits qu’on dirait des cirons à cheval sur des puces. Je crois voir des cloportes dans ces cours. En y regardant, je démêle que ce sont des caissons d’artillerie.
Le troisième étage :
Ici l’œuvre de M. Eiffel apparaît sous un aspect véritablement grandiose, merveilleux, éblouissant. Quel magnifique horizon ! C’est indescriptible !
Que vous parveniez à la troisième plate-forme par escalier ou par ascenseur, vous débouchez dans une vaste salle octogonale, ou si vous le préférez, carrée â pans coupés. Les grands côtés mesurent une douzaine de mètres et les pans coupés deux mètres environ. La salle mesure un peu plus de deux mètres et demi en hauteur. On y trouve trois minuscules boutiques de vente de souvenirs, guides, etc., encastrées dans les piliers, et aussi un bar de dégustation. Sur les quatre côtés, les ascensionnistes du troisième peuvent inscrire leur nom sur les feuilles apposées à cet effet. Elles sont renouvelées chaque jour et destinées à former l’album des ascensionnistes de la Tour.
A hauteur de vue, de magnifiques glaces ferment les baies, et là, à l’abri des intempéries, on peut admirer le panorama incomparable qui vous entoure. De nombreux visiteurs y suivent avec grand intérêt, à certains jours, les courses de Longchamp, d’Auteuil et de Levallois-Perret. Par une gracieuse et utile inspiration la Société de la Tour a fait reproduire sur les panneaux du haut une vue et description panoramiques des localités et monuments entr’aperçus.
Le public n’est pas admis à dépasser la plate-forme du troisième étage, bien que 23 mètres la séparent du drapeau, dont la hampe est exactement à 303 mètres au-dessus du sol.
Renseignements généraux, administration :
L’administration de la société de la Tour Eiffel est installée au pied du pilier nord, dans l’élégant pavillon en bois édifié pour l’Exposition Universelle de 1889, par le gouvernement norvégien. Les services d’administration, secrétariat, services techniques, caisse, comptabilité et direction du personnel y sont centralisés.
Boîtes aux lettres :
Par les soins d’employés spéciaux, les lettres et cartes postales déposées dans les boites aux lettres de la Tour par les visiteurs sont expédiées par tous les courriers postaux de chaque jour. Les boites aux lettres sont installées à tous les étages et les visiteurs peuvent se procurer les cartes postales dans tous les kiosques de vente.
Bureau de tabac :
Un bureau de tabac a été installé au premier étage (pilier Est). On y vend aux mémos prix qu’aux autres débits tous les tabacs de la Régie.
Distributeurs automatiques :
Les ascensionnistes et visiteurs peuvent se procurer de charmants souvenirs et vues photographiques de la Tour aux huit distributeurs automatiques installés : quatre au premier étage, deux au deuxième, et deux au troisième.
Interprètes :
Les ascensionnistes étrangers trouveront aux deuxième et troisième étages des interprètes parlant toutes les langues de l’Europe (anglais, allemand, russe, italien, espagnol, etc.). Prix : 0,50 centimes le quart d’heure.
Jumelles et longues-vues :
Le service de l’optique de la Tour a été considérablement augmenté pour l’année 1892. Il existe à chaque étage un bureau de location et de rente d’objets d’optique. Au deuxième étage, doux postes composés chacun de cinq télescopes sont établis l’un à la pile Nord, l’autre à la pile Est. Chaque télescope est muni d’un téleacographe, appareil nouveau permettant aux visiteurs de trouver eux-mêmes d’une manière rapide les points de vue et les monuments les plus remarquables de Paris et des environs.
Le télescographe indique de plus le nom du point de vue ou du monument et la distance à laquelle ils se trouvent de la Tour. 0 fr. 25 par personne et par poste. Au troisième étage, quatre télescopes sont installée et permettent de découvrir les points de vue jusqu’aux horizons les plus lointains. 0 fr. 50 par personne pour les quatre télescopes.
Réclamations :
Les visiteurs pourront adresser leurs réclamations au chef du personnel, dont le bureau est installé au premier étage (pilier Ouest).
Water-Closets :
On trouve des water-closets aux premier et deuxième étages. Prix : 15 centimes.
Publié dans FONDATEURS - PATRIMOINE, Paris | Pas de Commentaire »