A la rencontre de M.De Gaulle
Posté par francesca7 le 11 novembre 2013
Tous en ont gardé un souvenir inoubliable. Récit. article paru sur http://www.lepoint.fr/societe
La rencontre avec de Gaulle est un moment-clé dans le parcours des Français libres. Chacun garde le souvenir fort du jour où, pour la première fois, il a vu surgir cette silhouette immense, sévère, distante, autoritaire, cette » cathédrale gothique », résume François Jacob. Aucun de ces jeunes n’a entendu l’appel du 18 juin ni ne connaissait son nom. Mais quand il leur apparaît, quelques minutes, le 6 juillet 1940, à l’Olympia de Londres, où campent les FL, il trouve d’emblée les mots justes. Ni trémolo ni flatterie : « Je ne vous féliciterai pas d’être venus, vous avez fait votre devoir. Quand laFrance agonise, ses enfants se doivent de la sauver. Vous avez de la chance, jeunes Français, car vous voyagerez beaucoup. Ce sera long, ce sera dur, mais à la fin, nous vaincrons. » Présent ce jour-là,Daniel Cordier se souvient de sa silhouette de héron, de son regard de prophète et de « sa voix aux intonations étranges ». L’instant est crucial : la cause de la France libre s’incarne enfin.
Plus tard, chacun ou presque aura droit à son tête-à-tête, passage obligé. Pour Cordier, l’entretien a lieu le 1er août 1940 : « Dans ma tête, tout se bouscule : correction de ma tenue, salut en claquant les talons, formule de présentation cent fois répétée. » Le dialogue est très bref, immuable : que faisiez-vous en France, quand êtes-vous arrivé, pourquoi vous êtes-vous engagé, avez-vous un souhait à formuler ? Quelques-uns ont des souvenirs plus personnels. Hubert Germain, dont de Gaulle connaissait le père, a droit à un aparté. Verdict aujourd’hui : « J’avais quitté papa, je tombais sur un second père. » Cantonné en Syrie jusqu’en mai 1940, Bernard Demolins est reçu plus longuement, interrogé sur la situation là-bas : « J’ai tenté de lui répondre, puis il s’est planté devant une carte du monde et s’est lancé dans une longue explication : les Allemands n’obtiendraient pas de pétrole des Russes, ils voudraient passer par la Libye, la Syrie. Il avait tout prévu, j’étais sidéré. »
« Alors, Gatissou, on n’a besoin de rien aujourd’hui ? »
Pour François Jacob, le premier échange a des accents presque fantastiques : fin août 1940, il est accoudé au bastingage du Westernland, en partance pour Dakar, quand il entend derrière lui une voix d’outre-tombe : « Cette terre, là-bas, qu’est-ce que c’est ? » Un temps stupéfait, Jacob se reprend et suggère l’Irlande : « Oui, dit de Gaulle, ce doit être l’Irlande. Il paraît que c’est très beau. Mais on attendra une autre occasion pour aller visiter. » Cette occasion, ce sera le dernier voyage de 1969, après sa démission.
L’officier mécanicien de l’air René Gatissou n’a vu de Gaulle que quelques minutes, mais il les raconte encore avec délectation. Basé en 1941 à Khartoum, il reçoit l’ordre d’un colonel d’aller voir de Gaulle au Caire pour obtenir des pièces de rechange, qui sont chez les Anglais à Bagdad. Il le trouve assis à une grande table, qui n’est en fait qu’une caisse d’emballage. « Je lui fais part de ma demande. Il sonne Raymond, qui pilotait son avion, et me désigne à lui : Gatissou veut aller à Bagdad. – Mais c’est en Irak, mon général. – Je sais, Raymond, et j’ai besoin de mon avion demain matin à 10 heures. Gatissou fait l’aller-retour avec l’avion de De Gaulle, tombe sur des Anglais qui sirotent leur whisky, obtient ses pièces et ramène l’avion in extremis. Mais l’histoire n’est pas finie. Dans les années 1960, de Gaulle a organisé une réunion à l’Élysée avec les compagnons de la Libération. Il s’est planté devant moi et m’a dit, alors qu’on ne s’était jamais revus : Alors, Gatissou, on n’a besoin de rien aujourd’hui ? »
Si de Gaulle, pour la plupart, reste une figure distante, certains gardent un souvenir plus détendu. Le 14 juillet 1942, un mois après Bir-Hakeim, le général rend visite à ses jeunes officiers vainqueurs. « On sentait qu’il était heureux. Il avait perdu sa raideur, raconte Hubert Germain. On en a profité. On lui a dit : On ne va pas rester comme des ploucs au soleil, on veut encore se battre. Je m’en occupe, nous a-t-il répondu ». Puis les jeunes officiers lui réclament une décoration pour Bir-Hakeim. Même réponse du général : « Je m’en occupe. – Tout est prêt, mon général : on lui a sorti un papier où tout était déjà écrit. Il a prétexté qu’il n’avait pas de stylo, mais on lui en a tendu un. Où voyez-vous une table pour écrire ? Il croyait s’en sortir comme ça. Mais un officier lui a présenté son dos et il a signé dessus en souriant. »
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