L’ARCHIPEL GALAPAGOS en 1858
Posté par francesca7 le 7 novembre 2013
VOYAGES D’UN NATURALISTE
L’ARCHIPEL GALAPAGOS ET LES ATTOLES OU ÎLES DE CORAUX.
1858. — INÉDIT.
Extrait : L’ARCHIPEL GALAPAGOS.
Groupe volcanique. — Innombrables cratères. — Aspect bizarre de la végétation. — L’île Châtain. — Colonie de l’île Charles. — L’île James. — Lac salé dans un cratère. — Histoire naturelle de ce groupe d’îles. — Mammifères ; souris indigène. — Ornithologie ; familiarité des oiseaux ; terreur de l’homme, instinct acquis. — Reptiles ; tortues de terre ; leurs habitudes.
(Lors du voyage de circumnavigation entrepris par le vaisseau de Sa Majesté britannique le Beagle, en 1838, sous les ordres du capitaine Fitz Roy, M. G. Darwin offrit son concours pour la partie scientifique, et spécialement pour les recherches d’histoire naturelle et de géologie. Agréé par l’Amirauté, il fit partie de l’expédition, et publia sous forme de journal, à son retour, les nombreuses observations qu’il avait recueillies, et qui font autorité dans le monde savant. Il a exploré la plus grande partie de l’archipel Galapagos, peu connu jusque-là, et en a signalé le premier les singulières particularités. Ce chapitre et celui où il décrit et explique la formation des atolls où îles de coraux de l’océan Pacifique, sont parmi les plus intéressants d’un livre qui abonde en faits curieux. M. Darwin ne se contente pas d’observer la surface des choses : il les approfondit, les rapproche, les compare, et, aidé de sa science et de sa perspicacité, en tire les inductions les plus lumineuses. Ce caractère particulier de son talent fait de lui un observateur hors ligne, et conserve à son ouvrage tout l’attrait de la nouveauté.)
« L’archipel Galapagos consiste en dix principales îles, dont cinq de plus grandes dimensions que les autres. Elles sont situées sous l’équateur à environ six cents milles à l’ouest des côtes de l’Amérique du Sud . Toutes sont formées de rocs volcaniques. Quelques fragments de granit, altérés et en partie vitrifiés par la chaleur, peuvent à peine faire exception. Plusieurs des cratères qui dominent les plus grandes îles sont immenses et s’élèvent à plus de mille mètres. Sur leurs flancs s’ouvrent d’innombrables orifices. Je n’hésite pas à affirmer qu’il doit y avoir dans tout l’archipel au moins deux mille cratères. Ils se composent de laves et de scories, ou de couches de tuf finement stratifié ayant l’aspect du grès : ces couches, d’une symétrie admirable, ont eu pour origine des éruptions de boue volcanique, sans mélange de lave. Une circonstance remarquable, c’est que les lèvres ou bords de chacun des vingt-huit cratères qui ont été explorés, s’abaissent brusquement au sud ; parfois ils sont tout à fait brisés et font brèche. Comme tous ces cratères se sont probablement formés dans la mer, et que les vagues poussées par les vents alizés et les grosses houles de l’océan Pacifique réunissent leurs forces sur les côtes méridionales des îles, cette singulière uniformité de brisure, dans des cratères composés d’un tuf friable, s’explique aisément. Quoique cet archipel soit placé directement sous l’Équateur, le climat est loin d’y être aussi chaud qu’il l’est en général sous cette latitude, ce qui semble dû en partie à la température singulièrement basse des eaux qu’amène là le grand courant du pôle austral. Il ne tombe de pluie dans les îles que pendant une courte saison, et encore rarement et avec irrégularité. Aussi les régions inférieures sont-elles très-stériles, tandis qu’à une hauteur de trois à quatre cents mètres l’air est humide et la végétation passablement abondante, surtout dans les parties sous le vent qui, les premières, reçoivent et condensent l’humidité de l’atmosphère.
Le 17 septembre, au matin, nous abordâmes dans l’île Chatam. Son profil se dessine arrondi et peu accentué, brisé çà et là par des monticules, débris d’anciens volcans. Rien de moins attrayant que le premier aspect. Un noir chaos de laves basaltiques, jeté au milieu de vagues furieuses, couvert de broussailles rabougries donnant à peine signe de vie. Le sol, desséché sous l’ardeur du soleil de midi, embrasait l’air étouffé et suffocant comme l’haleine d’une fournaise. Les arbustes mêmes nous semblaient exhaler une senteur désagréable. Quoique je fisse diligence pour recueillir le plus de plantes possible, je n’en réunis que fort peu, si petites et si misérables qu’elles eussent mieux figuré dans une flore arctique que dans celle de l’Équateur. À très-peu de distance les buissons paraissaient aussi nus que nos arbres en hiver, et je fus quelque temps à découvrir que non-seulement presque chaque plante avait toutes ses feuilles, mais que la plupart étaient en fleurs. L’arbuste le plus commun est du genre des euphorbiacées : un acacia et un grand cactus d’un port bizarre, sont les seuls arbres qui fournissent un peu d’ombre. Après la saison des pluies la verdure se montre sur quelques points, mais pour disparaître bientôt. Le Beagle fit le tour de l’île Chatam et jeta l’ancre dans plusieurs baies. Une nuit, je couchai surun rivage où s’élevaient d’innombrables cônes, noirs et tronqués. Du sommet d’une petite éminence, j’en comptai soixante, tous terminés par un cratère plus ou moins parfait, composé souvent d’un simple cercle de scories rouges cimentées ensemble. Ils ne dépassaient la plaine de lave que de vingt à trente mètres ; aucun n’avait été très-récemment actif. La montagne, indiquée dans le dessin ci-dessous, a 1000 à 1200 mètres de haut. C’est un volcan à cime plate, avec de récentes coulées de lave sur les flancs supérieurs : la base est parsemée de petits cratères. La surface entière de l’île semble avoir été perforée comme un crible par des vapeurs souterraines. La lave, soulevée dans son état fluide, a formé çà et là de gigantesques boursouflures. Ailleurs, les cimes de cavernes de semblable formation se sont affaissées laissant béantes des fosses circulaires à bords escarpés. La coupe régulière de ces nombreux cratères donnait au pays un aspect artificiel qui me rappela vivement les parties du Staffordshire où abondent les fonderies de fer. Le jour était d’une chaleur brûlante, et c’était un rude labeur que de gravir à travers un labyrinthe de broussailles ce sol inégal et tranchant, mais je fus bien récompensé de ma peine par l’étrangeté de ce site cyclopéen. Je rencontrai dans ma course deux grosses tortues de terre, pesant bien au moins chacune cent kilogrammes. L’une d’elles mangeait un morceau de cactus ; à mon approche elle leva la tête, me regarda et s’éloigna avec une majestueuse lenteur ; l’autre poussa un sifflementaigu, et retira sa tète sous sa carapace. Ces énormes reptiles, encadrés de lave noire, de broussailles nues, de grands cactus, m’apparaissaient comme des animaux antédiluviens. Quelques rares oiseaux à plumage terne, ne s’inquiétaient pas plus d’eux que de moi. Le 23, le Beagle fit voile pour l’île Charles. L’archipel Galapagos a été longtemps fréquenté, d’abord par les boucaniers, et plus tard par les pêcheurs de baleines. Mais il n’y a guère plus de six ans qu’une petite colonie s’y est fondée. Les habitants, au nombre de deux ou trois cents, sont presque tous gens de couleur, bannis pour crimes politiques de la république de l’Équateur, dont Quito est la capitale. Ils se sont établis à quatre milles et demi dans l’intérieur des terres, à une élévation d’environ trois cent cinquante mètres. Pour nous y rendre nous traversâmes des broussailles pareilles à celles de l’île Chatam ; plus haut les bois devinrent verts et dès que nous eûmes franchi la crête de l’île, une vivifiante brise du sud nous souffla au visage, et nos yeux se reposèrent avec délices sur une végétation vigoureuse. Dans cette haute région croissent en abondance de robustes graminées et des fougères herbacées ; il n’y en a pas d’arborescentes. Nulle part je ne vis un seul individu de la famille des palmiers, ce qui me surprit d’autant plus qu’à trois cent soixante milles au nord l’île des Cocos emprunte son nom à la multiplicité de ces fruits. Les maisons, irrégulièrement bâties sur un plateau, sont entourées de cultures de patates et de bananes. On ne saurait se figurer avec quel plaisir nous contemplions de la boue noire après avoir été si longtemps aveuglés par le sol poudreux du Pérou et du Chili septentrional. Bien que pauvres, les habitants trouvent moyen de vivre. Il y a dans les bois beaucoup de porcs et de chèvres sauvages ; mais la principale nourriture animale est la chair de tortue. Le nombre de ces reptiles a fort diminué dans l’île, et cependant deux jours de chasse suffisent pour assurer l’alimentation de la colonie le reste de la semaine. Autrefois un seul vaisseau en enlevait jusqu’à sept cents, et l’équipage d’une frégate, il y a quelques années, amena en un jour deux cents tortues sur la plage. Le 29 septembre, nous doublâmes l’extrémité sud-ouest de l’île d’Albemarle ; un calme plat nous retint dans ses eaux, entre elle et l’île de Narborough. Toutes deux sont couvertes d’immenses déluges de laves noires et nues, qui ont débordé incandescentes des cimes Je vastes cratères, et se sont étendues à plusieurs milles sur le rivage. Des éruptions ont eu lieu de mémoire d’homme, et nous vîmes un petit jet de fumée s’élever en spirale au-dessus des plus hauts sommets de l’île d’Albemarle, où nous jetâmes l’ancre le soir dans l’anse de Bank, qui n’est autre chose que la brèche d’un cratère de tuf. Le lendemain matin, j’allai à la découverte ; au sud se trouvait un autre cratère de forme elliptique, d’une symétrieremarquable ; son axe avait un peu moins d’un mille, et sa profondeur atteignait environ cent soixante-cinq mètres. Au fond brillait un lac dont le centre était occupé par un tout petit cratère faisant îlot. Le jour était d’une chaleur accablante ; l’eau paraissait limpide et bleue. Je descendis en courant la pente cendreuse ; à demi suffoqué, j’essayai d’étancher ma soif. Hélas ! c’était de la saumure !
Charles Robert Darwin (né le 12 février 1809 à Shrewsbury dans le Shropshire – mort le 19 avril 1882 à Downe dans le Kent) est un naturaliste anglais dont les travaux sur l’évolution des espèces vivantes ont révolutionné la biologie. Célèbre au sein de la communauté scientifique de son époque pour son travail sur le terrain et ses recherches en géologie, il a formulé l’hypothèse selon laquelle toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir d’un seul ou quelques ancêtres communs grâce au processus connu sous le nom de « sélection naturelle ».
Darwin a vu de son vivant la théorie de l’évolution acceptée par la communauté scientifique et le grand public, alors que sa théorie sur la sélection naturelle a dû attendre les années 1930 pour être généralement considérée comme l’explication essentielle du processus d’évolution. Au xxie siècle, elle constitue en effet la base de la théorie moderne de l’évolution. Sous une forme modifiée, la découverte scientifique de Darwin reste le fondement de la biologie, car elle explique de façon logique et unifiée la diversité de la vie.
L’intérêt de Darwin pour l’histoire naturelle lui vint alors qu’il avait commencé à étudier la médecine à l’université d’Édimbourg, puis la théologie à Cambridge. Son voyage de cinq ans à bord du Beagle l’établit dans un premier temps comme un géologue dont les observations et les théories soutenaient les théories actualistes de Charles Lyell. La publication de son journal de voyage le rendit célèbre. Intrigué par la distribution géographique de la faune sauvage et des fossiles dont il avait recueilli des spécimens au cours de son voyage, il étudia la transformation des espèces et en conçut sa théorie sur la sélection naturelle en 1838.
Ayant constaté que d’autres avaient été qualifiés d’hérétiques pour avoir avancé des idées analogues, il ne se confia qu’à ses amis les plus intimes et continua à développer ses recherches pour prévenir les objections qui immanquablement lui seraient faites. En 1858, Alfred Russel Wallace lui fit parvenir un essai qui décrivait une théorie semblable, ce qui les amena à faire connaître leurs théories dans une présentation commune. Son livre de 1859, De l’origine des espèces, fit de l’évolution à partir d’une ascendance commune l’explication scientifique dominante de la diversification des espèces naturelles. Il examina l’évolution humaine et la sélection sexuelle dans la Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, suivi par l’Expression des émotions chez l’homme et les animaux. Ses recherches sur les plantes furent publiées dans une série de livres et, dans son dernier ouvrage, il étudiait les lombrics et leur action sur le sol.
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