A L’ÉGLISE SAINT-ÉTIENNE DU MONT
Posté par francesca7 le 22 octobre 2013
(D’après Paris, 450 dessins inédits d’après nature, paru en 1890)
Près du Panthéon au fond de la place, en équerre avec le côté qui renferme la Bibliothèque Sainte-Geneviève, l’œil charmé rencontre la délicieuse façade de l’église Saint-Étienne du Mont, un bijou architectural dont la première pierre fut posée le 2 août 1610, trois mois après l’assassinat d’Henri IV, par Marguerite de Valois, sa première femme divorcée, qui donna trois mille livres pour aider à la construire. Si l’œil en est charmé, les puristes de l’architecture seraient embarrassés d’en définir le style. La masse de l’édifice, avec ses longues fenêtres à ogives géminées et flanquées à l’encoignure gauche d’une tourelle à toit pointu, semble annoncer une demeure seigneuriale, quelque hôtel princier du XVe ou du XVIe siècle.
Au centre s’élève un péristyle gréco-romain, où quatre colonnes composites, bandées et historiées, pareilles à celles dont Philibert de Lorme avait orné le pavillon central des Tuileries, supportent un fronton triangulaire ; au-dessus du fronton triangulaire se dresse un autre fronton courbe, abritant une rose entre deux niches à colonnes. Enfin, au-dessus de la façade et des deux frontons, où se mêlent les souvenirs classiques de l’antiquité et le caprice élégant de la Renaissance française, se dressent le pignon aigu des églises gothiques, comme à Saint-Germain-l’Auxerrois, et la tour carrée du clocher accosté d’une tourelle ou donjon, et surmontée d’un campanile, comme à Saint-Eustache.
L’architecte inconnu de cette fantaisie de pierre en a si bien calculé les proportions, il l’a, nous ne disons pas surchargée, mais comblée de tant d’ornements délicats, fouillés avec un art si achevé, qu’il en a fait non pas un modèle, mais un inimitable chef-d’œuvre. L’église Saint-Étienne du Mont a une histoire, qui n’est qu’un chapitre de l’histoire générale de la montagne Sainte-Geneviève, le mons Leucotitius de la Lutèce romaine.
Le roi Clovis, au moment de livrer bataille au roi des Visigoths Alaric II, fit vœu, à la prière de la reine Clotilde, de bâtir une église sous l’invocation de Saint- Pierre, s’il remportait la victoire. La bataille eut lieu dans la plaine de Vouglé, près de Poitiers, l’an 507 ; Clovis fut vainqueur d’Alaric, qu’il tua de sa propre main. L’année suivante, il choisit Paris pour capitale de ses États, et il s’empressa de s’acquitter de son vœu en faisant construire, sur le sommet du mont Leucotitius, occupé par un ancien cimetière, une église que les annalistes anciens appellent tantôt l’église Saint-Pierre, tantôt la basilique des Saints-Apôtres ; elle fut terminée par la reine Clotilde, qui y fut enterrée à côté de Clovis, et devint l’église Sainte-Geneviève, après que cette sainte fille, la patronne vénérée de Paris, y eut été inhumée à côté de son roi et de sa reine.
L’église Sainte-Geneviève fut desservie par des chanoines pour lesquels on construisit l’abbaye Sainte-Geneviève, attenante à l’église. Les bâtiments de l’abbaye subsistent en grande partie, malgré la transformation qu’ils ont subie, d’abord par retranchement, lorsque Louis XV acheta de l’abbaye les terrains nécessaires pour la construction de la nouvelle église, le monument et la place du Panthéon, puis par. la création en 1802 du lycée Napoléon. La façade latérale de l’ancien cloître règne sur la rue Clotilde, qui la sépare du Panthéon ; quoique refaite en 1746, alors qu’elle menaçait ruine, elle présente encore une série de belles baies ogivales.
L’antique église Sainte-Geneviève, reconstruite au XVIIIe siècle, était, comme la Sainte-Chapelle, divisée en deux nefs : la nef haute, réservée aux chanoines, et la nef basse ou crypte, à l’usage des fidèles : la population était peu nombreuse alors que les environs de l’abbaye et de l’église Sainte-Geneviève étaient cultivés en vignobles. Mais, lorsqu’ils se trouvèrent compris dans l’enceinte de Philippe-Auguste, ils furent rapidement lotis et bâtis. La montagne Sainte-Geneviève se couvrit d’habitations particulières, de collèges et d’églises ; prêtres, professeurs et écoliers y affluèrent et y amenèrent un commerce florissant. L’église Sainte-Geneviève, dont l’emplacement est représenté par le plus une bande de terrains enclavés aujourd’hui dans la façade du lycée Napoléon ou Henri IV, devint insuffisante pour les besoins du culte. Les chanoines employèrent alors une portion de terrain attenant au côté gauche de leur église à l’édification d’une chapelle annexe destinée à servir de paroisse, et qui fut dédiée à saint Étienne.
Cette chapelle faisait partie intégrante de l’église Sainte-Geneviève à ce point qu’on n’y entrait que par une porte intérieurement percée dans le mur septentrional de celle-ci. Elle subsista dans cet état jusqu’en 1491, où il fut décidé d’agrandir la chapelle paroissiale de Saint-Étienne, et de lui accorder une complète autonomie.
L’étude du projet employa plusieurs années, et l’on ne se mit à l’œuvre que sous François Ier en 1517. Les travaux commencèrent selon l’usage par l’abside, se poursuivant par le chœur, achevé en 1537 ; enfin en 1541, l’ouvrage était si avancé que l’évêque de Mézau y vint bénir les autels, au nom de l’évêque de Paris ; on y travaillait encore en 1563 ; le jubé fut commencé en 1600, la chapelle de la communion et les charniers situés derrière l’abside en 1605 et 1606, les portails de 1609 à 1617, les perrons et les escaliers en 1618 ; enfin, le 23 février 1626, l’église et le maître-autel furent consacrés et dédiés à l’honneur de Dieu et de la sainte Vierge par de Gondi, archevêque de Paris, ainsi que le relate une inscription sur marbre noir, encastrée dans le mur de la première travée du collatéral nord de la nef. Les travaux avaient duré cent sept ans, et voilà pourquoi l’église Saint-Étienne du Mont, commencée par une abside gothique dessinée sous Charles VIII, se termine par un portail Renaissance achevé sous Louis XIII.
Cependant la vénérable église Sainte-Geneviève, qui dominait Paris comme un Parthénon chrétien, était destinée à disparaître après avoir enfanté Saint-Étienne du Mont. Supplantée de son vivant, si l’on peut ainsi parler, par le temple païen de Soufflot, elle fut confisquée en 1791 avec l’abbaye dont elle dépendait, puis abattue de 1801 à 1807. La crypte de Sainte-Geneviève était la plus considérable et la plus curieuse de Paris, à ne le prendre que du côté profane. Quels trésors n’en retira pas la commission de savants chargée de surveiller les démolitions ! Quatre statues de femmes plus grandes que nature, sculptées en bois par Germain Pilon, soutenaient la châsse de sainte Geneviève ; elles sont recueillies dans le musée de la Renaissance au Louvre.
La statue en pierre de Clovis, refaite en partie au XIIe siècle, est à l’abbaye de Saint-Denis ; le tombeau de Descartes a été détruit, mais ses cendres ont trouvé asile à Saint-Germain des Prés ; on ne sait plus rien du tombeau de la reine Clotilde, mais on connaît le sort réservé à sainte Geneviève. La châsse, soutenue par les statues de Germain Pilon, était un reliquaire en forme d’église exécuté en 1242 par Bonnard, le plus habile orfèvre qui ait honoré l’industrie parisienne en ces temps reculés : elle pesait 193 marcs d’argent et sept marcs et demi d’or ; elle était couverte de pierreries, données par les rois et les reines, et surmontée d’un bouquet de diamants offert à la sainte par Marie de Médicis. En 1793, la Commune de Paris envoya la châsse à la Monnaie, et brûla publiquement les reliques de sainte Geneviève.
Il subsiste cependant un débris de l’église Sainte-Geneviève : c’est la haute tour qui accompagnait le chœur du côté du sud, et qui est enfermée aujourd’hui dans les bâtiments du lycée. Romane à sa base et percée de baies en plein cintre, elle est ogivale dans les deux étages supérieurs construits dans le style du XIVe et du XVe siècle, tandis que la porte basse remonte au règne de Philippe Ier. Placée au sommet de la montagne, en arrière du Panthéon, la tour de Sainte-Geneviève est un des ornements grandioses du panorama de Paris.
Mais revenons à Saint-Étienne du Mont. La démolition de Sainte-Geneviève et le percement de la rue Clovis ont complété son isolement. Dégagé du côté de l’abside par la rue Descartes, il est bordé au nord par la pittoresque ruelle qui s’appelle aujourd’hui du nom de l’église elle-même, et qu’on nommait primitivement des Prêtres-Saint-Étienne-du-Mont. La déclivité de cette rue sur la pente de la montagne met en évidence la situation bizarre de l’église, sous les pieds de laquelle le sol semble manquer, et qui s’explique par son ancienne condition de chapelle collatérale à l’église culminante de Sainte-Geneviève.
Le plan intérieur de Saint-Étienne du Mont est une croix latine, avec bas côtés et chapelles. La lumière entre abondamment par une triple rangée de fenêtres, garnies de meneaux dont les ramifications varient à l’infini. Quelques-uns sont ornés de vitraux d’une grande beauté, tels que le Christ en croix de la chapelle des fonts baptismaux ; à la quatrième chapelle la parabole des conviés, superbe vitrail de Pinaigrier, qui date de 1568, et aux collatéraux du chœur l’histoire de saint Étienne, grande composition qui apparaît dans tout son éclat au matin par le soleil levant, et qu’on attribue à Enguerrand Le Prince, à qui l’on doit également le couronnement de la Vierge dans la chapelle de Saint-Vincent de Paul. La chapelle du catéchisme, bâtie derrière l’abside sur l’emplacement de l’ancien charnier, renferme une collection de vitraux qui méritent aussi l’attention des connaisseurs.
Mais la merveille architecturale de Saint-Étienne du Mont, l’Europe artiste la proclame : c’est le jubé de marbre blanc, construit et sculpté par Biart le père, artiste, célèbre du XVIIe siècle. Il est formé d’un arc unique qui traverse le chœur, desservi par des escaliers en spirale contenus dans des tourelles à jour, à peine appuyés par de sveltes colonnettes chargées de lierre. Des anges, des palmes, des rinceaux, des entrelacs, des mascarons décorent les archivoltes et les frises. Il se complète par deux portes qui ferment les bas côtés du chœur. Les vantaux de ses portes sont à claire-voie, surmontés d’entablements où sont assis, au milieu de frontons triangulaires, deux adorateurs en pierre d’une exécution charmante. Le jubé de Saint-Étienne, cette œuvre d’art incomparable, est aujourd’hui le seul qui subsiste dans les églises de Paris depuis que la cathédrale a perdu le sien par une démolition sacrilège.
La chaire de Saint-Étienne du Mont est digne du jubé ; dessinée par Laurent de La Hire, l’un des peintres les plus originaux de l’école française au XVIIe siècle, et sculptée par Claude Lestocart, elle représente le développement du mystère de la parole de Dieu, exprimé par une suite de bas-reliefs et de statuettes d’une exécution parfaite.
Saint-Étienne du Mont renferme cependant un trésor plus précieux que ses vitraux, son jubé et sa chaire : c’est la tombe de sainte Geneviève. On a vu comment les reliques de la patronne de Paris avaient été traitées en 1793 par la Commune de Paris, qui fit brûler les os de la sainte en place de Grève ; on avait fondu la châsse, arraché la grille et les revêtements de marbre du tombeau. Mais la pierre qui avait supporté le corps de la sainte depuis l’an 512, dans la crypte de l’église, fut dédaignée par les profanateurs et protégée par les décombres qui s’y accumulèrent. C’est à cette même place qu’elle fut retrouvée en 1802, lorsque les églises se rouvrirent, par M. Amable dés Voisins, le nouveau curé de Saint-Étienne du Mont. Secondé par l’abbé Rousselet, le dernier curé de Sainte-Geneviève, il fit reconnaître l’authenticité de la pierre par six des vieux Génovéfains ; enfin, une ordonnance de Mgr de Belloy, archevêque de Paris, datée du 20 décembre 1803, autorisa la translation du tombeau dans l’église Saint-Étienne du Mont, et aussi la célébration des fêtes et du culte de sainte Geneviève, suivant les rites usités dans l’ancienne abbaye.
La décoration de la chapelle qui abrite aujourd’hui le tombeau est due à M. l’abbé de Borie, qui la commença en 1852 avec le concours du R. P. Martin, de la Compagnie de Jésus. La pierre tombale est recouverte d’un manteau d’orfèvrerie, que surmonte un élégant ciborium, où l’on voit d’un côté les vierges sages et les vierges folles de l’Évangile, et de l’autre saint Siméon Stylite, priant sainte Geneviève du fond de la Thébaïde. L’autel, en style du XIVe siècle, est surmonté de la statue de sainte Geneviève, copiée sur celle qu’on voit encore dans la sacristie du collège Henri IV, et qui ornait autrefois le portail de la vieille basilique. Aux pieds de la statue est une châsse dorée, où sont déposés trois
reliquaires contenant des reliques de la sainte, autrefois distribuées à des églises ou des monastères ; le premier provient de l’abbaye de Chelles ; le seconda été donné au curé de Saint-Étienne en 1809 par le cardinal Caprara ;. le troisième est un ex-voto offert en 1832 par le cardinal Mathieu, alors qu’il était curé de la Madeleine.
Une ouverture ménagée dans la partie antérieure de la châsse permet de toucher et d’embrasser la pierre sainte, dont la surface paraît mamelonnée et ravinée tout à la fois ; ce sont les baisers et les attouchements des fidèles qui l’ont ainsi creusée. La foule est toujours grande aux abords de fa, chapelle, où brillent mille cierges incessamment allumés pour obtenir quelque grâce par l’intercession de la sainte. Pendant la neuvaine qui suit la fête de sainte Geneviève, c’est-à-dire du 3 au 11 janvier, ce n’est plus la chapelle, c’est l’église elle-même qui devient inabordable.
Les paroisses de Paris et de la banlieue y viennent en longs pèlerinages, et l’on évalue à plus de cent mille le nombre des personnes qui défilent pendant ces neuf jours devant la vierge de Nanterre. En face de l’autel, dans la chapelle, on a élevé un monument qui contient le cœur de Mgr Sibour, archevêque de Paris, assassiné le 3 janvier 1857 dans cette même église, alors qu’il officiait pour l’ouverture de la neuvaine de Sainte-Geneviève, par un mauvais prêtre qu’il avait frappé d’interdit.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.